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Après
son entrée à Fès, le chérif Mohammed-el-Mehdi
châtia avec une extrême rigueur la population, y laissa son fils comme
gouverneur et regagna la ville de Marrakech; son règne dura jusqu'en 1557,
époque où, à la suite d'une conspiration ourdie de longue main, il fut
assassiné par ordre du pacha algérien Hasan. L'action de ce souverain,
considérable par elle même, puisqu'il a été le véritable fondateur
de la puissance saadienne, a été surtout caractérisée par la politique
de résistance et plus tard de combat à l'égard des marabouts dont les
associations redoutables contrecarraient le pouvoir central, tandis qu'au
contraire sous les Mérinides ces derniers étaient tout-puissants. Un
des fils de Mohammed-el-Mehdi, Abd-el-Moumen, venge son père, tandis qu'un
autre fils, Abou-Mohammed-Abdallah, arrive de Fès et à Marrakech prend
le pouvoir. Il règne en despote et ne se signale guère que par les embellissements
qu'il fit dans sa capitale; en 1573,
son fils Mohammed, qui était son calife
à Fès, lui succède. C'était un métis instruit, mais dur et sanguinaire,
qui prit le surnom d'El-Metouekkel, mais à peine était-il monté sur
le trône qu'un de ses oncles, Maulay-Abd-el-Malek, s'empare de Fès, grâce
à l'appui des Turcs
et s'y fait proclamer sous le nom d'El-Moatasem près de Marrakech même,
tandis que Mohammed demande l'appui des Portugais qui préparaient justement
à cette époque une expédition pour reconquérir leurs possessions du
Maroc. Grâce à lui, ils peuvent débarquer à Asilah un grand matériel
de guerre et une armée estimée, suivant les historiens du moment, Ã
30 000 hommes et que les Arabes évaluent à 100 000. Ces troupes s'étant
mises en marche à la légère, et sans s'assurer d'aucune base d'opérations,
étaient conduites par le jeune roi dom Sébastien qui, impatient d'en
venir aux mains avec les mécréants, engagea le combat près d'Alkasar
dans une situation défavorable, dans la plaine située entre le confluent
de l'oued El-Mekhazen et de l'oued Kous. Le sultan Abd-el-Malek, malade,
y était à la suite de son armée, tandis que son frère, Abou l'Abbas-Ahmed,
était arrivé de Fès avec les contingents de cette partie de l'empire.
Les troupes de dom Sébastien forent entièrement défaites; la malheureux
roi se noya dans l'oued El-Mekhazen; le chérif Mohammed son allié périt
dans l'oued Kous et le sultan Abd-el-Malek victorieux mourut dans sa litière
au cours de l'action. On appela cette journée la bataille des Trois-Rois;
elle eut lieu le 4 août 1578.
A peine une soixantaine de chrétiens s'échappèrent-ils; tout le reste
fut tué ou fait prisonnier.
Cette victoire consolida
le pouvoir d'Abou l'Abbas-Ahmed qui fut proclamé dès que la mort d'Abd-el-Malek
fut connue. Le nouveau sultan reçut le titre d'El-Mansour et plus tard,
après son expédition au Soudan, celui d'El-Dehebi ou le Doré
sous lequel il est connu dans l'histoire. Accueilli avec enthousiasme pas
les tribus, il ne tarda pas, s'il faut en croire le Nozhet el-Hâdi,
à recevoir des félicitations du souverain de Stamboul, du pacha d'Alger,
du roi de France et de celui d'Espagne. Une ambassade du régent de Portugal
vint signer la paix et consacra des sommes considérables au rachat des
prisonniers. Durant l'année 1581,
El-Mansour entreprit une expédition dans le Sahara,
au cours de laquelle il leva des contributions de guerre jusque dans les
oasis de l'extrême Sud algérien. Sous son règne, les Espagnols remplacèrent
les Portugais dans l'occupation des places qui étaient demeurées au Maroc
entre les mains des chrétiens, sauf Tanger. En 1588,
ils faillirent perdre Ceuta
et l'année suivante ils évacuèrent Asilah après en avoir fait sauter
la citadelle. Avant de mourir, le sultan vit revenir de Tombouctou
ses troupes chargées d'un butin immense en 1593.
Son règne s'acheva, dans une tranquillité relative, à orner sa capitale
de Marrakech d'édifices somptueux. Peu de temps avant sa fin, il eut pourtant
de graves difficultés avec son fils, El-Mamoun, qu'il avait désigné
comme son héritier présomptif, mais qu'il dut combattre et faire enfermer
à Mequinez. Il mourut le 3 octobre 1603
à Fès après un règne glorieux de vingt-cinq
années, durant lequel il porta la puissance des Saadiens à son apogée.
II laissait cependant après sa mort la situation assez confuse, et parmi
ses enfants trois fils se disputaient le trône : c'était là le commencement
de la décadence de la dynastie.
Les ulémas de Fès
proclamèrent Zidan, mais Abou-Farès, qui était à Marrakech, réclama
le pouvoir. Sur ces entrefaites, Mamoun, qui était enfermé à Mequinez,
fut envoyé à Marrakech où Abou-Farès lui confia le commandement de
ses troupes afin de lutter plus avantageusement contre Zidan. Victorieux,
Mamoun garde le trône tandis que Zidan se réfugie à Sidjilmassa et qu'Abou-Farès
est battu à son tour. Le règne de Mamoun fut peu brillant, scandalisant
son peuple par le spectacle de ses débauches. Zidan en profite pour aller
à Marrakech d'où il chasse le frère de Mamoun. Mais bientôt un nouveau
compétiteur, Maulay-Mohammed, frère d'Abd-el-Moumen, profite de l'anarchie
pour entrer en vainqueur à Fès (1608).
La lutte se continue entre Zidan, rappelé par la population, et Abdallah.
Ce dernier est défait. Sur ces entrefaites, Mamoun, Abdallah, Abou-Farès
et Abd-el-Malek se réfugient tous à Alkasar. Mamoun passe en Espagne
où il offre son concours à Philippe Il et par ses intrigues fait entrer
les Espagnols dans la place de Larache
(1610).
Abou-Farès et Abdallah périssent tous deux dans une tentative qu'ils
font pour s'emparer de Fès (1609).
C'est alors l'anarchie la plus complète qui règne dans le pays; Mamoun
est tué aux environs de Tétouan en 1612.
La nouvelle de l'occupation de Larache par les chrétiens souleva le fanatisme
des populations; l'influence occulte des confréries telles que celle des
Rahmania s'en augmenta.
Le foyer de cette
agitation religieuse était à Sidjilmassa et dans la région de l'oued
Saoura où un certain Abou-Mahalli, d'une famille berbère
arabisée, prêchait le retour à la religion dans sa pureté et l'abandon
des pratiques hérétiques. Ayant enflammé les tribus de ces régions,
il s'empare en 1611
de l'oasis de Sidjilmassa, et jusque dans le Draa il inflige une sanglante
défaite aux troupes de Zidan. Autour du chérif saadien, les défections
se multiplient; il est forcé d'abandonner la ville de Marrakech et, se
réfugie à Safi. Mais Mahalli est tué au cours de la lutte qui s'engage
entre lui et un autre marabout très influent dans tout l'Atlas, un certain
Yahia-ben-Abd-el-Namoun-Daouedi. Pendant toute cette période, le désordre
règne aussi dans le Nord du pays et en particulier à Fès
où la tyrannie de la tribu des Cheraga provoque une révolution. A tous
ces maux il fallait y joindre la famine. Les Espagnols en profitèrent
pour s'emparer en 1614
de la Mamoura, petite localité située à l'embouchure du fleuve Sebou
et d'où ils chassèrent une colonie de marchands anglais qui y étaient
établis et vivaient en paix avec les tribus environnantes. Après une
série de luttes sans fin, Abdallah succomba à ses excès en mai 1624.
Son frère Abd-el-Malek monta sur le trône, offrant, nous disent les chroniqueurs
arabes, le spectacle des mêmes dérives; il ne régna que durant trois
ans, tandis que Zidan à Marrakech exerça obscurément le pouvoir jusqu'en
1631.
Plusieurs marabouts
influents engagent alors la lutte contre les chrétiens sur la côte. Le
plus en vue fut un nommé Sidi-Mohammed-el-Aïach de Salé qui, nommé
gouverneur d'Azemmour par Zidan, ne cessa de harceler les Espagnols Ã
la Mamoura et à Mersa-el-Halk, près de Larache. Parmi tous les Berbères,
était alors un marabout, Mohammed-el-Hadj, de la zaouïa de Dela, dont
la voix était écoutée; à leur tête, il s'empare même de Fès,
de Mequinez, de la vallée de la Molouïa. Le sultan Mohammed-Cheikh II,
qui régnait alors à Marrakech où il avait succédé à El-Oualid, frère
d'Abd-el-Malek, est battu et lui concède le territoire jusqu'à l'oued
El-Abid. Sur ces entrefaites, un autre marabout, Maulay-Chérif, avait
de Sidjilmassa étendu sa prépondérance dans toutes les régions sahariennes
environnantes. La lutte s'engage entre ses partisans et ceux de Mohammed-el-Hadj.
Vers 1646,
un accord intervient aux termes desquels les territoires au Sud de l'Atlas
demeuraient la propriété des frères de Maulay-Ali-Chérif, tandis que
la région septentrionale, avec Fès comme capitale, revenait aux partisans
de Mohamnted-el-Hadj. Cependant Maulay-Mohammed, frère de Maulay-Chérif,
soutenu par les Arabes, se met en campagne vers 1647
et ne tarde pas à s'emparer d'Oudjda; il étend son action jusqu'aux environs
de Saïda. Cependant ces succès avaient eu un grand retentissement au
Maroc et particulièrement à Fès dont la population supportait malaisément
le joug des marabouts berbères.
Maulay-Mohammed y
est appelé et y est reçu comme un libérateur, mais il ne tarde pas Ã
en être chasse par Mohammed el-Hadj. Il rentra à Sidjilmassa. En 1654,
Mohammed el-Cheikh, sultan de Marrakech, termina obscurément sa vie. Son
fils, Maulay-Ahmed-el-Abbas, lui succéda; il semble avoir borné son ambition
à assurer la conservation de son petit royaume, mais ses parents par alliance,
les Chebanat, ne tardèrent pas à le lui disputer. Durant l'année 1661,
la ville de Tanger est cédée par les Portugais aux Anglais, car elle
faisait partie de la dot apportée par Catherine
de Bragance lors de son mariage avec Charles II. (H.-P.
de la Martinière).
Chronologie
des chérifs saadiens ayant régné :
Abou
l'Abbas-el-Aaradj, Ã Marrakech, 1520 Ã 1543; Abou-Abdallah-Mohammed-Cheikh-el-Mehdi,
à Marrakech, août 1543; le même, à Marrakech et à Fès, 1550
à 1554; le même, à Marrakech et à Fès, 1554-57;
Maulay-Mohammed-Abdallah, dit El-Ghalel b'Illab, 1557-73;
Abou-Abdallah-Mohammed, fils du précédent, dit El-Moatasem, 1573;
AbouMerouan-Abd-el-Malek, oncle du précédent, 1573-78;
Abou l'Abbas-Ahmed, dit El-Mansour ou El-Dehebi, frère du précédent,
1578-1603; ses fils se disputent le trône, 1603;
Abdallah-Abou-Farès, dit El-Ouatsek, à Marrakech, 1603-7;
El-Mamoun-Cheikh, à Fès, 1604-8; le même, à Marrakech,
1607-8; Zidan, Ã Marrakech, 1608-27; Abdallah, fils
d'El-Mamoun, à Fès, 1609-24; Abd-el-Malek, frère d'ElMamoun,
à Fès, 1624-27; Abd-el-Malek, fils de Zidan, à Marrakech,
1627-31; Abou l'Abbas-Ahmed II, fils de Zidan, à Fès, 1627-28;
El-Oualid, fils de Zidan, Ã Marrakech, 1631-36; Mohammed-Cheikh
II, fils de Zidan, Ã Marrakech, 1636-54; Maulay-Ahmed-el-Abbas,
fils du précédent, à Marrakech, 1654.
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