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La
période phénicienne
C'est environ en
1520
av. J.-C. que l'on fait remonter le commencement
de la navigation des Phéniciens par le détroit de Gibraltar
et la fondation de leurs premiers établissements de commerce sur la côte
occidentale du Nord du Maroc. Puis les Carthaginois, de bonne heure, cherchèrent
à exploiter le pays, se maintenant autour des ports et ne dominant le
reste du pays que par l'intermédiaire de chefs indigènes investis du
manteau rouge. La grande expédition maritime confiée à l'amiral Hannon
( Le Périple
de Hannon) avait exploré la côte atlantique et fondé des colonies.
Mannert estime que c'était à peu près l'époque où Carthage
était parvenue à sa plus grande splendeur, c.-à -d. durant la période
comprise entre le règne de Dariusler
et le commencement de la première Guerre punique .
Tingîs (Tanger)
et Lixus (Tchemmich, près de Larache )
existaient déjà , mais c'est alors que furent fondés les principaux comptoirs
de la côte, comme Thymiateria (Mehediyab), Sla (Rabat),
etc.
A peine Scipion
Émilien, après la prise de Carthage ,
avait-il
quitté l'Afrique
que l'on vit affluer la troupe avide des négociants ou fermiers d'État
qui envahissent bientôt tout le trafic de la nouvelle province aussi bien
que des pays numides
et gétules fermés jusqu'alors à leurs entreprises. A mesure que la puissance
phénicienne penche vers son déclin, on voit dans le Nord de l'Afrique
et principalement dans la partie de la Maurétanie
qui était le Maroc de nos jours, celle des princes indigènes affirmant
la suprématie des Berbères. C'est ainsi que,
déjà vers l'an 200 av. J.-C.
le pays qui nous occupe s'était soumis au moins en grande partie à la
famille princière de Bokkar. La région était encore peu connue des Romains
et, en tout cas, ses habitants ne paraissent avoir commencé à jouer un
rôle bien dessiné dans l'histoire qu'au moment où Jugurtha,
gendre de leur roi Bocchus et roi de Numidie,
demanda son appui contre les Romains (107).
On connaît la conduite de Bocchus et on sait que, pour prix de sa trahison,
les Romains le récompensèrent de leur avoir livré Jugurtha en reculant
de la Molouïa jusqu'à l'Ampsaga (l'oued El-Kebir) les frontières de
la Maurétanie occidentale.
Ce que les auteurs
anciens nous ont transmis sur cette époque est très incomplet et en partie
contradictoire. Ils nous apprennent que le grand royaume formé par Bocchus
a été divisé en deux États soumis à des rois qui ont porté les noms
de Bocchus et de Bogud; mais ils ne disent ni quand le partage a eu lieu
ni quel a été le nombre de ces rois, et il arrive parfois qu'on ne voit
pas clairement sur laquelle des deux Maurétanies
a régné le roi dont il est fait mention. Les premiers événements qu'on
nous a rapportés de cette époque appartiennent à l'an 81.
Un roi maurétanien attaqua alors le roi numide Hiarbas lorsque, vaincu
par Pompée, il s'était réfugié dans l'Ouest
de ses domaines. Au même temps, une lutte s'engage sur la côte atlantique
entre un certain Ascalis, sans doute un prétendant au trône de Maurétanie,
et Sertorius, célèbre chef espagnol; Ascalis
fut soutenu par des pirates siciliens arrivés dans ces parages avec Sertorius
et par des troupes envoyées d'Espagne par Sylla,
mais Sertorius le vainquit et prit la ville de Tingis où il s'était retiré.
Les rois maurétaniens prirent aussi part à la guerre qui se faisait en
Espagne entre César et les Pompéiens; en 48,
un Bogud passa en Espagne pour aider Longinus, lieutenant de César, Ã
combattre le gouverneur pompéien de ce pays et, à la bataille, nous trouvons
en 45
l'un des deux rois dans l'armée de César et les fils de l'autre combattant
dans les rangs de Pompée.
En 38, Bogud, roi
de la Maurétanie occidentale, embrassa le parti de Marc-Antoine
et fit une expédition en Espagne pour déposséder les légats d'Octave;
pendant son absence, les habitants de Tingis se révoltèrent et Bocchus,
roi de l'autre Maurétanie ,
occupa son pays; Bogud, échouant dans sa tentative en Espagne et ne pouvant
rentrer dans ses États, se réfugia en Orient auprès d'Antoine, tandis
que Bocchus reçut d'Octave l'investiture du royaume occidental. Ce Bocchus,
dernier roi de la dynastie, mourut en 33.
La civilisation phénicienne se maintint sans doute pendant toute cette
époque, mais celle des Romains ne put faire autrement que de pénétrer
peu à peu dans la Maurétanie, soit par le commerce actif qui se faisait
entre les villes maritimes et la côte, voisine de l'Espagne où prédominaient
alors la langue et les moeurs romaines, soit par suite des relations qu'entretenaient
les rois avec les Romains. Cette influence a dû se faire sentir surtout
vers la fin de cette époque, après que la Numidie
orientale fut devenue province romaine.
Période
romaine et byzantine
C'est par le territoire
de Carthage
que Rome avait d'abord saisi l'Afrique .
De l'Afrique propre ou province romaine d'Afrique, la Tunisie
actuelle, les nouvelles moeurs gagnèrent les contrées voisines, et, pour
activer la transformation de ces pays, Auguste
et ses successeurs fondèrent de nombreuses villes dans la Maurétanie
occidentale, jusque sur les côtes de l'océan Atlantique où ils développèrent
les anciens comptoirs phéniciens en face de la Bétique, d'où leur arrivaient
des encouragements et des secours. Tel Lixus qui était en relation si
fréquente avec le port voisin de Gadès (Cadix ).
Otton rendit plus tard, en 69,
durant son éphémère pouvoir, cette action plus directe en plaçant la
Tingitane sous la juridiction des gouverneurs de Bétique. Auguste avait
déjà établi que Zilis (Asilah) en relèverait. Zilis jura Baeticam
petere jussa (Pline, Histoire naturelle,
V, 1). Pourtant on adopta d'autres errements et on crut aller plus vite
dans cette oeuvre en remettant le pouvoir à un chef indigène; c'est ainsi
que la Maurétanie fut donnée à Juba. Toutefois,
en 40,
Caligula
prit au fils de Juba son royaume, et
Claude en
41
divisa la Maurétanie en deux provinces, la Tingitane et la Césarienne,
séparées par la Malva (la Molouïa de nos jours). En 42,
la Tingitane était élevée au titre de province romaine, et Lixus devenait
colonie impériale (Lixus colonia Claudii Caes.).
Ce ne fut pas sans
résistance que la nationalité berbère adopta cette domination si différente
de celle de Carthage .
L'histoire ne nous a pas conservé le récit de ces luttes. La rébellion
fut toutefois et à maintes reprises très étendue, notamment sous le
règne de Claude, quand Suetonius Paulinus entreprit
une expédition qui mena les légions romaines jusque sur les bords de
l'oued Ghers. Parties de Volubilis, les troupes franchirent le massif occupé
de nos jours par les Beni-Meguiled, traversèrent l'Atlas au col de Tizi
n'Telremt et débouchèrent sur le versant méridional de la chaîne, dans
la région du Tafilalet, par un itinéraire des plus hardis. Pour donner
plus d'indépendance à l'action militaire, Caligula
avait du reste ôté le commandement de l'armée au proconsul d'Afrique
en le donnant au légat impérial. On a trouvé, au Maroc des inscriptions
nombreuses (recherches de Tissot poursuivies par La Martinière) datant
de presque toutes les époques de l'Empire. Certaines inscriptions de Tanger
confirment le titre que Pline nous avait transmis
de la cité (Tinge colonia Julia traducta); une autre nous apprend
que la Tingitane si voisine de l'Espagne, avec laquelle elle avait tant
de relations, s'appela Provincia nova hispania ulterior Tingitana;
il est possible que ce fût sous le règne de Caracalla.
L'arc de Volubilis date de cette même époque, peut-être à l'occasion
d'un voyage que cet empereur fit avec sa mère dans ces régions. Des inscriptions
recueillies à Banassa, dans la plaine du Sebou, portent le nom de Gordien.
En résumé, la Tingitane, rattachée au diocèse d'Espagne et commandée
par un comes tingitanae, relevait directement du magister peditum
(sorte de ministre de la guerre) de Rome. Quant à son administration civile,
elle était confiée à un praeses obéissant, ainsi que nous avons vu,
au vicaire d'Espagne.
Sous Constantin,
en 323,
la Tingitane, rattachée à la préfecture des Gaules ,
était, sous l'autorité du préfet du prétoire des Gaules qui était
représenté dans la province par un praeses. L'ancienne organisation
militaire relevant de Rome directement subsistait. Le comes tingitanae
avait sous son autorité un préfet de cavalerie et cinq tribus de cohortes,
et aussi des corps mobiles. Les chefs militaires dans la province avaient
le nom de limitanei et commandaient les postes de frontières. Sous
le Bas-Empire, cette organisation dut subir de profondes modifications,
alors que l'empereur dirigeait tout du fond de son palais, polissant la
centralisation à outrance, instituant les curiosi ou inspecteurs
régionaux.
A la suite du traité
passé avec le comte d'Afrique, Boniface,
les Vandales
traversèrent le détroit et débarquèrent en Tingitane au mois de mai
429.
De suite, ils se mirent en route vers l'Est, s'avançant en masse comme
une trombe qui détruit tout sur son passage, mais nous ne savons presque
rien du rôle que joua la Tingitane dans la constitution du royaume vandale
et dans l'organisation de l'Afrique vandale par Genséric.
Ce que nous en ont dit les auteurs porterait à croire qu'en Tingitane
le territoire romain à cette époque finissait souvent à huit ou dix
lieues de la côte. Mais cette opinion ne saurait être admise sans réserve.
Les conséquences de la conquête vandale se firent vraisemblablement sentir
en Tingitane plus que dans le reste de l'Afrique
septentrionale, car, en ruinant les établissements que Rome y avait si
admirablement développés ou fondés, l'invasion par les ruines qu'elle
sema profita surtout à la population indigène pour regagner son indépendance.
Après la mort de Genséric, une insurrection générale eut lieu, et,
parmi les révoltés, il ne manqua certes pas de colons ruinés ou d'officiers
persécutés pour leur religion pour servir de chefs habiles et capables
d'organiser la lutte.
Au moment de l'expédition
de Bélisaire on s'en apercevra, lorsque, après
avoir détruit ce qui subsistait de la domination vandale,
Byzance
voudra redonner aux Maurétains leurs limites anciennes, et l'élément
berbère aura alors reconquis peu à peu une partie des territoires abandonnés.
Il n'apparaît pas que nulle part cette résistance ait été plus vive
qu'en Tingitane. Quoi qu'il en soit, la domination byzantine y fut plus
étendue et peut-être même plus profonde qu'on ne le croyait généralement,
s'il faut en juger par la grande masse des vestiges retrouvés au Maroc
et datant de cette époque, bien que certains auteurs ne nous donnent que
Tanger et Ceuta
comme seules places occupées par les dignitaires de Byzance.
Justinien
avait rétabli la Tingitane comme une des sept provinces d'Afrique relevant
du prétoire de Carthage .
Reconnaissant, par l'expérience de l'invasion des Vandales
et par les mouvements menaçants des invasions de l'Europe latine, l'importance
du détroit de Gadès (détroit de Gibraltar), il écrivait à Bélisaire
:
«
Établissez complètement sur le passage qui est vers l'Hispanie ,
et qu'on appelle Septa, des soldats avec leur tribun, homme prudent et
dévoué à notre Empire, de manière qu'il puisse toujours garder ces
rivages et faire savoir tout ce qui s'y passe. Vous ferez en outre établir
dans ce détroit des vaisseaux légers. » (Trad. d'Avezac).
C'est de cette époque
que semblent dater toutes les reconstructions byzantines trouvées en Tingitane.
Salomon, préfet du prétoire, après le départ de Bélisaire,
releva les fortifications de Septa et y bâtit une église (542).
Malgré ces précautions, les Wisigoths
d'Espagne
traversèrent le détroit probablement sous le règne de Swinthilla (621-631)
et s'établirent à Tanger. On sait en effet que, lorsque les Vandales
avaient laissé l'occident de l'Afrique s'échapper de leurs mains, ce
furent les Goths de la Péninsule qui en profitèrent pour prendre Septa.
Par la négligence des Vandales, les murailles se ruinèrent (Procope,
De
Aedificiis), puis les Berbères en chassèrent les Goths. En
532,
le roi Thendus fit pour reprendre cette place une tentative malheureuse,
et ce fut en réalité aux Berbères que les chrétiens enlevèrent la
ville quand ils en prirent possession pour la seconde fois. Si nous on
croyons l'auteur de la guerre des Vandales, l'occupation byzantine Ã
l'époque qui suivit la déportation de Gélimer à Constantinople
se borna dans la Tingitane à Ceuta .
On voit donc quel immense espace restait en proie aux indigènes et Ã
quels désordres devait être exposé ce pays. Les chroniqueurs ignorent
ce qu'était l'Afrique et en particulier la Tingitane sous le règne d'Héraclius
(618),
semé de tant de désastres. Toutefois des événements qui suivirent immédiatement
la mort d'Héraclius, en 641,
ou plutôt celle de son fils Constantin III,
on peut tirer la preuve que Ceuta était, encore sous la dépendance de
l'Empire, quoique ce fût dans cette ville qu'Héraclonas
exila Philagrius. Quant à l'Afrique proprement dite, elle était gouvernée
par un certain patrice du nom de Grégoire (Djoredjir) qui avait fait avec
les indigènes une manière de pacte dont on ne connaît pas les conditions,
et qui répudia l'autorité de la métropole. Il s'était érigé en souverain
puisqu'il faisait frapper des dinars à son effigie, et son autorité s'étendait
de Tanger à Tripoli ; le siège de son gouvernement était Sbeïtla. Telle
était à peu près la situation dans la septième année du règne de
Constant
II.
Le
christianisme en Tingitane
Malgré les persécutions,
le christianisme
avait fait de rapides progrès dans tout le Nord de l'Afrique ,
et la Tingitane, par sa proximité de la Bétique, n'avait pas été tenue
à l'écart de ce mouvement. Ainsi que l'a fait remarquer Berbrugger, ce
fut d'abord le sang indigène qui coula pour la foi chrétienne, et c'est
à Tanger aussi qu'un centurion du nom de Marcellus est martyrisé pour
avoir refusé de porter les emblèmes païens. Cependant, sous Dioclétien,
en 303,
le fameux édit de Nicomédie ne fut pas exécuté dans l'Espagne et la
Tingitane (Mercier). Après la scission qui se produisit dans l'Église
et la formation du parti des donatistes ,
le mouvement s'étendit jusqu'en Tingitane, et là encore nous devons trouver
une des manifestations de l'esprit d'indépendance des Berbères. Si la
plupart des Africains ont embrassé le christianisme, ils ne l'ont jamais
fait avec autant de zèle que quand il était une religion persécutée
par les empereurs. Dès qu'il est devenu la religion officielle, de suite
ils cherchent à se distinguer du peuple conquérant en pratiquant des
formes de christianisme à eux. Le schisme donatiste est une des formes
de la résistance berbère contre l'orthodoxie impériale, et il en sera
de même quand se sera répandue la doctrine du Libyen -
Arius,
vers 320
( Arianisme ).
Au commencement
du Ve siècle,
les schismes, les hérésies s'étant multipliés, la rage des Circoncellions
détruira toute la belle colonisation des campagnes en Tingitane, préparant
comme la venue d'autres occupants. Quoi qu'il en soit, la persistance du
christianisme fut au Maroc assez grande. Contre les conquérants musulmans ,
les Berbères agiront encore avec la même indépendante. Longtemps ils
résisteront à la propagande de l'islam. El-Bekri a eu soin de nous apprendre
les difficultés que l'apôtre Salah-ibn Mansour rencontra en convertissant
les Sanhadja et les Ghomara. Avec eux étaient les Beni-Hamed, les Metioua,
les Beni-Nal, les Ar'saoua, les Beni-Zeroual, les Medjkassa et une partie
des Tamsaman. Au surplus, l'auteur du Roudh el-Kartas nous apprend
qu'au moment de son apostolat Edris (Idris) eut surtout à combattre les
Berbères chrétiens, tant était répandue la religion. Nous en pouvons
du reste juger par la longue liste des évêques de la Tingitane qui relevaient
du siège de Carthage
. Au moment de la conquête arabe, il faut citer certaines tribus, comme
les Ghyiâtsa et les Mediouna, qui professaient le judaïsme .
Mais quand, de guerre lasse, les Berbères auront enfin accepté l'islam,
nous les voyons encore chercher à se distinguer de leurs nouveaux maîtres
par l'adoption de sectes hérétiques : le kharédjisme, le chiisme ,
l'ibadisme, le çofrisme, qui eurent longtemps parmi les adeptes de la
nouvelle religion la même fortune qu'autrefois le donatisme
ou l'arianisme .
Ce ne sera qu'à la fin et après la longue et patiente propagande des
missionnaires isolés ou des tribus dites Cheurfa, que l'orthodoxie musulmane
pénétrera insensiblement dans la masse de la population autochtone. (H.-P.
de la Martinière). |
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