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Déjà
sous François Ier
et Henri Il la vie mondaine s'était organisée
très brillante. Les Guerres de religion
l'avaient interrompue. A la cour de Henri IV
on parlait tous les patois, et l'exemple du roi autorisait toutes les licences.
Mais la paix et la prospérité revenues devaient rendre plus
choquantes ces manières soldatesques. Dès 1608, la marquise
de Rambouillet, donnant l'exemple, se retira dans son hôtel et
y reçut ses amis. On l'imita et de ce jour, il y eut un «
monde » soucieux de fuir toutes les formes de vulgarité.
Les salons
Dans la première moitié du XVIIe
siècle, avant que Louis XIV ait groupé
autour de lui à la cour toute l'aristocratie
de la nation, c'est chez des particuliers que ce « monde »
tient ses réunions.
L'Hôtel
de Rambouillet.
Pendant une cinquantaine d'années
(1610 environ - 1660 environ), le rendez-vous le plus brillant fut
l'Hôtel de Rambouillet,
rue Saint-Thomas-du-Louvre,
jusqu'au jour où la marquise, après le mariage de sa fille
(1645), la mort de Voiture, boute-en-train des
réceptions (1648), celle du marquis et d'un de ses fils (1653-1654),
se décida à se retirer dans la solitude.
Les
habitués.
Catherine de Vivonne marquise de Rambouillet,
fille d'un ambassadeur de France à Rome,
préside avec un charme incomparable son salon sous le nom d'Arthénice
(anagramme de Catherine), que lui a donné Malherbe.
Elle a autour d'elle ses deux filles, Angélique, et Julie d'Angennes,
la plus célèbre, future Mme de Montausier;
Mlle Paulet que sa chevelure ardente a fait surnommer la lionne et dont
on aime entendre la voix superbe; Mlle de Coligny; Mlle de Bourbon qui
sera duchesse de Longueville; la marquise
de Sablé; Mlle de Scudéry; sur la fin, Mme
de Sévigné et Mme de La Fayette.
« L'âme du rond » (= cercle, société)
c'est l'ingénieux Voiture. Il évolue avec aisance au milieu
des grands seigneurs tels que Richelieu, encore
évêque de Luçon, Condé,
le prince de Marcillac, le duc de Montausier, et il conduit le choeur des
poètes, Malherbe et son disciple Racan,
Gombauld, Sarrazin,
Godeau, qu'on appelle, à cause de sa petitesse,
le nain de Julie, Benserade, Chapelain,
Mairet, etc. Quelquefois Corneille, Rotrou,
Scarron, Balzac
l'ont une apparition.
Caractère
des réunions.
Les contemporains sont unanimes à
reconnaître la délicatesse et le bon goût qui régnaient
à l'Hôtel :
Souvenez-vous
de ces cabinets que l'on regarde encore avec tant de vénération,
où l'esprit se purifiait, où la vertu était vénérée
sous le nom de l'incomparable Arthénice, où se rendaient
tant de personnes de qualité et de mérite qui composaient
une cour choisie, nombreuse sans confusion, modeste sans contrainte, savante
sans orgueil, polie sans affectation. (Fléchier, Oraison funèbre
de Mme de Montausier).
Le Salon de Mlle
de Scudéry.
La Fronde
dispersa les habitués de l'Hôtel de Rambouillet, et, quand
ils auraient pu s'y retrouver, la marquise dut cesser ses réceptions.
Mlle de Scudéry lui succéda.
Les
amis de « l'illustre Sapho ».
C'est vers 1650, que « l'illustre
Sapho » se mit à recevoir à son tour rue
de Beauce, dans le quartier du Marais. Mais, à part Montausier
et Mme de Sablé qui viennent quelquefois, elle n'a pas comme la
marquise la visite de grands seigneurs. Chez elle les bourgeoises dominent,
Mlle Bocquet, Mme Aragonnais, Mlle Bobineau, Mme Cormiel, avec les gens
de lettres, Chapelain, Sarrazin, le savant Ménage, Conrart,
Pellisson surtout, l'ami intime de la maison.
Caractère
des réunions.
Sapho s'est défendue de toute pédanterie
:
Je veux
bien qu'on puisse dire d'une personne de mon sexe [...] qu'elle a l'esprit
fort éclairé [...] mais je ne veux pas qu'on puisse dire
d'elle : C'est une femme savante. (Le Grand Cyrus,
dernière partie, ch. I).
Pourtant la conversation chez elle n'a pas
l'allure aisée qui distinguait celle de l'Hôtel de Rambouillet
: il n'y a pas assez de gens du monde pour balancer l'influence des professionnels
de l'esprit. Il y a souvent un programme arrêté d'avance;
quelquefois toute une journée se passe à composer des madrigaux,
ou à raffiner sur les sentiments-:
ce n'est pas en vain que la maîtresse de maison, auteur elle-même
comme son frère, se vante de savoir « si bien faire l'anatomie
d'un coeur amoureux ».
Autres salons.
Il y avait en même temps à
Paris nombre de salons renommés, les uns réservés
à la haute aristocratie comme celui de la Grande Mademoiselle, de
Mme de Sablé, etc., d'autres plus bourgeois comme celui de Mme Scarron,
la future Mme de Maintenon.
Les Précieuses
ridicules.
Mais à l'imitation de ces grands
salons, de 1650 à 1660 environ, s'ouvrent à Paris,
puis en province, notamment à Lyon, une
foule d'alcôves, de ruelles bourgeoises où l'on se pique de
belles manières et d'esprit. On singe le grand monde. Pour être
sûr d'être assez à la mode, on exagère et l'on
tombe fatalement dans l'extravagance, le jargon, la subtilité. La
« précieuse » devient un type ridicule tout indiqué
pour Molière. C'est la fin des «
Salons » au XVIIe siècle.
Désormais, seule, la cour comptera
.-
Les Précieuses
de province vues par Fléchier
« Un capucin,
qui se piquait d'être un peu plus du monde que ses confrères,
ayant ouï parler de moi, et sachant que j'avais prêté
quelques livres de poésies, se souvint d'avoir vu mon nom au bas
d'une ode ou d'une élégie. Il ne manqua pas de me faire compliment
et de me traiter de bel esprit, et sa bonté passa jusqu'à
dire partout que j'étais poête. Faire des vers et venir de
Paris, ce sont deux choses qui donnent bien de la réputation dans
ces lieux éloignés, et c'est là le comble de l'honneur
d'un homme d'esprit. Ce bruit de ma poésie fit grand éclat
et m'attira deux ou trois précieuses languissantes, qui recherchèrent
mon amitié, et qui crurent qu'elles passeraient pour savantes dès
qu'on les aurait vues avec moi, et que le bel esprit se prenait ainsi par
contagion. L'une était d'une taille qui approchait un peu de celle
des anciens géants; l'autre était, au contraire, fort petite
et son visage était si couvert de mouches, que je ne pus juger autre
chose, sinon qu'elle avait un nez et des yeux. Je remarquai que l'une et
l'autre se croyaient belles. Ces deux figures me firent peur. Je me rassurai
le mieux que je pus, et ne sachant encore comment leur parler, j'attendis
leur compliment de pied ferme. La petite, comme plus âgée,
et de plus mariée, s'adressa à moi : «-Ayant
de si beaux livres que vous avez, me dit-elle, et faisant d'aussi beaux
vers que vous en faites, comme nous a dit le R. P. Raphaël, il est
probable, monsieur, que vous tenez dans Paris un des premiers rangs parmi
les beaux esprits, et que vous êtes sur le pied de ne céder
à aucun de Messieurs de l'Académie. C'est, monsieur, ce qui
nous a obligées de venir vous témoigner l'estime que nous
faisons de vous. Nous avons si peu de gens polis et bien tournés
dans ce pays barbare, que, lorsqu'il vient quelqu'un de la cour ou du grand
monde, on ne saurait assez le considérer. - Pour moi, reprit la
grande jeune, quelque indifférente et quelque froide que je paraisse,
j'ai toujours aimé l'esprit avec passion, et, ayant toujours trouvé
que les abbés en ont plus que les autres, j'ai toujours senti une
inclination particulière à les honorer ». Je leur répondis,
avec un peu d'embarras, que j'étais le plus confus du monde; que
je ne méritais ni la réputation que le bon Père m'avait
donnée, ni la bonne opinion qu'elles avaient eue de moi; que j'étais
pourtant très satisfait de la bonté qu'il avait eue de me
flatter et de celle qu'elles avaient de le croire, puisque cela me donnait
occasion de connaître deux aimables personnes qui devaient avoir
de l'esprit infiniment, puisqu'elles le cherchaient en d'autres. Après
ces mots elles s'approchèrent de ma table, et me prièrent
de les excuser si elles avaient la curiosité d'ouvrir quelques livres
qu'elles voyaient; que c'était une curiosité invincible pour
elles. Enfin elles me proposèrent un petit voyage à une belle
maison de campagne qu'elles avaient à deux ou trois lieues de là,
et firent mille beaux desseins de me régaler. »
.
(Fléchier, Mémoires sur les Grands Jours d'Auvergne).
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La vie mondaine
Par certains côtés, le «
monde » de tous les temps se ressemble. Celui du début
du XVIIe siècle a pourtant une physionomie
très particulière.
Lieux de réception.
Les dames qui veulent recevoir prennent
un jour la marquise de Rambouillet le mardi, Mme de Scudéry le samedi.
Mais dans leurs hôtels, le salon proprement dit est en général
une salle immense où la causerie intime serait trop dépaysée.
Aussi reçoivent-elles dans leur chambre à coucher. Voilà
pourquoi on ne dit jamais salon, mais chambre, alcôve, réduit,
ruelle pour désigner ces réunions. La maîtresse de
maison est assise et, souvent, étendue sur son lit; ses visiteurs
se groupent autour d'elle sur des fauteuils, des chaises, des pliants,
selon leur qualité. Si l'on manque de sièges, les hommes
s'asseoient par terre sur leurs manteaux, aux pieds des danses. La «
Chambre bleue » d'Arthénice était célèbre,
d'abord à cause de sa couleur qui était une nouveauté
pour l'époque, et aussi à cause du goût original de
sa disposition :
Tout est
magnifique chez elle, et même particulier : les lampes y sont différentes
des autres lieux; ses cabinets sont pleins de mille raretés qui
font voir le jugement de celle qui les a choisies; l'air est toujours parfumé
dans son palais; diverses corbeilles magnifiques, pleines de fleurs, font
un printemps continuel dans sa chambre. (Mlle de Scudéry, Le
Grand Cyrus, VIlle partie, livre I).
Distractions de société.
Les divertissements ne manquaient pas
aux hôtes de la marquise, surtout tant que les jeunes gens furent
en majorité. On écoutait chanter Mlle Paulet, on se jouait
des farces les uns aux autres, on faisait une partie de campagne comme
celle que raconte Voiture dans une lettre au cardinal de la Valette. Toutefois
le plaisir le plus constant et le plus délicat était celui
de la conversation. La Grande Mademoiselle l'estimait « le plus grand
plaisir de la vie et presque le seul. » Tout était naturellement
matière à entretien : petites nouvelles, faits du jour, pièces
et livres récents, questions grammaticales. On savait parler légèrement
des choses sérieuses et sérieusement des choses légères,
badiner sur une campagne (lettre
de Voiture au marquis de Pisani) et discuter gravement sur la vie ou la
mort de « car ».
Divertissements
littéraires.
Cependant chaque salon paraît avoir
eu ses préférences : à l'hôtel de Rambouillet
les Lettres étaient la grande occupation avec le théâtre;
on lisait solennellement les lettres de Guez de Balzac quand elles arrivaient;
Voiture communiquait les siennes avant de les envoyer; Mairet
donna la primeur de sa Sophonisbe; Corneille
lut la plupart de ses pièces, du Cid
à Rodogune.
Bossuet, à l'âge de seize ans, y
improvisa même un soir un sermon, ce qui fit dire à Voiture
qu'il n'avait jamais entendu prêcher ni si tôt, ni si tard.
Chez Mlle de Scudéry on aimait le jeu des portraits : ils sont répandus
en foule dans ses romans
et l'on confectionna la Carte du Tendre, introduite dans la Clélie.
Mme de Sablé et ses amis préférèrent
les maximes, improvisées parfois, souvent préparées
d'une réunion à l'autre sur un sujet donné. Partout
les petits vers étaient très en honneur. C'est ainsi que
pour la fête de Julie d'Angennes en 1641, à l'instigation
de M. de Montausier, les habitués de l'Hôtel de Rambouillet
composèrent, sous le nom des différentes fleurs, des poésies
qu'on lui offrit en un recueil intitulé La Guirlande de Julie.
En voici un exemple :
La violette
(madrigal)
Franche
d'ambition je me cache sous l'herbe,
Modeste en ma couleur,
modeste en mon séjour;
Mais si sur votre
front je me puis voir un jour,
La plus humble des
fleurs sera la plus superbe .
(Desmarets).
La préciosité
Les caractères originaux de cette vie
mondaine se résument dans ce mot : la préciosité.
Elle a été une recherche de la distinction sous toutes ses
formes.
Distinction dans
les manières.
Le
costume.
La première c'est l'élégance
de l'ajustement : gants, plumes, parfums, dentelles, tout doit être
de la bonne marque ou du bon faiseur (Précieuses,
sc. VI). Bientôt on exagérera, on aura tendance à se
singulariser; les costumes des marquis seront extravagants.
Mascarille
: Que dites-vous de mes canons? - Madelon : Ils ont tout à fait
bon air. - Mascaron : Je puis me vanter au moins qu'ils ont un grand quartier
plus que tous ceux qu'on fait. (Molière, Précieuses ridicules,
sc. X).
L'honnêteté.
Mais il faut surtout savoir se tenir et
se faire estimer dans le monde. N'ignorer aucune des règles de la
politesse, être un causeur spirituel et instruit sans pédanterie,
laisser à la porte tout ce qui vous constituerait une personnalité
trop marquée, et par-dessus tout cela être un homme honnête,
voilà les qualités qui distinguent «-l'honnête
homme-».
C'est l'idéal qui se forme alors
dans les salons et que le chevalier de Méré
définit ainsi-:
Il y a certains
défauts dont l'honnêteté me semble toujours exempte
[...] comme l'injustice, la vanité, l'avarice, l'ingratitude, la
bassesse, le mauvais goût; ne pas être épuré,
l'air grossier et peu noble, l'air qui sent le Palais, la bourgeoisie,
la province et les affaires [...] dire des choses trop communes, des équivoques,
des quolibets, et tout ce qui vient d'un esprit mal fait, estimer plus
la fortune que le mérite, se vouloir mettre en honneur par de faux
moyens et de lâches flatteries [...] prendre mal son temps ou ses
mesures, être dupe [...] être sujet à s'encanailler
[...] souffrir sans ressentiment l'injustice et les avanies, n'en pas garantir
les faibles quand on peut, et se mettre toujours du parti des plus forts,
mais principalement n'avoir pas ce je ne sais quoi de noble et d'exquis
qui élève un honnête homme au-dessus d'un autre honnête
homme. (Méré, Lettre à Mme la duchesse de Lesdiguières).
-
L'honnête
homme au XVIIe siècle
« Honnête
homme, au dix-septième siècle, ne signifiait pas la chose
toute simple et toute grave que le mot exprime aujourd'hui. Ce mot a eu
bien des sens en français, un peu comme celui de sage en grec. Aux
époques de loisir, on y mêlait beaucoup de superflu; nous
l'avons réduit au strict nécessaire. L'honnête homme,
en son large sens, c'était l'homme comme il faut, et le comme il
faut, le quod decet, varie avec les goût et les opinions de la société
elle-même. L'abbé Prévost est peut-être le dernier
écrivain qui, dans ses romans, ait employé le mot honnête
homme précisément dans le beau sens où l'employaient,
au dix-septième siècle, M. de la Rochefoucauld et le chevalier
de Méré . Lorsque Voltaire disait en plaisantant [dans
l'Enfant prodigue] :
Nos voleurs
sont de très honnêtes gens
Gens du beau monde
...
il détournait
déjà un peu le sens et le parodiait, en lui ôtant l'acception
solide qui, au dix-septième siècle, n'était pas séparable
de l'acceptation légère. C'est ainsi que Bautru, dès
longtemps, avait dit en jouant sur le mot, qu'honnête homme
et bonnes moeurs
ne s'accordoient guère ensemble; franche
saillie de libertin!
L'honnête homme alors n'était pas seulement, en effet, celui
qui savait les agréments et les bienséances, mais il y entrait
aussi un fonds de mérite sérieux, d'honnêteté
réelle qui, sans être la grosse probité bourgeoise
toute pure, avait pourtant sa part essentielle jusque sous l'agrément;
le tout était de bien prendre ses mesures et de combiner les doses;
les vrais honnêtes gens n'y manquaient pas. »
(Sainte-Beuve,
Portraits littéraires, t. III :
Le
chevalier de Méré ou de l'honnête homme au dix-septième
siècle).
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Distinction dans
les sentiments.
Les lignes précédentes montrent
bien quelle délicatesse de coeur on exigeait alors. On était
plus rigoureux encore en amour. Pour l'homme, constance inébranlable,
soumission absolue à sa maîtresse; pour la femme, pudeur,
courroux, longue résistance, c'est le code de la galanterie. C'est
ainsi que M. de Montausier attendit treize ans la main de Julie d'Angennes
(Molière, Précieuses,
sc. VI; Femmes savantes,
acte I, sc. 1).
Distinction de
l'esprit.
Au fond la grande affaire, c'est de se
montrer spirituel.
Les
prétentions littéraires.
Aussi aime-t-on les discussions
littéraires où il est aisé de faire valoir son esprit.
Pendant quelque temps le monde précieux fut partagé en deux
camps : les partisans du sonnet de Voiture à
Uranie et ceux du sonnet de Benserade
sur Job. On a souci d'être au courant des dernières
productions et il n'est pas malséant de pouvoir montrer des vers
de sa façon.
Le
langage.
A tout le moins faut-il avoir un style
exempt de toute vulgarité. Les précieux ont inventé
l'expression de « châtier son style », et à l'origine,
c'était chez eux le désir de se distinguer de la cour gasconne
par la pureté de leur diction. Mais de la pureté au purisme
et à la recherche, il n'y avait qu'un pas, qu'on franchit vite.
Les précieuses prirent en affection
les expressions exagérées : furieusement, épouvantablement,
terriblement; je suis si surprise de cela que les bras m'en tombent; les
périphrases : chandelle : le supplément du soleil; chemise
: la compagne perpétuelle des morts et des vivants; joues : les
trônes de la pudeur; lune : le flambeau du silence, etc.; les comparaisons
et les métaphores prolongées ex. : la lettre de la carpe
au brochet de Voiture, la tirade de Trissotin (Femmes savantes,
III, 2).
Pour cette
grande faim qu'à mes yeux on expose
Un plat seul de
huit vers me semble peu de chose, etc.,
Ou des expressions comme celle-ci : Vous allez
faire pic, repic et capot, tout ce qu'il y a de plus galant dans Paris.
(Précieuses, sc. IX).
Influence littéraire
de la préciosité
La Société en se constituant
avait attiré à elle les écrivains. Qu'est-il résulté
pour la littérature de ce commerce des gens du monde et des gens
de lettres?
Sur les écrivains.
Les auteurs se sont imposés au
respect de l'aristocratie et ont appris d'elle les convenances et le goût.
Ils se sont interdit, en songeant à ce public d'élite où
règnent les femmes, les licences que se permettaient les écrivains
du Moyen âge ou du XVIe
siècle. Mais en prenant le ton de la bonne compagnie, ils en
ont épousé les scrupules et la délicatesse excessive.
Sur le fond.
Pour lui plaire, ils se sont appliqués
surtout à des analyses pénétrantes du coeur humain;
ils se sont bornés pendant longtemps aux questions morales et littéraires.
Ils nous ont dotés d'une littérature psychologique incomparable,
mais d'où l'on peut regretter que l'expression émue des sentiments
personnels, la nature, les grandes questions sociales soient absentes le
plus souvent.
Sur la forme.
Ils ont parlé le langage des «
honnêtes gens » pur, clair, précis, dépouillé
de tout pédantisme comme de toute grossièreté. D'autre
part, s'il est vrai que sous l'influence de la société précieuse,
la langue se soit enrichie d'expressions nouvelles parfois pittoresques,
comme obscénité, s'encanailler, superfluité, la sécheresse
de la conversation, dépenser une heure, s'embarquer dans une mauvaise
affaire, rire d'intelligence, briller dans la conversation, etc., il faut
reconnaître aussi qu'elle s'est rétrécie. Au nom de
la noblesse nécessaire du style, on a laissé de côté
une foule de mots expressifs ou même simplement justes, condamnés
comme bas. On s'est plus soucié, en général, de la
limpidité que de la couleur, qui ne reparaîtra, sauf exceptions,
qu'au XIXe
siècle.
L'Académie française
Un certain nombre d'hommes avaient suivi l'exemple
des dames et « tenaient cabinet » comme les dames tenaient
ruelle, tels les savants Du Puy, Ménage.
Les réunions
de chez Conrart.
Chez Conrart
(1603-1675), secrétaire du roi, compilateur patient qui accumula
durant sa vie la matière de nombreux volumes sans rien publier,
se réunissaient habituellement depuis 1626 neuf amis, tous amateurs
de littérature : Godeau, Gombeau, Chapelain, Desmarets, les deux
Habert, Cérisay, Malleville, Giry :
Là,
ils s'entretenaient familièrement, comme ils eussent fait en une
visite ordinaire. Que si quelqu'un de la compagnie avait fait un ouvrage
comme il arrivait souvent, il le communiquait volontiers à tous
les autres, qui lui en disaient librement leur avis (Pellisson, Histoire
de l'Académie).
Boisrobert, s'étant
fait admettre dans cette société, en parla à Richelieu.
Fondation de l'Académie
(1635).
Le cardinal vit tout de suite l'avantage
que pourrait tirer l'État d'avoir sous sa dépendance les
gens de lettres. Il fit offrir à la docte assemblée sa protection
et une existence officielle. Elle hésita un peu à engager
sa liberté, puis accepta. S'appellerait-elle Académie
des Beaux Esprits, Académie de l'Eloquence? On prit le nom plus
simple d'Académie française. La première séance
officielle date du 13 mars 1634, les lettres patentes de Louis XIII de
janvier 1635. Elles ne furent enregistrées par le Parlement
qu'en 1637, à cause de la défiance jalouse de l'Université,
à l'égard d'un nouveau corps constitué. A la mort
de Richelieu, la protection de l'Académie
passa au chancelier Séguier, puis au roi.
Les réunions se tinrent d'abord chez l'un des académiciens,
à la chancellerie ensuite, enfin au Louvre
jusqu'à la Révolution.
Les débuts
de l'Académie.
L'organisation de l'Académie française
a été assez lente.
Les
premiers académiciens.
Le nombre des membres passa de vingt-sept
à trente-quatre, et définitivement à quarante.
Il y avait naturellement des poètes
: Racan, Maynard, Malleville,
Chapelain, Godeau; des auteurs dramatiques, Boisrobert, Desmarets, Saint-Amand,
L'Estoile; des épistoliers, Voiture et Balzac; mais aussi des historiens
comme Mézeray, des érudits comme Conrart et Vaugelas,
des avocats comme Giry, même des hommes d'État comme le chancelier
Séguier et le sous-secrétaire d'État à la guerre
Servière; voire des médecins comme Cureau de la Chambre,
Habert de Montmor.
L'Académie ne regardait pas uniquement
aux titres littéraires. Elle voulait être une assemblée
de beaux esprits et d'amateurs de belles-lettres, une sorte de salon officiel,
et cette tradition s'est longtemps conservée.
Les
premières occupations.
On fut assez embarrassé an début
pour occuper les séances. On fit d'abord des discours sur divers
sujets. Puis, à la demande de Richelieu et avec le consentement
de Corneille, on examina le Cid. Chapelain se chargea de rédiger
les Sentiments de l'Académie française sur le Cid
(1637). C'est en 1610 que l'usage des Discours de réception
fut introduit par Patru. Par la suite, la tradition
voulut que ce discours comportât l'éloge de Richelieu, de
Séguier, du roi et du prédécesseur.
Le Dictionnaire
de l'Académie française.
De tous les projets que ses statuts lui
imposaient, dictionnaire, grammaire, rhétorique, poétique
(article 26), l'Académie n'a réalisé que le Dictionnaire.
Il parut en 1694, mais ne contenait que les mots en usage dans la société
polie, rangés par racines et dérivés. Les Remarques
sur la Langue française (1647), de Vaugelas, où «
le bel usage » est pris comme règle absolue, tinrent lieu
de la grammaire. (Un des Académiciens, Furetière,
avait réussi à achever plus vite un dictionnaire plus complet
comprenant les ternies techniques et suivant l'ordre alphabétique.
Mais il fut exclu de l'Académie en 1685 et son dictionnaire ne put
paraître qu'après sa mort en Hollande, 1690).
Influence de l'Académie.
L'Académie, dès sa naissance,
fut l'objet de moqueries, telles que cette comédie
des Académistes (1643), de Saint-Evremond,
où l'on voyait Godeau et Colletet se disputant, comme plus tard
Vadius et Trissotin dans les Femmes savantes, et Mlle de Gournay
venant défendre les vieux mots exilés du dictionnaire. Depuis,
il est resté de mode de se moquer d'elle, tant qu'on n'en est pas.
Elle s'est voulue une gardienne de la langue; elle a fourni à ses
membres, grâce à un intelligent éclectisme, le moyen
de fréquenter sur un pied d'égalité des hommes d'un
monde ou d'un talent différent; enfin, elle a été
la consécration officielle de la dignité et de l'importance
des lettres en France. (E. Abry). |
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