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La mort
Images et symbolisme
Les premiers humains, ne pouvant s'expliquer la cessation de la vie, attribuèrent ce phénomène à une puissance invisible, à une divinité cachée qui se vengeait d'une offense, et qui frappait ostensiblement dans les combats et mystérieusement dans les maladies; c'était Typhon chez les Égyptiens, Ahriman chez les Perses. Souvent la Bible nous montre Dieu envoyant son Ange exterminateur pour punir les coupables, et, dans son langage poétique, elle fait de la Mort un chasseur armé de flèches et de filets, un ravisseur, un guetteur qui se cache sous le manteau de la nuit et l'apparence d'une contagion. Chez les Grecs, la Mort porta plusieurs noms, comme celui de Moira, lesquels indiquent l'idée de partage; elle était censée apporter à chacun son lot, sa part. C'était la Parque, à qui ils attribuaient l'emploi de filer les jours des mortels. Plus tard on distingua trois Parques, à cause du passé, du présent et de l'avenir : tantôt elles enlevaient elles-mêmes ceux dont elles avaient rendu l'arrêt fatal, tantôt elles confiaient ce soin à des divinités inférieures appelées Kères, qui étaient toujours du sexe du mourant, particularité qu'on retrouve dans les croyances du moyen âge (Danse des Morts).

Ces Kères, d'après les postes et les artistes, étaient noires; elles avaient des ongles en forme de griffes, des dents aiguës, et des ailes aux pieds et au dos : pour donner la mort aux humains et les conduire au Tartare, elles étaient aidées par Até, Némésis et Dicé (le Malheur, le Destin vengeur et la Justice), les Poenae et les Alatores (divinités de la punition), les Erinyes, les Harpies et les Sirènes (de suréin, attirer), qui chantaient à la fois pour adoucir les horreurs de la mort et pour attirer les morts, qu'elles livraient à l'Enfer (Hadès). Les Sirènes et les Harpies étaient représentées sous la forme de femmes ailées ou d'oiseaux à tête de femme. Avec le siècle de Périclès, la croyance à toutes ces divinités léthifères disparut peu à peu; alors la Mort, personnifiée, prit place parmi les divinités infernales, et fut souvent confondue avec Hadès ou Pluton. Les Grecs se la figurèrent noire, avec des ailes de la même couleur, la barbe et les cheveux hérissés.

Les Étrusques donnaient au dieu de la Mort l'aspect d'un vieillard portant des ailes et une longue barbe, et tenant un marteau pour frapper ceux qui devaient mourir. Leurs Furies, chargées de conduire les âmes aux Enfers, ont une physionomie plus farouche que les Kères : c'étaient des femmes ailées, aux bras entourés de serpents, aux doigts crochus, et d'un aspect tout à fait horrible. Les Étrusques appelaient aussi la Mort Athrpa, Muira, altérations évidentes des noms grecs Atropos et Moira; la forme italique de ce dernier mot, étant Morta, Morsa, a fait naître le substantif latin Mors.

Chez les Latins, la Mort était désignée par les mots Necessitas, Fors, Fatum, Fortuna; on lui donnait aussi le nom d'Orcus (analogue au Thanatos des Grecs) comme divinité infernale. La répugnance qu'avaient les Grecs et les Latins pour toute idée lugubre, pour tout emblème hideux, nous explique pourquoi leurs sculpteurs ne créèrent, pour la décoration des tombeaux, que des images dont l'aspect ne pouvait blesser la délicatesse : ils représentaient la Mort sous les traits juvéniles d'un génie ailé, dormant appuyé sur un flambeau renversé, dont il presse la famine contre le sol pour annoncer qu'il éteint la vie; un masque est placé parfois à ses pieds ou dans sa main, pour indiquer que le rôle est achevé. On rencontre aussi sur des tombeaux des têtes de Méduse, belles et sans contorsions, et pourtant ingénieuses et parfaites images de l'immobilité, de la froideur et de l'exanimation du cadavre. Ailleurs ce sont, comme emblèmes de destruction, soit des oiseaux dévorant des serpents et des lézards ou becquetant des fruits, soit des chèvres broutant des vignes, soit des coqs combattant, etc. La figure du sphinx était aussi employée pour désigner ce que l'autre vie a pour nous d'énigmatique et de mystérieux. Souvent l'immortalité de l'âme et la fuite rapide de la vie étaient exprimées par la figure d'un papillon sortant de la bouche du défunt ou voltigeant au-dessus de sa tombe. Des couronnes ou des guirlandes de cyprès et de pin décoraient aussi les sépultures antiques; le premier de ces arbres était consacré à Pluton, le second à Proserpine. Parfois ces divinités elles-mêmes ou les Parques étaient représentées sur les tombeaux des riches et des grands. On y voyait enfin des sacrifices, des combats, des chasses, et jusqu'à des scènes domestiques. C'était alors une espèce de monstruosité que d'allier à ces images les têtes de morts et les squelettes, si généralement employés dans le Moyen âge.

Il en fut de même chez les premiers chrétiens, qui ne figurèrent sur les murs des catacombes et sur les sarcophage que des emblèmes religieux, tels que le labarum, la colombe de l'arche de Noé, l'agneau mystique, etc., ou certains sujets tirés des livres saints, comme Adam et Eve, Moïse frappant le rocher, Jésus en croix, la résurrection du fils de la veuve de Naïm ou celle de Lazare, et Jonas englouti et vomi par la baleine, témoignages évidents, quant aux trois derniers sujets, d'une espérance consolatrice, la résurrection de la chair. Dans les inscriptions tumulaires, on excluait également tout ce qui pouvait rappeler la putridité du tombeau. Cependant les Anciens ont dérogé quelquefois à la pureté de goût qui caractérisait leurs conceptions, en représentant des squelettes et des têtes décharnées. Gori, dans son Musaeum florentinum, décrit une sardoine antique sur laquelle un squelette danse devant un vieux pâtre assis et jouant de la double flûte, et, dans son Musaeum etruscum, en mentionne une autre qui représente une tête de mort et un trépied couvert de mets, avec cette inscription : "Bois, mange, et couronne-toi de fleurs; c'est ainsi que nous serons bientôt." Sur l'un des petits cotés d'un sarcophage reproduit dans le tome V de l'Antiquité expliquée de Montfaucon, on voit un crâne placé au-dessus de la tête d'un vieillard qui représente le fleuve infernal. En 1809, on a trouvé près de Cumes, dans des chambres sépulcrales, trois bas-reliefs en stuc, dont l'un représente trois squelettes ( le Magasin encyclopédique de janvier 1813). On peut encore citer l'usage suivi, dès la plus haute antiquité, de promener à la ronde, sous les yeux des convives, des images de squelettes et des squelettes même : Pétrone parle du petit squelette d'argent dont un esclave faisait mouvoir les ressorts au festin de Trimalcion. La figure du squelette ne représentait alors que l'état final où la mort réduit l'humain, mais non la Mort elle-même, et n'avait que le but tout matérialiste d'inviter l'humain à jouir le plus possible des plaisirs de la vie.

Chez les Anciens, malgré le genre du mot Mors, la Mort ne paraît pas comme femme : les Scandinaves et les Slaves lui ont donné le sexe féminin, tandis que les Finnois et les Lituaniens lui attribuent indifféremment les deux sexes. Les Scandinaves se représentaient la Mort, sous le nom de Halya ou Hel, comme une déesse noire, ne tuant pas, mais saisissant les morts, à l'exception des guerriers tombés sur le champ de bataille. Les âmes de ceux-ci, recueillies par les Walkyries, messagères du dieu Odin, étaient conduites au Walhalla, séjour de toute félicité, et non dans l'Enfer. D'autres divinités que celles du monde souterrain s'emparaient également des âmes : ainsi, Rân, déesse de la Mer, attirait à elle avec un filet les corps de ceux qui s'étaient noyés dans ses eaux.

Chez les Chrétiens, pour frapper l'imagination des peuples et augmenter l'horreur du péché, dont la mort est le fruit et la conséquence, on imagina déprendre, comme représentation de la Mort, l'image réelle d'un cadavre dans le tombeau. Pendant plusieurs siècles, la Mort fut un cadavre desséché, livide, à l'oeil creux, aux chairs pendantes. C'est seulement aux approches de la Renaissance qu'elle se présente sous la forme d'un squelette, lorsque, par la perfection des études, les artistes purent connaître l'anatomie humaine. Les poètes du moyen âge en font un ennemi toujours vainqueur de l'humain, tantôt l'attaquant par surprise, tantôt accourant à la voix des malheureux qui l'appellent : elle est souvent montée à cheval; ici elle tient un arc et des flèches, une lance ou une hache; là elle frappe d'un fouet à quatre lanières, ou porte un filet pour enlacer les humains; ou bien elle tient la faux qui tranche leur existence, et elle enrôle les morts sous sa bannière pour en faire les soldats de sa grande armée. On la compare aussi à un garde forestier, qui doit avoir l'oeil sur les arbres du bois destinés à tomber. Non seulement elle se bat les armes à la main contre l'humain, mais elle le cite devant un tribunal juridique; c'est probablement dans ce sens qu'il faut entendre ce proverbe : "Contre la mort n'a point d'appel." Les artistes traduisirent les idées des poètes, et se plurent en outre, soit à multiplier, dans la décoration des tombeaux, les cadavres rongés de vers et les squelettes; soit, dans leurs peintures et leurs sculptures, à représenter la Mort avec des attitudes et des attributs encore plus variés. Au XVIe siècle, le goût s'épura un instant, et se rapprocha de celui des Anciens; mais les formes repoussantes ne tardèrent pas à reparaître et à dominer : la Mort, quand on ne la confondit pas avec le Temps, fut toujours peinte sous la forme nue d'un squelette. (P.).



En bibliothèque. - Lessing, Comment les Anciens ont représenté la Mort, traduit en français par Jansen dans le Recueil de pièces intéressantes concernant les antiquités, Paris, 1786; Jacob Grimm, Mythologie allemande, 2e édition, Goettingen, 1844, in-8°; F. Naumann, la Mort sous tous les points de vue (en allem.), Dresde, 1844, in-12; Alfred Maury, Sur le personnage de la Mort, dans la Revue archéologique, Paris, 1847-48; E.-H. Langlois, Essai historique, philosophique et pittoresque sur les Danses des morts, complété et publié par MM. Pottier et Baudry, Rouen, 1851, 2 vol. gr. in-8°.
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Dictionnaire Religions, mythes, symboles
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