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On adonné le nom de diplomatique à l'étude et à la critique d'une catégorie particulière des sources de l'histoire, celles qui sont constituées par les diplômes, les chartes et d'une manière générale par tous les actes authentiques que l'on comprend sous la dénomination de sources diplomatiques de l'histoire. Quoiqu'ils diffèrent beaucoup les uns des autres, ces documents ont cependant quelques caractères communs : ce sont des actes authentiques; ils ont une provenance et une date certaines; enfin, les témoignages historiques que l'on en peut extraire ne sont pas l'objet propre de ces documents, mais se trouvent en quelque sorte dissimulés au milieu de formules banales d'où ils doivent être dégagés. L'objet de la critique diplomatique est précisément de vérifier l'authenticité des documents de cette espèce, d'en déterminer avec la plus extrême précision la provenance et la date, d'en établir le texte et d'en extraire en quelque sorte ce qu'ils peuvent contenir de matière historique. Cette étude exige la connaissance approfondie des usages qui ont été en vigueur aux divers temps et dans les différents pays pour rédiger les actes et les contrats de toute espèce, l'examen de tout ce qui, dans la teneur des actes, peut constituer un élément de critique, et par exemple, des noms propres de personne et de lieu, des titres et des qualités qui ont été attribués aux personnes, des institutions, de la langue, et enfin des divers usages employés pour exprimer les dates, Entendue de la sorte, la diplomatique peut s'étendre aux actes et aux contrats de tous les temps et de tous les pays; mais, en fait, on ne l'applique d'ordinaire qu'aux documents du Moyen âge et de l'Europe. Fragment d'une charte de 1237. Les historiens de toutes les époques, à côté des témoignages des annalistes et chroniqueurs, qui constituent les sources narratives de l'histoire, ont souvent invoqué, à l'appui de leurs récits, les témoignages plus impersonnels, et par là même moins suspects, des sources diplomatiques. L'emploi en a toutefois été assez restreint, tant qu'on a surtout considéré l'histoire comme le récit des actions des personnages qui gouvernaient les peuples et spécialement des guerres; il s'est développé au contraire lorsqu'on a voulu recueillir sur l'histoire des institutions, du droit, des usages, des moeurs, de la langue, sur toute l'évolution de la civilisation, des renseignements qu'on aurait vainement cherché dans les annales et dans les chroniques. Les savants de la Renaissance, et plus spécialement les historiens de l'Eglise, les jurisconsultes en vue de l'histoire du droit public et privé, et avec eux les érudits qui s'appliquèrent à étudier l'histoire locale, furent les premiers qui cherchèrent à faire un emploi raisonné des diplômes et des chartes. Il existait toutefois un obstacle à ce que l'usage de ces documents se répandit rapidement : ils constituaient pour leurs possesseurs des « titres » qui garantissaient des droits ou des privilèges; aussi étaient-ils soigneusement gardés, à l'abri de toute investigation indiscrète, dans les archives où il était impossible à un simple curieux de pénétrer. Quelques hommes d'Etat pouvaient seuls avoir accès aux archives de la couronne et des administrations royales; celles des établissements ecclésiastiques ne s'ouvraient guère qu'à des clercs ou à des moines privilégiés. Il en était de même des archives des villes, des corporations et des particuliers. C'est pour cela que les premiers savants qui utilisèrent les chartes en vue de recherches historiques plus ou moins désintéressées, furent des hommes d'Etat, des magistrats chargés de faire valoir « les droits du roi », des généalogistes et des feudistes pour lesquels s'entrouvraient les archives seigneuriales, et enfin des ecclésiastiques, particulièrement des moines bénédictins : les archives des anciennes abbayes bénédictines contenaient les documents les plus anciens qui se fussent conservés. Ces documents empruntent, nous l'avons dit, leur valeur historique exceptionnelle à leur authenticité. Or, il n'était pas douteux qu'un grand nombre de chartes fausses se rencontraient dans les archives et particulièrement dans les archives monastiques et seigneuriales. On le vit bien en Allemagne surtout, lorsque furent portés devant les tribunaux de l'Empire de nombreux procès relatifs aux droits ou privilèges des églises, des abbayes, des Etats, des villes, à la suite des médiatisations qui furent la conséquence de la guerre de Trente ans et des traités de Westphalie. La plupart des actes anciens produits par les parties à l'appui de leurs prétentions furent argués de faux et beaucoup l'étaient en effet; mais les jurisconsultes, non plus que les historiens, manquaient de fondements solides pour appuyer leur argumentation; chacun n'était guidé dans la discussion que par son expérience et son sentiment. Des innombrables mémoires composés à l'occasion de ces différends, qui ont reçu dans l'histoire le nom de guerres diplomatiques, ne se dégagea aucune doctrine. II était réservé à un bénédictin français de la créer de toutes pièces en répondant aux attaques dont les archives de son ordre allaient être l'objet. Fragment d'une charte de 1241. Un jésuite bollandiste, Daniel van Papenbroeck, qui dirigeait à la fin du XVIIe siècle la publication du grand recueil hagiographique des Acta sanctorum, avait songé à utiliser les chartes anciennes pour l'étude et la critique des anciennes vies de saints et des origines des églises. Mais frappé, comme tous les savants, des difficultés que rencontrait la critique lorsqu'elle s'appliquait à ces documents, il résolut de les résoudre préalablement et de rechercher les principes sur lesquels on pouvait s'appuyer pour distinguer les actes vrais des documents fabriqués ou altérés. Fort de l'appui du pape auquel il avait soumis son projet, après une étude fort superficielle des actes mérovingiens de l'abbaye de Saint Maximin de Trèves et de quelques autres monastères de la même contrée, il publia comme préface au t. Il d'avril des Acta sanctorum (1675), un petit traité intitulé : Propyleum antiquarium circa veri ac falsi discrimen in vetustis membranis. Sa conclusion était que les documents faux étaient en nombre tellement considérable qu'il était à peu près impossible de discerner les actes authentiques de ceux qui ne l'étaient pas; il ajoutait que plus les documents se donnaient pour anciens, plus il étaient suspects par là même, et enfin dénonçait comme tels toute la série de diplômes mérovingiens de Saint-Denis publiés par Doublet dans son histoire de cette abbaye. C'était mettre directement en cause l'ordre même des bénédictins. Le soin de le venger de ces attaques fut confié à un très savant moine de la congrégation de Saint-Maur, dom Jean Mabillon, dont l'esprit critique était à la hauteur de cette tâche. Ce religieux travaillait alors, dans l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, à la préparation d'une vaste histoire de l'ordre entier de Saint-Benoît qu'il devait publier plus tard; il avait dû par conséquent explorer les archives de la plupart des monastères bénédictins. Dédaigneux de toute polémique, il n'eut garde de composer un factum en réponse au P. Papenbroeck, mais travailla silencieusement sur la matière pendant quelques années et en 1681 publia, en un volume grand in-folio, un véritable et magistral corps de doctrine intitulé : De Re diplomatica libri VI. La méthode et les principes de la critique diplomatique avaient été dégagés, exposés et appliqués par Mabillon de manière à emporter tous les suffrages. Jurisconsultes, historiens, publicistes, trouvaient enfin dans cet ouvrage la doctrine qui leur avait fait défaut; aussi fut-il accueilli par les applaudissements de toute l'Europe savante et de Papenbroeck tout le premier. Ce fut à peine si la jalousie des jésuites du collège Louis-le-Grand, toujours fort échauffés contre les bénédictins, suscita quelques contradictions auxquelles Mabillon répondit victorieusement en 1704 par la publication d'un supplément à sa Diplomatique. L'unanimité de l'approbation des véritables érudits ne tarda pas à mettre un terme à toutes les attaques. L'ouvrage de Mabillon ne tarda pas à provoquer par toute L'Europe un mouvement considérable dans les travaux d'érudition. Il fut bientôt de toutes parts imité, complété, adapté à des catégories particulières de documents, mais surtout il suscita partout la recherche, l'étude et la publication des documents diplomatiques, et acheva de les faire considérer comme les seuls fondements assurés de toutes les recherches historiques. Dès le milieu du XVIIIe siècle, les travaux d'érudition s'étaient tellement multipliés, le nombre des documents publiés s'était si prodigieusement accru et avait donné lieu à de nouvelles observations si nombreuses que les bénédictins pensèrent le moment venu de soumettre l'oeuvre de Mabillon à une refonte complète. Deux religieux de Saint-Germain-des-Prés, dom Toustain et dom Tassin, se mirent courageusement à l'oeuvre et publièrent, de 1750 à 1765; en six gros volumes in-4, un Nouveau Traité de diplomatique. Si, à ne considérer que l'abondance des renseignements, l'oeuvre était au courant de la science, il s'en faut qu'elle atteigne la valeur de l'ouvrage de Mabillon pour la clarté, la sûreté de méthode et surtout la critique. Le Nouveau Traité demeure une vaste compilation, pleine de faits curieux patiemment recueillis, mais il a eu l'inconvénient de s'encombrer d'une foule d'observations incertaines, de superfluités et de curiosités vaines. C'est malheureusement cet ouvrage qui est devenu à peu près l'unique guide des études diplomatiques jusque vers le milieu du XIXe siècle. Traduit en allemand dès son apparition, il a été plus tard en France, en Allemagne et en Italie, abrégé, imité, voire même mis à deux reprises sous forme de dictionnaire. Les Eléments de paléographie de Natalis de Wailly, publiés en 1838 (Paris, 2 vol. gr. in-4), sous les auspices du Comité des travaux historiques; n'en étaient guère encore qu'une adaptation nouvelle. C'est dans le dernier tiers du XIXe siècle seulement que l'étude de la diplomatique a pris un nouvel essor et que les méthodes en ont été en quelque sorte renouvelées, en France, par l'enseignement de l'Ecole des chartes illustré par des maîtres tels que Benjamin Guérard et Jules Quicherat et sous l'influence de L. Delisle; en Allemagne, en Autriche, par l'enseignement des universités, spécialement à Vienne dans l'Institut pour l'étude de l'histoire autrichienne et sous l'influence de son directeur, Th. de Sickel. Les nombreuses questions soulevées par les publications ou les catalogues de diplômes et de chartes, publications qui deviennent alors plus nombreuses et plus exactes, ont provoqué un nombre considérable de travaux dans lesquels ont été abordés, discutés et parfois résolus les problèmes de tout genre que peut soulever l'étude de ces documents. Pendant longtemps ces travaux de détail se sont multipliés sans qu'on songeât à coordonner dans un ouvrage d'ensemble les acquisitions des connaissances dans les dernières années du siècle seulement on a tenté de divers côtés de composer des traités généraux où sont résumés les travaux de détails et qui sont adaptés aux exigences nouvelles de la science historique. (A. G.). |
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