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Polyeucte, de Corneille

Polyeucte est une tragédie de Corneille, dédiée à la reine régente Anne d'Autriche, veuve de Louis XIII. Des mystères à l'Athalie de Racine court une tradition ininterrompue; et Polyeucte, tragédie chrétienne bâtie sur une légende de quelques lignes (que rapporte Surius), n'a été que le lendemain heureux d'un Saül (du Ryer) et d'un Saint-Eustache (Desfontaines). 
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Polyeucte, de Corneille.
Frontispice de Polyeucte. (Éd. orig). Polyeucte et Néarque brisent à coups de marteau les idoles juliennes, au grand effroi des prêtres et serviteurs du temple. Polyeucte porte le costume à l'espagnole que l'acteur devait avoir à ta représentation (pourpoint haut-de-chausses à crevés, toque à plumes, etc.)..

Polyeucte soulève plusieurs problèmes, à commencer par celui de savoir s'il parut sur la scène en 1640 ou en 1643. 

« C'est à la fin de 1640, a écrit Marty-Laveaux, dans son excellente édition des Oeuvres de Corneille, que l'on a représenté Polyeucte », et il ajoutait : « Jamais aucun doute ne s'est élevé à ce sujet. » 
Cependant, c'est lui-même qui, depuis, a dû reconnaître que cette date était au moins douteuse, et qu'il se pourrait que Polyeucte n'eût été joué pour la première fois qu'en 1643. Il ne reste plus, en ce cas, à lever qu'une difficulté. Si Polyeucte ne date que de 1643, il faut donc que, de 1643 à 1645, Corneille ait donné Polyeucte, Pompée, le Menteur, la Suite du Menteur, Rodogune et Théodore : trente actes en moins de trois ans, ce qui est beaucoup d'abord, et six pièces que l'on ne sait trop sur quelles scènes il aurait pu faire jouer, n'y ayant alors que deux théâtres à Paris, l'hôtel de Bourgogne et le théâtre du Marais, lesquels n'ouvraient chacun que trois fois la semaine. Pour diverses raisons, dans le détail desquelles il serait un peu long et un peu fastidieux d'entrer, nous proposerions de dater Polyeucte de 1642, Pompée et le Menteur de 1643; Théodore et la Suite du Menteur de 1645, et enfin Rodogune de 1646.

Nous y verrions un avantage, en ce qui touche Polyeucte, qui serait, puisqu'on l'a voulu, de pouvoir le mêler aux querelles de la grâce, et Corneille lui-même, par une de ses oeuvres, à l'histoire du jansénisme. N'est-ce pas peut-être Sainte-Beuve qui s'en est avisé le premier, dans son Port-Royal? et il est certain qu'en parlant de Dieu, Corneille a écrit :

Il est toujours tout juste et tout bon, mais sa grâce
Ne descend pas toujours avec même efficace,
ce qui d'ailleurs est conforme à la tradition catholique. Or, dater ces vers de 1640, comme on le faisait autrefois, c'était les donner comme antérieurs à la publication même de l'Augustinus de Jansénius, le livre qui déchaîna la tempête, et qui ne parut lui-même qu'en 1641. Mais les dater de 1643, ce serait les faire postérieurs à l'apparition du gros livre d'Arnauld sur la Fréquente Communion, et transformer ainsi le poète en partisan déclaré d'une doctrine qui n'a jamais été la sienne. Fidèle à sa méthode, et toujours habile à saisir « l'actualité », Corneille a tout simplement choisi, pour parler en beaux vers de la matière de la grâce, le temps qu'il en entendait parler par tout le monde autour de lui.

On a dit encore qu'en traitant dans Polyeucte un sujet « chrétien », Corneille aurait renoué la tradition des anciens mystères, et on rappelle à ce propos l'étonnement qu'en conçut l'hôtel de Rambouillet quand il y lut sa pièce pour la première fois. 

« Voiture, dit Fontenelle, vint trouver Corneille, et prit des tours fort délicats pour lui dire que Polyeucte n'avait pas réussi comme il pensait, que surtout le christianisme avait infiniment déplu. » 
L'anecdote est-elle bien authentique? Mais ce qu'on peut toujours dire, c'est qu'entre Polyeucte et les anciens mystères il n'y a rien de commun, si ce n'est le christianisme; et que pour former l'idée de le mettre au théâtre, Corneille n'avait pas besoin de s'autoriser des anciens mystères, que d'ailleurs il ne connaissait pas, dont peut-être même n'avait-il jamais entendu parler. Il lui suffisait des exemples de ses prédécesseurs, parmi lesquels il y en avait plus d'un, - depuis Garnier dans ses Juives jusqu'à Baro dans son Saint-Eustache, - qui s'était inspiré de la Bible ou des Actes des Martyrs; et, à défaut de ses prédécesseurs, c'eût encore été assez des Espagnols, de Calderon, que l'on commençait à connaître en France, de Lope de Vega, de leurs autos sacramentales, et de la manière brillante dont ils y avaient concilié, comme dans Polyeucte, le roman et la religion. C'est aussi bien ce que fera Rotrou, quelques années plus tard, en 1645, dans son Saint-Genest, lequel sera bien moins imité du Polyeucte de Corneille que du Fingido Verdadero de Lope de Vega. La différence est que Corneille ne s'est inspiré d'aucun original espagnol pour écrire Polyeucte

Comme oeuvre tragique, cette pièce marque le plus haut point de perfection où soit parvenu Corneille; rien ne manque à l'oeuvre exposition simple, engageant l'action dès les premières scènes et traçant largement les principaux caractères; enchaînement régulier des scènes qui se déroulent à la fois solennelles et bien amenées; alliance du touchant et du sublime, recherche des ressorts dramatiques qui remuent les fibres les plus intimes, versification puissante et sévère descendant sans effort aux accents de la tendresse; tout concourt à faire de Polyeucte un des chefs-d'oeuvre du théâtre français.

Pour arriver à ces effets, le poète n'a pu traiter le sujet, qui est le martyre du personnage connu sous le nom de saint Polyeucte, qu'en se plaçant, en dehors de l'histoire. 

En réalité, Polyeucte n'était qu'un extrémiste religieux, et l'exploit qui lui valut d'être conduit au supplice est celui d'un fanatique. A l'occasion de victoires remportées par l'empereur Décius, des actions de grâces avaient été ordonnées dans les temples. Polyeucte, qui habitait Nicomédie et qui venait de recevoir le baptême, saisit cette occasion de manifester son zèle. Au moment où la foule remplissait le temple et rendait aux statues des dieux et à celle de l'empereur les honneurs accoutumés, ce néophyte, qui n'avait qu'à rester chez lui si ces adulations lui déplaisaient, se mêla au peuple et, approchant d'une des statues consacrées, la brisa à coups de marteau. Amené devant le gouverneur qui lui voulait du bien et prie doucement de désavouer l'acte insensé qu'il venait de commettre, il s'y refusa, confessa hautement qu'il était chrétien, qu'il en ferait encore autant si c'était à refaire et, condamné à mort, mourut avec courage.
Dans la tragédie, comme dans la légende des saints, les faits sont présentés d'une autre façon : ami de Néarque, qui l'a entraîné au baptême, Polyeucte a épousé Pauline, fille de Félix, proconsul romain, qui a l'ordre de l'empereur Décius de poursuivre les chrétiens. Polyeucte veut publiquement confesser sa foi; il déchire les édits de persécution, brise les; et, résistant aux larmes de sa femme Pauline, il perd la vie par ordre de Félix.
ACTE Ier. - Polyeucte, gendre du gouverneur d'Arménie, converti au christianisme par son ami Néarque, est sur le point de recevoir le baptême. Sa femme, Pauline, effrayée par un songe, apprend en outre l'arrivée de Sévère, chevalier romain qu'elle a aimé avant d'épouser Polyeucte et que son père a repoussé pour son manque de fortune. Il est maintenant le favori de l'empereur. Et le gouverneur Félix supplie sa fille de consentir à le recevoir.

ACTE Il. - Sévère, revoyant Pauline, lui promet de s'éloigner sans retour. Polyeucte entraêne Néarque au temple où il est appelé pour un sacrifice : mais il y court pour briser les idoles.

ACTE III. - Apprenant que Polyeucte a accompli son dessein, Félix ordonne sa mort, malgré les prières de Pauline, à moins qu'il ne veuille désavouer la foi des chrétiens.

ACTE IV. - Polyeucte fait ses adieux à Pauline en la conjurant de se convertir, puis déclare à Sévère qu'il la lui laisse. - Alors Pauline, dont l'admiration pour Polyeucte se change en véritable amour, refuse ce nouvel époux et le supplie même de sauver le rebelle : à quoi Sévère consent.

ACTE V. - Malgré l'intervention de Sévère, Félix reste inexorable, soupçonnant une ruse. De son côté Polyeucte résiste aux supplications de ce même Félix et de Pauline, et le gouverneur rend l'arrêt du supplice. Polyeucte mort, sa femme se convertit, puis Félix. Sévère promet la fin des persécutions.

La Harpe a écrit :
« On reproche au dénouement de Polyeucte la double conversion de Pauline et de Félix. La première ne me paraît pas répréhensible : c'est un miracle, il est vrai, mais il est conforme aux idées religieuses établies dans la pièce. La seconde est, en effet, vicieuse pour plusieurs raisons; d'abord, parce qu'un moyen aussi extraordinaire qu'un miracle peut passer une fois, mais ne doit pas être répété; ensuite, parce que l'intérêt du christianisme étant mêlé à celui de la tragédie, il est convenable qu'une femme aussi vertueuse que Pauline se fasse chrétienne, mais non pas que Dieu fasse un second miracle en faveur d'un homme aussi méprisable que Félix. »
Les scènes de Polyeucte les plus généralement admirées sont : dans l'acte ler, le récit du songe de Pauline; dans l'acte II, la scène Il, entre Sévère et Pauline; dans l'acte Ill, la scène III, entre Polyeucte et Félix; dans l'acte IV, la scène II, entre Pauline et Polyeucte, et la scène V, où, comme nous l'avons dit, Pauline repousse les dernières espérances de Sévère et lui demande d'intercéder en faveur de Polyeucte; enfin, dans le dernier acte, la scène III, où Polyeucte fait sa profession de foi chrétienne :
PAULINE.
Où le conduisez-vous?

FELIX.
A la mort!

POLYEUCTE.
A la gloire!

Un grand nombre de vers de cette tragédie sont devenus des proverbes; celui qui est le plus souvent cité se trouve à la scene V du dernier acte :
Je vois, je sais, je crois, je suis désabusée.
La grande tragédienne Rachel lui donnait un accent de ferveur incomparable. Voici le passage où il se trouve enchâssé :
Mon époux en mourant m'a laissé ses lumières,
Son sang dont tes bourreaux viennent de me couvrir
M'a dessillé les yeux et me les vient d'ouvrir.
Je vois, je sais, je crois, je suis désabusée,
De ce bienheureux sang tu me vois baptisée,
Je suis chrétienne enfin, n'est-ce point assez dit?
Ce vers, dans l'application, sert à exprimer que l'esprit est envahi soudainement par les clartés d'une lumière nouvelle : « On prêchait, j'ai écouté le sermon; si le sermon m'eût touché, je disais comme Polyeucte (lisez Pauline) : « Je vois! Je crois! » Miais le sermon manquait de conviction, de feu, d'éloquence et de charité. »

Autres vers de Polyeucte fréquemment cités :

Dieu ne veut point d'un coeur où le monde domine. (I. I).
 A raconter ses maux souvent on les soulage. (I, III).

Elle a trop de vertus pour n'être pas chrétienne. (IV, III).

Je vous aime
Beaucoup moins que mon Dieu, mais bien plus que moi-même. ((IV, III).

Je n'adore qu'un Dieu, maître de l'univers. (V, III).

Où le conduisez-vous? - A la mort. - A la gloire... (V, III).

(J. Janin / H. Clouard).
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