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Les institutions romaines
L'assemblée tribute
Les assemblées du peuple
L'assemblée curiate
L'assemblée centuriate
L'assemblée tribute
L'assemblée tribute a sa racine, comme la centuriate, dans les institutions de Servius. Lorsque, en l'an 494 av. J.-C., les meneurs de la plèbe eurent l'idée de l'organiser à part, comme un Etat dans l'Etat, ils ne trouvèrent pas de cadres mieux appropriés pour une assemblée purement plébéienne que les tribus locales créées par ce roi. Elles avaient cet avantage sur les classes et les centuries de n'établir entre les citoyens d'autre distinction que celle du domicile et par conséquent de fournir un terrain plus favorable au triomphe des idées égalitaires. Elles contenaient, il est vrai, comme les classes et les centuries, la totalité des citoyens de l'un et de l'autre ordre, mais on en fut quitte pour en exclure les patriciens, on plutôt ils s'exclurent deux-mêmes, n'ayant aucune raison de figurer dans une assemblée extérieure à la cité et où d'ailleurs ils n'auraient pas manqué d'être écrasés sous le nombre de leurs adversaires. L'assemblée constituée à la suite de la retraite sur le Mont Sacré se réunissait d'ordinaire sur le Forum. C'est bien plus tard seulement, dans le dernier siècle de la République, qu'elle tint quelquefois ses assises au Champ-de-Mars. On votait chacun dans sa tribu et toutes les tribus, votant simultanément, formaient, à l'époque où elles eurent atteint le chiffre qu'elles ne devaient pas dépasser, un ensemble de 35 suffrages. La majorité était donc de 18. Leur vote était proclamé dans un ordre déterminé par le sort et renouvelé chaque fois. La tribu dont le vote était proclamé en premier lieu s'appelait la tribus principium. Cette assemblée, où les voix se comptaient au lieu de se peser, où les citoyens de tout âge et de toute fortune avaient les mêmes droits, présente un caractère démocratique qui la distingue profondément des comices centuriates, Il est pourtant bon de remarquer que la démocratie n'y régnait pas ou n'y régna pas longtemps sans partage. Il y eut, sinon à l'origine, au moins plus tard, depuis une date impossible à déterminer, mais certainement antérieure au milieu du Ve siècle de Rome, une sorte de hiérarchie entre les tribus. Les tribus urbaines, au nombre de quatre, étaient réservées à la partie infime de la population, infime par le rang ou la fortune, aux affranchis et aux artisans, tandis que les trente et une rustiques ne comprenaient que des hommes de naissance libre et propriétaires fonciers. Ces derniers, disposant de trente et un suffrages contre quatre, étaient, comme on le voit, tout puissants ; mais, comme les petits propriétaires étaient forcément plus nombreux que les grands, on peut dire que c'étaient les hommes de condition moyenne, non les plus riches, qui faisaient la majorité et conduisaient rassemblée. Et, pour le faire observer en passant, cette fameuse réforme de 241 av. J.-C. sur les causes de laquelle on a tant disserté, n'eut d'autre objet que de mettre en harmonie les comices centuriates et tributes en soumettant les premiers à la même direction que les seconds. Quelques critiques ont soutenu que, dans le principe, les tribus de toute nature, urbaines et rustiques, n'étaient composées que de propriétaires, mais cette opinion ne parait pas fondée.

Le mode de votation qu'on vient de décrire est resté le même à travers toutes les péripéties qui signalent l'histoire de rassemblée plébéienne et sous toutes les formes qu'elle a revêtues. Elle n'a eu d'abord qu'une existence extra-légale, avec une nuance marquée de séparatisme, ne comptant pas officiellement parmi les rouages gouvernementaux, n'élisant que les chefs de l'ordre, tribuns et édiles, ne prenant des décisions qui l'intéressaient et l'engageaient exclusivement. Ce n'étaient pas encore les « comices tributes ». C'étaient les « concilia plebis »,les réunions de la plèbe considérée, non comme une représentation de la cité, mais comme une simple corporation. Cette situation ne pouvait se soutenir longtemps. Les plébéiens avaient le nombre et la force. Ils prétendirent imposer au peuple entier le respect et l'observance de leurs « plébiscites », sentant bien que leurs résolutions demeuraient frappées d'impuissance tant qu'elles n'étaient pas consacrées par l'assentiment des patriciens. Ceux-ci de leur côté comprirent que cet élément hétérogène, introduit dans l'organisme politique, deviendrait moins dangereux et plus maniable, une fois assimilé. De là, toute une série de longues et laborieuses négociations dont les phases principales sont marquées par trois lois s'espaçant sur une période de plus d'un siècle et demi. Ces lois sont rapportées par les historiens en termes à pou près identiques, mais il est invraisemblable qu'elles n'aient été que la répétition les unes des autres. La conjecture la plus plausible est celle de Willems, dans son Sénat de la République romaine. Les patriciens n'entendaient pas se livrer sans garanties. Ils exigèrent, pour reconnaître force de loi aux plébiscites, qu'ils seraient, comme les lois des comices centuriates, approuvés par le Sénat (patrum auctoritas). Ce fut l'arrangement rendu exécutoire en 449 av. J.-C. par la loi Valeria Horatia, modifiée cent ans plus tard par la loi Publilia Philonis (339 av. J.-C.).

Cette dernière loi, dont il a été question déjà à propos des comices centuriates et qui rendait l'aucioritas patrum préventive pour les lois votées par ces comices, la déplaça de même pour les plébiscites. Il est à remarquer que dans tout ceci il ne s'agit ni des attributions électorales ni des attributions judiciaires de l'assemblée plébéienne. L'auctoritas n'était exigible que pour les votes législatifs. Elle le demeura jusqu'en l'an 287 av. J.-C. où le Sénat, sous la menace d'une révolution, fut forcé d'y renoncer. Les conséquences fâcheuses de la loi Hortensia, qui brisait l'unité du corps politique et ouvrait la voie à de funestes conflits, ne se manifestèrent qu'à la longue, grâce à l'excellence de l'esprit public. Mais il ne fut plus possible de les méconnaître à partir des Gracques. Le parti conservateur essaya en vain d'enrayer, d'abord, et même avant les Gracques, en soumettant les tribuns à l'obnurtiatio consulaire par les lois Aelia et Fufia (154 av. J.-C.), ensuite sous la dictature de Sylla, en rétablissant franchement l'auctoritas pour l'assemblée plébéienne comme pour l'autre, et en mutilant ses droits de toute façon. Mais, le dictateur disparu et son oeuvre avec lui, elle se retrouva livrée sans contrôle aux agitateurs révolutionnaires et ne devint pas, dans ces conditions, un des moindres instruments de la chute de la République.

Le rapprochement opéré en 449 av. J.-C. entre la plèbe et la cité patricienne amena la fondation des comices tributes (comitia tributa), sans que cependant cette forme nouvelle prise par l'assemblée plébéienne ait eu pour conséquence la suppression des concilia plebis . Elle continua à porter ce nom, au moins officiellement, lorsqu'elle se réunissait sous la présidence des magistrats plébéiens, tribuns et édiles de la plèbe, les pléiéiens seuls étant convoqués, bien qu'en fait l'ordre patricien ne fut pas exclu. Il est vrai que, dans les derniers siècles de la République, il était devenu si peu nombreux que son abstentien eût pu passser absolument inaperçue. Quant aux comices tributes, ils comprenaient tous les membres des tribus, c.-à-d. tous les citoyens, patriciens et plébéiens, et étaient présidés par les magistrats patriciens, les consuls ou les magistrats extraordinaires qui les remplaçaient, les préteurs, les édiles curules. C'était, on le voit, à parties édiles, le même personnel présidant et votant que dans les comices centuriates, avec cette différence que l'on votait par tribus, comme dans les concilia plebis. La création des comices tributes introduisit une complication de plus dans l'appareil déjà singulièrement surchargé du suffrage populaire à Rome. Pourtant le partage entre les attributions des comices tributes et des conciles de la plèbe se fait sans trop de difficulté. Et ici nous devons encore une fois examiner successivement les attributions électorales, judiciaires et législatives. L'élection des tribuns et des édiles de la plèbe resta réservée aux concilia plebis. Bien qu'ils fussent de moins en moins distingués des magistrats proprement dits, ils ne cessaient pas d'être considérés comme les représentants exclusifs d'un ordre. Il était naturel par conséquent que les membres de cet ordre fussent seuls appelés à les nommer. Aux comices tributes étaient élus les magistrats qui, créés après l'institution de ces comices, n'avaient pas des pouvoirs assez considérables pour les tenir des comices centuriates, les magistrats mineurs et sans imperium, les questeurs qui n'avaient été d'abord que les agents des consuls, nommés par eux, plus tard les édiles curules, les vigintisexviri, les tribuns militaires comitiati ou électifs. Plus tard enfin on leur attribua le droit d'élire le pontifex maximus (à partir de 212 av. J.-C.), le curio maximus (depuis 209 au moins) et enfin, depuis la loi Domilia de sacerdotiis, en 104, tous les membres du collège des pontifes et des augures, à condition qu'ils fussent présentés par les collèges. Les tribus, quand elles procédaient aux élections sacerdotales, ne devaient pas être au complet. On en tirait au sort dix-sept sur les trente. cinq, et ces dix-sept suffisaient pour constituer les comices. Ou plutôt, en théorie, il n'y avait pas de comices, et l'élection dont il s'agit n'avait que la valeur d'une désignation, avec caractère obligatoire. On retrouve dans cette procédure étrange les subtilités habituelles à l'esprit romain. Les collèges sacerdotaux cooptaient eux-mêmes leurs membres et nommaient leur président. La démocratie victorieuse, en substituant l'élection à ce mode de recrutement aristocratique, n'avait pas cru devoir rompre sans ménagements avec ce principe traditionnel et sacré, et elle avait imaginé cet expédient pour tout concilier. En résumé, et abstraction faite de cette dernière particularité, les comices tributes nous apparaissent comme une assemblée électorale d'ordre assez inférieur pour qu'on lui pardonnât d'être démocratique.

Ce n'est donc pas sur ce terrain que l'assemblée plébéienne développa sa compétence et fonda sa souveraine influence. Ce ne fut pas davantage sur le terrain judiciaire, bien qu'elle paraisse l'avoir essayé tout d'abord. On a vu plus haut comment, dès les premiers temps de son existence, elle s'arrogea le droit de juger des causes capitales en traduisant à sa barre les patriciens coupables d'avoir enfreint le pacte conclu entre la plèbe et la cité. Le plus illustre de ces accusés fut Coriolan, mais il y en eut beaucoup d'autres. Ces prétentions furent abandonnées depuis la loi Aternia Tarpeia (454 av. J.-C.), et surtout depuis la législation décemvirale (450). A partir de cette époque les tribus ne furent plus compétentes qu'en matière non capitale et n'eurent plus que le droit de prononcer des amendes. Ainsi ce qui distingua la compétence des comices, ce fut, non la nature du délit, mais la pénalité dont les tribuns restaient juges. Ils étaient maitres par conséquent de donner à une affaire une gravité extrême en l'évoquant devant les comices centuriates, ou au contraire d'en réduire l'importance, en la renvoyant à l'assemblée tribute. Souvent, dans le dernier cas, pour ne pas mettre en mouvement une machine aussi lente à manoeuvrer, ils jugeaient eux-mêmes, sauf à respecter, s'ils en étaient recuis, le principe de l'appel (provocatio) valable devant l'assemblée tribute, toutes les fois que l'amende dépassait un certain chiffre, le chiffre de la multa suprema. Les causes non capitales étaient également portées devant les tribus par les magistrats patriciens. Alors l'assemblée prenait le nom de comices tributes, tandis que les tribuns ne pouvaient avoir affaire qu'aux concilia plebis. Distinction purement verbale d'ailleurs et qui ne changeait rien au fond des choses. Il résulte de ce qui précède que l'assemblée plébéienne n'avait pas des attributions plus relevées en matière judiciaire qu'en matière électorale. C'est par l'extension indéfinie de sa compétence législative qu'elle arriva à un rôle prépondérant dans le mécanisme gouvernemental. On sait déjà comment cette compétence avait été reconnue par les pouvoirs patriciens et en même temps soumise à un contrôle dont elle finit par s'émanciper. Ce qu'il faut ajouter, c'est qu'il n'y eut point de partage réglé entre les attributions législatives de l'assemblée centuries et de l'assemblée tribute. Le pouvoir législatif passa de l'une à l'autre par la force des choses, ou plutôt par l'initiative des tribuns, toujours occupés à légiférer et à innover, tandis que les magistrats patriciens opposaient à cette activité un peu turbulente la discrétion et la timidité de l'esprit conservateur. Ils finirent eux-mêmes par céder au courant, en ce sens qu'ils se résignèrent à transporter leurs propositions de l'assemblée centuriate à sa rivale. Les préteurs donnèrent l'exemple dès le milieu du IVe siècle av. J.-C. Les consuls suivirent, lentement d'abord, résolument ensuite, si bien que dans le dernier siècle de la République, la plupart des lois, non pas seulement prétoriennes, mais consulaires, étaient votées par les comices tributes. Ainsi les comices tributes, par leurs lois votées sous la présidence des préteurs et des consuls, mais surtout les concilia plebis par leurs plébiscites votés sous la prési. dence des tribuns, étaient devenus le principal, et, à vrai dire, le seul organe législatif du peuple romain. Et par une série d'usurpations dont le détail serait trop long à retracer, on les voit passer peu à peu de la sphère politique et constitutionnelle, dans le domaine administratif jusque-là et très sagement réservé au Sénat; s'immiscer dans les affaires religieuses, financières, étrangères; distribuer des provinces et des commandements militaires. Ce fut une altération profonde dans le jeu de la constitution républicaine et le symptôme de sa prochaine dissolution. (G. Bloch).

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