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François VI, prince
de Marcillac, duc de La Rochefoucauld est un intrigant professionnel,
écrivain et moraliste né à Paris le 15 décembre
1613, mort à Paris le 17 mars 1680. Fils de François V de La Rochefoucauld
(qui se rangea parmi les Catholiques avoir suivi les protestants), il porta
jusqu'à la mort de celui-ci le nom de prince de Marcillac. Son éducation
fut très incomplète son père, impatient de profiter de la faveur du
roi qui venait de le créer duc et pair, fit entrer son fils au service
militaire dès son jeune âge : à seize ans, le prince de Marcillac était
mestre de camp du régiment d'Auvergne.
Mais François V, compromis avec Gaston d'Orléans,
se fit exiler à Blois, où son fils partagea
sa disgrâce pour avoir mal parlé du cardinal de Richelieu,
et s'être lié avec Mlles d'Hautefort et de Chamerault, amies de la reine.
Marcillac épousa à Blois Mlle de Vivonne, qui eut une vie fort obscure
auprès de lui, et lui donna cinq fils et trois filles; en 1637, il se
lia avec la duchesse de Chevreuse reléguée
à Tours on elle intriguait avec la cour d'Espagne.
Le prince de Marcillac se mêla activement
à toutes les intrigues de l'époque contre Richelieu : revenu à Paris,
il servit la reine suspecte d'intelligences avec l'Espagne, et s'entendit
avec elle pour l'enlever ainsi que Mlle d'Hautefort dont le roi était
amoureux; mais l'enlèvement n'eut pas lieu, la reine reprit de l'influence,
et Mlle de Chevreuse s'enfuit en Espagne, et Marcillac fut mis huit jours
à la Bastille, pais exilé dans sa
terre de Verteuil où il resta dans une inaction qui lui coûtait, pour
obéir aux ordres de la reine; il y intriguait d'ailleurs toujours contre
le cardinal, prenant part aux projets de Cinq-Mars et de
Thou; d'autre part, il faisait un petit commerce de vins avec l'Angleterre
d'où il tirait en échange des chevaux et des chiens.
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L'amour de
soi
« L'amour-propre
est l'amour de soi-même et de toutes choses pour soi. Il rend les hommes
idolâtres d'eux-mêmes, et les rendrait les tyrans des autres si la fortune
leur en donnait les moyens...
Il n'est rien de
si impétueux que ses désirs, rien de si caché que ses desseins, rien
de si habile que sa conduite. Ses souplesses ne se peuvent représenter,
ses transformations passent celles des métamorphoses, et ses raffinements
ceux de la chimie.
Il est dans tous
les états de la vie et dans toutes les conditions. Il vit partout, il
vit de tout, il vit de rien. Il s'accommode des choses et de leur privation;
il passe même dans le parti des gens qui lui font la guerre, il entre
dans leurs desseins, et, ce qui est admirable, il se hait lui-même avec
eux; il conjure sa perte; il travaille même à sa ruine; enfin, il ne
se soucie que d'être, et, pourvu qu'il soit, il veut bien être son ennemi.
Il ne faut donc pas
s'étonner s'il se joint quelquefois à la plus rude austérité, et s'il
entre hardiment en société avec elle pour se détruire; parce que, dans
le même temps qu'il se ruine dans un endroit, il se rétablit dans un
autre. Quand on pense qu'il quitte son plaisir, il ne fait que le suspendre
ou le changer, et, lors même qu'il est vaincu et qu'on croit en être
défait, on le trouve qui triomphe dans sa propre défaite.
Voilà la peinture
de l'amour-propre, dont toute la vie n'est qu'une grande et longue agitation.
La mer en est une image sensible, et l'amour-propre trouve dans le flux
et le reflux de ses vagues une expression de la succession turbulente de
ses pensées et de ses éternels mouvements. »
L'amour de soi,
fin de toutes les actions humaines
« Les vertus se
perdent dans l'intérêt, comme les fleuves se perdent dans la mer.
Ce que nous prenons
pour des vertus n'est souvent qu'un assemblage de diverses actions et de
divers intérêts que la fortune ou notre industrie savent arranger; et
ce n'est pas toujours par valeur et par chasteté que les hommes sont vaillants
et que les femmes sont chastes.
Ces grandes et éclatantes
actions qui éblouissent les yeux sont représentées par les politiques
comme les effets des grands desseins, au lieu que ce sont d'ordinaire les
effets de l'humeur et des passions. Ainsi la guerre d'Auguste et d'Antoine,
qu'on rapporte à l'ambition qu'ils avaient de se rendre maîtres du monde,
n'était peut-être qu'un effet de jalousie.
Les passions sont
les seuls orateurs qui persuadent toujours. Elles sont comme un art de
la nature dont les règles sont infaillibles; et l'homme le plus simple
qui a de la passion persuade mieux que le plus éloquent qui n'en a point.
Les passions ont
une injustice et un propre intérêt, qui fait qu'il est dangereux de les
suivre, et qu'on s'en doit défier lors mêmes qu'elles paraissent le plus
raisonnables.
Il y a dans le coeur
humain une génération perpétuelle de passions, en sorte que la ruine
de l'une est presque toujours l'établissement d'une autre.
Quelque soin que
l'on prenne de couvrir ses passions par des apparences de piété et d'honneur,
elles paraissent toujours au travers de ces voiles.
On peut dire de toutes
nos vertus ce qu'un poète italien a dit de l'honnêteté des femmes, que
ce n'est pas souvent autre chose qu'un art de paraître honnête.
L'intérêt parle
toutes sortes de langues, et joue toutes sortes de personnages, même celui
de désintéressé.
L'intérêt, qui
aveugle les uns, fait la lumière des autres.
Si nous n'avions
point d'orgueil, nous ne nous plaindrions pas de celui des autres. »
L'orgueil
« L'orgueil est
égal dans tous les hommes, et il n'y a de différence qu'aux moyens et
à la manière de le mettre au jour.
Il semble que la
nature, qui a si sagement disposé les organes de notre corps pour nous
rendre heureux, nous ait aussi donné l'orgueil pour nous épargner la
douleur de connaître nos imperfections.
L'orgueil a plus
de part que la bonté aux remontrances que nous faisons à ceux qui commettent
des fautes; et nous ne les reprenons pas tant pour les en corriger que
pour leur persuader que nous en sommes exempts.
La générosité
est un industrieux emploi du désintéressement pour aller plus tôt Ã
un plus grand intérêt.
La magnanimité est
un noble effort de l'orgueil, par lequel il rend l'homme maître de lui-même,
pour le rendre maître de toutes choses.
L'humilité n'est
souvent qu'une feinte soumission que nous employons pour soumettre effectivement
tout le monde. C'est un mouvement de l'orgueil, par lequel il s'abaisse
devant les hommes pour s'élever sur eux. C'est un déguisement et son
premier stratagème; mais, quoique ces changements soient presque infinis
et qu'il soit admirable sous toutes sortes de figures, il faut avouer néanmoins
qu'il n'est jamais si rare ni si extraordinaire que lorsqu'il se cache
sous la forme et sous l'habit de l'humilité : car alors on le voit les
yeux baissés, dans une contenance modeste et reposée; toutes ses paroles
sont douces et respectueuses, pleines d'estime pour les autres et de dédain
pour lui-même. Si on veut l'en croire, il est indigne de tous les honneurs,
il n'est capable d'aucun emploi; il ne reçoit les charges que comme
un effet de la bonté des hommes et de la faveur aveugle de la fortune.
C'est l'orgueil qui joue tous ces personnages que l'on prend pour l'humilité.
Dans toutes les professions
et dans tous les arts, chacun se fait une mine et un extérieur qu'il met
en place de la seule chose dont il veut avoir le mérite; de sorte que
tout le monde n'est composé que de mines; et c'est inutilement que nous
travaillons à y trouver rien de réel.
L'orgueil, comme
lassé de ses artifices et de ses différentes métamorphoses, après avoir
joué tout seul tous les personnages de la comédie humaine, se montre
avec un visage naturel, et se découvre par sa fierté; de sorte qu'Ã
proprement parler, la fierté est l'éclat et la déclaration de l'orgueil.
»
(La
Rochefoucauld, Maximes).
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A la mort de Richelieu
(décembre 1642), il revint à la cour; le roi mourut (mai 1643), et la
reine devint régente avec Mazarin comme ministre;
mais elle ne récompensa pas le long dévouement de Marcillac, qui, dans
sa colère, se rapprocha des importants, conduits par le duc de Beaufort
et Mme de Chevreuse, aussi mal récompensés que lui; mais Beaufort fut
arrêté et Mme de Chevreuse éloignée. Disgracié et mécontent de l'ingratitude
de Mme de Chevreuse, le prince de Marcillac fit la cour à la duchesse
de Longueville (1646), soeur du duc d'Enghien; il a raconté le cynisme
avec lequel il se fit céder la duchesse par son ami Miossens qui la courtisait
alors. Il suivit alors à l'armée le duc d'Enghien, et fut blessé d'un
coup de feu au siège de Mardick. La Fronde
se prépara pendant sa longue convalescence, qu'il passa dans le gouvernement
de Poitou qu'il avait, acheté; il accourut
et fut un des chefs de la guerre civile, terminée, après le blocus de
Paris par Condé, par la paix du 11 mars 1649.
Dans les intrigues compliquées qui suivirent,
il aurait pu avoir une grande influence en raison de son pouvoir sur la
duchesse de Longueville, s'il n'avait manqué autant d'esprit de suite.
Condé, Conti, Longueville
furent arrêtés en janvier 1650, et Marcillac s'enfuit avec la duchesse
de Longueville en Normandie, puis rejoignit le duc de Bouillon
pour prendre Bordeaux (31 mai 1650). Après
la mort de son père en février 1650, il avait prit le titre de duc de
La Rochefoucauld. Bordeaux fut repris par Mazarin, et La Rochefoucauld
revenu à Paris continua à fomenter des troubles; il tenta de faire assassiner
le cardinal de Retz dans la grande salle du Parlement
(21 août 1651), mais dut quitter Paris avec Condé; à la même époque,
Mme de Longueville se lassa de sa liaison avec La Rochefoucault, qui durait
depuis cinq ans, et se donna au duc de Nemours La Rochefoucauld fut aise
d'être quitté, mais en sentit en même temps l'amertume, et aida Mme
de Châtillon à reprendre le coeur de Nemours et à éloigner le prince
de Condé de Mme de Longueville. Cependant la guerre civile était toujours
aussi active, et les deux partis se rencontrèrent aux portes de Paris,
dans le faubourg Saint-Antoine (1er juillet
1652). La Rochefoucauld fut blessé au visage d'un coup de feu qui faillit
lui faire perdre la vue; il resta longtemps malade, et retrouva, quand
il rentra sur la scène, le roi à Paris, Condé passé aux Espagnols et
les chefs de la Fronde amnistiés.
-
La bonté.
- La justice. - L'amour
« Il semble que
l'amour-propre soit la dupe de la bonté, et qu'et s'oublie lui-même lorsque
nous travaillons pour l'avantage des autres. Cependant c'est prendre le
chemin le plus assuré pour arriver à ses fins; c'est prêter à usure,
sous prétexte de donner; c'est enfin s'acquérir tout le monde par un
moyen subtil et délicat.
Nul ne mérite d'être
loué de sa bonté, s'il n'a pas la force d'être méchant : toute autre
bonté n'est le plus souvent que paresse ou impuissance de la volonté.
Il s'en faut bien
que nous connaissions toutes nos volontés.
Rien n'est impossible
: il y a des voies qui conduisent à toutes choses; et si nous avions assez
de volonté, nous aurions toujours assez de moyens.
La sobriété est
l'amour de la santé, ou l'impuissance de manger beaucoup.
La modestie, qui
semble refuser les louanges, n'est en effet qu'un désir d'en avoir de
plus délicates.
On ne blâme le vice
et on ne loue la vertu que par intérêt.
La gravité est
un mystère du corps inventé pour cacher les défauts de l'esprit.
Le plaisir de l'amour
est d'aimer, et l'on est plus heureux par la passion que l'on a que par
celle que l'on donne.
L'éducation que
l'on donne d'ordinaire aux jeunes gens est un second amour-propre qu'on
leur inspire.
Ce qu'on nomme libéralité
n'est le plus souvent que la vanité de donner, que nous aimons mieux que
ce que nous donnons.
La pitié est souvent
un sentiment de nos propres maux dans les maux d'autrui. C'est une habile
prévoyance des malheurs où nous pouvons tomber. Nous donnons du secours
aux autres pour les engager à nous en donner en de semblables occasions,
et ces services que nous leur rendons sont, Ã proprement parler, un bien
que nous nous faisons à nous-mêmes par avance.
La promptitude Ã
croire le mal, sans l'avoir assez examiné, est un effet de l'orgueil et
de la paresse. Ou veut trouver des coupables, et l'on ne veut pas se donner
la peine d'examiner les crimes.
Il n'y a guère d'homme
assez habile pour connaître tout le mal qu'il fait.
Le bon naturel, qui
se vante d'être si sensible, est souvent étouffé par le moindre intérêt.
L'absence diminua
les médiocres passions, et augmente les grandes, comme le vent éteint
les bougies et allume le feu.
Il y a des faussetés
déguisées qui représentent si bien la vérité, que ce serait mal juger
que de ne s'y pas laisser tromper.
Il y a des méchants
qui seraient moins dangereux s'ils n'avaient aucune bonté.
Il est impossible
d'aimer une seconde fois ce qu'on a véritablement cessé d'aimer.
Il est difficile
d'aimer ceux que nous n'estimons point; mais il ne l'est pas moins d'aimer
ceux que nous estimons beaucoup plus que nous.
Les humeurs du corps
ont un cours ordinaire et réglé qui meut et tourne imperceptiblement
notre volonté : elles roulent ensemble et exercent successivement un empire
secret en nous; de sorte qu'elles ont une part considérable à toutes
nos actions, sans que nous le puissions connaître.
La reconnaissance
dans la plupart des hommes n'est qu'une forte et secrète envie de recevoir
de plus grands bienfaits.
La justice n'est
le plus souvent qu'une vive appréhension qu'on ne nous ôte ce qui nous
appartient. De là vient cette considération et ce respect pour tous les
intérêts du prochain, et cette scrupuleuse application à ne lui faire
aucun préjudice. Cette crainte retient l'homme dans les bornes des biens
que la naissance ou la fortune lui ont donnés; et sans cette crainte,
il ferait des courses continuelles sur les autres, On blâme l'injustice,
non par l'aversion que l'on a pour elle, mais pour le préjudice que l'on
en reçoit.
Nous ne louons d'ordinaire
de bon coeur que ceux qui nous admirent.
Les petits esprits
sont blessés des petites choses et ne remarquent point les grandes; les
grands esprits les voient toutes et n'en sont point blessés.
Nos actions sont
comme les bouts-rimés que chacun fait rapporter à ce qui lui plaît.
On ne devrait s'étonner
que de pouvoir encore s'étonner.
Ce qui nous rend
la vanité des autres insupportable, c'est qu'elle blase la nôtre.
Nous désirerions
peu de choses avec ardeur, si nous connaissions parfaitement ce que nous
désirons.
On est quelquefois
un sot avec de l'esprit; mais on ne l'est jamais avec du jugement.
Nous gagnerions plus
de nous laisser voir tels que nous sommes que d'essayer de paraître ce
que nous ne sommes pas.
Nos ennemis approchent
plus de la vérité dans les jugements qu'ils font de nous, que nous n'en
approchons nous-mêmes.
Rien n'est plus rare
que la véritable bonté : ceux mêmes qui croient en avoir n'ont d'ordinaire
que de la complaisance ou de la faiblesse. »
(La
Rochefoucauld, Maximes).
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La Rochefoucauld cessa dès lors sa vie
brouillonne d'intrigues de cour et parut avoir perdu toute ambition personnelle.
Jouissant de la faveur de Louis XIV qui traitait
avec affection sa famille, il se consacra à la réflexion, choyé par
la haute société dont son esprit mordant faisait les délices. Les passions
orageuses avaient fait place à des liaisons plus calmes avec la raisonnable
Mme de Sablé qu'il consultait très volontiers sur ses écrits, Mme de
Sévigné qui goûtait au plus haut point son
caractère et son mérite, et surtout Mme de La
Fayette, son intime amie, avec laquelle il entretint un délicat commerce
jusqu'à la fin de sa vie. Il composa d'abord ses mémoires, dont la copie
lui fut dérobée aussitôt et publiée à Cologne en 1662 : les
colères suscitées par cette publication le portèrent à la désavouer.
Ces mémoires contiennent une intéressante image du temps, mais ils ne
sont pas entièrement de lui; la meilleure édition est celle de Renouard,
parue en 1817, d'après le texte original.
L'oeuvre la plus célèbre de La Rochefoucauld,
à laquelle il, travaillait alors, parut sous le titre de Réflexions
ou sentences et Maximes morales, connue sous le simple titre de Maximes
: comme elles couraient en Hollande en manuscrit, La Rochefoucauld en publia
lui-même l'édition en 1665 (volume de 150 pages et un Avis au lecteur).
Ces Maximes ont contribué beaucoup, selon Voltaire,
à « former le goût français par leur mérite littéraire, l'élégance
et l'esprit de justesse, de précision du style ». La finesse et l'étendue
philosophique des observations morales qu'elles renferment eurent le plus
grand succès. Tout le livre repose sur cette seule idée que l'intérêt,
« l'amour-propre-», comme on disait alors,
est le mobile de toutes les actions humaines; les vertus ne sont que des
vices déguisés; malgré le caractère un peu exclusif et étroit de cette
philosophie, le livre des Maximes,
qui n'a pas la prétention d'être un système lié de morale
et de philosophie, est resté une des oeuvres classiques de la littérature
française. La Rochefoucauld, outre la première édition de 1665, a donné
lui-même quatre éditions successives des Maximes, dont la plus
complète est celle de 1678 qui en renferme 504. Aimé Martin les a publiées
de nouveau en 1822, puis Gilbert et Gourdault (1868-83, en 4 vol.) et Panly
en 1883, etc.
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Le mépris
de la mort
« Après avoir parlé
de la fausseté de tant de vertus apparentes, il est raisonnable de dire
quelque chose de la fausseté du mépris de la mort. J'entends parler de
ce mépris de la mort que les païens se vantent de tirer de leurs propres
forces, sans l'espérance d'une meilleure vie. Il y a de la différence
entre souffrir la mort constamment, et la mépriser. Le premier est assez
ordinaire, mais je crois que l'autre n'est jamais sincère... Il faut éviter
de l'envisager avec toutes ses circonstances, si on ne veut pas croire
qu'elle soit le plus grand de tous les maux. Les plus habiles et les plus
braves sont ceux qui prennent de plus honnêtes prétextes pour s'empêcher
de la considérer : mais tout homme qui la sait voir telle qu'elle est
trouve que c'est une chose épouvantable. »
(La
Rochefoucauld, Maximes).
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La Rochefoucauld a calomnié son caractère;
peut-être fut-ce la douce influence de Mme de La
Fayette qui le ramena à des pensées moins amères à la fin de sa
vie : ce moraliste chagrin, cet intrigant brouillon et sans scrupules du
temps des deux Frondes était alors dans le privé un homme aimable et
sensible, malgré ses dures sentences; il aimait sa famille avec un coeur
admirable; en 1672, il subit de cruelles épreuves : son fils aîné fut
grièvement blessé au passage du Rhin, et un autre de ses fils, chevalier
de Malte ,
fut tué. Mais Mme de Sévigné nous apprend
qu'il ressentit encore une plus extrême douleur à la mort du jeune duc
de Longueville, né durant la première guerre de Paris, adoré de sa mère
: La Rochefoucauld, que l'on désignait, tout bas comme son père, ne revit
pas la duchesse, en cette triste épreuve, mais tous deux furent profondément
atteints. Le cardinal de Retz a fait un portrait à l'eau-forte de La Rochefoucauld,
où il marque bien les traits contradictoires de son caractère, sa réserve,
sa nature mobile, son inaptitude à l'action, son mépris des petits intérêts
et son incapacité à en poursuivre de grands. (Ph. B.).
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Georges
Minois, La Rochefoucauld, Tallandier, 2007. - Prince
de Marcillac jusqu'à la mort de son père en 1650, François VI, duc de
La Rochefoucauld (1613-1680), a attaché son nom presque exclusivement
au recueil de Maximes publié anonymement pour la première fois
en 1664. Ce très grand seigneur s'est pourtant signalé par bien d'autres
faits. Faits d'armes d'abord, puisqu'il sert le roi Louis
XIII dans le Piémont dès 1629, et deviendra sinon un fin tacticien,
du moins un vaillant guerrier, qui s'illustre en Flandre
contre les Espagnols en 1646. Faits politiques
ensuite, puisque sous la minorité de Louis XIV
il prend une part active à la Fronde au côté de son ami et patron le
prince de Condé, et dans l'étroite proximité
de la duchesse de Longueville, qui fut sa tendre amie, peut-être son seul
amour. En 1652, lors du fameux combat du faubourg Saint-Antoine si bien
raconté par Alexandre Dumas, il perd un oeil.
Réconcilié avec Mazarin, puis avec le jeune
Louis XIV dont son fils devient favori, il se retire des affaires, séjournant
alternativement sur ses terres poitevines
et à Paris. Il dicte alors ses Mémoires,
brefs et précis, puis se découvre un talent pour ciseler, à l'antique,
des aphorismes
percutants, voire cyniques, qui formeront le recueil des Maximes.
C'est qu'il fréquente assidûment les salons précieux, où jansénistes,
libertins et femmes d'esprit se rencontrent. Mme de Sablé, Mme
de Sévigné, surtout Mme de La Fayette,
deviennent de très proches amies. Fort de son expérience des hommes et
des choses, observateur implacable des pensées et des comportements, s'entourant
de conseils et de lecteurs avertis, le désormais vieux duc, perclus de
rhumatismes, élabore ainsi, presque malgré lui, une oeuvre qui l'installe
parmi les plus grands moralistes et écrivains de l'histoire. (couv.). |
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