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Le Voyage à Laputa, à Balnibarbi, à Luggnagg, à Gludbdubdrid et au Japon Troisième partie, chapitre trois | ||
Jonathan Swift, 1727 |
Présentation | Lilliput | Brobdingnag | Laputa | Houyhnhnms |
III. - Phénomène expliqué par les philosophes et astronomes modernes. Les Laputiens sont de grands astronomes. Comment le roi mate les insurrections. |
- | Je demandai au roi la permission de voir les curiosités de l'île. Il me l'accorda, et ordonna à mon tuteur de m'accompagner. Je voulais savoir principalement quel secret naturel ou artificiel était le principe de ces mouvements divers de cette île, dont je vais rendre au lecteur un compte rendu exact et philosophique. L'île volante est parfaitement ronde; son diamètre est de sept mille huit cents trente sept yards; c'est à dire, d'environ quatre miles et demi, et par conséquent contient à peu près dix mille acres. Le fond de cette île ou la surface de dessous, celle que voient ceux qui la regardent d'en bas, est comme un large diamant de 400 pieds, poli et taillé régulièrement, qui réfléchit la lumière. Il y a au-dessus plusieurs minéraux, situés selon l'ordre habituel des mines, et par dessus est un terrain fertile de dix ou douze pieds de profondeur. | |
La pente est dirigée des parties de la circonférence vers le centre de la surface supérieure. Toutes les pluies et rosées qui tombent sur l'île sont ainsi conduites par de petits ruisseaux vers le milieu, pour être recueillies dans quatre grands bassins, chacun d'environ un demi mile de circuit et à deux cents pas de distance du centre. De ces bassins, l'eau est continuellement attirée et exaltée par le soleil pendant le jour, ce qui empêche le débordement. De plus, comme il est au pouvoir du monarque d'élever l'île au-dessus de la région des nuages et des vapeurs terrestres, il peut la prévenir des précipitations et des rosées. En effet, les plus hauts nuages ne peuvent s'élever au-dessus de deux miles, comme s'accordent à le dire les naturalistes, au moins cela ne s'est jamais vu dans ce pays. | ||
Au centre de l'île, est un trou d'environ vingt-cinq toises de diamètre, par lequel les astronomes descendent dans un large dôme, qui pour cette raison est appelé Flandona Gagnole [1], ou la caverne des astronomes, située à la profondeur de cinquante toises, au-dessous de la surface supérieure du diamant. Il y a dans cette cave vingt lampes sans cesse allumées, qui par la réverbération du diamant répandent une grande lumière de tous côtés. Ce lieu est encombré de sextants, de quadrants, de télescopes, d'astrolabes, et d'autres instruments astronomiques; mais la plus grande curiosité, dont dépend même la destinée de l'île, est une pierre d'aimant d'une grandeur prodigieuse, taillée en forme de navette de tisserand. Elle est longue de trois toises, et dans sa plus grande épaisseur, elle a au moins une toise et demie. Cet aimant est suspendu par un gros essieu de diamant, qui passe par le milieu de la pierre, sur lequel elle joue, et qui est placé avec tant de justesse qu'une main très faible peut la faire tourner. Elle est entourée d'un cercle de diamant, en forme de cylindre creux, de quatre pieds de profondeur, de plusieurs pieds d'épaisseur, et de six toises de diamètre, placé horizontalement, et soutenu par huit piédestaux tous en diamant, hauts chacun de trois toises. Du côté concave du cercle, il y a une mortaise profonde de douze pouces, dans laquelle sont placées les extrémités de l'essieu qui tourne quand il le faut. Aucune force ne peut déplacer la pierre, parce que le cercle et les pieds du cercle sont d'une seule pièce avec le corps du diamant qui fait la base de l'île. C'est par le moyen de cet aimant que l'île se hausse, se baisse et change de place. Car par rapport à cet endroit de la Terre sur laquelle le monarque préside, la pierre est munie à un de ses côtés d'un pouvoir attractif, et de l'autre d'un pouvoir répulsif. Ainsi quand il lui plaît que l'aimant soit tourné vers la terre par son pôle ami, l'île descend. Mais quand le pôle ennemi est tourné vers la même terre, l'île remonte en haut. Lorsque la position de la pierre est oblique, le mouvement de l'île est pareil; car dans cet aimant les forces agissent toujours en ligne parallèle à sa direction; c'est par ce mouvement oblique que l'île est conduite aux différentes parties du domaine du monarque. Pour expliquer la façon dont elle progresse, supposons que AB représente une ligne tracée au travers des domaines de Balnibarbi, et que la ligne cd représente l'aimant, où d est le pôle répulsif, et c le pôle attractif, l'île étant sur C. Supposons alors la pierre placée dans la position cd, avec son côté répulsif vers le bas : l'île sera conduite vers le haut, obliquement vers D. Quand elle est arrivée en D, supposons que la pierre est tournée sur son axe, jusqu'à ce que son côté attractif pointe vers E : l'île sera portée obliquement vers E. Si, maintenant, on dirige le côté attractif vers G, l'île peut être porté jusqu'à G, et de G à H, en tournant la pierre, ainsi de façon à faire pointer son extrémité répulsive directement vers le bas. Et ainsi, en changeant la position de la pierre, aussi souvent que nécessaire, on fait monter ou descendre l'île dans une direction oblique, et par ses montées et descentes successives (l'obliquité n'étant pas considérable), elle est transportée d'une partie de l'État à une autre. | [1] Une caverne est bien le pire endroit pour y placer un astronome. Surtout si l'on songe à celle de Platon, dont les occupants étaient tellement éloignés de tout ce qui est vrai. Aussi, par-delà les savantes explications données par les gulliverologues pour cette appellation, peut-être ne trahirions-nous pas Swift en voulant voir idans ce Flandona Gagnole une forme altérée de "flatulent guignol". | |
Mais il doit être remarqué, que cette île ne peut se déplacer qu'au-dessus d'un territoire bien défini, et ne peut pas monter à une altitude supérieure à 4 miles. A cela, les astronomes (qui ont écrit de grands systèmes concernant la pierre) donnent la raison suivante : la vertu magnétique ne s'étend pas au-delà de quatre miles; de plus, le minéral qui agit sur la pierre dans les entrailles de la terre et de la mer ne s'étend pas au-delà d'environ six lieues de distance du rivage; il n'est pas présent sur tout le globe, mais circonscrit dans les limites du royaume. Du fait du grand avantage que confère une telle situation supérieure, il était aisé pour un prince de soumettre tout le pays au-dessus duquel l'aimant agit. Quand la pierre est placée parallèlement au plan de l'horizon, l'île reste immobile; car dans ce cas ses extrémités étant à égale distance de la terre, agissent avec une force égale, l'une tirant vers le bas, l'autre poussant vers le haut, et en conséquence aucun mouvement ne s'ensuit. Cet aimant est placé sous la responsabilité de quelques astronomes, qui de temps en temps, lui donnent les diverses positions selon les directives du roi. | ||
Ils occupent l'essentiel de leur vie à observer les corps célestes, ce qu'ils font à l'aide de lentilles, de loin meilleure qualité que les nôtres. Bien que leurs télescopes les plus grands n'excèdent pas trois pieds, ils grossissent plus que cent des nôtres, et montrent les étoiles avec une clarté exceptionnelle. Cet avantage leur a permis d'étendre leurs découvertes bien au-delà de ce qu'ont obtenu les astronomes d'Europe, puisqu'ils ont établi un catalogue de dix mille étoiles fixes, quand le plus complet des nôtres ne répertorie que le tiers de ce nombre. Ils ont de façon analogue découvert deux petites étoiles, ou satellites, qui tournent autour de Mars[2]; Celui qui se situe sur l'orbite la plus petite est distant du centre de la planète principale exactement de trois fois son diamètre, l'autre est à une distance de cinq fois ce même diamètre; le premier tourne dans l'espace en dix heures, et le second en 21 et demie; ainsi les carrés de leurs périodes de révolution sont-elles à peu près dans la même proportion que les cubes de leur distance au centre de Mars [3]. Cela établit d'évidence qu'ils sont gouvernés par la même loi de la gravitation que celle qui règle le mouvement des autres corps célestes. Ils ont observé 93 comètes différentes, et calculé leurs périodes avec une exactitude extrême. Si cela est vrai (et ils affirment cela avec une grande confiance), il serait très souhaitable que leurs observations soient rendues publiques. Ainsi, la théorie des comètes, qui pour l'instant est très boiteuse et défectueuse, pourrait être portée à la même perfection que les autres branches de l'astronomie. Le roi serait le prince le plus absolu de l'univers, s'il pouvait engager ses ministres à lui complaire en tout; mais ceux ci ayant leurs terres au-dessous dans le continent; et considérant que la faveur des princes est passagère, n'ont garde de se porter préjudice à eux-mêmes, en opprimant la liberté de leurs compatriotes. Si quelque ville se révolte, ou refuse de payer les impôts, le roi a deux façons de la réduire à l'obéissance. La première et la plus modérée est de tenir son île au-dessus de la ville rebelle, et des terres voisines : par-là il prive le pays et du soleil et de la pluie, ce qui cause la disette et les maladies. Mais si le crime le mérite, on les accable de grosses pierres qu'on leur jette du haut de l'île, dont ils ne peuvent se garantir qu'en se sauvant dans leurs celliers et dans leurs caves, tandis que les toits de leurs maisons sont mis en pièces. S'ils persistent témérairement dans leur obstination et dans leur révolte, le roi a recours alors au dernier remède, qui est de laisser tomber l'île à plomb sur leurs têtes; ce qui écrase toutes les maisons et tous les habitants. Le prince néanmoins se porte rarement à cette terrible extrémité, que les ministres n'osent lui conseiller; vu que ce procédé violent les rendrait odieux au peuple, et leur ferait tort à eux-mêmes, leurs biens se trouvant sur le continent. L'île volante étant tout entière au roi, qui n'a pas d'autre domaine. Mais il y a encore une autre raison plus forte, pour laquelle les rois de ce pays ont toujours été éloignés d'exercer ce dernier châtiment, si ce n'est dans une nécessité absolue. C'est que si la ville qu'on veut détruire est située près de quelques hautes roches (et il y en a en ce pays effectivement auprès des grandes villes, qui ont été exprès bâties près de ces roches, pour se préserver de la colère des rois), ou si elle possédait grand nombre de flèches [de clochers] ou de colonnes de pierres, l'île royale dans sa descente pourrait abîmer sa surface inférieure, qui je l'ai dit consiste entièrement en un diamant, de deux cents yards d'épaisseur. Celui-ci pourrait se briser par de trop gros chocs ou secousses, ou même en approchant trop près des cheminées des maisons, qui sont comme c'est le cas chez nous sont renforcées par du fer et de la pierre. Les gens d'en bas le savent parfaitement, et savent jusqu'à quel point pousser leur obstination, lorsque leur liberté et leur propriété sont en jeu. Aussi quand sa majesté est le plus en courroux, elle fait toujours descendre son île très doucement, de peur, dit-elle, d'accabler son peuple, mais dans le fond, c'est qu'elle craint elle-même de briser le diamant de son île. Dans ce cas, les philosophes croient que l'aimant ne pourrait plus la soutenir désormais, et qu'elle s'écraserait au sol. | [2] On a beaucoup glosé sur cette prétendue préscience de Swift qui lui fait prédire l'existence des deux lunes de Mars (Phobos et Deimos) un siècle et demi avant leur découverte effective par l'astronome Asaph Hall en 1877. En réalité, l'auteur se réfère ici à une opinion parfois exprimée à son époque selon laquelle le nombre des satellites des planètes suivait une progression régulière : il doublait pour chaque planète au delà de la Terre. Ainsi, Mercure et Vénus n'en avaient aucun, la Terre en avait 1 (la Lune), Jupiter 4 (ceux découverts par Galilée), Saturne probablement 8 et, Mars, située entre la Terre et Jupiter devait en avoir 2. Cette loi rappelle celle de Titius-Bode et a aussi peu de fondement physique qu'elle. Voltaire : Micromégas. [3] Enoncé de la troisième loi de Kepler. | |
Par une loi fondamentale de ce royaume, ni le roi, ni ces deux fils aînés ne sont autorisés à quitter l'île; pas plus que la reine, jusqu'à ce qu'elle ait dépassé l'âge de porter des enfants. |
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