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Littérature > La France
Littérature française
La littérature française au XVIIIe siècle
Les salons et le régime des lettres
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Le théâtre
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La tragédie.
Crébillon (Rhadamiste et Zénobie); Voltaire (Brutus, Alzire, Zaïre)
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La comédie
Regnard (Le Retour imprévu, Le légataire universel); Lesage (Turcaret); Marivaux (Le Jeu de l'amour et du hasard); Beaumarchais (Le Barbier de Séville, Le Mariage de Figaro)
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La poésie

  André Chénier
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La prose
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Le roman
Lesage (Le Diable boiteux, Gil Blas); Marivaux (La Vie de Marianne); Prévost (Manon Lescaut); Bernardin de Saint-Pierre (Paul et Virginie)
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La littérature philosophique
Montesquieu (Lettres persanes, l'Esprit des lois);  Voltaire, Rousseau-(Nouvelle Héloïse, Emile, Le Contrat social), Bernardin de Saint-Pierre (Etudes et Harmonies de la Nature); Diderot et D'Alembert (L'Encyclopédie):
Buffon (Histoire naturelle)
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L'éloquence révolutionnaire
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Il est encore plus difficile de combiner le plan de l'histoire littéraire du XVIIIe siècle que celui de l'histoire littéraire du XVIIe. Des difficultés spéciales apparaissent ici : la vie des écrivains est désormais plus mêlée à leur oeuvre et leur oeuvre elle-même est plus diffuse et sans suite. Si donc on veut donner un aperçu tout à fait général de la littérature au XVIIIe siècle, on devra nécessairement nommer quatre ou cinq grands écrivains; « l'Europe, a dit Taine, n'en a pas de plus grands », et noter les quatre ou cinq idées qu'ils ont mises en circulation. Les écrivains sont : Montesquieu, Voltaire, Diderot, Rousseau, Buffon. Les idées sont : la toute-puissance de la raison, la croyance au progrès, la bonté de l'homme, auxquelles se rattachent les idées secondaires du pouvoir de la science, de la grandeur de l'institution sociale et de la possibilité de l'améliorer, de la liberté, idées qui peuvent, comme le remarque Ferdinand Brunetière, se ramener toutes « à une seule idée confuse et puissante - la vie a son but en elle-même - ce qui est la négation de la vie religieuse ». Reprenant ces noms, nous pouvons les grouper assez logiquement de la manière suivante : 1° Voltaire et Montesquieu, la formation de l'esprit nouveau ; 2° Diderot, le mouvement encyclopédique; 3° Buffon et Rousseau, la fin du classicisme.

La formation de l'esprit nouveau (1715-1750)

Comme on l'a vu, la transition entre deux siècles aussi opposés que le XVIIe et le XVIIIe a été presque insensible. La foi au progrès, l'idée la plus caractéristique du XVIIIe siècle, celle qui fait l'air de ressemblance et de famille de toutes les grandes oeuvres du temps : l'Esprit des lois de Montesquieu, l'Essai sur les moeurs de Voltaire, les Discours de Rousseau, l'Histoire naturelle de Buffon, l'Encyclopédie, l'Histoire philosophique des deux Indes de Raynal, l'Esquisse, de Condorcet, sur les progrès de l'esprit humain, apparaît assez nettement dans l'oeuvre de Fénelon comme aussi la croyance en la bonté de la nature, et l'idée de la toute-puissance de la raison provient en droite ligne de Descartes. Le cartésianisme, longtemps entravé par le jansénisme, va prendre maintenant tout son essor. Malgré le dédain que tous les philosophes, sauf Buffon, professent pour Descartes, c'est, bien son doute méthodique qu'ils réalisent. 
« Le dix-huitième siècle commença un grand et double travail dont il ne lui fut pas donné de voir le terme : détruire tout ce qu'il y avait d'arbitraire dans l'autorité, pour la rétablir plus inébranlable sur les bases éternelles du droit et de la justice. » (Demogeot). 
Qu'est l'esprit nouveau, sinon, en quelque sorte, l'esprit de destruction? Destruction des croyances, des moeurs et des institutions du passé, au nom de la justice et de la vérité. Bayle et Fontenelle avaient déjà incliné la littérature vers cette voie, mais ils n'étaient pas assez puissants pour imprimer le mouvement décisif. Ce rôle appartient à Voltaire, qui est, comme on l'a répété souvent, le représentant du XVIIIe siècle auquel peu s'en faut qu'il n'ait imposé son nom.

La plupart des historiens de la littérature française affirment que Voltaire a emprunté à l'Angleterre les principes de sa philosophie, de sa science et surtout de sa théologie. Il en serait redevable à Bacon, à Locke, à Newton, à Clarke, à Collins, à Toland, à Wolston. Mais ne suffit-il pas de remarquer, pour réduire cette assertion à sa juste valeur, qu'il a fréquenté fort jeune le salon de Ninon de Lenclos, le Temple où se réunissait, sous la présidence des Vendôme, une académie de libertinage, le café Procope où Boindin professait l'athéisme; enfin, qu'il avait lu et relu Bayle, l'apôtre de la tolérance, dont le fameux Dictionnaire lui fournit tous les arguments qu'il pouvait désirer sur l'incompatibilité de la raison et de la foi? Voltaire, d'ailleurs, avant d'être un philosophe, est demeuré fort longtemps un bel esprit, et il n'est devenu philosophe, dans les vingt dernières années de sa vie, que grâce au succès des ouvrages et des théories de Rousseau. « Il se piqua, dit Condorcet, de surpasser Rousseau en hardiesse comme il le surpassait en génie », mais il n'alla pas aussi loin que son rival en renommée. Toute sa philosophie sociale se borne à la destruction des prêtres, à la liberté de la pensée et à la conception d'un Dieu rémunérateur et vengeur. Encore ne tient-il pas beaucoup à cette dernière abstraction. Elle ne lui semble nécessaire que pour retenir « la canaille » sur la pente de l'improbité on elle n'est que trop portée. En effet, comme on l'a dit, Voltaire est conservateur en tout, sauf en religion, et son idéal est lié au maintien de la civilisation.

Il ne peut être question ici de passer en revue l'oeuvre énorme de Voltaire; il a abordé tous les genres et les a supérieurement traités. Ce qu'il faut noter, c'est l'universalité de sa curiosité, la clarté de sa langue et cette véritable royauté de l'esprit qu'il a exercée dans toute l'Europe. Ce qu'il faut noter aussi, c'est qu'il a eu peu d'idées personnelles, mais qu'il a su exprimer excellemment, sous une forme vive et brillante, toutes les idées et les sentiments qui fermentaient dans les têtes de ses contemporains. S'emparant de tout l'esprit de l'époque, il a pénétré toute une génération de sa pensée et imprimé sur le caractère de la nation une marque ineffaçable. Les multiples transformations de Voltaire suivent les transformations du siècle et elles se manifestent par des chefs-d'oeuvre.  Brunetière les a résumées en une page spirituelle qu'il y a donc double avantage à reproduire ici : 

« La société plus que libertine du Temple ou la cour licencieuse du régent demandent un poète lauréat, comme on dirait en Angleterre, ou comme dit le régent « un ministre au département des « niaiseries »? 
Trop heureux de racheter à ce prix ses premières incartades, le fils du bonhomme Arouet fait son entrée dans le grand monde par cette porte basse. Le public parisien, le plus amoureux du théâtre qu'il y ait peut-être jamais eu dans l'histoire d'aucune littérature, cherche un auteur favori qui remette en honneur l'antique tragédie tombée de Pradon en Campistron et de Campistron en Lamotte? 

L'auteur d'OEdipe entre en lice et fait bruyamment valoir ses titres à l'héritage vacant. Les derniers tenants d'une vieille querelle se lamentent et déplorent qu'à l'éternel Homère des anciens les modernes ne puissent opposer un seul poète épique? Voltaire compose la Henriade et prend la peine lui-même d'en démontrer les beautés au lecteur français dans son Essai sur le poème épique. Les gens du monde et les femmes de cour se plaignent de ne pouvoir supporter la lecture de l'histoire dans les lourds in-folio de Scipion Dupleix ou de Mézeray? L'Histoire de Charles XII paraît, qu'on se dispute comme un roman, suivie bientôt du Siècle de Louis XIV et de l'Essai sur les moeurs. Le goût de la science et de la philosophie se répand, le siècle entier tourne à la physique et les marquises donnent à la géométrie tout ce que les pompons et l'amour leur laissent de loisir? Le châtelain de Cirey chante en vers les cieux de Newton et disserte en prose tout à fait savamment sur la nature du feu. Le vent souffle à l'économie politique et la nation se met à disserter sur les grains? Il écrit l'Homme aux quarante écus et raisonne sur le produit net. L'irréligion gagne et de plus en plus se propage? Il écrit son Dictionnaire philosophique et lance le célèbre mot d'ordre. La Révolution se prépare? Les brochures succèdent aux brochures, les pamphlets aux pamphlets, et c'est encore lui, lui toujours, lui partout qui porte les premiers coups. » 
Il n'y a plus, après cela, qu'à citer Zaïre, la seule tragédie digne de ce nom après celles de Corneille et de Racine, Candide, et l'inimitable Correspondance, pour bien se rendre compte de l'immense étendue et de la belle souplesse d'un tel auteur et apprécier cette boutade de Frédéric II :

« Je doute s'il y a un Voltaire dans le monde : j'ai fait un système pour nier son existence. Non, assurément, ce n'est pas un seul homme qui fait ce travail prodigieux qu'on attribue à M. de Voltaire. Il y a à Cirey une académie composée de l'élite de l'univers. Il y a des philosophes qui traduisent Newton, il y a des poètes héroïques, il y a des Corneille, il y a des Catulle, il y a des Thucydide, et l'ouvrage de cette académie se publie sous le nom de Voltaire, comme l'action de toute une armée, s'attribue au chef qui la commande. »
Comme Voltaire, Montesquieu est encore un classique dans sa méthode ou dans ses procédés. Son scepticisme est voisin de celui de Montaigne. Ses ouvrages (Lettres Persanes, Esprit des lois) sont pleins d'intentions révolutionnaires, ou si l'on veut réformatrices; il s'attaque au despotisme, à l'esclavage, à l'intolérance; au fond, il est, lui aussi, très modéré.
« Il est quelquefois nécessaire de changer certaines lois, mais le cas est rare et, lorsqu'il arrive, il n'y faut toucher que d'une main tremblante : on y doit observer tant de solennité et apporter tant de précautions, que le peuple en conclut naturellement que les lois sont bien saintes, puisqu'il faut tant de formalités pour les abroger. »
Avec beaucoup des défauts d'un bel esprit, son style est personnel et original. L'Esprit des lois a une importance capitale. 
« Ce livre marque une date, une époque même de la prose classique. Toutes ces considérations de droit public et de jurisprudence, toutes ces matières de politique et d'économie, la théorie des gouvernements comme celle du change, ou l'interprétation des lois civiles comme celle des lois pénales, enfouies jusque-là dans les livres savants et spéciaux des Cujas ou des Barthole, des Grotius on des Puffendorf, des Domat ou des Pithou, l'Esprit des lois, pour la première fois, les faisait sortir de l'enceinte étroite des écoles, de l'ombre des bibliothèques et, les mettant à la portée de tous, accroissait ainsi le domaine de la littérature de toute une vaste province, de celle de l'érudition. C'est ce que Descartes avec son Discours de la méthode avait fait pour la philosophie; Pascal pour la théologie dans ses Lettres provinciales. Le livre eut un autre mérite : ce fut de donner aux études historiques une direction nouvelle. L'histoire devint philosophique en ce sens qu'elle fait désormais consister son principal objet dans la recherche de causes et dégage les historiens de la superstition des modèles antiques. » (Brunetière).
 Son succès fut prodigieux, surtout à l'étranger. En France, il fut accueilli presque froidement, voire même attaqué comme suspect de spinozisme et de déisme, critiqué par Buffon et raillé par Mme du Deffand qui dit, non sans quelque raison : 
« C'est de l'esprit sur les lois. »
Durant cette première période du XVIIIe siècle, que Voltaire et Montesquieu dominent de toute leur hauteur d'autres écrivains, et ils sont nombreux, cherchent des voies nouvelles. Mais en dehors de la comédie et du roman, on ne saurait trouver aucune oeuvre digne de mention. La comédie devient une autre espèce de composition littéraire que du temps de Molière. Elle s'attache moins à la peinture du coeur humain qu'au développement de situations et à la recherche d'effets. Piron donne sa Métromanie (1738), pleine de verve et d'émotion; Destouches, un Glorieux (1732) et un Philosophe marié (1727); Gresset, un Méchant (1747) fort distingué et ce petit poème de Vert-Vert qui a conservé de la réputation quoiqu'il soit bien inférieur aux poésies légères de Voltaire. Le Sage et Marivaux l'emportent sur leurs contemporains, aussi bien comme auteurs dramatiques que comme romanciers.

Le Sage, auteur d'une bonne comédie de moeurs (Turcaret) a affirmé le caractère du roman, qui est de nous montrer les circonstances maîtresses de la volonté.

Avec le Diable boîteux, Gil Blas, le Bachelier de Salamanque,

« le roman de moeurs est créé et ses successeurs n'auront plus qu'à faire valoir son héritage. C'est le premier en date des romans modernes ou le premier des romans où le genre ait pris conscience de lui. Désormais, l'objet du roman sera l'imitation de la vie réelle, de la vie commune même, aristocratique ou bourgeoise; il sera la représentation plus ou moins embellie et idéalisée des moeurs environnantes; il sera la peinture de ce qu'il y a d'humain, sans doute, en chacun de nous, mais surtout de ce qu'il y a de plus analogue aux idées, aux usages, aux modes et aux façons de vivre de notre temps. » (Brunetière).
Marivaux, en dépit de ses grâces minaudières et apprêtées, est dans le fond comme dans la forme un inventeur. Son répertoire constitue tout un genre, dans lequel il n'a eu ni modèles ni successeurs. Dans ses romans (La Vie de Marianne, le Paysan parvenu), il a introduit la peinture des moeurs du commun. L'observation morale y est d'une richesse et d'une finesse remarquables. Ses oeuvres abondent en idées ou en germes d'idées qui n'ont porté leurs fruits que plus tard : ce qui explique son influence sur son siècle, surtout sur Rousseau et Diderot.

L'abbé Prévost n'est pas inférieur à Le Sage et à Marivaux, et s'ils sont plus connus, c'est parce qu'ils ont écrit Turcaret et les Jeux de l'amour et du hasard

« Ses romans sont des romans, ce qu'à peine on peut dire du Diable boîteux ou même de Gil Blas; le ressort de ses romans est le vrai romanesque, ce que l'on ne pourrait dire ni de Marianne, ni du Paysan parvenu; le style de ses romans, enfin, est le vrai style du roman, un peu pompeux, un peu redondant encore, un peu périodique, mais si agile malgré tout, si simple, si direct - et c'est ce que l'on ne peut dire ni du style de Le Sage, dont la concision sent encore trop l'homme de théâtre, ni du style de Marivaux qui, dans sa préciosité, s'éloigne trop du commun usage. » (Id.).
Prévost est le créateur de la manière noire, où triomphèrent plus tard Anne Radcliffe et Ducray-Duminil, et après eux les romantiques. On ne cite plus de lui que Manon Lescaut, où il a peint de si vives couleurs la souveraineté de la passion et toutes ses conséquences terribles et fatales. Il importe pourtant de signaler Cleveland et le Doyen de Killerine, où se rencontrent ces justifications à tous les manquements de conduite d'un passionné que Rousseau (Nouvelle Héloïse) transformera en glorifications véritables. Citons encore : La Chaussée, le créateur de la comédie larmoyante et le précurseur du drame; il eut le don d'intéresser par le spectacle des infortunes domestiques (la Fausse Antipathie, 1723, le Préjugé à la mode, 1735, l'École des Mères, 1744, la Gouvernante, 1747); Crébillon le père, dont une cabale, organisée par Mme de Pompadour, opposa vainement les tragédies (Rhadamiste, 1711, Pyrrhus, 4726, Catilina, 1742) à celles de Voltaire.

Aux environs de 1750, la société était incrédule, sensuelle et raisonneuse. Il y avait à Paris des cafés (Procope, Grasset) qui ont conquis une célébrité dans les annales de l'athéisme; des salons présidés par des femmes spirituelles et sans moeurs et où le bel esprit faisait fureur (Mme du Deffand, Mme Geoffrin, etc.); les jeunes seigneurs et la bourgeoisie se complaisaient en débauches cyniques. Nul n'a mieux peint la corruption aimable de ce temps que Duclos (Considérations sur les moeurs de ce siècle, 1751; Mémoires pour servir à l'histoire du XVIIIe siècle, 1751), rien ne l'explique mieux que le succès des romans érotiques de Crébillon le fils; rien n'en témoigne mieux, par opposition, que la vie douloureuse et les Réflexions et Maximes de Vauvenargues.

Le mouvement encyclopédique (1750-1765)

Cette seconde période du siècle est celle qui le caractérise particulièrement. Les opinions nouvelles ne sont plus l'apanage exclusif des écrivains supérieurs : elles s'imposent à la littérature tout entière. Les écrivains eux-mêmes ne forment plus une sorte de caste assez fermée, d'où les lettres et les sciences ne sortaient guère : en sorte qu'on pouvait dire qu'ils n'écrivaient que pour eux-mêmes ou pour un cercle étroit d' « honnêtes gens ». Ils sont plus nombreux, ils ont conquis un public et, à mesure que ce public s'étend, une influence qui devient une puissance dans l'Etat. C'est le progrès de l'esprit philosophique qui a amené cette transformation.

Si Voltaire n'a pas puisé les principes de sa philosophie en Angleterre, il a du moins mis à la mode les écrits des philosophes et des savants anglais, comme aussi Montesquieu a mis à la mode les études politiques et attiré l'attention sur le gouvernement anglais. La curiosité de l'étranger ne se bornait pas là. L'éclat de la cour de Frédéric Il ne fut pas étranger au succès des méthodes de Leibniz. Les voyages devenus plus fréquents avaient d'ailleurs établi entre les diverses nations des communications plus intimes. En somme, ce goût pour les sciences exactes, qui devait s'étendre si rapidement,la France l'a emprunté à Newton surtout et à Leibniz. Mais presque aussitôt les savants et les philosophes français s'imposent au monde et, par leurs ouvrages, leurs correspondances, leurs jugements, gouvernent l'opinion de l'Europe, de Naples jusqu'à Saint-Pétersbourg.

L'Encyclopédie est née de ce mouvement des esprits : elle l'a accentué formidablement, elle ne l'a pas provoqué. Dès 1755 ou 1756, l'hostilité religieuse, jusque-là sourde et continue, commença à éclater au dehors. Dans la population parisienne, l'autorité souveraine était discutée; l'idée de révolution se répandait. 

« Le peuple, dans ses halles, dit Barbier, commençait à parler de lois fondamentales et d'intérêts nationaux. » 
Les écrivains, à l'affût de popularité, se gardèrent de laisser échapper une telle occasion. Ils se précipitèrent dans la lutte. Diderot donna le signal en mettant sur le chantier l'Encyclopédie. On trouvera ailleurs sur ce site (Encyclopédie, Diderot, D'Alembert [Discours préliminaire], La littérature philosophique au XVIIIe siècle) de nombreux détails sur cette colossale machine de guerre à l'édification de laquelle travaillèrent non seulement les meilleurs auteurs contemporains, mais des magistrats, des gens de lettres, des officiers généraux, des fonctionnaires. Constatons seulement qu'elle ébranla comme un formidable bélier les bases de la religion, de la morale et celles de la politique, c.-à- d. celles de l'édifice social. C'est, par l'intermédiaire de Locke, le cartésianisme en action, c'est le premier temps de la méthode réalisé dans le domaine des faits, et, comme vers cette époque, Kant écrit la Critique de la raison pure, c'est partout la même destruction suivie des mêmes vaines tentatives de reconstruction. Diderot, esprit ardent et désordonné, philosophe, physiologiste, romancier, dramaturge, critique d'art, a porté dans tous les genres sa vaste et pourtant incomplète intelligence, essayant de rajeunir le théâtre par l'imitation plus exacte de la nature, de fonder une philosophie morale sur des principes mouvants, écrivant des romans à la fois moraux et cyniques. On l'a nommé « le premier génie de la France nouvelle », et l'école positiviste l'a rangé au nombre des bienfaiteurs de l'humanité. Cela marque bien l'importance et la nature du rôle qu'il a joué.

L'Encyclopédie a eu d'heureuses conséquences scientifiques puisqu'elle a donné l'essor aux sciences physiques et naturelles, mais elle a suscité aussi des imitateurs qui ne lui ont emprunté que ses tendances subversives et les ont poussées à leurs extrêmes limites. Ainsi Helvétius écrivit son fameux livre de l'Esprit (1758) où il affirme que la sensibilité physique est la cause productrice de toutes nos pensées. C'était le matérialisme en métaphysique, en morale l'intérêt personnel. Cette doctrine effraya les philosophes eux-mêmes. D'Holbach publia le Système de la nature (1770), qui est le code le plus complet de l'athéisme et où le despotisme monarchique fut pour la première fois confondu avec le despotisme sacerdotal. Raynal donna l'Histoire des deux Indes (1778), où il étale les déclamations les plus révolutionnaires :

« Peuples lâches! imbéciles troupeaux vous vous contentez de gémir quand vous devriez rugir! »
Mably, dans les Observations sur l'histoire de France (1765), attaque violemment toutes les institutions anciennes qui ne sont pour lui que despotisme et anarchie. Dès 1764, Voltaire s'était écrié : 
« Tout ce que je vois jette les semences d'une révolution qui arrivera immanquablement et dont je n'aurai pas le plaisir d'être le témoin. La lumière s'est tellement répandue qu'on éclatera à la première occasion, et alors ce sera un beau tapage. Les jeunes gens sont bien heureux : ils verront de belles choses. »
En face de cette enthousiaste armée de démolisseurs se tenait une petite phalange de conservateurs : mais elle n'a ni talent, ni verve, ni influence. Ceux qui réfutent Voltaire sont des Burigny, des Nonnotte, des Houtteville, des Guénée, des Bergier dont on a depuis longtemps oublié les noms. Le chancelier Daguesseau et Rollin, qui se rattachent au jansénisme, sont les plus éminents des orthodoxes, mais l'un n'est qu'un rhéteur élégant qui s'est absorbé dans les querelles de la bulle Unigenitus, et l'autre par son Traité des études (1726), par son Histoire ancienne et son Histoire romaine (1730 et suivantes), où il s'enthousiasme pour les vertus républicaines des Anciens, a contribué autant que Mably et Rousseau à la destruction du gouvernement monarchique. D'autres, Fréret, le président de Brosses, sont des affiliés discrets du parti philosophique.

La fin du classicisme (1765-1802)

A partir de 1754, les philosophes commencèrent à rencontrer des adversaires plus dangereux. Fréron venait de fonder l'Année littéraire où il se proposait de critiquer la littérature contemporaine en s'appuyant sur les modèles du XVIIe siècle et surtout de combattre l'esprit philosophique au nom de la religion chrétienne et de la monarchie. Il s'en prit, comme on sait, surtout à Voltaire qui s'en vengea cruellement par de mordantes épigrammes et la pièce de l'Ecossaise (1760). D'autres journalistes, on les appelait alors feuillistes, marchèrent à la suite de Fréron. Contre les encyclopédistes, Moreau publia les Cacouacs; Guyon, l'Oracle des philosophes; Palissot, les Petites Lettres sur de grands philosophes, et une comédie en trois actes, les Philosophes, etc. Sans doute ces ennemis n'étaient pas fort terribles, mais ils étaient méchants et tenaces et ils pouvaient faire quelque impression sur l'opinion. C'est Rousseau qui devait porter les coups les plus funestes aux encyclopédistes en détournant à son profit toute leur popularité. Sa Lettre à d'Alembert marqua sa rupture avec eux. Une série de chefs-d'oeuvre parus coup sur coup en moins de dix ans (1755-1764) : le Discours sur l'inégalité, la Nouvelle Héloïse, le Contrat social, l'Émile, la Lettre à Christophe de Beaumont, les Lettres de la Montagne, obtinrent un succès soudain, universel, contagieux. Or ce succès s'explique surtout par le caractère littéraire de ces brûlantes revendications : 
« Tous les genres étaient épuisés; le roman avec Prévost, le drame avec Diderot, naissaient à peine, la poésie lyrique n'était pas encore née; le siècle s'ennuyait en dépit de l'Encyclopédie, des épigrammes de Piron, des petits vers de Bernis, des polissonneries du jeune Crébillon, Rousseau vint, et tout changea. » (Brunetière).
Cette révolution détruisait tout l'oeuvre de Voltaire : puisque Rousseau avait une morale fondée sur une justice antérieure, extérieure et supérieure à l'invention sociale, puisqu'en essayant de ramener l'homme à la nature, source de toute justice, son idéal était lié au bouleversement de la civilisation, puis qu'enfin il avait besoin de l'existence d'une Providence. Aucun écrivain n'a exercé une action plus puissante, plus étendue et plus diverse que Rousseau, dont le Contrat social a été l'évangile de la Convention. Il se distingue autant des philosophes de son siècle par son spiritualisme et son besoin de reconstruction sociale (alors qu'ils ne pensaient qu'à détruire religion et gouvernement) que par le sentiment très vif des beautés de la nature et la sensibilité qui communiquent à ses écrits une éloquence passionnée, émue, douloureuse, et marquent une nouvelle évolution dans l'histoire de la littérature française. C'en est fait désormais du classicisme dont l'influence avait persisté jusque-là, puisqu'on avait gardé la préoccupation de l'élégance et de la noblesse du style. C'est la littérature romantique qui commence. Rousseau est en quelque sorte le précurseur de Bernardin de Saint-Pierre, de Byron, de Goethe, de Chateaubriand, de Lamartine. Il y a une dernière remarque à faire : 
« Avec Rousseau, c'est le plébéien qui entre pour la première fois dans l'histoire de la littérature. Jusqu'à Rousseau, dans l'ancienne société, d'aussi bas que l'on fût parti, on se classait en devenant homme de lettres, on passait d'une condition dans une autre; bien loin de s'en vanter, on essayait plutôt d'effacer jusqu'aux traces de son origine; avec une condition nouvelle, on prenait des sentiments nouveaux. Celui-ci fut le premier qui resta peuple en se faisant auteur, et qui fonda sa popularité sur le mépris insolemment avoué de tout ce qui n'était pas lui-même [...]. Une nouvelle espèce d'hommes apparaissait en scène et son premier acte de puissance allait être de renverser dès qu'elle le pourrait tout ce que Voltaire avait aimé. » (Brunetière).
Si Buffon est plus près du XVIIe siècle par son style et la dignité, voire la solennité constante de sa vie, il est bien du XVIIIe par son peu de préoccupation pour la métaphysique. Cependant il se tint dans une indépendance relative des philosophes et encourut l'inimitié de d'Alembert et les railleries de Voltaire et de Montesquieu. Quant à Rousseau, on sait qu'à Montbard il baisa dans un accès d'enthousiasme le seuil du pavillon où Buffon avait composé son grand ouvrage. C'est qu'en effet Buffon est pour ses contemporains le peintre par excellence de la nature, et cela explique la faveur qui accueillit ses premiers travaux. Il vulgarisa l'histoire naturelle, comme Montesquieu avait vulgarisé le droit; il résume et illustre la pensée scientifique du XVIIIe siècle comme Rousseau en représente la pensée politique. Il est le créateur d'un genre nouveau, celui de l'éloquence descriptive.

De même que dans le domaine de la politique et de la religion on avait déclaré la guerre aux théories du passé, on poursuivit dans le domaine de l'économie sociale la destruction de l'ancien système de réglementation à outrance. L'école nouvelle adopte ce mot d'ordre : laissez faire, laisse-passer. Elle aussi cherche ses inspirations en Angleterre, chez Locke, chez David Hume, qui eux-mêmes les avaient jadis puisées chez Boisguillebert et chez Vauban. Les représentants les plus autorisés de ces doctrines sont Gournay, Quesnay, l'auteur de la Physiocratie (1758), Turgot, collaborateur de l'Encyclopédie, auteur des Réflexions sur la formation et la destruction des richesses et du Mémoire sur les prêts d'argent (1766); Roland, le futur ministre, Condorcet, Mercier de La Rivière, auteur de l'Ordre naturel et essentiel des sociétés politiques (1767); Dupont de Nemours, auteur de l'Origine et progrès des sciences nouvelles (1758); et les réformes qu'ils préconisent passent avant toutes les autres dans l'application puisque Turgot proclame la liberté commerciale, la liberté industrielle et essaye de créer les municipalités d'arrondissement et les municipalités de province. Ces recherches positives avaient donc une toute autre portée que les spéculations des philosophes. Aussi l'abbé Galiani qui écrivait lui aussi sur le Commerce des blés (1770) comparaît-il Quesnay à l'Antéchrist et dénonçait-il les oeuvres des économistes comme un danger pour l'ordre établi.

Nous sommes en effet à la veille de la Révolution. L'ancienne société, déjà si transformée, s'effrite et va disparaître. Ses moralistes sont : Champfort, encore plus pessimiste que Rousseau :

« Les fléaux physiques et les calamités de la nature ont rendu la société nécessaire, la société a ajouté aux malheurs de la nature. Les inconvénients de la société ont amené la nécessité du gouvernement et le gouvernement ajouta aux malheurs de la société. Voilà l'histoire de la nature humaine. »
Rivarol que Burke appelait avec un peu d'exagération « le Tacite de la Révolution », esprit brillant, écrivain politique vigoureux, qui essaye de fonder une morale indépendante de tout culte et de toute religion. Ses romanciers sont Restif, le « Rousseau des halles », qui peignit si crûment les moeurs populaires; Choderlos de Laclos qui traita avec non moins de cynisme des Liaisons dangereuses (1782). Ses pamphlétaires sont Beaumarchais, l'adversaire mordant du parlement Maupeou (Mémoires judiciaires, 1774-1775) qui déjà s'écriait : 
« Je suis un citoyen, c.-à-d. je ne suis ni un courtisan, ni un abbé, ni un gentilhomme, ni un financier, ni un favori, ni rien de ce qu'on appelle puissance aujourd'hui. Je suis un citoyen, c.-à-d. ce que vous devriez être depuis deux cents ans, ce que vous serez dans vingt ans peut-être ».
Mirabeau, enfin, qui attaque le despotisme, les lettres de cachet, les financiers, avec une verve incomparable. Combien différents des compagnies d' « honnêtes gens » les cercles on brillent ces esprits acérés!

Avec la société disparaît l'art classique qui lui avait plu. La tragédie, après De Belloy (le Siège de Calais), Lemierre, Guimond de La Touche (Iphigénie en Tauride), Saurin (Spartacus), La Noue (Mahomet Il), finit avec Ducis, qui met à la scène les chefs-d'oeuvre de Shakespeare et mérite seul d'être nommé après Voltaire, qu'il remplaça à l'Académie. La comédie finit avec Collin d'Harleville (l'Optimiste, le Vieux célibataire).

Les poètes sont plus nombreux. Mais parmi ceux qui cultivent le genre à la mode de la poésie descriptive, Saint-Lambert (les Saisons), Lemierre (les Fastes), Rosset (L'Agriculture), Roucher (les Mois), seul Delille a laissé un souvenir durable pour sa traduction des Géorgiques.

Le Brun eut des succès dans l'ode et on le compara à Pindare : il est inférieur à J.-B. Rousseau. Dorat et Bertin excellent dans le genre érotique. Deux poètes du plus grand talent ont clos cette période : ce sont Parny, que Français de Nantes proclamait « le premier poète classique du siècle de Louis XVI », et André Chénier, « notre plus grand classique en vers depuis Racine et Boileau » (Sainte-Beuve). L'héritage de Boileau dans la critique littéraire avait été disputé par Marmontel et La Harpe. L'auteur des Cours de littérature y avait seul quelques droits. Enfin les derniers philosophes ont été Condillac, Condorcet et Cabanis.

Des ruines du classicisme s'élançait une littérature désordonnée, mais pleine de sève. Sedaine, Beaumarchais, Mercier inauguraient avec bonheur le genre du drame qui devait avoir une si singulière fortune. Mercier dans ses Essais sur l'art dramatique (1773) attaquait violemment l'ancien théâtre et formulait les règles qui tendaient à produire sur la scène la société vivante, le peuple, l'existence ordinaire, et il les mettait en pratique dans ses pièces (Jenneval, la Brouette du Vinaigrier, le Déserteur, l'Indigent, etc.). Sedaine créait avec les mêmes tendances l'opéra-comique (Blaise le Savetier, le Jardinier et son seigneur, le Roi et le fermier, Rose et Colas, les Sabots, etc.). L'Eugénie (1767), les Deux Amis (1770), la Mère coupable (1791) de Beaumarchais sont de la même famille. Le Mariage de Figaro et le Barbier de Séville étant des chefs-d'oeuvre marquent bien, par leur exubérance et leur influence sur l'opinion, la nature et les qualités de la littérature nouvelle. Elles brillent encore, ces qualités, de tout leur éclat, dans un roman de Bernardin de Saint-Pierre, Paul et Virginie, et dans les discours enflammés de Mirabeau, le plus éloquent orateur qu'on ait entendu depuis Bossuet, le premier orateur politique de la France nouvelle. (R. S.).

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