| La voix humaine peut être considérée comme un instrument de musique, et, à ce titre, sinon comme le plus parfait de tous au triple point de vue de l'agilité, de la puissance et de l'étendue, du moins comme le plus simple et aussi le plus expressif. La beauté de timbre que possède une voix flexible et sonore, la facilité d'en nuancer l'intensité ou de la colorer par certains artifices d'exécution sont déjà des ressources précieuses. Mais sa supériorité principale sur tous les autres instruments artificiellement inventés, c'est la faculté qu'elle seule possède de ,joindre la parole au chant et d'ajouter de la sorte un élément rationnel à sa puissance émotionnelle. Indissolublement unis par l'habitude et la nature, le sens du texte chanté, exprimé par les paroles, et la signification expressive de la mélodie, se renforcent et s'expliquent mutuellement. Et cette étroite adaptation de l'une à l'autre, fondée sur des rapports complexes, demeure assez persistante, pour qu'il nous soit devenu presque impossible de ne pas chercher une signification, au moins générale, à une phrase musicale entendue seule. L'étude de la production de la voix dans les organes vocaux ne sera point abordée ici : elle est du ressort de l'anatomie et de la physiologie. Il suffira de parler pour l'instant des voix en tant qu'instruments musicaux, de leurs diverses variétés, de leur étendue, de leur mécanisme. Tout le monde, peut-on dire, possède une voix quelconque, forte ou faible, sonore ou sourde, agréable ou discordante, étendue ou restreinte. Il va de soi que pour être effectivement apte à l'usage musical, il faut au moins que les voix offrent des qualités moyennes; mais on ne saurait trop dire dans quelques larges limites l'exercice et les études bien comprises peuvent transformer des voix moins qu'ordinaires. Sans doute, pour ce qui regarde la beauté et la force du timbre, l'art demeure souvent impuissant : au contraire, pour l'étendue, la souplesse et l'égalité, une bonne méthode produit des effets merveilleux. Personne ne le conteste, au moins pour les deux dernières de ces qualités. Quant à l'étendue, il suffira de faire réflexion que certaines voix, dont les compositeurs se sont privés dans leurs partitions, ont pour ainsi dire disparu. Telle la haute-contre d'homme et surtout le contralto féminin véritable. Sans doute on ne transformera pas, par un exercice assidu, un chanteur doué d'une voix de basse en ténor supportable. Mais il n'en est pas moins certain que l'on peut faire gagner à une voix quelconque une portée considérable, soit dans le haut, soit dans le grave par un travail approprié et suivi. Théoriquement, on enseigne qu'il existe quatre sortes de voix : le soprano ou dessus; le contralto ou haute-contre; le ténor ou taille; la basse. On leur assigne respectivement l'étendue moyenne ci-contre en ayant soin d'observer que des voix exceptionnelles les excèdent souvent tant au grave qu'à l'aigu. Les deux premières voix appartiennent, dit-on, aux enfants, aux femmes ou aux castrats; les deux dernières sont les voix d'hommes. Il faut observer toutefois que le contralto ou haute-contre a toujours été en France confié à des voix d'hommes dans les limites de fa à do et qu'il en a été longtemps de même partout. Quand en Allemagne et en Italie l'usage confia aux femmes cette seconde partie des choeurs, le contralto fut nécessairement écrit moins bas, vu la rareté des voix féminines timbrées au-dessous du la. Ce qui s'explique d'ailleurs par ce fait qu'aucun air de soliste, aucun rôle d'opéra ne réclamait des notes aussi graves : bien au contraire, puisque les rôles de contralti dans les opéras en sont venus peu à peu à exiger des voix montant au moins de temps en temps jusqu'au sol, au la ou au si bémol aigus du soprano. Cette classification n'a vraiment sa raison d'être que pour les exercices de composition vocale usités classiquement, don la plupart sont écrits à quatre voix et en dehors de toute nécessité d'exécution. Il est difficile dans la pratique de trouver assez de voix graves de femmes pour la seconde partie, ou des voix d'hommes suffisamment aiguës pour les remplacer. Si l'on veut utiliser toutes les variétés de voix cultivées que l'on rencontre parmi les chanteurs, il faut de toute nécessité de nouvelles subdivisions. On aura ainsi : 1° le soprano suraigu qui pourra atteindre jusqu'au sol au-dessus des portées (avec trois lignes supplémentaires, clef de sol); 2° le soprano proprement dit, du si bémol grave au do aigu; 3° le mezzo-soprano, deux octaves de la en la; 4° le contralto (femme) de fa grave à la aigu; 5° le 1erténor de ré à do ou si bémol; 6° le 2e ténor, de do à sol 7° le baryton, de la à sol; 8° la basse chantante de sol à fa; 9° la basse de mi bémol grave à mi. Si l'on ajoute qu'il existe des basses qui atteignent jusqu'au contre la bémol, on pourra dresser ce tableau général de l'étendue des voix : Mais tout ceci suppose que les voix ont été cultivées. A l'état naturel, elles ont beaucoup moins d'étendue, et l'on peut dire que les personnes qui n'ont aucune éducation musicale ne dépassent guère une octave en chantant. Dans presque tous les cas, les hommes et les femmes se tiennent respectivement au diapason : Il n'est donc pas absolument exact de dire que les voix de femmes sont à l'octave des voix d'hommes : la différence est tout au plus d'une quinte ou d'une sixte. Et même pour les voix cultivées, on remarquera que les femmes douées de voix graves montent toujours beaucoup plus haut que les voix de basses correspondantes, et descendent aussi moins bas; elles sont aussi toujours plus étendues, excédant toujours deux octaves que les hommes atteignent à peine et rarement. La raison de cette différence est que les voix de femmes, par leur timbre propre, rendent moins perceptible la différence des deux principales manières dont la voix peut être émise; à savoir : la voix de poitrine, où les cordes vocales vibrent dans toute leur étendue, et la voix de tête ou fausset, où elles sont contractées de telle sorte que la moitié seulement entré en vibration : ce qui, chez les hommes, la fait octavier subitement, en lui donnant un timbre féminin et flûté, très différent de l'autre. Chez les chanteuses, toute l'octave aiguë ou à peu près est émise de la sorte; il n'est besoin que de peu de travail pour rendre ces deux registres identiques, sinon pour les égaliser parfaitement. Chez les ténors, qui se servent souvent de cette voix de fausset qui commence généralement au fa ou au sol aigus, ce n'est qu'à grand effort qu'on arrive au même résultat. Résultat nécessaire pourtant, car, si certains d'entre eux peuvent monter jusqu'au do, au do dièse, même en voix de poitrine, beaucoup ne sauraient y atteindre, et d'ailleurs le registre aigu en voix de poitrine est fatigant pour l'artiste et n'est pas susceptible d'effets de douceur en général. Tous les ténors doivent donc s'exercer à unir le mieux possible et à égaliser parfaitement ces deux registres. Quant aux basses, la voix de tête ne leur est d'aucun usage puisque la gravité et la plénitude des notes du bas de l'échelle est la qualité qu'on y cherche de préférence. On demandait beaucoup plus autrefois à la vois de fausset, puisqu'il existait des chanteurs hommes qui, ne se servant que de celle-là, chantaient la partie de soprano. En fait, il est possible à n'importe quel ténor de monter de la sorte jusqu'au sol ou même au la du soprano, mais avec une qualité de son détestable et peu de sonorité. Le travail arriverait sans nul doute à rendre cet effet possible ; mais comme il serait sans utilité aujourd'hui (car l'interdiction de l'emploi des femmes dans les églises était la principale raison d'être des faussets dans les pays où, comme en France, l'usage des castrats était interdit), comme, de plus, l'usage assidu de la voix de tête altère la beauté de la voix naturelle, on comprend qu'aucun chanteur ne se soucie de tenter sur lui cette expérience. (H. Quittard). | |