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Littérature > La France
Littérature française
La littérature française au XVIIe 'siècle
Le théâtre
Corneille
Les pièces de Corneille
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Molière
Les pièces de Molière
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Racine
Les pièces de Racine
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La poésie

Malherbe
Boileau
La Fontaine
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Les salons, la préciosité, l'Académie

Les Précieuses
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La querelle des Anciens
et des Modernes
La prose
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Le roman

Urfé (Astrée), Mlle de Scudéry (Le Grand Cyrus, Clélie), Cyrano de Bergerac '(Histoire Comique des Etats et Empires de la Lune et du Soleil), Scarron (Le Roman comique), Mme de La Fayette (La Princesse de Clèves, Zaïde); 
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Mondains et moralistes

Mémoires, peinture de moeurs : La Rochefoucauld, Le cardinal de Retz, La Bruyère (Caractères), Saint-Simon

Littérature épistolaire : Guez de Balzac, Voiture, Mme de Sévigné

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Les écrivains religieux

Pascal, Bossuet, Bourdaloue, Fénelon
Le XVIe siècle s'était achevé dans le désordre, sans que la Renaissance eût donné à notre art une formule définitive. La Pléiade n'avait pas trouvé le compromis nécessaire entre la culture du moment et l'imitation de l'antiquité. Cet équilibre s'établit au XVIIe siècle, parce que les écrivains, en fréquentant la société polie, sentent combien toute pédanterie y serait déplacée. Ils continuent à s'inspirer des Anciens, mais ils sauvegardent avec leur originalité les qualités de limpidité et de netteté dans la langue, d'esprit, de finesse et de naturel dans le style, de vérité profonde dans l'analyse. Voilà pourquoi l'idéal artistique qui finit par s'imposer comme une discipline, c'est non pas l'expression de la fantaisie ou de l'émotion individuelle, mais la recherche du vrai dans la peinture de l'humanité. Antique par ses modèles, moderne par ses qualités, universel par sa vérité, tel est l'art classique dans ses traits principaux.
« Représentons-nous un large fleuve, au cours lent et presque insensible, un pont sur ce fleuve, et sur les parapets de ce pont quelques admirables statues. Ce sont celles de Pascal, de Bossuet, de Molière, de La Fontaine, de Racine, de Boileau; ce pont, c'est le siècle de Louis XIV; et sous ce pont ce fleuve qui va lentement, mais sûrement, de sa source à son embouchure, c'est l'esprit du XVIe siècle qui deviendra celui du XVIIIe, plus riche seulement dans sa composition d'un peu de tous les terrains qu'il aura successivement baignés. »
Cette comparaison célèbre de Sainte-Beuve rend bien la physionomie, ou, si l'on veut, la configuration morale du XVIIe siècle. Il n'y a qu'à la développer pour en tirer le programme de son histoire littéraire.

Si l'on part donc de 1610, on assiste à l'évolution du roman et à la formation du genre tragique qui caractérise la littérature à l'époque du règne de Louis XIII (1610-1660), on arrive alors au milieu du pont, à l'âge classique, ou ce qu'on appelle communément le siècle de Louis XIV (1660 à 1680). Nouvelle période d'évolution, mais dans le sens inverse, de 1675 à 1690; on constate alors la décadence du théâtre et de la chaire; et l'on aboutit, en 1715, à un état littéraire qui ressemble étonnamment à celui du début du siècle. Brunetière condense en une formule presque mathématique les mêmes considérations. 

« Le XVIIe siècle se divise en trois principales époques d'inégale étendue et surtout d'inégal génie, dont la première, momentanément suspendue par la deuxième en son cours, le reprend dans la troisième. »
Rien n'est plus caractéristique, en effet, que le triomphe aussi éclatant qu'éphémère des grands classiques, qui établissent leur dogmatisme et leur naturalisme sur les libertins et sur les précieux, et la persistance de cet esprit de libertinage et de préciosité, qui, un moment éclipsé, reparaît à la fin du classicisme pour s'épanouir tout à fait au XVIIIe siècle. D'autres particularités caractérisent le XVIIe siècle : c'est, d'une part, le sentiment d'art; les oeuvres les plus médiocres ont une valeur littéraire; c'est, d'autre part, la perfection de la langue qui apparaît dans les sermons, comme dans les lettres et mémoires, et jusque dans les papiers d'Etat et les rapports des diplomates; c'est enfin la valeur psychologique des ouvrages de tout ordre, aussi bien des Essais de Nicole ou des romans de Scudery que des comédies de Molière ou des Pensées de Pascal.
 

La formation de la discipline classique (1598-1660)

Les faits sociaux. 
Henri IV donne à la France la paix et la prospérité. Richelieu et Mazarin établissent solidement la royauté absolue, en bridant les protestants et aussi la noblesse dont la Fronde fut la dernière velléité d'indépendance. Pareillement dans les salons qui s'ouvrent, il faut renoncer à toute liberté d'allures. « L'honnêteté » s'impose à tous, c'est-à-dire l'élégante distinction des manières, du langage, de l'esprit et du coeur. 

Les lettres.
La littérature aussi s'organise. Malherbe et Guez de Balzac, l'influence des salons et de l'Académie française, fondée par Richelieu en 1635, épurent la langue, précisent la valeur des termes et établissent « le bel usage »  comme règle suprême.

Au théâtre, les règles s'imposent aux environs de 1640. Le Discours de la Méthode de Descartes (1637) montre le besoin de clarté, de vérité évidente qui s'empare des esprits.

Pourtant les exagérations des Précieuses avides de se singulariser, le succès des tragi-comédies et des romans d'aventures, l'admiration que soulèvent les héros de Corneille font bien voir que les imaginations au temps de la Fronde sont encore en travail et qu'on est loin de prendre la simplicité et le naturel pour règles suprêmes.

Les arts. 
Dans les arts, une doctrine commune s'élabore, grâce à l'influence de l'Italie et de l'Antiquité. Nicolas Poussin (1594-1665) a une grandeur presque cornélienne (le Déluge, les Bergers d'Arcadie, le Triomphe de Flore). Claude Lorrain (1600-1652) a rendu la lumière et la couleur des paysages italiens (Vue d'un port de mer, Entrée d'un port, Débarquement de Cléopâtre). Les architectes importent d'Italie la coupole (Église de la Sorbonne).

Mais, d'autre part, on trouve des artistes plus indépendants : les peintres Le Sueur (1616-1655) purement français (Vie de saint Bruno), et Philippe de Champaigne (1602-1674) d'une austérité janséniste (Portrait de Richelieu, Jésus célébrant la Pâque), les graveurs Callot et Abraham Bosse, dont l'oeuvre reproduit tout le pittoresque du temps. On élève des hôtels particuliers construits en pierre et en brique, aux toits d'ardoises inclinés, qui, sans être dans la pure tradition française, ne sont pas des copies de l'architecture italienne.

Les sciences. 
Les sciences commencent à faire des progrès, grâce à la Géométrie de Descartes, aux expériences de Pascal sur la pesanteur de l'air, à les travaux mathématiques de Fermat. Le Jardin des Plantes est fondé en 1640.

Etat littéraire en 1610. Littérature du règne de Henri IV (1598-1610).
En même temps que Henri IV établit la discipline dans le monde politique, un dictateur véritable impose l'ordre dans le monde littéraire. Malherbe organisa la langue, la déblaya des néologismes qui l'avaient encombrée, et exerça une grande influence sur ses contemporains par son robuste bon sens et l'intransigeance de sa critique. Comme il n'aimait pas beaucoup les Anciens, surtout les Grecs, il fut le promoteur d'une réaction utile contre le pillage (c'est le mot de Godeau), qu'on avait fait de leurs pensées. C'est un chef d'école, dont les disciples, Racan, Maynard, Touvant, Coulomby, Yvrande, Dumoutier, ont poursuivi la mission en combattant à outrance l'école de Ronsard (La poésie française au XVIe siècle). La réforme n'alla pas sans quelque résistance, et Vauquelin de La Fresnaye, Mathurin Régnier, surtout Mlle de Gournay s'insurgèrent, mais sans grand succès, contre le « tyran des mots et des syllabes ».
 

Adieu Paris, de Maynard

« Adieu, Paris, adieu pour la dernière fois! 
Je suis las d'encenser l'autel de la fortune,
Et brûle de revoir mes rochers et mes bois, 
Où tout me satisfait, où rien ne m'importune.

Je n'y suis point touché de l'amour des trésors,
Je n'y demande pas d'augmenter mon partage 
Le bien qui m'est venu des pères dont je sors
Est petit pour la cour, mais grand pour le village.

Depuis que je connais que le siècle est gâté, 
Et que le haut mérite est souvent maltraité, 
Je ne trouve ma paix que dans la solitude.

Les heures de ma vie y sont toutes à moi. 
Qu'il est doux d'être libre, et que la servitude 
Est honteuse à celui qui peut être son roi! ». 
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(F. Maynard).

Un autre trait de cette période est l'immense succès du roman d'Honoré d'Urfé, l'Astrée. Cette pastorale, dont le premier tome, dédié à Henri IV, parut en 1610 et le troisième en 1625, nourrit toute une génération de ses sentiments délicats, de ses fraîches descriptions, de ses paisibles bergeries. La Fontaine, Boileau, Mme de Sévigné en subirent le charme. La positive Mlle de Montpensier n'y fut pas insensible. 

« Je voudrais qu'on allât garder les troupeaux de moutons dans nos belles prairies, qu'on eût des houlettes et des capelines, qu'on dînât sur l'herbe verte, de mets rustiques et convenables aux bergers et qu'on imitât quelquefois ce qu'on a lu dans l'Astrée. » 
Son influence agissait encore sur Rousseau. Il n'est pas jusqu'à l'éloquence religieuse qui ne s'adoucisse et ne s'humanise. Aux rudesses des théologiens de la Réforme, l'Introduction à la vie dévote (1608) de saint François de Sales s'oppose avec bonheur. Tout y est douceur et onction. 
« Ce livre, en paraissant, dit Sainte-Beuve, fit une révolution heureuse : il reconcilia la dévotion avec le monde, la piété avec la politesse et une certaine humanité. »
Littérature du règne de Louis XIII et du début de celui de Louis XIV (1610-1660).
Cette première frondaison de la réforme littéraire va croître et s'étendre avec une telle rapidité et une telle ampleur qu'il faudra pour l'étouffer, ou du moins la réduire, toute la force de réaction du siècle de Louis XIV. Elle ne tirait pas toute sa sève du sol français-: elle avait emprunté à l'Espagne et à l'Italie le goût de la pastorale raffinée et des pointes trop ingénieuses. Antonio Perez, le maître d'espagnol de Henri IV, parfait homme du monde, jeta dans sa correspondance toute la fleur du cultisme. Ses lettres, élégantes et d'un style recherché jusqu'à l'afféterie, eurent une telle vogue qu'elles suscitèrent une légion d'imitateurs dont le principal fut Guez de Balzac. Le cavalier Marini, encore plus fardé et alambiqué, importa les concetti et enfanta Voiture.

Ces deux influences s'unirent et se renforcèrent dans le salon fameux de la marquise de Rambouillet (1620-1650). Elle s'était formé l'esprit dans la lecture des livres italiens et espagnols et elle sut imposer ses préférences à ses hôtes : les plus grands guerriers, les femmes les plus séduisantes, les hommes du monde les plus spirituels, les écrivains, les poètes et les savants les plus fameux du temps. Il nous suffira de citer ici le duc d'Enghien (le grand Condé), Mlle de Bourbon, sa soeur (Mme de Longueville), Julie d'Angennes, Mme de La Fayette, Mlle Paulet, Mme de Sablé, Mme de Sévigné, Corneille, Guez de Balzac, Voiture, Ménage, Conrart, Chapelain, les Senders, etc. L'antre de la déesse d'Athènes - comme on disait - devint le temple du bon goût : toute la société se régla sur ses oracles. Sans doute, la politesse y gagna, mais le bon sens y perdit. Des contemporains clairvoyants, comme la duchesse de Nemours, ne s'y trompèrent pas :

« Quoique cette cabale eût beaucoup d'esprit, ils ne l'employaient que dans des conversations galantes et enjouées, qu'à commenter et à raffiner sur la délicatesse du coeur et des sentiments. Ils faisaient consister tout l'esprit et le mérite d'une personne à faire des distinctions subtiles et des représentations quelquefois peu naturelles là-dessus. Ceux qui y brillaient le plus étaient les plus honnêtes gens, selon eux, et les plus habiles, et ils traitaient, au contraire, de ridicule et de grossier tout ce qui avait le moindre air de conversation solide. »
On prisait le roman par-dessus tout. L'Astrée, inspirée déjà de la Diane amoureuse de Jorge de Montemayor, avait ouvert la voie. Gombaud donne Endymion (1634), où il peint son amour pour Marie de Médicis; Gomberville écrit Carité (1623), Polexandre (1631 à 1637), dont le succès fut prodigieux, mais qui est bien inférieur à l'Astrée et qui plut sans doute par les descriptions géographiques dont il est rempli, puis Cythérée et la Jeune Alcidiane, « roman janséniste, dit Tallemant, car les héros, à tout bout de champ, y font des sermons et des prières chrétiennes ». La Calprenède, dans Cassandre, dans Cléopâtre, dans Pharamond (1646), entreprend un cours d'histoire universelle à la manière de Walter Scott ou d'Alexandre Dumas. Mais l'histoire y est étrangement défigurée, « les héros parlent tous phoebus et sont tous des gens à cent lieues au-dessus des autres hommes » (Tallemant). Dans Ariane (1632), Desmarets de Saint-Sorlin fait l'apologie de l'inconstance. Madeleine de Scudéry, aidée par son frère Georges, publie Ibrahim ou l'Illustre Bassa (1635), roman d'aventures, puis le Grand Cyrus (1650), étrange composition, où elle décrit l'hôtel de Rambouillet, trace les portraits de ses hôtes, raconte tous les événements marquants et toutes les aventures du temps, donne en détail le récit de la bataille de Lens et de celle de Rocroi, se complaît aux intrigues les plus futiles, relate les liaisons amoureuses de ses amis. Boileau n'aimait guère le Grand Cyrus, et il l'a criblé d'épigrammes. On y rencontre pourtant de pages à lire et des considérations sur l'éducation des femmes, qui furent appréciées par Mme de Maintenon. Le chef-d'oeuvre de Madeleine est la Clélie (1654), où l'extravagance se donne libre cours. Qui ne connaît le royaume du Tendre et la fameuse carte qui occupa toute une société tombée dans la préciosité qu'on pourrait définir l'abus de la politesse? En somme, le roman français du XVIIe siècle ne se différencie guère des espèces littéraires voisines : l'épopée, la tragédie, la comédie ou la satire; il n'a pas encore conscience de sa nature ou de son objet.

On peut distinguer deux autres groupes parmi les littérateurs qui se rattachent à l'hôtel de Rambouillet : les grammairiens et les poètes. Guez de Balzac est le « grand épistolier de France ». Ses Lettres, d'une composition laborieuse, d'un esprit trop recherché , d'une solennité fatigante, lui ont valu le premier rang parmi les beaux esprits. D'autres oeuvres, moins connues, le Prince, le Socrate chrétien, l'Aristippe ont la même solennité et la même élévation. C'est le moins naturel des hommes; on le loue surtout d'avoir créé des formes nobles et harmonieuses et d'avoir été « le Malherbe de la prose ». 

Voiture a infiniment plus d'esprit que son rival et il est aussi moins gourmé. Clair, correct, il dépense de rares qualités à des bagatelles : des chansons, des compliments de bonne année, des stances à la louange du soulier d'une dame, ou sur une jeune fille rencontrée dans des habits de garçon un soir de carnaval ou encore à une demoiselle qui avait les manches de sa chemise retroussées et sales. Le reste à l'avenant. Mais il était le favori de ses contemporains dont il reflétait si bien les goûts futiles et raffinés. Son sonnet d'Uranie, que Benserade voulut supplanter par le sonnet de Job, partagea le monde en deux camps : les Uranistes et les Jobelins, dont aucun ne voulut céder la victoire à l'autre.
 

Sur les sonnets de « Job » et d' « Uranie »

« Deux sonnets partagent la ville, 
Deux sonnets partagent la cour, 
Et semblent vouloir à leur tour 
Rallumer la guerre civile.

Le plus sot et le plus habile
En mettent leur avis au jour,
Et ce qu'on a pour eux d'amour 
A plus d'un échauffe la bile.

Chacun en parle hautement 
Suivant son petit jugement, 
Et s'il y faut mêler le nôtre,

L'un est sans doute mieux rêvé, 
Mieux conduit et mieux achevé, 
Mais je voudrais avoir fait l'autre. »
 

(P. Corneille).

Mêmes tendances chez les écrivains les plus graves. Vaugelas rédige le code de la correction et du bon goût (Remarques sur la langue française); Chapelain, grammairien distingué et critique sagace, eut le tort d'entreprendre un poème épique, la Pucelle, qui fit sa renommée jusqu'au moment où il fut publié. 

« Trois jours après que ce poème si vanté devint public, un critique d'un fort petit mérite lui ayant donné le premier coup d'ongle, chacun fondit dessus et toute la réputation du poème et du poète tomba par terre. » (Vigneul-Marville). 
Lui aussi avait sacrifié à la mode espagnole en traduisant Guzman d'Alfarache. Le groupe des grammairiens forma tout naturellement l'Académie française (1635), qui, elle aussi, s'attacha, peut-être avec un zèle exagéré, à l'épuration de la langue. Composée d'écrivains médiocres, cette compagnie n'eut pas grande influence sur la marche des idées.

Dans le groupe des poètes brille le doux Racan, le meilleur disciple de Malherbe. Il semble presque déplacé à l'hôtel de Rambouillet, car ses Bergeries ne sont pas des bergeries de salon. A peine peut-on citer encore un jésuite, le P. Lemoine qui s'était attaqué à saint Louis comme Chapelain à Jeanne d'Arc et sans plus de succès; Georges de Scudery, auteur de l'épopée d'Alaric; d'agréables petits poètes : Maynard, Segrais, Benserade, Brébeuf, Godeuil.

C'est le développement du théâtre qui caractérise le mieux la période Louis XIII. De 1600 à 1630, un seul auteur, Hardy, a fourni dit-on, plus de 600 pièces à l'hôtel de Bourgogne. Il n'appartenait pas au salon de l'incomparable Arthénice; il le combattait même à l'occasion en déclarant par exemple que « les vers tragiques doivent avoir une mâle vigueur, être constamment soutenus, sans pointe, sans prose rimée, sans faire d'une mouche un éléphant ». L'hôtel de Rambouillet lui fit concurrence et le supplanta dans la faveur du public. Théophile de Viau excita un enthousiasme sans pareil par une idylle d'un mauvais goût achevé, imitée d'ailleurs de Gongora, Pyrame et Thisbé; Racan donna une Arthénice assez fade, mais relevée de fraîches descriptions; Coignée de Bourron une Iris; de La Croix une Climène; Pichon, un Rosiléon; Gombaud une Amaranthe; Georges de Scudery un Amour tyrannique et seize autres pièces détestables et extravagantes. Près de quatre-vingt-dix autres auteurs dramatiques se révélèrent pour tomber presque aussitôt dans l'oubli. Quelques-uns ont droit à un souvenir plus durable. Ce sont : Mairet (la Sophonisbe, empruntée à Trissin; le Duc d'Ossone emprunté à Christoval de Silva; Chryséide et Arimand, Silvie, enfin, qui ressemble plus à un roman qu'à un drame); Tristan (Marianne, tirée de Calderon); Du Ryer (Saül); enfin les collaborateurs de Richelieu Colletet, Boisrobert, L'Etoile, Rotrou (Antigone, Bélisaire, Saint-Genest, Wenceslas imitées de F. de Rojas, ou de Lope de Vega), le meilleur de tous.

En 1636 avait paru le Cid, à cette date, et pendant longtemps, la plus éclatante manifestation du théâtre en France. Pierre Corneille à ses débuts avait ressemblé beaucoup à ses contemporains (Le Menteur, une farce). Mélite, surtout Clitandre sont tout à fait dans le ton du siècle. Le Cid, quoique imité de l'espagnol, était d'autre manière. Aussi excita-t-il la jalousie de Richelieu, fut-il attaqué violemment par Scudery et défendu mollement par l'Académie. Trois chefs-d'oeuvre suivirent, Horace (1639); Cinna (1639) et Polyeucte (1640). Les autres pièces sont inférieures. Brunetière a  bien montré comment l'apparition du Cid est une date capitale dans l'histoire du théâtre français, et même une époque dans l'histoire générale de la littérature européenne. Il suffit de constater qu' « avec et par le Cid la tragédie française a pris conscience de son véritable objet; elle s'est différenciée de la tragi-comédie avec laquelle on l'avait confondue jusqu'alors; elle a vu dans quelle direction il lui faudrait chercher la perfection de son genre ». Malgré le succès éclatant de ce nouveau théâtre, le mauvais goût continua, comme de juste, à avoir de nombreux partisans. Mairet pouvait écrire sans trop d'exagération, à son heureux rival : 

« Ma Silvie et votre Cid, ou celui de Guillen de Castro, comme il vous plaira, sont les deux pièces de théâtre dont les beautés fantastiques ont le plus abusé d'honnêtes gens. Il est encore vrai que le charme de ma Silvie a duré plus longtemps que celui du Cid, vu qu'après douze ou treize impressions, elle est encore aujourd'hui le Pastor fido des Allemands. » 
Cette remarque n'est peut-être pas inutile, car on a trop de tendance à croire qu'au XVIIe siècle Corneille, Racine et Molière ont seuls occupé toute la scène, conquis et retenu tout le public.

Nous sommes restés jusqu'ici dans la sphère d'influence immédiate de l'hôtel de Rambouillet. D'autres groupes d'écrivains, qu'on pourrait appeler les groupes extrêmes, ont cependant évolué en dehors. C'est, d'une part, la bande des irréguliers et des grotesques. Avec Théophile de Viau, Saint-Amand, Cyrano de Bergerac, nous nous trouverons aux antipodes du salon aristocratique. L'opposition matérielle est déjà saisissante. C'est dans les cabarets que ces libertins se réunissent.

« L'un est endormi le nez sur son assiette, l'autre est renversé sur le banc, celui-ci couché tout plat sur les carreaux, la moitié des écuelles à terre, presque un muid de vin vomi ou renversé, une musique de ronflements, une odeur de tabac, des chandelles allumées comme des morts. » (Théophile).
Théophile, l'auteur de la Mort de Socrate, des Fragments d'une histoire comique, de beaucoup de petits vers et d'une tragédie, est un satirique doué d'une brillante imagination et généralement dépourvu de goût; il forme en quelque sorte la transition entre le salon bleu, car il était des familiers de Catherine de Vivonne, et les cabarets. Saint-Amand est un cynique à la verve endiablée, sans raison comme sans bon sens, qui s'avisa, on ne sait pourquoi, d'écrire un poème (Moïse). Faret triomphe dans la parodie; le réaliste Sorel publie Francion, Dassoucy publie Ovide en belle humeur et s'intitule l'Empereur du burlesque. Scarron, qui a tous les droits à ce titre, ridiculise l'héroïsme (Typhon ou la Guerre des dieux contre les géants, l'Enéide travestie) : son Roman comique s'oppose aux divagations quintessenciées des romans à la mode. De même, Cyrano de Bergerac avec ses histoires comiques et ses voyages fantastiques. Et ces productions qui ont toutes, à vrai dire, une valeur littéraire, jouissent, comme les oeuvres des « honnêtes gens », d'une vogue considérable. 
« Les libraires, avoue Pellisson, ne voulaient rien qui ne portât le nom de burlesque. »
Descartes n'est pas aussi éloigné de ces libres penseurs qu'on le pourrait croire, car, par bien des traits, il se rattache aux sceptiques. Il est permis à tout le moins de suspecter la sincérité de son doute provisoire. Son Discours de la Méthode (1637), comme le Cid, fait date dans l'histoire de la littérature française, car, avec le Cid, il a contribué à émanciper de la tutelle de l'Antiquité la langue et la pensée françaises. Toutefois son influence sur l'histoire littéraire du temps n'a été ni aussi immédiate ni aussi profonde qu'on l'a prétendu : elle agit surtout au siècle suivant. Au XVIIe siècle, la principale influence a été surtout exercée par les jansénistes.

Vers 1650, on trouve, groupés à l'abbaye de Port-Royal et professant la doctrine austère de la prédestination dont Saint-Cyran s'était fait l'apôtre, quelques hommes distingués : les Arnauld, les Lemaître, Lancelot, Nicole, grammairiens et pédagogues éclairés, logiciens redoutables, érudits consommés. Ils se représentent l'histoire «-comme un lent acheminement de l'humanité vers des fins qui lui sont assignées par la sagesse divine » et cela seul suffit pour les distinguer de Descartes qui croit au progrès indéfini de la nature et de la science humaine et pour expliquer l'antagonisme du cartésianisme et du jansénisme, antagonisme d'abord latent (objections de Nicole), puis plus marqué (Arnauld, Nicole, Pascal), lorsque les Lettres du philosophe eurent été publiées (1657-1667). Pascal arriva à Port-Royal en 1654, au moment où les jésuites étaient sur le point d'écraser les solitaires. Les Provinciales (1656) changèrent la face du combat et ruinèrent les molinistes au moins dans l'esprit du public. 

« Les Pensées complétèrent les Provinciales : à cette idée que la morale ne saurait sans cesser d'être elle-même se ployer aux exigences du temps ni des lieux, elles sont venues ajouter celle-ci, que le devoir essentiel de l'homme est de travailler au renouvellement intérieur de lui-même. » (Brunetière).
La période où se sont manifestés ces trois belles figures, Corneille, Descartes, Pascal, s'achève dans les troubles de la Fronde. Au point de vue politique, la Fronde est une révolte contre la forte organisation de Richelieu; au point de vue littéraire elle peut être considérée comme la revanche impuissante des genres inférieurs sur les chefs-d'oeuvre. Couplets satiriques de Blot, triolets de Marigny, lettres sarcastiques de Guy Patin, plaisanteries de Scarron, pamphlets anonymes, libelles grossiers, dissertations assommantes forment un ensemble chaotique où luisent des éclairs d'esprit et de gaieté.

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Extraits des Pensées de Pascal

Inquiétude de l'homme

« Nous ne nous tenons jamais au temps présent. Nous anticipons l'avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours; ou nous rappelons le passé, pour l'arrêter comme trop prompt : si imprudents que nous errons dans les temps qui ne sont pas nôtres et ne pensons point au seul qui nous appartient; et si vains que nous songeons à ceux qui ne sont plus rien et échappons sans réflexion le seul qui subsiste. C'est que le présent d'ordinaire nous blesse. Nous le cachons à notre vue, parce qu'il nous afflige; et, s'il nous est agréable, nous regrettons de le voir échapper. Nous tâchons de le soutenir par l'avenir, et pensons à disposer les choses qui ne sont pas en notre puissance, pour un temps où nous n'avons aucune assurance d'arriver.

Que chacun examine ses pensées, il les trouvera toujours occupées au passé et à l'avenir. Nous ne pensons presque point au présent; et si nous y pensons, ce n'est que pour en prendre la lumière pour disposer de l'avenir. Le présent n'est jamais notre fin; le passé et le présent sont nos moyens; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre; et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais. »

Divertissement

« Quand je m'y suis mis quelquefois à considérer les diverses agitations des hommes, et les périls et les peines où ils s'exposent, dans la cour, dans la guerre, d'où naissent tant de querelles, de passions, d'entreprises hardies et souvent mauvaises, j'ai dit souvent que tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre.

D'où vient qu'un boiteux ne nous irrite pas, et un esprit boiteux nous irrite? A cause qu'un boiteux reconnaît que nous allons droit, et qu'un esprit boiteux dit que c'est nous qui boitons ; sans cela nous en aurions pitié et non colère.

Épictète demande bien plus fortement pourquoi ne nous fâchons-nous pas si on dit que nous avons mal à la tête, et que nous nous fâchons de ce qu'on dit que nous raisonnons mal, ou que nous choisissons mal. Ce qui cause cela est que nous sommes bien certains que nous n'avons pas mal à la tête, et que nous ne sommes pas boiteux : mais nous ne sommes pas si assurés que nous choisissons le vrai. De sorte que, n'en ayant d'assurance qu'à cause que nous le voyons de toute notre vue, quand un autre voit de toute sa vue le contraire, cela nous met en suspens et nous étonne, et encore plus quand mille autres se moquent de notre choix; car il faut préférer nos lumières à celles de tant d'autres, et cela est hardi et difficile. Il n'y a jamais cette contradiction dans les sens touchant un boiteux. »
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(B. Pascal, Pensées).

La discipline classique (1660-1685)

Les faits sociaux. 
Louis XIV impose à l'Europe de ses victoires militaires et s'entoure des courtisans emperruqués et serviles. La noblesse vit à Versailles, domestiquée, quêtant un regard du maître. Écrivains, artistes, savants, sont pensionnés par le roi et embrigadés dans les différentes académies (Française, fondée en 1635; Peinture. fondée en 1648; Inscriptions, 1663; Sciences, 1666; Architecture, 1671; Musique, 1672). De la sorte s'établit entre le roi, les artistes et l'élite de la nation, noblesse et haute bourgeoisie, une complète uniformité de goût.

Les lettres.
Les auteurs mondains, Retz, La Rochefoucauld, Mmes de La Fayette et de Sévigné, forment la transition entre l'époque Louis XIII et l'époque Louis XIV. C'est Pascal qui inaugure le classicisme et Boileau qui, après l'avoir fait triompher par une lutte vigoureuse contre les derniers précieux, s'en constitue le théoricien dans son Art poétique (1674). Prendre les Anciens pour modèles, la nature pour but et la raison pour guide, voilà ce que font Molière et Racine au théâtre. La Fontaine dans ses Fables. A côté d'eux, Bossuet s'établit le gardien de la foi, comme Boileau celui de la saine doctrine littéraire.

Les arts. 
Le Boileau des arts fut Lebrun (1619-1690), directeur de l'Académie de peinture de l'Ecole de Rome et  de la manufacture des Gobelins. On trouve dans ses tableaux (Vie d'Alexandre) l'incitation de l'Antiquité, le souci de l'ordonnance noble et régulière qui caractérisent aussi les monuments du temps (Palais de Versailles, Colonnade du Louvre, Invalides) ainsi que les statues de Girardon (1628-1715) et de Coysevox (1640-1720) dont sont peuplés les jardins de Versailles. Seul, le sculpteur marseillais Puget (1622-1694), l'auteur puissant de Milon de Crotone, l'Hercule gaulois, semble un isolé.

Le « siècle » de Louis XIV.
Les agitations stériles de la Fronde aboutirent au gouvernement autocratique de Louis XIV, dont le règne n'est, à vrai dire, qu'une grande réaction politique, religieuse et littéraire. Dans ces trois domaines, le roi exerce une influence personnelle incontestable, et il l'exerce, dans le littéraire, comme involontairement par la constitution même d'une cour intelligente et lettrée, c.-à-d. d'un milieu capable de s'intéresser par elles-mêmes et pour elles seules aux choses de la littérature et de l'art. 

« Louis XIV donne le ton ; c'est sur lui que la cour se règle et se compose; c'est par lui que la littérature s'est émancipée de la tutelle des Vadius et des Trissotin, c.-à-d. des purs gens de lettres, et c'est lui qui, par un goût naturel qu'il avait pour l'ordre, la décence, la majesté même, a contenu dans les bornes du goût le naturalisme qui peut-être aurait été sans cela dans l'excès. » (Brunetière).
La réputation des grands classiques ne s'est pas établie tout d'un coup, sans effort et sans lutte, et pour assurer leur triomphe il ne fallut rien moins que l'appui d'un roi qui pouvait désorienter la littérature française en inclinant seulement vers leurs adversaires. Si étrange en effet que cela nous puisse paraître aujourd'hui, les classiques ont été des novateurs : l'idéal de l'art aux environs de 1660 n'était pas du tout l'idéal qu'ils ont fait prévaloir. Scarron, dans le burlesque, Chapelain dans le genre noble, Guez de Balzac dans l'éloquence, Benserade dans le précieux, Corneille même dans le sublime « ne se servaient tous des moyens de la nature que pour la défigurer de parti pris, pour faire plus grand, plus fin, plus drôle, plus joli qu'elle-même (id.) ». Seules les Provinciales avaient commencé à ramener la prose au naturel. C'est ce retour à la nature, cette prescription de l'emphase espagnole et de la préciosité italienne, en même temps cet aspect de grandeur et de sévérité morale dû à l'influence persistante du jansénisme, qui vont caractériser l'esprit classique.

Il fallait d'abord abattre les coteries. Les Cotin, les Boursault, les Coras, les Perrault, les Chapelain - celui-ci d'autant plus redoutable qu'il tenait la feuille des pensions - furent vaincus par Boileau; les Précieuses furent défaites par Molière; Racine l'emporta sur Corneille; Bossuet (Histoire des variations et de ses Avertissements aux protestants) eut beaucoup moins de peine à surpasser Mascaron. Il semble inutile d'insister ici sur les cinq très grands écrivains qui dominent tout le siècle de Louis XIV. On trouvera dans leur biographie particulière tous les détails nécessaires sur leur vie, leurs ouvrages, le rôle qu'ils ont joué. Nous nous bornerons à quelques remarques tout à fait générales. Molière et La Fontaine (ses Fables) sont les seuls qui ne subirent pas l'influence du jansénisme, si marquée chez Racine (le coeur humain, la passion, la sensibilité), moins apparente, mais toujours agissante chez Boileau et chez Bossuet. Ils ne s'inspirent que de la philosophie de la nature, et tous leurs écrits nous enseignent qu' « il faut nous soumettre ou, si nous pouvons, nous conformer à la nature ». Ils représentent donc, en plein âge classique, les traditions épicuriennes et l'esprit gaulois. Boileau, « le plus terme bon sens qu'il y ait eu peut-être dans l'histoire d'aucune littérature, avec cela le seul critique qui ne se soit jamais ou presque jamais trompé sur la valeur absolue des œuvres de ses contemporains » (Brunetière), semble résumer en lui les traits principaux qui font la grandeur du siècle de Louis XIV. En tous cas, il en est pour ainsi dire le coryphée. 

« Si Boileau n'avait pas été là, guidant l'un, gourmandant l'autre, retenant Racine, stimulant La Fontaine, La Fontaine aurait vraisemblablement écrit plus de contes que de fables, Racine plus de Bérénice (d'Alexandre) que de Britannicus et de Mithridate, Molière lui-même plus de Sganarelle et de Monsieur de Pourceaugnac que de Misanthrope et de Tartufe. » (Sainte-Beuve).
Ses Satires (1665) ont marqué époque dans l'histoire de la satire en France comme le Cid l'avait marquée dans l'histoire de la tragédie ou les Précieuses ridicules (1659) dans l'histoire de la comédie. Son Art poétique est le chef-d'oeuvre du genre didactique de la langue française; c'est un code littéraire dont les articles ont fait loi pendant plus d'un siècle et demi; c'est, en un mot, « l'abrégé de l'idéal classique ». Molière n'a imposé ses pièces à ses contemporains qu'à force de génie. En s'attaquant, comme il l'a fait, aux ridicules des gens titrés, aux pédants, aux précieuses, aux faux dévots, à la faculté de médecine, il soulevait d'irréconciliables inimitiés, des haines féroces bien armées pour se détendre et qui n'y ont pas manqué. Ses principales pièces ont été parodiées; sa personne, son caractère, les tristesses de sa vie privée, ses infirmités même ont été transportées toutes vives sur la scène par des gens comme Somaize, Boursault, La Croix, Villiers, Montfleury, Chevalier, Le Boulanger de Chalussay. De même Racine est en butte aux critiques acerbes de la haute société, du maréchal de Créquy, du comte d'Olonne, du duc de Nevers, de la duchesse de Bouillon, sans compter celles des Subligny, des Coras, des Leclerc, des Pradon, et les cabales finissent par le dégoûter de la scène. 

Il est assez curieux de constater que La Fontaine n'a pas à souffrir de persécutions de ce genre : il est protégé efficacement par les plus grandes dames et les seigneurs les plus puissants; mais, par contre, il est peu estimé du roi, et ses ouvrages qui ont obtenu dans la suite une popularité sans égale, sont presque dédaignés. Quant à Bossuet dont on oppose généralement la force, on dirait presque la dureté, à la douceur de Fénelon, ce qui est bien la plus étrange erreur qu'on puisse commettre , son rôle a été tout de conciliation; ses polémiques avec les Protestants n'avaient pour but que leur réunion à l'Eglise romaine, et il répudia les mesures de violence qu'on crut devoir prendre contre eux pour des raisons politiques plutôt que pour des raisons religieuses. Il est plein de modération à l'égard des Jansénistes qu'il estime et qu'il admire. L'accord de la raison et de la foi, voilà l'idéal auquel il ne cessa de travailler. Lui aussi eut des adversaires : Jurien et Fénelon se montrèrent les plus implacables.

Auprès des grands classiques on peut citer et dans tous les genres des écrivains de valeur. Nous avons déjà dit qu'au XVIIe siècle les oeuvres les plus futiles ont des qualités littéraires, et l'on connaît le mot de Courier

« A cette époque, la moindre femmelette en eût remontré à nos académiciens. » 
De fait, Mme de Montespan, Mme de Coulanges, Mme de La Sablière, Mme de Maintenon écrivent à ravir. Mme de Sévigné les surpasse toutes par l'abandon et la facilité du style, par le naturel et surtout par la solidité de son éducation. Il faut remarquer encore qu'elle est janséniste. Mme de La Fayette donne la Princesse de Clèves, un bon roman. Les correspondances et les rapports diplomatiques ont une tenue et une clarté telles qu'à partir de 1668 la langue française commence à devenir celle des traités et de la diplomatie. Elle fut employée aux conférences préparatoires de la paix de Nimègue, pour la paix de Ryswick, pour le traité de Rastadt.

La série des Mémoires est abondante et excellente. Ceux de La Rochefoucauld, ceux de Mme de Motteville, de Mlle de Montpensier, les Amours des Gaules de Bussy-Rabutin, qui ne sont qu'une chronique scandaleuse, méritent d'être mentionnés ici. Paul de Gondi les éclipse :

« Le style de Retz, dit Sainte-Beuve, est de la plus belle langue ; il est plein de feu et l'esprit des choses y circule. »
Parmi les moralistes, nous retrouvons La Rochefoucauld (Maximes), encore un maître du style, puis Saint-Evremond qui représente assez bien le critique de profession, enfin La Bruyère (Caractères, 1688) sur lequel nous reviendrons, car son oeuvre est un symptôme de l'esprit nouveau dont le besoin va se faire sentir à la fin du siècle.
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Le Riche et le Pauvre

« Giton a le teint frais, le visage plein et les joues pendantes, l'oeil fixe et assuré, les épaules larges, l'estomac haut, la démarche ferme et délibérée; il parle avec confiance, il fait répéter celui qui l'entretient, et il ne goûte que médiocrement tout ce qu'il lui dit. Il déploie un ample mouchoir, et se mouche avec grand bruit : il crache fort loin et il éternue fort haut. Il dort le jour, il dort la nuit, et profondément; il ronfle en compagnie. Il occupe à table et à la promenade plus de place qu'un autre; il tient le milieu en se promenant avec ses égaux. Il s'arrête et l'on s'arrête; continue de marcher et l'on marche : tous se règlent sur lui. Il interrompt, il redresse ceux qui ont la parole ; on ne l'interrompt pas, on l'écoute aussi longtemps qu'il veut parler; on est de son avis, on croit les nouvelles qu'il débite. S'il s'assied, vous le voyez s'enfoncer dans un fauteuil, croiser les jambes l'une sur l'autre, froncer le sourcil, abaisser son chapeau sur ses yeux pour ne voir personne, ou le relever ensuite, et découvrir son front par fierté ou par audace. Il est enjoué, grand rieur, impatient, présomptueux, colère, libertin, politique, mystérieux sur les affaires du temps : il se croit des talents et de l'esprit. Il est riche.

Phédon a les yeux creux, le teint échauffé, le corps sec et le visage maigre-: il dort peu, et d'un sommeil fort léger; il est abstrait, rêveur, et il a, avec de l'esprit, l'air d'un stupide : il oublie de dire ce qu'il sait ou de parler d'événements qui lui sont connus; et, s'il le fait quelquefois, il s'en tire mal, il croit peser à ceux à qui il parle : il conte brièvement, mais froidement; il ne se fait pas écouter. Il ne fait point rire. Il applaudit, il sourit à ce que les autres lui disent, il est de leur avis; il court, il vole pour leur rendre de petits services : il est complaisant, flatteur, empressé; il est mystérieux sur ses affaires, quelquefois menteur; il est superstitieux, scrupuleux, timide; il marche doucement et légèrement, il semble craindre de fouler la terre; il marche les yeux baissés, et il n'ose les lever sur ceux qui passent. Il n'est jamais du nombre de ceux qui forment un cercle pour discourir : il se met derrière celui qui parle, recueille furtivement ce qui se dit, et se retire si on le regarde. Il n'occupe point de lieu, il ne tient point de place; il va les épaules serrées, le chapeau abaissé sur ses yeux pour n'être point vu; il se replie et se renferme dans son manteau; il n'y a point de rues ni de galeries si embarrassées et si remplies de monde, où il ne trouve moyen de passer sans effort, et de se couler sans être aperçu. Si on le prie de s'asseoir, il se met à peine sur le bord d'un siège; il parle bas dans la conversation, et il articule mal : libre néanmoins sur les affaires publiques, chagrin contre le siècle, médiocrement prévenu des ministres et du ministère. Il n'ouvre la bouche que pour répondre : il tousse, il se mouche sous son chapeau, il crache presque sur soi, et il attend qu'il soit seul pour éternuer, ou, si cela lui arrive, c'est à l'insu de la compagnie; il n'en coûte à personne ni salut ni compliment. Il est pauvre. »
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(La Bruyère, Caractères).

L'éloquence du palais s'est transformée. Jusque-là on avait imite Cicéron et farci les plaidoiries de citations indigestes. Un avocat, Gaultier, est connu par une boutade de Boileau :

Dans vos discours chagrins plus aigre et plus mordant
Qu'une femme en furie ou Gaultier en plaidant.
Il a laissé en 1662 un recueil des plaidoyers les plus amphigouriques qu'on puisse rêver. Antoine Lemaître, qui devint un des solitaires de Port-Royal, fut un véritable orateur. Il jouit de son temps d'une grande réputation qui fût encore dépassée par celle de Patru, l'avocat le plus attique et le plus correct du grand siècle.

L'éloquence de la chaire est le genre qui, avec la poésie dramatique, brilla au XVIIe siècle du plus vif éclat. On peut citer en passant Lingendes, Senault, Audiffret, le P. Lejeune, le P. Lami, le P. Séraphin, Anselme, le P. de La Rue. Mascaron a eu de la vogue, mais il est loin de Bossuet et Mme de Maintenon l'a parfaitement jugé. 

« Je viens d'entendre une belle déclamation du P. Mascaron; il divertit l'esprit et ne touche pas le coeur; son éloquence est hors de sa place. Cependant il est à la mode. » 
Plus près de Bossuet est Bourdaloue, orateur austère, dialecticien rigoureux. Plus près encore Fénelon, que nous retrouverons, lui aussi, dans la dernière partie de cette page, comme un des précurseurs de l'esprit nouveau.

Pour le théâtre, quelles oeuvres peut-on citer qui ne soient bien inférieures à celles de Racine et de Molière? Mais si l'on prend comme criterium non plus leur valeur intrinsèque, mais le succès qu'elles obtinrent, il faut donner un souvenir à Thomas Corneille (Ariane [1672], le Comte d'Essex [1678], Virginie [1683]); à Campistron (Acis et Galathée [1686], Tiridate [1690]); à Quinault (la Mère Coquette [1665], Astrate [1663]) qui s'illustra surtout, comme collaborateur de Lully (1671-1686) dans l'opéra.
 

Point de novateur en philosophie. Malebranche ne fit que donner une couleur religieuse à la métaphysique de Descartes.
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Malebranche : les faux savants

« Les faux savants font manifestement paraître ce qu'ils sont dans les livres qu'ils composent et dans leurs conversations ordinaires. Comme c'est la vanité et le désir de paraître plus que les autres qui les engage dans l'étude, dès qu'ils se sentent en conversation, la passion et le désir de l'élévation se réveille en eux et les emporte. Ils montent tout d'un coup si haut que tout le monde les perd quasi de vue, et qu'ils ne savent souvent eux-mêmes où ils en sont; ils ont si peur de n'être pas au-dessus de tous ceux qui les écoutent qu'ils se fâchent même qu'on les suive, qu'ils s'effarouchent lorsqu'on leur demande quelque éclaircissement, et qu'ils prennent même un air de fierté à la moindre opposition qu'on leur fait. Enfin ils disent des choses si nouvelles et si extraordinaires, mais si éloignées du sens commun que les plus sages ont bien de la peine à s'empêcher de rire, lorsque les autres en demeurent tout étourdis.

Leur première fougue passée, si quelque esprit assez fort et assez ferme pour n'en avoir pas été renversé leur montre qu'ils se trompent, ils ne laissent pas de demeurer obstinément attachés à leurs erreurs. L'air de ceux qu'ils ont étourdis les étourdit eux-mêmes; la vue de tant d'approbateurs qu'ils ont convaincus par impression les convainc par contrecoup; ou si cette vue ne les convainc pas, elle leur enfle au moins assez le courage pour soutenir leurs faux sentiments. La vanité ne leur permet pas de rétracter leur parole. Ils cherchent toujours quelque raison pour se défendre; ils ne parlent même jamais avec plus de chaleur et d'empressement que lorsqu'ils n'ont rien à dire; ils s'imaginent qu'on les injurie et qu'on tâche de les rendre méprisables à chaque raison qu'on apporte contre eux; et, plus elles sont fortes et judicieuses, plus elles irritent leur aversion et leur orgueil.

Le meilleur moyen de défendre la vérité contre eux n'est pas de disputer, car enfin il vaut mieux pour eux et pour vous les laisser dans leurs erreurs que de s'attirer leur aversion. Il ne faut pas leur blesser le coeur lorsqu'on veut leur guérir l'esprit, puisque les plaies du coeur sont plus dangereuses que celles de l'esprit; outre qu'il arrive quelquefois qu'on a affaire à un homme qui est véritablement savant, et qu'on pourrait le mépriser faute de bien concevoir sa pensée : il faut donc prier ceux qui parlent d'une manière décisive de s'expliquer le plus distinctement qu'il leur est possible sans leur permettre de changer de sujet ni de se servir de termes obscurs et équivoques, et, si ce sont des personnes éclairées, on apprendra quelque chose avec eux; mais, si ce sont de faux savants, ils se confondront par leurs propres paroles, sans aller fort loin, et ils ne pourront s'en prendre qu'à eux-mêmes; on en recevra peut-être quelque instruction, et même quelque divertissement, s'il est permis de se divertir de la faiblesse des autres en tâchant d'y remédier; mais, ce qui est le plus considérable, c'est qu'on empêchera par là que les faibles qui les écoutaient avec admiration ne se soumettent à l'erreur en suivant leurs décisions.

Car il faut bien remarquer que le nombre des sots ou de ceux qui se laissent conduire machinalement et par l'impression sensible étant infiniment plus grand que de ceux qui ont quelque ouverture d'esprit et qui ne se persuadent que par raison, quand un de ces savants parle et décide de quelque chose, il y a toujours beaucoup plus de personnes qui le croient sur sa parole que d'autres qui s'en défient. Mais, parce que ces faux savants s'éloignent le plus qu'ils peuvent des pensées communes, tant par le désir de trouver quelque opposant qu'ils maltraitent pour s'élever et pour paraître que par renversement d'esprit et par contradiction leurs décisions sont ordinairement fausses et obscures, et il est assez rare qu'on les écoute sans tomber dans quelque erreur. »
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(Malebranche).

L'affranchissement (1685-1715)

Les faits sociaux. 
Les revers de la France dans la dernière partie du règne de Louis XIV contribuèrent à rompre l'unité (ou l'uniformité) observée jusqu'ici. Des dans se forment à la cour. Tandis qu'autour de de Maintenon se groupent les fidèles dévoués à Louis XIV et à la religion, les libertins fondent leur espoir sûr le Grand Dauphin et dans l'entourage du duc de Bourgogne on élabore des projets de réformes.

Les lettres.
Fénelon montre bien comment les esprits d'alors tiennent au passé et annoncent l'avenir. A la peinture des caractères succède la peinture des moeurs contemporaines, qu'on voit revivre dans les Caractères de La Bruyère, le Turcaret et le Gil Blas de Lesage, les Mémoires de Saint-Simon. La Querelle des Anciens et des Modernes ruine un des fondements de la doctrine classique l'autorité des Anciens. Il est visible que le goût de la philosophie et de la science remplace le sentiment de l'art qui disparaît. En même temps se désorganise la période du XVIIe siècle et se prépare la phrase coupée du XVIIIe.

Les arts et les sciences. 
On peut reconnaître aussi dans l'art les signes d'une prochaine transformation. La peinture de Mignard (1610-1695) marque le passage du grandiose au joli. Seules les sciences suivent une progression continue. Les grandes découvertes, la circulation du sang et l'attraction universelle, sont dues aux Anglais Harvey et Newton, alors qu'en France, le chauvinisme conduit à s'arrimer désspérément à la physique sans issue de Descartes. Toutefois les travaux de l'Observatoire, du botaniste Tournefort, et surtout de Denis Papin sur la vapeur, sont l'indice d'une activité scientifique encore féconde en France.

Le crépuscule du siècle.
Au début du XVIIe siècle, on a assisté à une évolution littéraire qui a abouti à la formation de l'esprit classique; à partir de 1675, on assiste à une nouvelle évolution, mais en sens inverse, en sorte que le commencement et la fin du XVIIe siècle se rejoignent.

« Si la représentation des Précieuses ridicules en 1659 marque une époque, la représentation de Phèdre en 1677 en marque une autre; l'insuccès de la tragédie de Racine est positivement la revanche du succès de la comédie de Molière; l'hôtel de Rambouillet renaît, pour ainsi dire, dans l'hôtel de Bouillon; marquis et précieuses qui cabalent maintenant pour Pradon, sont les mêmes qui jadis ont cabalé contre Molière; et bien loin que, comme on l'enseigne, la société du Grand Cyrus et de la Clélie tout entière ait achevé de succomber sous les coups de Boileau, l'auteur des Satires n'a pas eu plus tôt abandonné le champ que la voilà qui renaît plus brillante et ressaisit son empire, momentanément perdu. » (Brunetière).
Au fond, cette réaction n'a rien qui doive étonner. Les classiques sont des novateurs qui n'ont pas fait école : ils avaient heurté trop violemment le goût et les habitudes de leurs contemporains pour que ce goût et ces habitudes, après avoir cédé à l'impression forte de leur singularité, ne dussent point recouvrer fatalement toute la place qu'ils avaient occupée. 
« Au XVIIe siècle, ce n'est pas le génie qui fait école, c'est le talent, et si le génie n'a pas fait école, c'est parce qu'il prêchait, de conseil et d'exemple, une imitation de la nature trop fidèle et trop rigoureuse, en ce sens qu'une fois que le génie ne fut plus là pour la soutenir, elle devint promptement contradictoire aux habitudes et à la pente de la conversation et de la vie mondaines. » (Brunetière).
Louis XIV vieillissant marqua moins l'intérêt qu'il portait à la littérature, à celle surtout qu'il avait imposée; les coteries reparaissent et croissent à mesure que se relâche la discipline sévère qui les avait contenues. Voici les précieux Pellisson, l'écrivain trop élégant et trop orné; - Bouhours, le jésuite bel esprit que Ménage crayonne si bien; « le P. Bonhours était un petit régent de troisième, mais depuis sept ou huit ans, il s'est érigé en précieux en lisant Voiture, Sarrasin, Molière et Despréaux et en visitant les dames et les cavaliers »; - Mlle de Scudery, qui a presque hérité du salon de la marquise de Rambouillet et préside à des samedis où figure au milieu de femmes aimables (Mlle de La Vigne, une cartésienne, Mlle Dupré, nièce de S. Sorlin) l'auteur des Grands Jours d'Auvergne, Fléchier, qui a moins d'emphase peut-être mais tout autant de mauvais goût que Balzac; « il répandait sa rhétorique jusque dans les plus simples billets et les discours qu'il tenait dans son domestique étaient des enthymèmes, des chries et des apostrophes » (Huet); - Mme Deshoulières, qui a recueilli à son tour l'héritage des samedis de l'illustre précieuse, précieuse elle-même :
Reste de ces esprits, jadis si renommés
Que d'un coup de son art Molière a diffamés,
De tous leurs sentiments cette noble héritière
Maintient encore ici leur secte façonnière.
(Boileau).
Hôtesse aimable d'une illustre compagnie : Conrart, Perrault, les Tallemant, Mascaron, Quinault, Ménage, La Monnoye, le duc de Nevers, le duc de Vivonne, célèbre par des Idylles doucereuses et sentimentales dont une seule a survécu : celle des Moutons; elle a encore assez de malignité et d'esprit d'intrigue pour être l'âme de la détestable cabale qui soutint Pradon contre Racine. Mme de Lambert, qui dirige elle aussi « un bureau d'esprit » et disserte sur la Métaphysique de l'amour.

Voici les poètes dramatiques, encore en décadence sur les auteurs secondaires que nous avons rencontrés dans la période précédente : Pradon, avec sa trop fameuse Phèdre (1677), avec Régulus (1688), avec Scipion (1697), Duché, avec sa tragédie d'Absalon (1704), Lafosse avec ses tragédies de Polyxène (1686), de Manlius (1698), de Thésée (1700); Brueys et Palaprat avec la comédie du Frondeur (1691) et la résurrection de l'Avocat Pathelin (1706); le P. La Rue (ou Baron), avec l'Andrienne et l'Homme à bonnes fortunes; Boursault avec le Mercure galant (1683) et Esope à la cour (1701); Dufresny, Dancourt, avec le Chevalier à la mode (1687), les Bourgeoises de qualité (1700), la Folle Enchère (1690); Crébillon le père avec Idoménée (1705), Atrée et Thyeste (1707), etc.; enfin Regnard, le meilleur dramaturge de la décadence, avec le Joueur (1696), le Distrait (1697) et le Légataire universel (1708).

Et de même la chaire est en pleine décadence avec Massillon, orateur pur, correct, enchanteur, moraliste plutôt qu'apôtre.

Avec lui « l'éloquence de la chaire entre dans une phase nouvelle; sans cesser d'être religieuse, elle devient philosophique. Nous sommes déjà bien loin des sermons où Bossuet faisait parler dans toute leur majesté puissante l'Ecriture sainte et les Pères de l'Eglise. » (Demogeot).
Nous touchons en effet au seuil du XVIIIe siècle.

Voici les indépendants : Ch. Perrault qui débute dans le grotesque par une parodie du VIe livre de l'Enéide et par les Murs de Troie ou l'Origine du burlesque et qui finit par ces charmants Contes de ma mère l'oye (1697) qui ont eu sur l'histoire du folklore une si grande influence (Conte). Entre temps, il a déchaîné par son Siècle de Louis le Grand (1687) la fameuse querelle des anciens et des modernes où il prit une part importante en n'écrivant pas moins de quatre volumes pour établir méthodiquement le Parallèle des anciens et des modernes (1688-1698); - Fontenelle qui appartient au XVIIe et au XVIIIe siècle, par sa longue vie, et plutôt au XVIIIe par ses tendances philosophiques; partisan comme Perrault et comme La Motte des modernes, contre Racine et Boileau, ce qui est une nouvelle preuve de la réaction que nous avons signalée contre le dogmatisme des classiques; - Bayle, l'auteur du fameux Dictionnaire critique (1695-1697), le précurseur de l'Encyclopédie, l'apôtre de la tolérance religieuse, qui fait revivre en ses écrits le scepticisme du XVIe siècle, et chez qui l'on rencontre cette note antireligieuse qui va dominer chez Voltaire

« Les moines et les prêtres sont une gangrène qui ronge toujours et qui chasse du fond de l'âme toute sorte d'équité et d'honnêteté naturelle pour y introduire à la place la mauvaise foi et la cruauté. »
Voici enfin les libertins qui se sont groupés jadis dans le salon de Ninon de Lenclos, l'épicurienne, et qui forment aujourd'hui cortège à Philippe de Vendôme. Le prince mène au Temple, avec ses protégés, une vie de festins et de plaisirs, fort voisins de l'ivresse et de la turpitude. On ne se fait pas faute de l'imiter et cela se nomme « vivre à la Vendôme ». Les plus connus des libertins, héritiers de l'esprit aimable et de l'irréligion de Chapelle et de Desbarreaux, sont La Fare, auteur de vers légers où il chante les charmes du repos, les plaisirs de l'instinct satisfait (on l'avait surnommé M. de la Cochonnière); Chaulieu, que Sainte-Beuve caractérise ainsi : « Au sein de la joie et des plaisirs, il avait rimé et chansonné mille folies chères à sa société, mais aussi légères que l'occasion qui les faisait naître et dont toute la grâce est depuis longtemps évaporée »; Hesnault, Saint-Pavin, le chevalier de Mère, Saint-Réal.

En même temps que les attaques de tous ces ennemis s'enhardissent et se précisent, les forces de résistance diminuent et s'effacent. Port-Royal, par ses exemples, ses enseignements, l'influence latente de sa morale pure, étroite à la vérité, mais exigeante, avait fait la grandeur du siècle de Louis XIV. Le Jansénisme avait formé aux oeuvres littéraires comme une ossature puissante qui avait résisté sans faiblir à tous les chocs. En 1715, la destruction du jansénisme est consommée. Aussitôt l'idée féconde à la fois et subversive du progrès qu'il avait tenue en échec, prend, tout d'un coup, une force invincible jusqu'à briser à jamais les moules réguliers et harmonieux où ont coulé les oeuvres classiques. La division du Catholicisme (persécution du Protestantisme, persécution du Jansénisme, persécution du Quiétisme), surtout cette lutte violente entre des personnalités aussi considérables que Bossuet et Fénelon, était bien faite pour encourager les débordements du libertinage, car elle lui prêtait, contre le Catholicisme même, les meilleurs arguments.

Etat de la littérature française en 1715.
Aussi, à l'aurore du XVIIIe siècle, trois noms : La Bruyère, Fénelon, Saint-Simon, attirent forcément l'attention, car ce sont les noms des écrivains qui ont le plus contribué à la destruction de l'idéal politique, moral et littéraire du siècle précédent, et dont l'oeuvre explique le mieux la formation de l'esprit nouveau.

Les Caractères de La Bruyère ont porté le premier coup à l'aristocratie du règne de Louis XIV dont il peignit si cruellement les prétentions et les ridicules. On dévora son livre « pour se nourrir, dit un contemporain, du triste plaisir que donne la satire personnelle ». Ecrivain-artiste, il témoigne à chaque page le désir de rajeunir la langue. D'Olivet remarque déjà que « son livre est plein de tours admirables et d'expressions heureuses qui n'étaient pas dans notre langue auparavant ». Mais il y a plus. On sait que les Caractères, de l'aveu même de l'auteur, se composent de quinze chapitres de préparation et d'un seul chapitre de fonds, le seizième « où l'athéisme est attaqué et peut être confondu, où la providence de Dieu est défendue contre l'insulte et les plaintes des libertins ». Cette étrange disproportion entre le sujet principal et l'accessoire est de fait assez irrévérencieuse. Elle s'explique si l'on réfléchit attentivement aux termes de cette plainte célèbre de La Bruyère : 

« Un homme né chrétien et Français se trouve contraint dans la satire; les grands sujets lui sont défendus. Il les entame quelquefois, et se détourne ensuite sur de petites choses qu'il relève par la beauté de son génie et de son style. » 
Il y a là des aspirations très marquées à l'indépendance totale de la pensée, qui se trouve à l'étroit entre la religion et la monarchie.

Ces aspirations n'apparaissent pas sans doute dans l'oeuvre de Fénelon, mais rien ne favorisa plus leur éclosion que le rôle qu'il joua, que l'attitude qu'il prit en politique et en religion. Demeuré, même en exil, le conseiller influent du duc de Bourgogne, il rêva une orientation nouvelle du gouvernement et traça un plan de réformes libérales qu'on essaya de réaliser en partie au XVIIIe siècle, où l'on se souvint de ses critiques véhémentes contre le despotisme. En essayant de substituer le quiétisme, c.-à-d. la dévotion sentimentale et mystique à la croyance janséniste compatible avec la raison, il « a soulevé contre la religion tous ceux qui voudront se réserver contre ses empiétements une part de liberté [...]. il l'a exposée non seulement aux attaques de la philosophie, mais aux railleries même des mondains et tôt ou tard aux lourdes dérisions du vulgaire. Il lui a donné la forme qu'il fallait pour qu'elle irritât le bon sens » (Brunetière).

Il était réservé à Saint-Simon, le champion le plus intransigeant de la monarchie absolue, d'en tracer la plus amère satire. Il a vécu jusqu'au milieu du XVIIIe siècle il a assisté aux funérailles du grand règne, au relâchement de la Régence, au mouvement nouveau des esprits qu'il ne comprend pas et qu'il déplore; il semble pressentir la fin de la royauté que ses Mémoires eussent sans doute hâtée par leur influence corrosive et dissolvante, s'ils avaient vu plus tôt le jour. Fanatique partisan de l'ancien ordre de choses, dont il a pourtant dévoilé impitoyablement tous les vices et toutes les petitesses, il ne défend la religion que parce qu'elle fait partie intégrante du régime monarchique. Les prélats ne lui inspirent aucun respect; les évêques qui n'appartiennent pas à l'aristocratie ne sont à ses yeux que des « cuistres violets ». A ce double point de vue, les Mémoires de Saint-Simon, bien qu'ils n'aient commencé à paraître qu'en 1788 et qu'on n'en ait eu une édition complète qu'en 1829, doivent être signalés ici comme une des oeuvres les plus caractéristiques et les plus suggestives de la fin du XVIIe siècle. (R. S.).

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