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Le mot Baphomet, d'origine orientale, et déformation du nom de Mahomet, désignait au Moyen âge un faux dieu, un démon, une idole quelconque; on l'a particulièrement appliqué à une idole monstrueuse qu'on accusa les Templiers d'avoir adorée. Dans l'enquête ordonnée contre l'ordre du Temple, deux des six témoins entendus à Carcassonne, Gaucerand de Montpezat et Raymond Rubei, parlent d'une idole faite en figure de Baphomet, d'une figure en bois, ubi erat depicta figura Baphometi. Un autre témoin interrogé à Florence déclare qu'on lui a dit en lui montrant l'idole ecce deus vester et vester Mahumet. Ces trois dépositions sont le point de départ de tout ce que de nombreux érudits modernes, depuis Frédéric Nicolai en 1782, ont écrit sur Baphomet. On a cru à tort que ce mot désignait une idole d'une forme particulière, et non pas les idoles païennes et les figures diaboliques en général. Baphomet était un mot générique pour désigner les faux dieux, de même que le mot Sarrasins signifiait les païens. On s'explique par là les contradictions apparentes des témoins du procès des Templiers quand ils décrivent l'idole adorée, selon eux, par les chevaliers. « Les rapports variaient, dit Michelet (Histoire de France, t. III, p. 143); selon les uns; c'était une tête barbue; d'autres disaient une tête à trois faces. Elle avait, disait-on encore, des yeux étincelants. Selon quelques-uns, c'était un crâne d'homme. D'autres y substituaient un chat. »Au chapitre de Paris, on saisit une tête bizarre avec une grande barbe d'argent, qui portait le numéro LXIII; les Templiers affirmèrent, non sans raison, ce semble, que cette idole prétendue n'était qu'un reliquaire contenant la tête de l'une des onze mille vierges. Cette tête est, d'ailleurs, la seule qu'on ait produite au cours du procès. En revanche, les érudits modernes ont essayé de retrouver les figures baphométiques parmi les monuments que nous a légués le Moyen âge; ils ont aussi donné libre carrière à leur imagination pour déterminer l'étymologie du mot Baphomet. Ceux qui, comme le baron de Hammer-Purgstall, ont essayé de rattacher l'idolâtrie des Templiers au gnosticisme, ont vu dans le mot Baphomet un dérivé des deux mots grecs (Baphê Mètis ou Mètou, « baptême de la Metè » : la Metè était une déesse adorée par les Gnostiques, qui réunissait les deux sexes et était douée de la puissance génératrice. Michelet incline à croire que le Baphomet des Templiers n'est que l'image de l'Esprit saint tel que l'adoraient les sectes gnostiques de l'Orient, « le Dieu qui baptise l'Esprit », celui dont il est écrit : Ipse vos baptisavit in spiritu sancto et igne (Matthieu, 3, II), le Paraclet enfin, qui descendit en langues de feu sur les apôtres. Cette hypothèse paraît à Michelet d'autant plus vraisemblable que la fête du Paraclet, la Pentecôte, était la plus grande solennité du Temple. Couvercle d'un coffret de pierre attribué aux Templiers. (Collection du duc de Blacas). Redslob, dans la Zeitschrift für histor. Théologie émet une théorie singulière et rattache le mot Baphomet aux écritures mystérieuses dont les cabalistes et les gnostiques faisaient si fréquemment usage, comme les francs-maçons de nos jours, et qu'on ne peut comprendre qu'à la condition d'en avoir la clef toute conventionnelle. Il suppose la forme Baphomety; puis faisant abstraction des voyelles et changeant l'ordre des lettres, il arrive à mpth by qu'il rattache aux mots hébreuxmaptah b(eth) Yahvé, « clef de la maison de Yahvé (Jéhovah) » ; c'était, comme on le voit, chercher bien loin l'explication d'un mot tout simple. Quant aux monuments dans lesquels on a voulu voir des figures baphométiques, ils sont fort nombreux. Le mémoire du baron de Hammer imprimé dans le t. VI des Mines de l'Orient en contient le recueil le plus important. On y remarque surtout vingt-quatre figures androgynes, d'un caractère voisin de l'obscénité; elles sont coiffées d'un bonnet entouré de serpents; elles tiennent des chaînes, des croix ; elles sont accompagnées de divers symboles : le soleil, la lune, la peau de lion, la chandelier à sept branches, un crâne, des serpents. Sur plusieurs de ces monuments sont gravées des inscriptions gnostiques et arabes. Les deux coffrets de la collection Blacas ont été trouvés, l'un à Volterra en Toscane, l'autre à Essarois en Bourgogne, à quelques kilomètres de l'ancien prieuré du Temple de Voulaine. Ils sont en pierre et d'un travail grossier. Le coffret d'Essarois mesure 25 cm de long sur 19 de large et 13 de haut. Sur le couvercle, on voit un personnage obscène, androgyne, ayant à la fois de la barbe et des mamelles; il est coudé d'une tour crénelée, comme Cybèle, et porte dans chaque main un bâton orné, l'un du croissant lunaire, l'autre du disque solaire; à ses pieds, un crâne entre une étoile et un pentagone; autour, une inscription arabe indéchiffrable et dans laquelle le baron de Hammer s'est, à tort, évertué à retrouver une allusion au baptême de la divinité androgyne Metè. Baphomet représenté (à gauche) sur un coffret du duc de Blacas. Les scènes figurées sur les grands côtés du coffret sont d'une grande obscénité. Sur l'un des petits côtés, une sorte de guerrier attire à lui deux petits enfants dont l'un est monté sur un crocodile. On y voit aussi un génie ailé qui tient une couronne et une épine dorsale et un quatrième personnage qui saisit une hache et un gouvernail. Sur le côté opposé, quatre personnages s'apprêtent à sacrifier un taureau sur un autel allumé. Des scènes du même genre, qui paraissent moins obscènes cependant, figurent sur le coffret de Volterra on nous remarquons particulièrement un bûcher sur lequel brûle un cadavre. Gaidoz a publié en 1884 (Revue archéologie, 1884, p. 365) une statuette en bronze trouvée à Broc (Maine-et-Loire), que l'auteur incline à regarder comme un monument baphométique. C'est un homme barbu, accroupi, les jambes croisées, coiffé d'un bonnet pointu et tenant dans chaque main une espèce de massue ou peut-être des cordelettes, qui seraient une allu sion à l'usage signalé plus haut. Objet baphométique du Cabinet des médailles. Nous donnons ci-dessus un objet dit baphomé!ique, conservé au cabinet des médailles de la Biblothèque nationale. C'est un moule d'orfèvre, en serpentine, sur lequel sont représentés en creux deux personnages, un homme et une femme debout, à côté l'un de l'autre, vêtus d'un costume singulier. L'homme a un casque pointu muni de petites cornes. Les deux personnages ont les mains ramenées sur la poitrine, dans un geste immodeste et évidemment symbolique. Cet objet pourrait bien n'être qu'une pierre gnostique à rapprocher des pierres talismaniques qu'on désigne généralement sous le nom d'abraxas. Cependant on a découvert en Anatolie un moule en serpentine du même genre, avec des personnages qui ont beaucoup d'analogie avec ceux-ci (Revue archéologique, 1885, 3e série, t. V, p. 53) ; on a cru pouvoir rattacher ces objets à la civilisation des Hitites, cette population qui domina dans la plus grande partie de l'Asie occidentale antérieurement au VIIe siècle avant notre ère. Que cette attribution archéologique soit ou non justifiée, il nous paraît fort douteux que les artefacts bizarres auxquels on a donné le nom de Baphomets remontent aux Templiers et soient des produits de leur industrie. On doit plutôt, selon nous, les regarder comme des objets exécutés par les sectes secrètes, assez nombreuses au Moyen âge, d'hommes qui avaient fait pacte avec le diable, sectes dont l'origine se rattachait plus ou moins directement à la cabbale et au gnosticisme. Quelques-uns aussi, sans doute, étaient au nombre des figures symboliques employées par les sorciers et les alchimistes. (E. Babelon). Un des auteurs qui se sont occupés des doctrines secrètes des Templiers, Jules Loiseleur, conclut comme il suit au sujet de Baphomet : « Dans la langue du Moyen âge, Baphomet, Maphomet, Mahom, Mahomet sont autant de synonymes, et ces mots n'expriment pas seulement le nom du fondateur de l'islamisme [= Islam]; ils désignent aussi, par extension, un faux dieu, un démon, une idole quelconque [...]. De là, baffumerie, mahomerie, mômerie, pour désigner tous les cultes superstitieux et impurs et les lieux où ces cultes étaient pratiqués. »
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