| L'histoire de la Passion de Jésus est chantée, dans la liturgie catholique romaine, pendant quatre jours de la semaine sainte, dans le texte successif des quatre évangiles. Le chant, depuis le XIIIe ou le XIVe s., en est distribué entre trois chantres ou groupes de chantres, un diacre remplissant le rôle du récitant ou de l'histoire et interprétant la partie de l'évangéliste, un diacre ou un prêtre chantant les paroles de Jésus, et un troisième chanteur, ou le choeur des chanteurs, les paroles du peuple et des interlocuteurs divers du récit. Cette dernière partie est appelée les Turbae de la Passion et a été autrefois souvent mise en musique à plusieurs voix, depuis que Binchois à la chapelle de Bruges, en donna le modèle, en 1437. Le recueil des Motetti de Passione, que publia l'imprimeur Petrucci en 1503, contenait des pièces détachées, dont quelques-unes de Josquin Després et G. van Werbeke, sur des textes tirés des récits évangéliques de la Passion. La plus ancienne Passion complète en musique, aujourd'hui connue, est celle de Jacques Hobrecht (mort en 1505). On n'a plus que la mention des Passions en nouvelle manière composées en 1437 par Binchois pour le duc de Bourgogne. Après Hobrecht et jusqu'à Schütz (1631), plus de 50 compositions de la Passion ont été écrites par des maîtres de tous les pays d'Europe, en latin ou en langue vernaculaire. La Passion de Hobrecht est composée sur un texte latin formé de versets rapportés des quatre Évangiles, de manière à contenir les « Sept Paroles » du Christ, qui, on le sait, ne se trouvent toutes réunies dans aucun des Évangiles pris séparément. Ce texte fut suivi par plusieurs des successeurs de Hobrecht, travaillant, comme lui, dans les pays du Nord, comme Galliculus, Handl dit Gallus, Jac. Regnart, etc. D'autres maîtres, vivant en Italie, C. de Rore, Ruffo, Jhan Gero, adoptèrent un texte plus rapproché de l'Évangile selon saint Jean. La composition de Claudin de Sermisy, Passion selon saint Matthieu, se distingue par un caractère plus spécialement liturgique, qui se révèle par l'emploi exclusif des voix d'hommes et par le maintien dans tous les morceaux de la formule du chant grégorien affectée à la foule (turba). Les premières Passions en langue vernaculaire furent celles que Joh. Walther composa en 1530 sur la traduction allemande des Évangiles par Luther. Elles furent imitées par plusieurs maîtres allemands ou travaillant en Allemagne, depuis l'Italien Scandellus, Italien d'origine, qui vivait encore en Allemagne en 1593, jusqu'à H. Schütz (1645). Les huguenots français ne firent aucune tentative pour s'approprier la forme de la Passion. Peu après Walther, la composition de la Passion bifurqua définitivement d'une part, subsista la composition, liturgique latine, pour le culte catholique; d'autre part, se développa la composition mélangée de pièces lyriques, sortes de méditations pieuses, à l'usage du culte protestant allemand, faisant présager le Choral de Bach et de ses contemporains. Aux Passions se rattachent au XVIIe s., les histoires telles que l'Histoire de la Résurrection de Schütz, (1623), et les compositions sur les Sept Paroles du Christ sur la croix, pour servir d'intermèdes à un sermon sur la Passion. Schütz a traité ce texte. Au XVIIe s. seulement, la Passion quitta sa forme et sa destination liturgiques et entra dans la catégorie de l'oratorio. A partir de Schütz, les Passions allemandes, agrandies, deviennent une grande cantate religieuse ou un oratorio; dont le point culminant est atteint par les deux immortelles Passions selon saint Jean et selon saint Matthieu, de Bach. Le « récitant » y conserve, le rôle de l'évangéliste, mais les airs, les choeurs se développent librement ,sur des textes seulement imités du Nouveau Testament, et le choral y mêle les effusions lyriques et religieuses de la communauté des fidèles. Les Passions devinrent une branche spéciale de la musique religieuse de concert. Le passage de la Passion à l'oratorio devient visible dès 1704 avec l'oeuvre de R. Keiser, Der blutige und sterbende Jesus, sur un texte de Hunold qui abandonne la Bible, qui versifie toutes les paroles sacrées, et qui se dirige vers le style dramatique. Le même compositeur, Keiser, traita en 1712 le texte du poète Brockes sur la Passion, texte franchement rapproché de l'opéra, et que plusieurs autres compositeurs adoptèrent ensuite, Haendel (1716), Mattheson, Telemann. Ces oeuvres furent imitées aussitôt et le nombre des oratorios de la Passion s'accrut rapidement. J.-B. Bach en composa cinq, dont une d'après chaque évangéliste (la Passion selon saint Luc est contestée), et la 5e sur un texte de Picander. La Passion selon saint Jean est la plus connue; la Passion selon saint Matthieu, la plus considérable, à la fois pour les moyens sonores qui y sont employés (double choeur, double orchestre, développements des formes) et pour son étendue (qui exige, si l'on veut la faire entendre en entier, plusieurs heures). Elle fut composée en 1729. On peut ranger parmi les passions liturgiques ou pseudo-liturgiques du culte luthérien allemand les nombreuses cantates de la Passion écrites pendant le XVIIIe s., sur des épisodes séparés. C.-Ph. Emm. Bach n'en a pas laissé moins de vingt et une. Les Italiens, tels que Jomelli; composent alors sur un texte de Métastase, en forme d'oratorio dramatique sur le sujet de la Passion. Très rares sont les maîtres français qui ont écrit des compostions liturgiques ou des oratorios sur la Passion. Après la Passion selon Saint Matthieu (1534) de Claudin de Sermisy, et une Passion anonyme d'un autre maître français, publiées ensemble par Attaingnant en 1534, on ne trouve guère à citer que le Reniement de saint Pierre, de M.-A. Charpentier (mort en 1704) traité en forme d' « histoire sacrée » ou de motet dramatique, sur le texte latin de l'Évangile selon saint Matthieu principalement, mais avec additions de versets tirés des autres évangélistes. Les Sept Paroles, au modèle autrefois illustré par Schütz, prennent alors plus d'importance. La plus célèbre de ces compositions est à coup sûr celle de Haydn, qui, écrite d'abord en forme de morceaux d'orchestre (1785), ne reçut qu'ultérieurement des paroles (1801). A l'époque moderne, la forme ancienne de la Passion n'est plus cultivée. On écrit des compositions sur les Sept Paroles ou bien des oratorios. Parmi les premières, on peut citer celle de Théodore Dubois (1867). Don L. Perosi a fait exécuter en 1899 une « trilogie sacrée » sur la Passion selon saint Marc, composée en trois grands tableaux sur des versets latins détachés de l'Évangile, qui forment un texte mitigé entre le livret et le texte du livre saint. Les thèmes de Lauda Sion et du Vexilla regis y sont, entre autres thèmes liturgiques, employés sous différents aspects Le célèbre spectacle populaire et religieux de la Passion, donné tous les dix ans à Oberammergau, en Suisse, comporte une partie musicale de peu d'intérêt artistique, formée de choeurs composés par un musicien moderne local, Rochus Dedler. (Michel Brenet). | |