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Les Batraciens
ou Amphibiens fossiles sont très intéressants
pour le paléontologiste, car ce sont les premiers vertébrés
terrestres qui aient apparu à la surface du globe. Ceux qui vivent
à l'époque actuelle sont de si faible taille, qu'ils ne peuvent
donner qu'une idée très incomplète du développement
de ce type aux époques géologiques antérieures. En
effet, la Salamandre gigantesque du Japon (Megalobatrachus ou Sieboldia),
le plus grand des Batraciens vivants, atteint à peine un mètre
de long, tandis que les Labyrinthodontes de l'époque triasique avaient
des dimensions comparables à celles des plus grands Crocodiles
actuels.
Les premiers Batraciens ont apparu à
l'époque où se sont formés les premiers lacs ou marais
d'eau douce, c.-à-d. à l'époque carbonifère
: pas plus que de nos jours on ne connaît de type fossile de cette
classe ayant vécu dans la mer, et sous ce rapport les Batraciens
diffèrent à la fois des Poissons
qui les ont précédés et des Reptiles
qui les ont suivis. Comme les Batraciens actuels, les types fossiles étaient
essentiellement caractérisés par les métamorphoses
qu'ils subissaient dans leur jeune âge. Sortant d'un oeuf
petit (dépourvu d'amnios et d'allantoïde),
sous forme de larve apode ou de têtard, munis de branchies
propres à la respiration aquatique,
ces animaux passaient toute la première
partie de leur vie dans les lacs et les cours d'eau, assez rares encore
aux époques paléozoïques et de transition. Arrivés
à une certaine taille ils subissaient une métamorphose, acquérant
des poumons et, perdant souvent, mais non toujours,
les branchies de leur premier âge et quittaient l'eau douce pour
vivre à terre, mais sans s'éloigner beaucoup des bords où
ils cherchaient leur nourriture. On connaît, en effet, à l'époque
actuelle, des Batraciens urodèles (les
Perennibranches) qui gardent toute leur vie à la fois poumons et
branchies, et respirent alternativement par ces deux organes (Menobranchus,
Amblystoma), ne prenant qu'exceptionnellement la forme de quadrupède
terrestre qui est propre à la plupart des Batraciens adultes. On
a des raisons de croire que les Batraciens primitifs présentaient,
comme règle, ce qui n'est plus qu'exceptionnel à l'époque
actuelle, c.-à-d. qu'ils étaient perennibranches pour la
plupart, ce qui indique un genre de vie plus franchement aquatique que
celui des Amphibiens modernes.
Les Batraciens primitifs (que l'on désigne
généralement sous les noms de Ganocéphales et de Stégocéphales)
différaient d'ailleurs sous beaucoup de rapports des Batraciens
actuels. Leur crâne est plus complet, bien
qu'il présente deux condyles occipitaux
comme chez ceux-ci (au lieu d'un seul, comme chez les Reptiles);
mais la région temporale présente deux os
qui manquent aux Batraciens actuels : un postorbitaire et un supratemporal;
il y a en outre des épiotiques et quelquefois un anneau sclérotique
comme chez les Reptiles. La colonne vertébrale
est très incomplètement ossifiée, de telle sorte que
l'on trouve souvent, entre les vertèbres,
des vestiges plus ou moins marqués de la notocorde.
Enfin, la plupart étaient pourvus d'écailles ou de plaques
cutanées, formant une cuirasse plus ou moins complète eu
même une sorte de squelette épidermique, ce qui contraste,
de la façon la plus remarquable, avec la peau
nue des Batraciens actuels (les Cécilies seules ayant conservé
de très petites écailles). Ce squelette
épidermique a disparu lorsque le squelette interne s'est solidifié.
Ces particularités importantes
éloignent les Stégocéphales des Batraciens modernes
pour les rapprocher des Reptiles, ou plutôt la connaissance de ce
type primitif vient combler, au moins en partie, l'abîme que les
embryologistes modernes ont creusé entre les Batraciens (Anallantoïdiens)
et les Reptiles (Allantoïdiens). En d'autres termes, si l'on tient
compte des Amphibiens fossiles, il semble intéressant ici de revenir
à la classification de Cuvier
qui plaçait les Batraciens dans la classe des Reptiles dont ils
formaient simplement le quatrième ordre. Telle semble avoir été
l'opinion des paléontologistes tels que Gaudry qui, en parlant des
Amphibiens primitifs (Stegocéphales), les désignait simplement
sous le nom de 'Reptiles". En réalité, les Batraciens envisagés
dans leur ensemble, et en tenant compte des types fossiles, présentent,
avec les Reptiles, les mêmes rapports que les Didelphes aplacentaires
avec les Mammifères placentaires, et
l'on pourrait, par analogie, considérer les Amphibiens comme une
simple sous-classe des Reptiles (Gaudry).
Quoi qu'il en soit, il se pourrait que
les Batraciens primitifs (Stégocéphales) aient été
les ancêtres à la fois des Batraciens modernes et des Reptiles.
Ces Stégocéphales eux-mêmes ne peuvent descendre que
de certains Poissons ganoïdes (les Crossoptérygiens
par exemple), qui vraisemblablement étaient dipnoïques (pourvus
à la fois de branchies et de poumons),
comme les Ceratodus, Lepidosiren et Protopterus actuels, qui présentent
tant de rapports avec les Amphibiens. La structure des dents,
notamment de celles qui sont implantées dans la muqueuse buccale
et les os du palais, est un autre point de ressemblance entre les Crossoptérygiens
(Polyplocodus, etc.) et les Stégocéphales (Melanerpeton,
Acanthostoma).
Les plus anciens Batraciens connus sont
du Carbonifère; tel est l'Archegosaurus, Batracien salamandriforme,
à tête allongée et à ventre couvert d'écailles,
qui atteignait déjà une assez grande taille (1 m) et vivait
dans les marais de l'Europe
centrale, ou végétaient les grandes fougères
et les Sigillaria de cette époque. Un genre voisin (Anthracosaurus)
avait 2 m de long. Si les empreintes de pas désignées sous
le nom de Batrachopus, Sauropus, etc., appartiennent à des animaux
du même groupe, leur taille était beaucoup plus considérable.
La cuirasse épidermique qui couvrait ces Amphibiens devait être
surtout un appareil locomoteur, une sorte de squelette
externe, destiné à compenser l'ossification
incomplète de la colonne vertébrale
: les écailles ventrales, articulées avec les côtes,
leur servaient à ramper sur le ventre. D'ailleurs, cette cuirasse
n'avait pas à les protéger contre de bien nombreux ennemis
car à l'époque carbonifère les Amphibiens étaient,
pour ainsi dire, les maîtres du sol. Les grands Reptiles
marins (Enaliosauriens) qui habitaient les océans de cette période
ne pouvaient les poursuivre à terre ou dans l'eau douce. Ces Batraciens
primitifs étaient carnivores et se nourrissaient de poissons
et de crustacés dont on trouve les débris
avec eux.
Au Permien (fin du Paléozoïque
supérieur), les Batraciens se multiplient (Actinodon, Branchiosaurus,
etc.), tout en conservant la même organisation. Le Stereorachis (Gaudry)
est de la même époque, mais présente une organisation
plus élevée : ses vertèbres sont complètement
ossifiées; il n'y a plus trace de notocorde.
A l'époque mésozoïque
(Secondaire), les Batraciens atteignent leur plus grand développement,
pour s'éteindre bientôt presque complètement. C'est
dans le Trias qu'apparaissent les Labyrinthodontes, les plus grands et
les plus parfaits de tous les Amphibiens (Labyrinthodon, Mastodonsaurus,
Cheirotherium) : leur queue était plus courte que celle des Stégocéphales
permiens, mais c'est à tort qu'on a voulu comparer leurs formes
et leurs allures à celles des Anoures
actuels. Ce dernier type est tout moderne et n'apparaît pas avant
le Miocène. Les Cécilies, au contraire, pourraient être
considérées comme les descendants très lointains des
Aistopoda, Batraciens serpentiformes, dont quelques-uns ont pu atteindre
jusqu'à 15 m de long.
Au Jurassique et au Crétacé,
les Amphibiens disparaissent presque complètement, fait d'autant
plus remarquable que les Reptiles terrestres présentent à
cette époque leur plus grand développement (Dinosauriens,
Crocodiliens, etc.). Enfin c'est dans le
Cénozoïque (à partir du Paléogène)
qu'apparaissent, sans transition, les premiers Anoures (Palaeobatrachus),
ainsi que la plupart des formes actuelles (Andrias, genre très voisin
du Megalobatrachus du Japon). Les Urodèles
sont manifestement le seul type dont on suive complètement la trace
dans l'hémisphère boréal, depuis l'Actinodon et le
Branchiosaurus jusqu'aux Salamandres modernes en passant par l'Andrias
miocène.
Quant à leur relation phylogénétigne
avec les Reptiles, les Stégocéphales présentent, d'après
Fritsch, les rapports suivants : les Nectridea conduisent aux Sauriens
(Lézards), les Euglypta et Chauliodonta aux Crocodiliens. C'est
ce qu'indique la classification suivante proposée par cet auteur
:
1. Urodeloïdés : Branchiosaurus,
Melanerpeton, etc.
2. Gymnophiodés : Dolichosoma, Ophiderpeton,
Palaeosiren, etc.
3. Sauroidés : Urocordylus, Keraterpeton,
Limnerpeton, Hypoplesion, Seelya, Orthocosta, etc.
4. Crocodiloidés : Dendrerpeton,
Diplovertebron, Archegosaurus, Lovanema, Chelydosaurus, Cochleosaurus,
Gaudrya, Nyrania, Macromerion. etc.
De son côté, Cope a donné
des Batraciens le tableau phylogénétique suivant : Les Batraciens
eux-mêmes, d'après Cope, se rattachent par leurs membres aux
poissons Crossoptérygiens et par leur crâne aux Dipnoïques,
aux Ichthyotomi et aux Holocephali. Dans l'arbre phylogénétique
proposé en 1970 par Ohno, on retrouve les Crossoptérygiens
(groupe frère de celui dont dérivent les Dipneustes)
à l'origine de deux branches, l'une et l'autre à l'époque
dévonienne, la première sera celle des Coelecanthes, la seconde
(Ichthyostega) débouchera au Carbonifère et au Permien, d'un
côté sur le groupe dont dérivent les Sauropsides
(Oiseaux, Reptiles)
et les Mammiffères, et de l'autre les
Batraciens. Ces derniers se seraient divisés en Rhachitomes, ancêtres
des Anoures, et en Lepospondyles, groupe parent
des Urodèles et des Gymnophiones.
(E. Trouessart). |
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