| On a donné le nom d'organum à la forme primitive de l'harmonie, consistant en une succession réglée d'octaves, de quintes et de quartes, exécutée par le choeur des voix d'hommes et d'enfants. Les plus anciennes mentions se rencontrent chez des auteurs du IXe s., le moine d'Angoulême, Jean Scot Érigène, Hucbald, moine de Saint-Amand. Les exemples contenus dans les écrits attribués à ce dernier présentent l'organum comme une partie vocale (voix organale) s'ajoutant au chant liturgique, note contre note, à la distance d'une quarte ou d'une quinte au-dessus ou au-dessous, ou à la fois au-dessus et au-dessous. C'est un renforcement de la mélodie sur un intervalle différent et tenu pour consonant. L'organum simple consistait donc essentiellement dans le renforcement des premiers sons harmoniques, pressentis, mais non encore définis par les musiciens du Moyen âge, et que les jeux de mutation de l'orgue réalisent méthodiquement de nos jours. L'exécution, paraît en avoir été confiée, dans le chant liturgique, à un petit nombre de chanteurs : la série de consonances qu'ils étaient chargés d'ajouter à la mélodie pouvait donc s'y amalgamer sans en ressortir sensiblement. Il convient d'y ajouter la diaphonie, harmonie primitive pratiquée au IXe s. parallèlement à l'organum avec lequel elle est confondue à la fin du XIe. Il est d'ailleurs malaisé de séparer les définitions variables que les anciens auteurs donnent de la diaphonie, de l'organum et du déchant, mais le sens même du mot diaphonie (= dissonance) et les exemples donnés, marquent bien le mélangé et l'emploi des dissonances, c'est-à-dire des intervalles autres que la quinte et l'unisson et leurs renversements, joints aux mouvements contraire et oblique : D'autre part, il semble aussi que l'on ait entendu par diaphonie la tenue d'une pédale harmonique. Au XIIe s., les significations particulières qu'avaient pu avoir ce terme se trouvèrent absorbées dans les formes du déchant. On doit remarquer que l'organum, ainsi que les autres formes naissantes de l'art harmonique se développa en France. Après Hucbald et Otger, son contemporain, on trouve chez Guido d'Arezzo (mort en 1050) une explication de l'organum, qu'il appelle aussi diaphonie. L'explication de Guido d'Arezzo est conforme à celle de Hucbald et décrit « la voix organale » comme s'ajoutant au-dessus ou au-dessous, ou à la fois aux deux espaces, à la quinte et à la quarte. Mais à ces intervalles se mélangent selon des formules convenues la seconde et la tierce. Un des exemples qui rapprochent ces trois intervalles est le suivant : Environ un siècle plus tard, l'Anonyme de Milan, du XIe-XIIe s., publié par de Coussemaker donne des règles précises pour le choix des intervalles que la voix organale placée au-dessus du chant doit former avec le chant. Le commencement et la fin de chaque pièce ou de chaque distinction se font toujours à l'unisson ou à l'octave; tous les sons qui se succèdent dans la mélodie entre ces 2 points éxtrêmes reçoivent les intervalles de quarte ou de quinte; le 11e des exemples qui accompagnent le texte représente la forme la plus simple : Les règles suivantes laissent apercevoir une tendance vers l'emploi préférable du mouvement contraire entre les parties dans les cas où l'on quitte l'unisson ou l'octave. A la fin du XIe s. vers 1100, l'Anglais Jean Cotton consacre un chapitre à la diaphonie ou Organum, qui est l'art de réunir des sons différents (dissonances) produits par 2 voix au moins, et qui est appelé vulgairement organum à cause de la similitude de ses effets avec ceux que l'on obtient sur l'instrument appelé orgue. La conduite de l'organum est dite organisation (organizandi = action d'organiser) et la voix ajoutée se nomme voix organale. La marche de cette voix en mouvement contraire, relativement à la marche de la mélodie, est prescrite par Cotton comme essentielle. La tierce majeure est admise, avec faveur, la tierce mineure tolérée. L'organum et la diaphonie cèdent la place, au XIIe s., au déchant, qui conserve tout d'abord pour fondement les lois mêmes de l'organum quant à la disposition note contre note, au mouvement des parties et à la limitation du nombre des intervalles admis qui dans le petit traité publié par de Coussemaker sont uniquement la quinte et l'octave, « quins et double ». Mais le déchant était souvent improvisé. On peut définir le déchant comme une forme rudimentaire d'harmonie à 2 voix pratiquée, dès les XIe-XIIe s., soit par écrit, soit alla mente, par l'improvisation d'un chanteur qui ajoute, en se conformant à certaines règles, une seconde partie, à la mélodie notée sur le livre et interprétée par le chantre ou par le choeur à l'unisson. Cet art se bornait, au début, à l'usage de la quinte et de l'octave, employées autant que possible alternativement et en mouvement contraire, note contre note, les pauses restant égales dans les deux voix. Mais bientôt furent admis d'autres intervalles. Le IVe Anonyme de Coussemaker connaît deux manières de pratiquer le déchant, l'une selon les « proportions voisines », c'est-à-dire à la quarte et à la quinte, l'autre selon les « proportions éloignées »; le principe du mouvement contraire y fut maintenu sans que l'on s'occupât d'éviter les croisements. Vers la même époque, Jérôme de Moravie (environ 1270) embrassait sous le titre général de déchant (dis cantus) toutes les formes de la composition harmonique, savoir le simple déchant, l'organum « purum » et le « duplex », le conduit, le motet et le hoquet. Le simple déchant consistait en successions de quintes, octaves et douzièmes (quintes redoublées), ajoutées au chant donné, ou plain-chant, sous la condition que les pauses, dans les deux parties, seraient semblables, et les notes, différentes. Les historiens modernes réunissent, à cet exemple, les diverses catégories de compositions harmoniques, dont les progrès s'accomplissent parallèlement à ceux de la notation, aux XIIe et XIIIe s., et eurent la France pour foyer. Déjà, dans les manuscrits du XIIe s. à ses débuts, on possède près de 150 pièces harmoniques, dont 60 environ sont des organums. L'organum purum était la forme primordiale du chant artistique à 2 voix. Walter Odington (vers 1250-1340) le décrit comme formé d'un ténor de 1, 2 ou 3 sons emprunté au plain-chant et tenu en longues notes, avec des tremolos pour adoucir la rencontre des dissonances; et au-dessus de ce ténor une voix commençant à l'octave, à la quinte ou à la quarte et finissant à l'octave, la quinte ou l'unisson, mais déroulant (d'après l'exemple noté) un chant « coloré », c'est-à-dire orné. Cette forme tenait le milieu entre le plain-chant et la mélodie mesurée, et cherchait à en opérer la fusion. La traduction en notation moderne des exemples de W. Odington est une opération très délicate. G. Adler a offert trois traductions de l'exemple qui accompagne la définition ci-dessus. La 2e traduction est la plus conforme aux définitions du théoricien; la fioriture seule y est librement rythmée. En voici la première période : Maître Léonin, auteur du premier recueil d'organa chantés à la cathédrale de Paris, dirigeait le choeur de cette église au XIIe s. Son successeur, maître Pérotin, qui fut surnommé « le Grand », composa des morceaux à 3 et à 4 voix. Robert de Sabilon et Jean de Garlande, qui marchèrent à sa suite, habitaient Paris. Le déchant, en y comprenant toutes les branches de l'art harmonique à ses débuts, est né en France. (Michel Brenet). La réalisation définitive d'un « organum purum » écrit se trouve condensée dans les deux exemples suivants, que nous empruntons à A. Gastoué : - | |