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Jonathan Swift est un écrivain de langue anglaise né à Dublin le 30 novembre 1667, mort le 19 octobre 1745. Fils d'un homme de loi sans fortune, il fut élevé par un de ses oncles qui le fit entrer au Trinity College de Dublin, où il fut dégoûté par l'enseignement scolastique alors en vigueur et dit il se distingua surtout par sa turbulence et sa mauvaise conduite. Il dit plus tard que son oncle lui avait fait donner l'éducation d'un chien. Recueilli, en 1690, par William Temple, il fut ordonné prêtre en 1695, bien qu'il n'eut guère de vocation et qu'il poursuivit les femmes avec une ardeur et une brutalité peu compatibles avec son caractère sacré. Il aidait Temple dans la préparation de ses mémoires, usait à loisir de sa vaste bibliothèque et commençait à écrire. Ses premiers essais The Battle of the Books et The Tale of a Tub, qui circulèrent d'abord en manuscrit, dévoilèrent ses remarquables aptitudes pour la satire. - Jonathan Swift (1667-1745). Après la mort de son protecteur (26 janvier 1699), Swift continua à publier ses Mémoires (1700 à 1709, 5 vol.), puis il s'attacha à lord Berkeley, lord justice d'Irlande, dont il obtint, d'ailleurs par un véritable chantage, certains bénéfices, et sous son influence il écrivit des pamphlets du libéralisme le plus déterminé. En 1701, il fit la connaissance d'Esther Johnson (sa fameuse Stella) et vécut avec elle sur le pied de l'intimité la plus complète, sans qu'on ait pu, malgré les plus minutieuses recherches où se sont complu les érudits, arriver à découvrir si Stella avait été réellement la maîtresse de Swift et s'il l'avait secrètement épousée. Swift, toujours à court d'argent, pétitionnait, intriguait pour obtenir de l'avancement. Il ambitionnait le siège épiscopal de Waterford qui lui fut refusé. Cette désillusion accrut encore son amertume naturelle. Il écrit des pamphlets dans le goût de l'Argument to prove the inconvenience of abolishing Christianity ou les Sentiments of a Church of England Man, où il tourne en ridicule et les déistes et les papistes et les presbytériens, ou encore sa Letter on the sacramental Test (1708) qui le met en froid, décidément, avec ses amis les whigs (Tories et Whigs), qu'il accusait par ailleurs de ne pas savoir reconnaître ses services. Il vient à Londres, pour chercher à qui se donner et il coquette avec les tories. C'est de ce voyage que date le célèbre Journal to Stella, où il raconte toute sa vie. Il voit Godolphin, Somers, Steele, Halifax, Harley. Le voilà tory renforcé; il écrit entièrement l'Examiner (1710-1711), auquel Addison essaye en vain de répondre, donne : Conduct of the Allies (1744), qui porte un coup fatal à la politique étrangère des whigs; Windsor Prophecy qui met au désespoir la duchesse de Somerset convaincue d'avoir les cheveux rouges et d'avoir trempé dans le meurtre de son mari. Les tories triomphent, grâce à Swift qui, à son ordinaire, n'obtient pas de récompenses suffisantes, se fâche et tombe malade d'anxiété. Il réussit tout de même à se faire nommer doyen de Saint-Patrick (1713). Son séjour à Londres l'avait mis en relations avec les personnalités les plus marquantes du temps : il avait été un des premiers membres du Brother's Club, avec Prior et Arbuthnot; il avait acquis une notoriété considérable. Pourtant il s'était brouillé avec Steele et il en était résulté une polémique des plus acerbes, où Swift insolent, avec génie, et passé maître dans l'invective, n'avait pas eu de peine à prendre tout l'avantage. Il postulait toujours sans succès, et le poste d'historiographe de la reine lui échappa encore. D'ailleurs les affaires des tories se gâtaient, et à la chute d'Oxford, Swift se retira en Irlande, ce qu'il appela son exil (175). Il s'y occupa fort agréablement à se laisser aimer jusqu'à l'adoration par sa Vanessa (Esther Vanhomrigh), une simple et gracieuse jeune fille, qui mourut en 1723 des suites d'une scène terrible que lui fit Swift parce qu'elle avait osé demander s'il était marié à Stella. Swift, toujours attiré par la politique, se mit à attaquer les procédés des colons anglais en Irlande, et dans des écrits mordants, signés « M. B., drapier », les accusa de ruiner le pays. Le gouvernement poursuivit avec rigueur cet insolent drapier et Swift y gagna une popularité énorme. Swift ne jouit pas tranquillement de sa renommée. Sa santé, déjà mauvaise, s'altéra davantage. Stella, après de longues souffrances, mourut le 28 janvier 1728. L'amertume de Swift s'accentua encore. Les misères du peuple irlandais devinrent son thème favori. Elles étaient affreuses; il réussit à les peindre sous des couleurs encore plus affreuses : il atteint au comble de l'horreur par des imaginations abominables, comme lorsqu'il conseille froidement aux pauvres de manger leurs enfants, excellent moyen de se délivrer de leurs importunités (Modest proposal for preventing the Children of the poor from being burdensome by using them as articles of food, 1729), ou bien lorsqu'il adjure le gouvernement de permettre aux Irlandais de s'engager dans l'armée française, afin d'atteindre plus rapidement son but qui est l'extermination de ce peuple (Answer to the Craftsman, 1730). Son pessimisme tournait à la folie noire, il redoutait de mourir dans un coin « comme un rat empoisonné » ; tantôt il fuyait la société, tantôt il se plaignait d'être abandonné par ses amis. Les meilleurs d'entre eux, comme Sheridan, étaient obligés de supporter patiemment ses désagréables boutades jusqu'au jour où un excès de méchanceté les obligeait à rompre tout commerce. Jonathan Swift, par Francis Brindon. Pour se désennuyer, il continuait à écrire et toujours sur le même ton : ses fameuses Directions to Servants, qui n'ont été publiées qu'après sa mort, sont de cette époque troublée. Ou bien il mystifiait ses connaissances par des inventions diaboliques, tyrannisait les femmes qui s'intéressaient à lui; malgré tout, il conservait l'amour du petit peuple qui lui pardonnait ses excentricités les plus blâmables, qui n'était même pas loin de les admirer comme des marques d'un esprit supérieur et qui était toujours tout prêt à le défendre contre les représailles qu'il s'attirait de temps à autre de gens qu'il avait piqués trop au vif. C'est que, en dépit de tous ses défauts, il était très charitable, traitait avec bonté ses serviteurs et, pourvu qu'on lui passât son incorrigible manie d'affubler de noms grotesques et de ridiculiser ceux qui avaient recours à lui, il était toujours disposé à rendre service. Peu à peu ses brillantes facultés s'évanouirent; ses derniers jours furent pénibles, il souffrit de troubles de l'oreille, d'abcès à l'oeil, eut une attaque d'aphasie et mourut après une longue agonie. Il fut enterré à Saint-Patrick, à côté de Stella. Il avait pris soin de rédiger l'épitaphe qui devait être placée sur sa tombe, le seul endroit, disait-il, ubi soeva indignatio ulterius cor lacerare nequit. Cet homme extraordinaire est plein de contrastes : misanthrope jusqu'à la férocité, il rechercha maladivement l'affection et l'amour, et tyrannisa ses amis et ses maîtresses. A dire vrai, on ne pouvait l'aimer - et c'est ce qui explique peut-être cette apparente contradiction - mais on était fasciné par sa profonde sincérité et son intense besoin de justice et dérouté par l'égoïsme des préoccupations personnelles qu'il mêlait à ses plus légitimes indignations. (B. S.).
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