| Humboldt (Friedrich Wilhelm (Guillaume) Christian Karl Ferdinand, baron de). - Homme d'Etat, philologue, critique et poète allemand, né à Potsdam le 22 juin 1767, mort au château de Tegel, près de Berlin, le 8 avril 1835. Son père, Alexander Georg (1720-1779), major dans l'armée prussienne et chambellan du roi, avait pris, comme aide de camp de Ferdinand de Brunswick, une part glorieuse à la guerre de Sept Ans. Guillaume de Humboldt et son frère cadet Alexandre de Humboldt, élevés à Tegel sous l'oeil vigilant d'une mère intelligente et austère, eurent pour communs précepteurs J.-H. Campe, le célèbre pédagogue, Christian Kunth, jeune savant de distinction, et J.-J. Engel, l'éminent auteur du Philosophe pour le monde. En 1783, ils furent envoyés à Berlin, en 1787, à Francfort-sur-l'Oder, puis, à un an d'intervalle (Guillaume en 1788 et Alexandre en 1789), à Goettingue, où l'illustre Heyne, tout en leur enseignant l'archéologie et la philologie, les initia aux doctrines de Kant. Cependant Guillaume inclinait davantage vers la littérature et la politique, Alexandre vers les sciences naturelles. La Révolution française acheva de séparer leurs destinées. Déjà pénétré des idées franchement et largement libérales qu'il ne devait, sa vie durant, cesser de professer, Guillaume salua avec un juvénile enthousiasme la nouvelle ère et, en compagnie de son ancien maître Campe, partit dès juillet 1789 pour Paris, afin de voir de près les événements et les hommes. L'impression qu'il ressentit fut profonde, et ses deux premiers écrits, qu'il composa à quelques mois de distance, en 1791, mais le second, le plus important, ne parut qu'assez longtemps après sa mort, furent deux professions de foi en faveur de la liberté individuelle et contre le socialisme d'Etat ldeen ueber Staatsverfassung durch die neue franzoesische Constitution veranlasst (Berlinischer Monatschrift, janvier 1792) et Ideen zu einem Versuch, die Grenzen der Wirksamkeit des Staates zu bestimmen (Breslau, 1851; traduction française par H. Chrétien, Paris, 1867, in-12). - Wilhelm von Humboldt. Guillaume de Humboldt passa à Weimar, à léna, à Erfurt, à Halle et à Auleben, près de Nordhausen, les années 1790 à 1792, s'appliquant avec avidité, dans la fréquentation de F.-A. Wolf, à l'étude de la langue, de la littérature et de l'art grecs, et associant à ces travaux, par lesquels il se préparait à ses admirables traductions métriques de l'Agamemnon (Leipzig, 1816; nouvelle édition, 1857), des choeurs des Euménides et de la seconde ode olympique de Pindare, sa jeune femme, Karoline von Dacherode, riche et noble héritière, qu'il avait épousée en juillet 1791. Vers le même temps, il fit la connaissance de Schiller, et entre ces âmes d'élite se noua une étroite et fidèle amitié, qui a exercé sur leurs oeuvres réciproques une influence des plus salutaires et dont un impérissable témoignage nous a été conservé par la publication, due à Guillaume de Humboldt lui-même, de leur édifiante correspondance : Briefwechsel zurischen Schiller und W. von Humboldt (Stuttgart, 1830; 2e éd., 1876). Il compta aussi Goethe parmi ses intimes. De même que Schiller, il l'aida de ses conseils et de ses inspirations et il donna en 1799 un commentaire de son Hermann et Dorothée (Brunswick, 1822, 4e éd.), qui est un des chefs-d'oeuvre de la critique allemande. A la fin de 1797, il était venu, avec les siens, se fixer Paris. Il y fit un séjour de quatre années, interrompu par un voyage de six mois en Espagne, d'où il rapporta une riche moisson de documents sur les anciens idiomes ibères, notamment sur le basque. En 1801, il fut envoyé à la cour pontificale comme ministre résident de Prusse et en 1806 il fut promu sur place ministre plénipotentiaire. Quoique luthérien, il conquit auprès de Pie VII une rapide et considérable influence. Du reste, les affaires ne lui firent pas délaisser l'étude, et à Rome, comme précédemment à Paris, il sut profiter, en lettré et en artiste, des trésors accumulés dans les collections et dans les bibliothèques. Rentré à Berlin en 1808, il fut aussitôt chargé, dans le ministère Altenstein-Dohna, de la direction de l'instruction publique et des cultes, fonda en 1810 l'université de Berlin, qu'il dota d'un enseignement aussi vaste et aussi libre que possible, et, la même année, fut nommé ministre plénipotentiaire à Vienne. Au congrès de Prague, où il représentait la Prusse, Guillaume de Humboldt parvint à triompher des irrésolutions du prince de Metternich et entraîna l'Autriche dans la coalition contre Napoléon. Durant les deux années qui suivirent, on le retrouve à toutes les conférences diplomatiques, à Francfort, à Châtillon, à Paris, où il entra avec l'armée des alliés, au Congrès de Vienne, où en même temps qu'il lutta avec une suprême, mais inutile énergie en faveur de l'indépendance allemande, il se montra, à l'égard de la France vaincue, d'une implacable exigence, réclamant pour son pays la cession de l'Alsace, que du reste il n'obtint pas. La paix signée, il prit encore part à la diète de Francfort, au congrès d'Aix-la-Chapelle, fut entre temps ambassadeur à Londres (1817) et entra, le 11 janvier 1819, dans le ministère prussien avec la direction des affaires provinciales et communales. Il y resta à peine un an. Son libéralisme et sa loyauté ne pouvaient s'accommoder de la politique rétrograde et autoritaire de Frédéric-Guillaume III. Ayant hardiment réclamé du roi la constitution par lui promise, il se vit, le 31 décembre, brutalement exclure du cabinet, en même temps que destituer de ses fonctions de conseiller d'Etat, qui ne lui furent rendues qu'en 1830. Il se retira sur sa terre de Tegel et reprit, pour ne plus les interrompre, ses immortels travaux de philologie comparée. Durant les quinze années qu'il vécut encore, il ne quitta guère Tegel que pour aller assister aux séances de l'Académie des sciences de Berlin, qui l'avait élu membre en 1810. Il faisait également partie depuis 1825, à titre d'associé étranger, de l'Académie des inscriptions et belles-lettres de Paris. Guillaume de Humboldt avait débuté, comme littérateur, par un volume d'essais critiques : Aesthetischen Versuchen (Brunswick, 1799), qui renferme entre autres ses commentaires du Reineke Fuchs et de l'Hermann und Dorothea de Goethe, du Spaziergang de Schiller. A la même époque appartiennent quelques-unes de ses meilleures productions philosophiques (Rezension über Jacobis Woldemar; Ueber den Gesehlechtsunterchied; Ueber moennliche und weibliche Form, etc.) et ses premières traductions de poètes grecs. Puis parurent les deux livres où il a consigné les résultats de ses profondes et consciencieuses recherches sur la langue basque : Berichtigungen und Zusoetze zu Adelunys Mithridates ueher die kantabrische oder baskische Sprache (Berlin, 1817); Prüfung der Untersuchungen über die Urbewohner Hispaniens vermittelst der baskischen Sprache (Berlin, 1821; traduction française par A. Marrast, Paris, 1866, in-8). Mais ce fut seulement après sa disgrâce, dans le calme de Tegel, que Guillaume de Humboldt composa la partie capitale de son oeuvre philologique, celle qui a plus spécialement trait aux vieux idiomes de l'Asie et de l'Océanie. Elle comprend de nombreux mémoires insérés dans les Abhandlungen de l'Académie de Berlin, dans le Journal asiatique, dans les Transactions de la Royal Asiatic Society, et plusieurs ouvrages à part : Ueber das vergleichende Sprachstudium in Beziehung auf die verschiedenen Epochen der Sprachentwicklung (Académie de Berlin, 1820), Ueber die unter dem Namen Bhagavad-Gita bekannte Épisode des Maha-Bharata (Berlin, 1826); Supplément à la grammaire japonaise du P. Rodriguez (Paris, 1826, in-8); Lettre à M. A. de Remusat sur la nature des formes grammaticales et sur le génie de la langue chinoise (Paris, 1827, in-8); Ueber den Dualis (Berlin, 1828); Ueber die Verwandtschaft der Ortsadverbien mit dem Pronomen in einigen Sprachen (Berlin, 1830); Ueber die Kawisprache auf der Insel Java (Berlin, 1836-1840, 3 vol. in-4, posth.). Ce dernier n'est que la première pierre d'un gigantesque monument qu'il voulait élever à la philosophie du langage et qui devait offrir un tableau d'ensemble et comparatif de tous les idiomes de l'ancien et du nouveau monde. Tel quel, c'est un chef-d'oeuvre, et son introduction, traduite dans diverses langues, a fait époque dans l'histoire des études étymologiques; elle a paru à part sous le titre : Ueber die Verschiedenheit des menschlichen Sprachbaues und ihren Ein fluss auf diegeistige Entwickelung des Menschengeschlechts (Berlin, 1836; 3° éd., 1883; traduction française par A. Tonnellé, Paris, 1859, in-8). Nous avons déjà signalé la correspondance de Guillaume de Humboldt avec Schiller. Il en entretint également de fort suivies avec Charlotte Diede, une jeune dame dont il avait fait connaissance, en 1788,à Pyrmont, avec F.-G. Welcker, avec Chr.-G. Koerner, avec Goethe, avec Fr.-H. Jacobi; elles ont eu à leur tour les honneurs de l'impression, la première, d'un charme exquis, sous le titre : Briefe an eine Freundin (Leipzig, 1847, 2 vol.; 11e éd., 1883), les suivantes en 1859 (Berlin), en 1869 (id.), en 1876 (Leipzig), en 1892 (Halle). Après sa mort, son frère Alexandre a donné une édition complète de ses oeuvres : W. von H. gesammelte Werke (Berlin, 1841-1852, 7 vol. in-8), où l'on trouve, outre tous les écrits déjà mentionnés, un grand nombre de poésies, entre autres deux poèmes dans le genre élégiaque, Alexander von Humboldt et Rom, et de jolis sonnets réunis ensuite en un volume (Berlin, 1853). Une édition spéciale de ses travaux philologiques a paru plus tard, avec un commentaire de H. Steinthal : Die sprachphilosophischen Werke Wilhelm's von Humboldt (id., 1883). A citer encore une réédition de ses Abhandlungen über Geschichte und Politik (id.,1870). Ses manuscrits sont à la bibliothèque de Berlin, à laquelle il les a légués. Une statue lui a été élevée en 1884, ainsi qu'à son frère, devant l'université de cette ville. (Léon Sagnet). | |