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Les Femmes savantes, de Molière

Les Femmes savantes sont une comédie de Molière (5 actes en vers), 1672. En voici le sujet : Philaminte, femme du bonhomme Chrysale, entichée de la science et des savants, veut donner la main de sa jeune fille Henriette au pédant Trissotin. Mais Henriette aime le jeune Clitandre et repousse les projets de sa mère. Elle succomberait néanmoins, malgré le ridicule dont se couvre Trissotin dans une querelle avec le bel esprit Vadius, son ami, si le frère de Chrysale, Ariste, ne démasquait, par une ruse habile, la cupidité de Trissotin, qui ne recherche que la dot et disparaît aussitôt qu'il la croit perdue. Henriette épousera donc Clitandre, et Chrysale pourra donc, une fois, se croire plus fort que sa femme, dont il a peur, au point de lui sacrifier sa pauvre servante Martine, chassée pour avoir fait usage
... d'un mot sauvage et bas
Qu'en termes décisifs condamne Vaugelas.
Cette pièce se lie étroitement aux Précieuses ridicules, représentées treize ans plus tôt (1659). Si, en effet, les Précieuses avaient été impuissantes à faire disparaître la préciosité dans le langage des femmes du monde, elles l'avaient cependant transformée. En 1672, les femmes ont la manie de paraître savantes à défaut de vouloir l'être réellement; elles se passionnent pour le grec et s'occupent de physique et d'astronomie. C'est contre ce nouveau ridicule que sont dirigées les Femmes savantes. Aussi la fureur de se distinguer prit-elle successivement différentes formes chez les femmes; en 1672, c'était le goût affecté de la philosophie, des sciences, de la politique même et de la haute littérature. « Femme qui compose en sait plus qu'il ne faut », pensait Molière; or les femmes auteurs pouvaient alors être comptées à la douzaine, depuis les princesses du sang, comme la grande mademoiselle, jusqu'aux simples bourgeoises, comme Mlles Chéron et Descartes. Molière crut donc devoir intervenir à nouveau, et il voulut frapper fort, au nom du sens commun. 

Il ne craignit pas de montrer aux spectateurs une famille de riches bourgeois, où le pédantisme de trois femmes sur quatre a jeté le trouble et la division, et l'intrigue des Femmes savantes présente quelques analogies avec celle de Tartuffe, cette comédie si tragique parfois. 

Dans Tartuffe, un père dévot à l'excès veut « tartuffier » sa fille; dans les Femmes savantes, l'impérieuse Philaminte, infectée de pédantisme et littéralement ensorcelée par Trissotin, le philosophe poète, n'hésiterait pas à «-trissotiner », pour lui donnes un peu plus d'esprit, sa fille cadette, la douce, bonne et charmante Henriette, qui a « des clartés de tout », mais qui se flatte de « n'entendre pas le grec » et aussi de « savoir ignorer même ce qu'elle sait ». Afin de mieux faire ressortir le danger d'un pareil travers pour la paix des familles, Molière a placé en face de Philaminte, de sa fille aînée Armande et de sa belle-soeur Bélise, les trois pédantes fieffées, un mari sans énergie et par conséquent sans autorité, un Chrysale au bon sens quelque peu épais, dont la faiblesse incurable causerait la perte de son Henriette bien-aimée si le poète, obligé d'avoir un dénouement de comédie, n'avait fait intervenir à temps un dieu sauveur, l'oncle Ariste, qui démasque les batteries de Trissotin. 

On voit par là quelle est l'importance des Femmes savantes, qui peuvent être placées, dans l'oeuvre du poète, au-dessus même du Misanthrope, tout à côté de Tartuffe. Il y a plus-: les Femmes savantes sont, comme Tartuffe, une pièce de colère, et Molière, dont le caractère vindicatif ne laissait pas échapper les occasions, s'est donné en 1672 le plaisir de frapper à mort l'homme que Boileau avait le plus raillé, le pauvre abbé Cotin. Mais quoi? Cotin n'était pas seulement un poète détestable; il avait eu la bassesse de répondre par des injures personnelles, par des insinuations perfides, par des dénonciations calomnieuses aux attaques dont ses ouvrages seuls avaient été l'objet. Dans la Critique désintéressée des satires de ce temps, publiée par lui en 1666, il avait appelé Molière « comédien, c.-à-d. infâme » et avait dit que son nom même était la plus grande injure qu'on pût lui adresser. Il devait même avoir poussé les choses bien loin, sans quoi on ne s'expliquerait pas l'acharnement de Molière contre lui. 

Trisssotin, dans les Femmes savantes, n'est pas seulement un cuistre, auteur du sonnet sur la princesse Uranie, qui figurait dans les Oeuvres galantes de M. Cotin, c'est un scélérat dans toute la force du terme, un frère cadet de l'ignoble Tartuffe, un homme qui consent à épouser Henriette malgré elle et malgré son père, parce qu'elle a une dot considérable. Il est capable de toutes les turpitudes, ce qui n'est pas le cas de Vadius, c.-à-d. probablement de Ménage, et finalement, quand il croit Philaminte ruinée, il se retire comme un goujat. Quels que fussent les torts de Cotin, Molière s'en est donné de semblables en le traînant ainsi dans la boue, avouons-le sans hésiter; et s'il était vrai, ce qui est faux, que Cotin foudroyé ait dû quitter aussitôt Paris et cacher sa honte au fond de la province, une telle exécution pèserait lourdement sur la mémoire de Molière. Ce qu'il a fait alors, Boileau n'a jamais consenti à le faire; l'auteur des Satires s'est contenté de dire :

Qui n'aime point Cotin n'estime point son roi 
Et n'a, selon Cotin, ni Dieu, ni foi, ni loi,
Celui des deux poètes calomniés qui s'est vengé le plus noblement, avec le plus d'esprit, ce n'est pas l'auteur des Femmes savantes

Dans cette comédie, Molière ne se montre pas l'ennemi de l'éducation des femmes, mais il n'en reste pas moins conservateur et mysogyne, et sa position nous heurte aujourd'hui. Il consent « qu'une femme ait des clartés de tout », mais il veut qu'elle soit modeste et « sache ignorer les choses qu'elle sait ». 

Ces réserves faites, cette comédie de moeurs, si fine, si pleine de gaieté, est à bon droit mise au rang des chefs-d'oeuvre du théâtre français, et puisque Molière devait mourir quelques mois plus tard en jouant une pièce en prose, ou peut dire sans exagérer que ç'a été son chant du cygne. (A. Gazier / NLI).
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Extrait des Femmes savantes
Une lecture chez Philaminte

[ Les femmes savantes ne reçoivent que de doctes personnes, ou du moins des gens qu'elles croient doctes. Leur oracle, c'est M. Trissotin, bel esprit et poète, que Philaminte voudrait donner à sa fille Henriette comme mari. La jeune fille aime le sage Clitandre : elle sent que Trissotin n'est pas seulement un sot, mais un homme intéressé, qui cherche une belle dot. - Nous allons le voir déployer ses grâces pesantes au milieu des trois pédantes émerveillées. ]
 

ACTE III 
Scène I
Philaminte, Armande, Bélise, Trissotin, L'Épine (laquais).

PHIILAMINTE
Ah! mettons-nous ici pour écouter à l'aise
Ces vers une mot à mot il est besoin qu'on pèse.

ARMANDE
Je brûle de les voir.

BÉLISE
Et l'on s'en meurt chez nous.

PHILAMINTE, à Trissotin.
Ce sont charmes pour moi, que ce qui part de vous.

ARMANDE
Ce m'est une douceur à nulle autre pareille.

BÉLISE
Ce sont repas friands qu'on donne à mon oreille.

PHILAMINTE
Ne faites pas languir de si pressants désirs.

ARMANDE
Dépêchez.

BÉLISE
Faites tôt, et hâtez nos plaisirs.

PHILAMINTE
A notre impatience offrez votre épigramme.

TRISSOTIN, à Philaminte.
Hélas! c'est un enfant tout nouveau-né, Madame...

BÉLISE
Qu'il a d'esprit!

Scène Il
Henriette, Philaminte, Bélise, Armande, Trissotin, L'Épine

PHILAMINTE, à Henriette, qui veut se retirer.
Holà! pourquoi donc fuyez-vous?

HENRIETTE
C'est de peur de troubler un entretien si doux.

PHILAMINTE
Approchez et venez, de toutes vos oreilles, 
Prendre part au plaisir d'entendre des merveilles.

HENRIETTE
Je sais peu les beautés de tout ce qu'on écrit, 
Et ce n'est pas mon fait que les choses d'esprit.

PHILAMINTE
Il n'importe; aussi bien ai-je à vous dire ensuite 
Un secret dont il faut que vous soyez instruite.

TRISSOTIN, à Henriette.
Les sciences n'ont rien qui vous puisse enflammer,
Et vous ne vous piquez que de savoir charmer.

HENRIETTE
Aussi peu l'un que l'autre; et je n'ai nulle envie...

BÉLISE
Ah! songeons à l'enfant nouveau-né, je vous prie.

PHILAMINTE, à L'Épine.
Allons, petit garçon, vite de quoi s'asseoir.
(L'Épine se laisse tomber.)
Voyez l'impertinent! Est-ce que l'on doit choir, 
Après avoir appris l'équilibre des choses?

BÉLISE
De ta chute, ignorant, ne vois-tu pas les causes, 
Et qu'elles vient d'avoir, du point fixe, écarté 
Ce que nous appelons centre de gravité?

L'ÉPINE
Je m'en suis aperçu, Madame, étant par terre.

PHILAMINTE, à L'Épine, qui sort.
Le lourdaud!

TRISSOTIN
Bien lui prend de n'être pas de verre.

ARMANDE
Ah! de l'esprit partout!

BÉLISE
Cela ne tarit pas.
(Ils s'asseyent.)

PHILAMINTE
Servez-nous promptement votre aimable repas.

TRISSOTIN
Pour cette grande faim qu'à mes yeux on expose, 
Un plat seul de huit vers me semble peu de chose;
Et je pense qu'ici je ne ferai pas mal 
De joindre à l'épigramme, ou bien au madrigal, 
Le ragoûts d'un sonnet qui, chez une princesse, 
A passé pour avoir quelque délicatesse.
Il est de sel attique assaisonné partout, 
Et vous le trouverez, je crois, d'assez bon goût.

ARMANDE
Ah! je n'en doute point.

PHILAMINTE
Donnons vite audience.

BÉLISE (A chaque fois qu'il veut lire, elle l'interrompt.)
Je sens d'aise mon coeur tressaillir par avance. 
J'aime la poésie avec entêtement,
Et surtout quand les vers sont tournés galamment.

PHILAMINTE
Si nous parlons toujours, il ne pourra rien dire.

TRISSOTIN
So...

BÉLISE, à Henriette.
Silence, ma nièce.

ARMANDE
Ah! laissez-le donc lire.

TRISSOTIN
SONNET A LA PRINCESSE URANIE SUR SA FIÈVRE
Votre prudence est endormie,
De traiter magnifiquement, 
Et de loger superbement
Votre plus cruelle ennemie.

BÉLISE
Ah! le joli début!

ARMANDE
Qu'il a le tour galant!

PHILAMINTE
Lui seul des vers aisés possède le talent.

ARMANDE
A prudence endormie il faut rendre les armes.

BÉLISE
Loger son ennemie est pour moi plein de charmes.

PHILAMINTE
J'aime superbement et magnifiquement ;
Ces deux adverbes joints font admirablement!

BÉLISE
Prêtons l'oreille au reste.

TRISSOTIN
Votre prudence est endormie, 
De traiter magnifiquement, 
Et de loger superbement
Votre plus cruelle ennemie.

ARMANDE
Prudence endormie!

BÉLISE
Loger son ennemie!

PHILAMINTE
Superbement et magnifiquement!

TRISSOTIN
Faites-la sortir, quoi qu'on die, 
De votre riche appartement, 
Où cette ingrate insolemment 
Attaque votre belle vie.

BÉLISE
Ah! tout doux! laissez-moi, de grâce, respirer.

ARMANDE
Donnez-nous, s'il vous plaît, le loisir d'admirer.

PHILAMINTE
On se sent, à ces vers, jusques au fond de l'âme, 
Couler je ne sais quoi qui fait que l'on se pâme.

ARMANDE
Faites-la sortir, quoi qu'on die, 
De votre riche appartement.
Que riche appartement est là joliment dit! 
Et que la métaphore est mise avec esprit!

PHILAMINTE
Faites-la sortir, quoi qu'on die.
Ah! que ce quoi qu'on die est d'un goût admirable! 
C'est, à mon sentiment, un endroit impayable.

ARMANDE
De quoi qu'on die aussi mon coeur est amoureux.

BÉLISE
Je suis de votre avis, quoi qu'on die est heureux.

ARMANDE
Je voudrais l'avait fait.

BÉLISE
Il vaut toute une pièce.

PHILAMINTE
Mais en comprend-on bien, comme moi, la finesse?

ARMANDE ET BÉLISE
Oh! Oh!

PHILAMINTE
Faites-la sortir quoi qu'on die
Que de la fièvre on prenne ici les intérêts, 
N'ayez aucun égard, moquez-vous des caquets.
Faites-la sortir, quoi qu'on die, 
Quoi qu'on die, quoi qu'on die.
Ce quoi qu'on die en dit beaucoup plus qu'il ne semble.
Je ne sais pas, pour moi, si chacun me ressemble; 
Mais j'entends là-dessous un million de mots.

BÉLISE
Il est vrai qu'il dit plus de choses qu'il n'est gros.

PHILAMINTE, à Trissotin.
Mais, quand vous avez fait ce charmant quoi qu'on die
Avez-vous compris, vous, toute son énergie 
Songiez-vous bien vous-même à tout ce qu'il nous dit? 
Et pensiez-vous alors y mettre tant d'esprit?

TRISSOTIN
Hai! hai!

ARMANDE
J'ai fort aussi l'ingrate dans la tête. 
Cette ingrate de fièvre, injuste, malhonnête, 
Qui traite mal les gens qui la logent chez eux.

PHILAMINTE
Enfin, les quatrains sont admirables touts deux. 
Venons-en promptement aux tiercets, je vous prie.

ARMANDE
Ah! s'il vous plaît, encore une fois quoi qu'on die.

TRISSOTIN
Faites-la sortir, quoiqu'on die,

PHILAMINTE, ARMANDE ET BÉLISE
Quoi qu'on die!

TRISSOTIN
De votre riche appartement,

PHILAMINTE, ARMANDE ET BÉLISE
Riche appartement!

TRISSOTIN
Où cette ingrate insolemment

PHILAMINTE, ARMANDE ET BÉLISE
Cette ingrate de fièvre!

TRISSOTIN
Attaque votre belle vie.

PHILAMINTE
Votre belle vie!

ARMANDE ET BÉLISE
Ah!

TRISSOTIN
Quoi? sans respecter votre rang, 
Elle se prend à votre sang,

PHILAMINTE, ARMANDE ET BÉLISE
Ah!

TRISSOTIN
Et nuit et jour vous fait outrage
Si vous la conduisez aux bains, 
Sans la marchander davantage, 
Noyez-la de vos propres mains.

PHILAMINTE
On n'en peut plus.

BÉLISE
On pâme.

ARMANDE
On se meurt de plaisir.

PHILAMINTE
De mille doux frissons vous vous sentez saisir.

ARMANDE
Si vous la conduisez aux bains,

BÉLISE
Sans la marchander davantage,

PHILAMINTE
Noyez-la de vos propres mains.
De vos propres mains, là, noyez-la dans les bains.

ARMANDE
Chaque pas dans vos vers rencontre un trait charmant.

BÉLISE
Partout on s'y promène avec ravissement.

PHILAMINTE
On n'y saurait marcher que sur de belles choses.

ARMANDE
Ce sont petits chemins tout parsemés de roses.

TRISSOTIN
Le sonnet donc vous semble...

PHILAMINTE
Admirable, nouveau;
Et personne jamais n'a rien fait de si beau.

BÉLISE, à Henriette.
Quoi! sans émotion pendant cette lecture? 
Vous faites là, ma nièce, une étrange figure!

HENRIETTE
Chacun fait ici-bas la figure qu'il peut,
Ma tante; et bel esprit, il ne l'est pas qui veut.

TRISSOTIN
Peut-être que mes vers importunent Madame.

HENRIETTE
Point. Je n'écoute pas.

PHILAMINTE
Ah! voyons l'épigramme.

TRISSOTIN
SUR UN CARROSSE DE COULEUR AMARANTE; DONNÉ A UNE DAME DE SES AMIES

PHILAMINTE
Ses titres ont toujours quelque chose de rare.

ARMANDE
A cent beaux traits d'esprit leur nouveauté prépare.

TRISSOTIN
L'Amour si chèrement m'a vendu son lien,

PHILAMINTE, ARMANDE ET BÉLISE
Ah!

TRISSOTIN
Qu'il m'en coûte déjà la moitié de mon bien;
Et quand tu vois ce beau carrosse,
Où tant d'or se relève en bosse,
Qu'il étonne tout le pays,
Et fait pompeusement triompher ma Laïs,

PHILAMINTE
Ah! ma Laïs! voilà de l'érudition.

BÉLISE
L'enveloppe est jolie et vaut un million.

TRISSOTIN
Et, quand tu vois ce beau carrosse, 
Où tant d'or se relève en bosse,
Qu'il étonne tout le pays,
Et fait pompeusement triompher ma Laïs, 
Ne dis plus qu'il est amarante,
Dis plutôt qu'il est de ma rente.

ARMANDE
Oh! oh! oh! celui-là ne s'attend point du tout.

PHILAMINTE
On n'a que lui qui puisse écrire de ce goût.

BÉLISE
Ne dis plus qu'il est amarante, 
Dis plutôt qu'il est de ma rente.
Voilà qui se décline : ma rente, de ma rente, à ma rente

PHILAMINTE
Je ne sais, du moment que je vous ai connu,
Si sur votre sujet j'eus l'esprit prévenu
Mais j'admire partout vos vers et votre prose.

TRISSOTIN, à Philaminte.
Si vous vouliez de vous nous montrer quelque chose, 
A notre tour, aussi nous pourrions admirer.

PHILAMINTE
Je n'ai rien fait en vers; mais j'ai lieu d'espérer
Que je pourrai bientôt vous montrer, en amie, 
Huit chapitres du plan de notre académie. 
Platon s'est au projet simplement arrêté, 
Quand de sa République il a fait le traité ;
Mais à l'effet; entier je veux pousser l'idée 
Que j'ai sur le papier en prose accommodée. 
Car enfin, je me sens un étrange dépit
Du tort que l'on nous fait du côté de l'esprit;
Et je veux nous venger, toutes tant que nous sommes, 
De cette indigne classe où nous rangent les hommes, 
De borner nos talents à des futilités,
Et nous fermer la porte aux sublimes clartés.

ARMANDE
C'est faire à notre sexe une trop grande offense,
De n'étendre l'effort de notre intelligence
Qu'à juger d'une jupe ou de l'air d'un manteau,
Ou des beautés d'un point ou d'un brocart nouveau.

BÉLISE
Il faut se relever de ce honteux partage,
Et mettre hautement notre esprit hors de page.

TRISSOTIN
Pour les dames on sait mon respect en tous lieux;
Et, si je rends hommage aux brillants de leurs yeux, 
De leur esprit aussi j'honore les lumières.

PHILAMINTE
Le sexe aussi vous rend justice en ces matières; 
Mais nous voulons montrer à de certains esprits,
Dont l'orgueilleux savoir nous traite avec mépris, 
Que de science aussi les femmes sont meublées;
Qu'on peut faire, comme eux, de doctes assemblées,
Conduites en cela par des ordres meilleurs, 
Qu'on y veut réunir ce qu'on sépare ailleurs,
Mêler le beau langage et les hautes sciences, 
Découvrir la nature en mille expériences, 
Et, sur les questions qu'on pourra proposer, 
Faire entrer chaque secte et n'en point épouser... 

ARMANDE
Il me tarde de voir notre assemblée ouverte. 
Et de nous signaler par quelque découverte.

TRISSOTIN
On en attend beaucoup de vos vives clartés;
Et pour vous la nature a peu d'obscurités.

PHILAMINTE
Pour moi, sans me flatter, j'en ai déjà fait une, 
Et j'ai vit clairement des hommes dans la lune.

BÉLISE
Je n'ai point encore vu d'hommes, comme je croi, 
Mais j'ai vu des clochers tout comme je vous voi.

ARMANDE
Nous approfondirons, ainsi que la physique,
Grammaire, histoire, vers, morale et politique...

TRISSOTIN
Voilà certainement d'admirables projets!

BÉLISE
Vous verrez nos statuts  quand ils seront tous faits.

TRISSOTIN
Ils ne sauraient manquer d'être tous beaux et sages.

ARMANDE
Nous serons, par nos lois, les juges des ouvrages; 
Par nos lois, prose et vers, tout nous sera soumis. 
Nul n'aura de l'esprit, hors nous et nos amis. 
Nous chercherons partout à trouver à redire, 
Et ne verrons que nous qui sache bien écrire.

(Molière, les Femmes savantes).
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