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L'Enéide
de Virgile
L'Énéide est un poème épique en 12 chants, composé par Virgile dans les onze dernières années de sa vie, de 29 à 18 avant J.-C. Atteint de la maladie qui devait l'emporter, l'auteur voulait brûler son oeuvre, encore imparfaite; retenu par ses amis Tucca et Varius, interprètes des volontés de l'empereur Auguste, il leur enjoignit de n'y rien ajouter ni retrancher. Sauf de simples corrections de détail, nous possédons l'Énéide avec sa forme originale, même avec des vers inachevés. Le sujet traité par Virgile est l'établissement d'Énée en Italie, à la tête des Troyens échappés à la ruine de leur patrie; sujet puisé dans les traditions nationales des Romains, capable de les intéresser et de flatter leur orgueil, en rapportant leur origine et la fondation de Rome à un illustre héros. Le but final est le tableau des glorieuses destinées que les dieux réservaient a l'empire dont Énée devait être le fondateur, principalement dans la personne de ses descendants, où figurait Auguste, rattaché à Énée lui-même par la famille Julia, issue disait-on, d'Iule ou Ascagne.
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Manuscrit de l'Enéide.
Page d'un manuscrit de l'Enéide daté du XIe s.

L'unité d'action est parfaite depuis le commencement jusqu'à la fin on n'est occupé que d'un seul objet l'établissement d'Énée en Italie par l'ordre des dieux. Comme ce fait général dure sept années et que l'action même du poème se passe en quelques mois, Virgile mit sa composition partie en récit, partie en discours, partie en épisodes, suffisamment liés au sujet principal. En faisant le héros troyen contemporain de la reine de Carthage, le poète a commis, sciemment, un anachronisme de trois siècles.

Le principal caractère de l'Énéide, c'est l'unité de ton, et de couleur, l'harmonie et la convenance des parties, la proportion, le goût soutenu; en un mot, c'est une suprême délicatesse, qui se sent mieux qu'elle ne saurait se définir.

Virgile a atteint à la perfection du style de l'épopée. Il raconte avec chaleur et avec grâce, il fait parler les passions avec une vérité touchante; ses caractères de femmes sont des modèles de sentiment; il peint les lieux en quelques traits; il rend ses idées sensibles par des comparaisons admirables. C'est un mérite infini de détails, ce sont d'étonnantes merveilles d'exécution, plus sensibles dans les six premiers chants que dans les six derniers, quoiqu'en général la poésie de Virgile se compose d'images et de tableaux, et que le poète soit partout et toujours ou grand peintre, un peintre du premier ordre.

Les défauts du poème sont ceux-ci : Énée est trop peu agissant, trop froid, trop insensible, à ce point que, dans la première partie, l'intérêt est plus vivement sollicité en faveur de Didon, et dans la dernière, en faveur de Turnus. La plupart des personnages secondaires ne sont que des noms sans illustration.

Analyse de l'Enéide.
Ce poème est divisé en douze chants, dont voici l'analyse succincte.

Énée, fils de Vénus et d'Anchise et gendre de Priam, errant sur les mers, après la prise de Troie, cherche une terre hospitalière pour y fonder un établissement avec plusieurs de ses malheureux concitoyens. 

Le Ier chant de l'Énéide s'ouvre au moment où, après diverses tentatives infructueuses, Énée quitte la Sicile, les dieux lui ayant révélé que l'Italie doit être le terme de ses voyages. Il vogue sur la mer Tyrrhénienne, lorsqu'une furieuse tempête, soulevée par Junon, ennemie des Troyens, le jette sur les côtes d'Afrique; là règne Didon, occupée à fonder Carthage, et qui accueille avec empressement un hôte aussi illustre. Elle le prie de lui raconter la prise de Troie et ses propres malheurs depuis son départ de cette ville : le IIe et le IIIe chant du poème sont consacrés à ce récit. 
 

Laocoon dévoré par des serpents.

Énée raconte à Didon le siège de Troie :« [...] Pour surcroît de malheur, un prodige nouveau et plus effrayant encore s'offre à nos yeux et achève de troubler nos esprits aveuglés. Laocoon, que le sort avait fait grand prêtre de Neptune, immolait en ce jour solennel un taureau sur l'autel du dieu. Voilà que deux serpents (j'en tremble encore d'horreur), sortis de Ténédos par un calme profond, s'allongent sur les flots en déroulant leurs anneaux immenses, s'avancent ensemble sur le rivage. Le cou dressé, et levant une crête sanglante au-dessus des vagues, il les dominent de leurs têtes superbes : le reste de leur corps se traîne sur les eaux, et leur croupe immense se recourbe en replis tortueux.

Un bruit perçant se fait entendre sur la mer écumante; déjà ils avaient pris terre; les yeux ardents et pleins de sang et de flammes, ils agitaient dans leur gueule béante les dards sifflants de leur langue. Pâles de frayeur, nous fuyons çà et là; mais eux, rampant de front, vont droit au grand prêtre : et d'abord ils se jettent sur ses deux enfants, les enlacent, les étreignent, et de leurs dents rongent leurs faibles membres. Armé d'un trait, leur père vient à leur secours; il est saisi par les deux serpents, qui le lient par d'épouvantables noeuds : deux fois ils l'ont embrassé par le milieu, deux fois ils ont roulé leur dos écaillé autour de son cou; ils dépassent encore son front de leurs têtes altières. Lui, dégouttant de sang et souillé de noirs poisons, raidit ses mains pour se dégager de ces noeuds invincibles, et pousse vers le ciel des cris affreux. Ainsi mugit un taureau, quand, blessé devant l'autel par un bras mal assuré, il fuit, ayant secoué la hache tombée de sa tête. Mais les deux dragons, glissant sur leurs écailles, s'échappent vers le temple de la terrible Pallas, gagnent la citadelle, et là se cachent sous les pieds de la déesse et sous son bouclier.

Alors de nouvelles terreurs se glissent dans nos âmes frissonnantes : chacun se dit que Laocoon a reçu le juste châtiment de son crime, lui qui d'une main injurieuse a profané le cheval sacré et lancé dans ses flancs un dard impie. Tous de s'écrier qu'il faut conduire au temple le divin simulacre, et implorer la pitié de la déesse. » (Virgile, Énéide, liv. II).

Didon, touchée des mérites et des vicissitudes du héros, veut à tout prix le retenir près d'elle; mais le destin en a ordonné autrement : Énée, après s'être oublié quelque temps auprès d'elle, s'éloigne de Carthage et laisse la malheureuse Didon se tuer de désespoir. 

Le héros, contraint par une tempête de relâcher à Drépanum, y célèbre des jeux funèbres en l'honneur de son père Anchise, mort au même lieu l'année précédente; puis, ayant, avec l'aide de Jupiter, sauvé sa flotte, que les femmes troyennes, inspirées par Junon, voulaient incendier pour rester en Sicile, il aborde en Italie.  Averti en songe par Anchise, son père, guidé par la Sibylle de Cumes, il descend aux Enfers; il y voit dans le Tartare les supplices des méchants, et, au milieu des Champs-Élysées où les dieux lui dévoilent à l'avance la vie et les exploits des grands hommes qui doivent un jour illustrer l'Empire romain  (paragraphes suivants).

Ensuite commence, avec le VIIe chant, l'histoire des origines de Rome. Arrivé à l'embouchure du Tibre, il est favorablement accueilli par le roi Latinus,  roi du Latium, dont il épouse la fille Lavinie, destinée par la reine Amata au roi d'Ardée, Turnus, son neveu. Cependant, à propos d'un cerf apprivoisé, tué imprudemment par Ascagne, fils d'Énée, une rupture éclate : Turnus arrive pour surprendre les Troyens,  et s'apprête à brûler leurs vaisseaux, que Vénus change tout à coup en nymphes, tandis qu'Énée est allé demander du secours à Évandre, chef d'une colonie d'Arcadiens établie à l'endroit même où Rome sera bâtie plus tard. Nisus et Euryale s'exposent à mille dangers pour aller avertir Énée de la situation critique des siens, mais succombent en traversant le camp ennemi. Le héros, qui a reçu de sa mère Vénus les armes forgées pour lui par Vulcain, arrive accompagné de Pallas, fils d'Evandre : celui-ci succombe sous les coups de Turnus, qu'Enée terrasserait à son tour sans l'intervention de Junon, et Mézence, substitué à Turnus, périt avec son fils Lausus. Turnus empêche Latinus de demander la paix, et la guerre continue : on convient enfin de terminer la querelle par un combat singulier entre Turnus et Énée; Lavinie sera le prix du vainqueur. Mais les Latins violent la trêve et fondent à l'improviste sur les Troyens; Énée, atteint d'une flèche, mais guéri par Vénus, cherche Turnus qui se dérobe toujours à lui, finit par le joindre, et le tue dans un combat singulier. Énée, qui peut désormais posséder en paix cette terre conquise.

Les Enfers selon Virgile
Les Anciens n'attachaient pas au mot Enfers la signification que lui donnent les modernes. Par Enfers, ils entendaient le séjour qu'habitent toutes les âmes des morts, aussi bien les âmes pieuses que les âmes criminelles. Virgile divise ce séjour en plusieurs parties; il en désigne trois principales, qui se subdivisent en neuf : le Tartare, habité par les grands coupables; les Champs-Élysées, séjour des justes; et les lieux où sont les âmes de ceux qui, aux yeux des anciens, n'avaient pas commis de crimes, mais qui n'avaient pas non plus pratiqué de vertus.

Ces Enfers étaient placés dans les profondeurs de la Terre; plusieurs entrées y conduisaient, entre autres l'Averne (Énéide, chant VI, vers 237), que le poète dépeint de manière à inspirer une terreur religieuse. L'Averne est situé au milieu de sombres forêts, protégé par un lac aux eaux noirâtres, reflux de l'Achéron :

En un lieu sombre, où règne une morne tristesse,
Sous d'énormes rochers, un antre ténébreux
Ouvre une bouche immense; autour, des bois affreux,
Les eaux d'un lac noirâtre, en défendent la route.
L'odeur pestilentielle qui s'exhale du gouffre tue les oiseaux qui tentent de le franchir dans leur vol. Pour qu'un vivant pût passer cette redoutable entrée, il lui fallait la visible protection des dieux, un rameau d'or qu'il devait offrir à Proserpine. Après avoir traversé de vastes et ténébreux espaces, royaume du Vide, on arrivait aux Enfers, et, comme c'est la Mort qui noire en ouvre les portes, les anciens y avaient placé les Maladies, les Douleurs, les Vices, compagnes ou ministres de la Mort (ch. VI, v. 274).
Aux portes des Enfers
Habitent les Soucis et les Regrets amers,
Et des Remords rongeurs l'escorte vengeresse;
La pâle Maladie et la triste Vieillesse,
L'Indigence en lambeaux, l'inflexible Trépas,
Et le Sommeil son frère, et le dieu des combats;
Le Travail qui néant, la Terreur qui frissonne,
Et la Faim qui frémit des conseils qu'elle donne...
Sous les feuilles légères d'un orme antique (vers 283), se jouaient les vains Songes qui abusent notre sommeil. Bientôt on s'approchait des ondes infernales; mais pour les franchir il fallait avoir reçu les honneurs de la sépulture (vers 329).
...Tant qu'ils n'obtiennent pas les honneurs dus aux morts,
Durant cent ans entiers ils errent sur ces bords.
L'Antiquité avait voulu, par cette ingénieuse fiction, rendre la religion des tombeaux respectable. C'était là qu'étaient le redoutable Styx, entourant neuf fois les Enfers de ses ondes, et la barque du nocher Charon (v. 299).
Charon, le nautonier horrible,
Qui, sur les flots grondants de cette onde terrible,
Conduit son noir esquif.
De l'autre côté de ces terribles eaux se trouvait, Cerbère (v. 417). Cette première partie était réservée aux enfants morts à l'entrée de la vie.
Malheureux qui, flétris dans leur première fleur,
A peine de la vie ont goûté la douceur,
Et; ravis en naissant aux baisers de leurs mères,
N'ont qu'entrevu le jour, et fermé leurs paupières.
Dans la deuxième partie, où siégeait Minos (v. 432), étaient ceux qui avaient été victimes d'une sentence injuste de mort (v. 430). La troisième enceinte (v. 435) était assignée à ceux qui s'étaient donné la mort. La quatrième (v. 441) portait le nom de Champ des Larmes; c'était le séjour des victimes de l'amour; il leur fallait des lieux conformes à leur tristesse : elles y trouvaient la solitude et l'ombre des forêts. Dans la cinquième partie s'étendaient de vastes campagnes, habitées par les guerriers illustres dans les combats (v. 478); ils y retrouvaient ce qui avait fait le charme de leur vie, des armes, des chars et des coursiers. En quittant ces lieux, la route se séparait en deux (v. 540) : l'une, à gauche, conduisait au Tartare; l'autre, à droite, aux Champs Élysées.

Le Tartare, sixième enceinte, était entouré d'un triple mur (v. 549) baigné par les eaux du Phlégéton. La porte, soutenue par des colonnes de diamant (v. 553), assez solides pour résister aux efforts des hommes et des dieux, était protégée par une haute tour de fer (vs 554).

Le diamant massif en colonnes s'élance;
Une tour jusqu'aux cieux lève son front immense...
Les dieux eux-mêmes, arrêtés devant cette tour, ne pouvaient arracher du Tartare les grands coupables qu'avait frappés la justice éternelle. Tisiphone y veillait sans cesse, et Rhadamante (v. 566) gouvernait ces terribles royaumes, dont les profonds abîmes retentissaient sans cesse du bruit des fers et du sifflement des fouets. l'Achéron et le Cocyte étaient les fleuves du Tartare (v. 297).
Là l'Achéron bouillonne, et, roulant à grand bruit,
Dans le Cocyte affreux vomit sa fange immonde.
Après avoir passé près du palais de Pluton, on arrivait aux Champs Élysées. Deux portes donnaient accès aux Champs Élysées : l'une était de corne, et l'autre était d'ivoire. Ces lieux eux-mêmes comprenaient trois divisions, ce qui, avec les six précédentes, formait neuf, nombre sacré chez les anciens. La première (v. 735) pourrait être comparée au Purgatoire du christianisme. Avant d'entrer dans le séjour des justes, l'âme qui n'avait pas, en quittant sa prison mortelle, retrouvé son état primitif de pureté, devait se laver de ses souillures : l'air, l'eau et le feu la purifiaient. Alors s'ouvrait pour elle la seconde enceinte des Champs Élysées, composée de riantes campagnes baignées des ondes de l'Éridan et éclairées d'une lumière inaltérable.

Les âmes qui habitaient ces lieux y trouvaient tout ce qui pouvait faire leurs délices; mais toutes n'y restaient pas éternellement : lorsque mille ans étaient écoulés, elles franchissaient une colline (v. 676) et se rendaient dans la partie où coulait le Léthé (v. 750) ; après avoir bu de ses ondes, elles oubliaient le passé et, désireuses de retourner sur la Terre, elles allaient animer de nouveaux corps.

Un Dieu vers le Léthé conduit toutes ces âmes;
Elles boivent son onde, et l'oubli de leurs maux
Les engage à rentrer dans des liens nouveaux.
Ce plan des Enfers décrits dans le sixième livre de l'Énéide a été composé et dessiné par J. Ratel. Chaque lieu célèbre des Enfers est désigné par le chiffre du vers du chant sixième de l'Énéide  où commence sa description. Les vers français que nous citons sont empruntés à la traduction de Delille
Heureux choix du sujet. 
Si l'on considère dans l'Énéide le choix du sujet on ne peut nier qu'il ne soit très propre à l'épopée, tant par sa grandeur que par le merveilleux dont il est susceptible. L'établissement d'Enée en Italie, c'est-à-dire la fondation du berceau de Rome, tel est le cadre majestueux dans lequel  Virgile présente à Auguste et aux Romains, alors maîtres d'une grande partie monde, les fastes poétiques de leurs ancêtres. Il a le talent de réunir dans ce tableau tout ce qui peut flatter l'orgueil national de ses compatriotes et rappeIle les gloires de leur passé. Enée, son héros, descend à la fois et des dieux et de cette nation grecque dont Rome se disait issue. L'art ingénieux du poète rapproche, au moyen d'anachronismes volontaires, les événements et les personnages qui peuvent donner à son sujet plus de prestige et d'éclat; C'est ainsi que Carthage, future ennemie des descendants d'Enée, apparaît déjà avec Didon, bien que la mythologie assigne à cette princesse une existence beaucoup plus rapprochée.

Ajoutons que le sujet de l'Enéide, à la fois grand et national, offrait à l'auteur ce lointain, indispensable à l'emploi du merveilleux. Virgile néanmoins n'en put user de la même façon qu'Homère la croyance à la divinité, la simplicité des premiers âges, n'étaient plus dans les moeurs du siècle d'Auguste. Aussi le merveilleux de ce poème révèle-t-il beaucoup plus la main d'un artiste que le jet, spontané d'une âme convaincue; les dieux mis en scène sont ceux d'Homère, avec des passions moins violentes et moins grossières, mais on sent peu de chaleur dans cette mythologie raffinée. Quant aux divinités romaines, le poète n'y fait aucun fond et les relègue dans l'ombre.

Virgile imite Homère; part d'originalité. 
Du point de vue de l'invention, on notera que Virgile doit à Naevius la première tempête de l'Énéide, la plainte de Vénus à Jupiter, et les rassurantes promesses de ce dieu. Les amours de Médée et de Jason, dans les Argonautiques d'Apollonios de Rhodes, lui ont servi, à quelques égards, de modèle pour sa Didon. Il emprunta aussi à d'autres poètes cycliques ou épiques de la Grèce, Arctinus, Pisandre, Panyasis

Mais les emprunts les plus fréquents ont été faits à Homère, à qui il doit même ce personnage d'Énée, tout à la fois important et accidentel dans l'Iliade, ce profil d'où il a tiré une figure si achevée. II a opéré une fusion savante des deux manières de son immortel devancier, suivant l'Odyssée. L'Odyssée se retrouve dans les récits d'Enée, formant les six premiers chants de l'Énéide, qui nous retracent les courses d'Enée. Quant à l'Iliade , elle est, pour ainsi dire, reproduite dans la seconde partie de l'action, toute remplie par les combats des Grecs contre les Latins. 

Mille faits de détail : la tempête qui jette Énée sur les rivages d'Afrique, les écueils de Charybde et de Scylla, auxquels il échappe : plus loin, les jeux célébrés en l'honneur d'Anchise; le combat singulier que se livrent Enée et Turnus, comme jadis Achille et Hector; ces incidents, et beaucoup d'autres, sont dus à l'inspiration d'Homère. Néanmoins, tout en se faisant incitateur, ce grand poète imprime à ses incitations le cachet du génie. Laissant à Homère tous les défauts de goût , Virgile transforme les traditions grecques en y ajoutant la magie de son style, et rend vraiment siennes des richesses qu'il excelle à s'approprier.

Peinture des caractères dans l'Enéide.
Virgile est parfois faible dans la peinture des caractères. Le pieux Énée, héros pacifique, n'est pas constamment égal à lui-même, et rappelle tantôt Ulysse, tantôt Hector; manquant de vie propre, il n'apparaît que comme l'instrument impassible du destin. Prêtre autant que guerrier, dont le courage prudent, réfléchi, il n'a rien de la fougue des soldats homériques. Le but que se proposait Virgile étant d'inspirer aux Romains l'amour de la paix et l'horreur des guerres civiles, on comprend qu'il se soit gardé de faire de son héros un second Achille; c'eût été contrevenir à la politique d'Auguste, auquel le poète voulait plaire. Il eût pu toutefois donner plus d'unité au personnage principal.

Parmi les nombreux rôles de l'Énéide, il en est peu qui aient atteint le degré de popularité des héros d'Homère : Latinus est un prince sans volonté, sa fille Lavinie ne paraît pas assez pour inspirer un véritable intérêt; Turnus plaît davantage, il est brave et montre de la grandeur jusque dans sa défaite. Pourtant certains personnages sont esquissés d'une touche habile, d'un dessin vigoureux, noble et fin. Voici la vénérable figure de Priam, expirant près des autels; le vieil Evandre, si digne de pitié dans sa détresse; Mézence, ce contempteur des dieux, ce coeur de fer, vulnérable seulement à la douleur paternelle; le respectable Aléthès, le fidèle Achate; Pallas, Lausus, Nisus, Euryale, ces adolescents braves et gracieux entre tous, que le poète, par une sorte de trahison, nous dépeint aimables avant de nous les montrer misérables.

Et, du côté des déesses et des femmes, la fière, la haineuse, l'implacable Junon, l'impérieuse Amata, la touchante Andromaque, inconsolable mère d'Astyanax, la pauvre mère d'Euryale, l'ardente et vindicative Didon, la chaste et valeureuse amazone Camille. Avec quelle adresse, avec quelle souplesse et quelle vérité le poète a su retracer les sentiments les plus divers des pères, mères, fils frères, amis, amantes qu'il met en scène! Quelle sincère, et communicative compassion pour l'infortune! Quelle juvénile et vraie conception de ces âmes cruelles ou violentes, émues, tendres ou passionnées! 

Les passages les plus célèbres de l'Enéide.
Contentons-nous d'énumérer rapidement les morceaux les plus beaux, les plus vantés, les plus souvent commentés et expliqués. Ce sont la description de la tempête qui se déchaîne, dans les parages de la Sicile, sur la chétive flotte des Dardanides et l'arrivée de ceux-ci aux rivages d'Afrique (chant 1); le désastre et la dernière nuit d'Ilion, saccagée par les Grecs (ch. Il) ; les adieux à la terre natale et la rencontre de la veuve d'Hector (ch. III); les amours, le désespoir et la mort de Didon, reine de Carthage (ch. IV); les spectacles des jeux funèbres d'Anchise (ch. V) ; la peinture des demeures du Tartare et de l'Elysée, remplies d'épouvantes, de supplices et de sortilèges (ch. VI),   la mort prématurée du jeune Marcellus, au même chant, qui émut, dit-on, sœur d'Auguste, Octavie, au point qu'elle se reait évanouie à la lecture du beau passage (en revenant à elle, ajoute-t-on, elle fit compter à Virgile dix grands sesterces pour chacun des vers de ce passage.); le songe de Turnus et les conflits allumés par Tisiphone (ch. VII); l'hospitalité d'Evandre l'Arcadien et le bouclier prophétique de Vulcain (ch. VIII); la vaillance, le dévouement et la mort des deux jeunes compagnons d'armes Nisus et Euryale, et le deuil maternel (ch. IX); le conseil tenu dans l'Olympe, la mort de Pallas, fils d'Evandre, allié des Troyens, et l'héroïsme filial de Lausus, fils de Mézence, ennemi d'Enée (ch. X); la querelle de Turnus et de Drancès, et le trépas de Camille (xh. XI); enfin, le combat singulier d'Enée et de Turnus (ch. XII), où se joue le sort de l'Italie, et qui termine l'épopée par la victoire attendue du héros troyen. (F. B. / JMJA / Mag. Pitt.).



En bibliothèque - Macrobe, Saturnales, liv. V et VI; le P. Rapin, la comparaison d'Homère et de Virgile, dans le t. 1er, de ses Oeuvres complètes; Bonstetten, Voyage sur la scène des six derniers livres de l'Enéide, traduit de l'allemand, Genève, 1804, in-8°; Malfilâtre, le Génie de Virgile, 1810, 4 vol. in-8°, dont les deux derniers sont consacrés à l'Énéide, Tissot, Etudes sur Virgile, 4 vol. in-8°, 1825-30, où Virgile est comparé avec tous les poètes épiques et dramatiques anciens et modernes, devanciers ou imitateurs; Eichhoff, Études grecques sur Virgile, 1825, 3 vol. in-8°; Magnier, Analyse critique et littéraire de Virgile, 2e édit., 1844; Sainte-Beuve, Étude sur Virgile, Paris 1857, in-12; Montaigne, Essais, livre III, c. 5, Sur des vers de Virgile; Voltaire, Essai sur la Poésie épique, ch. III, Virgile; Laharpe, Cours de Littérature; Anciens, de l'épopée latine; la préface de la traduction en vers français par Delille; les notes de la traduction en prose de P.F. Delestre, 3 vol. in-12, Paris, 1832, bonnes à consulter sur la géographie et sur les imitations des anciens et des modernes; la notice historique et littéraire mise en tête de l'édition classique donnée par Bouchot; le Virgilius nauticus, de Jal, où l'auteur montre la valeur et l'excellence des détails que donne Virgile sur la marine des Anciens, à la suite de La flotte de César, Paris, 1861, gr.-in-18. G. Chandon, Contes et récits tirés de l'Énéide, Pocket Jeunesse, 1995.

En librairie - Virgile, L'Enéide, Flammarion, 2001; Énéide, série latine des Belles lettres (3 vol.; L'Enéide, dossier pédagogique, Larousse, 1999; L'Enéide (choix de textes, Hatier (para-scolaire), 1997; L'Enéide (à partir de 12 ans), L'Ecole des loisirs (version abrégée), 1998. 

Gianfranco Stroppini et Philippe Henzé, L'amour dans les livres I-IV de l'Énéide de Virgile (ou Didon et la mauvaise composante de l'âme), L'Harmattan, 2003;  Joël Thomas, L'arbre et la forêt dans l'Énéide et l'Enéas, Honoré Champion, 1997; Jean Salem, Une introduction à la lecture de l'Énéide, Cariscript, 1997; Francine Mora-Lebrun, L'Énéide médiévale et la Chanson de geste, Honoré Champion, 1994; de la même, L'Enéide médiévale et la naissance du roman, PUF, 1992.

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Dictionnaire Le monde des textes
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