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en Amérique du Sud | ||
La Harpe, 1820 | ![]() |
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Présentation - Les géomètres au Pérou
| - - La descente de l'Amazone
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[Les mathématiciens] se trouvèrent tous ensemble à Panama d'où cette illustre compagnie mit à la voile le 22 février 1736, et passa pour la première fois la ligne, du 7 au 8 mars. Elle aborda le 10 à la côte de la province de Quito![]() Le 15, ils traversèrent une montagne couverte d'arbres épais, après laquelle ils arrivèrent à de nouvelles plages de la rivière d'Ojibar, qu'ils passèrent encore quatre fois à gué, avec autant de danger que le jour précédent. Ils firent halte, à cinq heures du soir, dans un lieu appelé Caluma, On n'y trouva aucun endroit pour se loger, et pendant toute la journée il ne s'était offert aucune maison; mais les voituriers américains entrèrent dans la montagne, coupèrent des pieux et des branches, et formèrent en peu de temps des cabanes qui mirent tout le monde à couvert. Le chemin de ce jour avait été très incommode entre des arbres si voisins les uns des autres qu'avec la plus grande attention un voyageur se meurtrit les jambes contre les troncs, et la tête contre les branches. Quelquefois les mules et les cavaliers s'embarrassent dans les béjuques, espèce de liane ou d'osier qui traverse d'un arbre à l'autre. Ils tombent, et ne peuvent se débarrasser sans secours. Le 16, à six heures du matin, le thermomètre marquait 1016; aussi commença-t-on à respirer un air plus frais. On se remit en chemin à huit heures; et l'on passa vers midi dans un lieu nommé Mama Rumi. C'est la plus belle cascade que l'imagination puisse se représenter. L'eau y tombe d'environ cinquante toises de haut d'un rocher taillé, à pic, et bordé d'arbres extrêmement touffus. La nappe de sa chute forme par sa blancheur et sa clarté un spectacle auquel Ulloa n'avait rien vu d'égal. Elle se rassemble sur un fond de roche, d'où elle sort pour continuer son cours dans un lit un peu incliné, sur lequel passe le grand chemin. Cette belle cascade est nommée Paccha par les Américains, et Chorréra par les Espagnols. Les mathématiciens, continuant de marcher, passèrent deux fois la rivière sur des ponts aussi dangereux que les gués, et vers deux heures après midi ils arrivèrent à Tarrigagua. Une grande maison de bois, construite exprès pour les loger, servit à les délasser d'une journée très fatigante. Le chemin ne leur avait offert d'un côté que d'horribles précipices; et de l'autre, il était si étroit, que, les cavaliers et les montures n'ayant pas cessé de heurter, tantôt contre les arbres et tantôt contre le roc, ils étaient fort meurtris à leur arrivée. On nous explique en quoi consiste le danger des ponts. Comme ils sont de bois et fort longs, ils branlent d'une manière effrayante sous le poids de ceux qui les passent; d'ailleurs ils ont à peine trois pieds de large, sans aucune sorte de parapets ou de garde-fous sur les bords. Une mule qui vient à broncher tombe infailliblement dans la rivière , et ne manque pas d'y périr avec sa charge. Le passage étant guéable en été, on fabrique ces ponts chaque hiver; mais avec si peu de solidité, qu'ils demandent d'être renouvelés tous les ans. Lorsqu'une personne de marque fait cette route, le corrégidor de Guaranda est obligé de faire construire par les Américains les maisons de bois qui servent au repos de chaque journée. Elles demeurent sur pied pour servir aux autres voyageurs jusqu'à ce qu'elles tombent faute de réparation; alors un voyageur ordinaire est réduit, pour tout logement, aux cabanes que ses voituriers ou ses guides lui bâtissent à la hâte. Le 17, à six heures du matin, le thermomètre marquait 1014 et demi; et ce degré parut un peu frais aux mathématiciens, qui étaient accoutumés à des climats plus chauds; mais la même heure fait éprouver à Tarrigagua deux températures fort opposées. S'il y a deux voyageurs, dont l'un vient des montagnes et l'autre de Guayaquil, le premier trouve le climat si chaud, qu'il ne peut souffrir qu'un habit léger; et l'autre, au contraire, trouve le froid si sensible, qu'il se couvre de ses plus gros habits. L'un trouve la rivière si chaude, qu'il est impatient de s'y baigner; et l'autre la trouve si froide, qu'il évite d'y tremper la main. Une différence si remarquable ne vient, des deux côtés, que de celle de l'air d'où l'on sort. En sortant de Tarrigagua, le 8 à neuf heures du matin, les mathématiciens commencèrent à monter la fameuse montagne de Saint-Antoine; et vers une heure après midi ils arrivèrent dans un lieu que les Américains nomment Guamar, et les Espagnols Cruz de canna, c'est-à-dire Croix de roseaux. La fatigue du chemin les força de s'y arrêter. Cruz de canna est un petit espace de plaine un peu en pente, qui fait le milieu de la montagne. On nous représente le chemin, depuis Tarrigagua, comme un des plus dangereux de l'Amérique "Qu'on se figure, dit Ulloa, des montées presqu'à plomb; et des descentes si rudes, que les mules ont beaucoup de peine à s'y soutenir. En quelques endroits le passage a si peu de largeur, qu'il contient difficilement une monture; en d'autres, il est bordé d'affreux précipices qui font craindre à chaque pas de s'y abîmer. Ces chemins, qui ne méritent pas le nom de sentiers, sont remplis dans toute leur longueur, et d'un pas à l'autre, de trous de près d'un pied de profondeur, quelquefois plus profonds, où les mules ne peuvent éviter de mettre les pieds de devant et de derrière; quelquefois, leur ventre traîne à terre, et presque toujours il en approche jusqu'aux pieds du cavalier. Les trous forment une espèce d'escalier, sans quoi la difficulté du chemin serait invincible ; mais si malheureusement la monture met le pied entre deux trous, on ne le place pas bien dedans, elle s'abat, et le cavalier court plus ou moins de risque, suivant le côté par lequel il tombe. "Pourquoi ne pas marcher à pied dans un chemin de cette étrange nature On répond qu'il n'est pas aisé de se tenir ferme sur les éminences qui sont entre les trous; et que, si l'on vient à glisser, on s'enfonce nécessairement dans le trou même, c'est-à-dire dans la boue jusqu'aux genoux, car ces trous en sont remplis, et soulèvent jusqu'au comble. On les nomme camellons dans le pays; ils sont comme autant de trébuchets pour les mules : cependant les passages qui n'ont point de trous, sont encore plus dangereux. "Ces pentes étant fort escarpées, et la nature du terrain, qui est de craie continuellement détrempée par la pluie, les rendant extrêmement glissantes, il serait impossible aux bêtes de charge d'y marcher, si les voituriers indiens n'allaient devant pour préparer le chemin. Ils portent de petits hoyaux, avec lesquels ils ouvrent une espèce de petites rigoles à la distance d'un pas l'une de l'autre, pour donner aux mules le moyen d'affermir leurs pieds, Ce travail se renouvelle chaque fois qu'il passe d'autres mules; parce que, dans l'espace d'une nuit, la pluie ruine l'ouvrage du jour précédent. Encore se consolerait-on de recevoir de fréquentes meurtrissures, et d'être crotté ou mouillé, si l'on n'avait sous les yeux des précipices et des abîmes dont la vue fait frémir."Enfin Ulloa assure, sans exagération, que le plus brave n'y peut marcher qu'avec un frisson de crainte, surtout s'il conserve assez de liberté d'esprit pour songer à la faiblesse de l'animal qui le porte. La manière dont on descend de ces lieux terribles ne cause pas moins d'épouvante. Il ne faut point oublier que, dans les endroits où la pente est si raide, les pluies font ébouler la terre et détruisent les camellons. D'un côté, on a sous les yeux des coteaux escarpés, et de l'autre des abîmes, dont la vue seule glace les veines. Comme le chemin suit la direction des montagnes, il faut nécessairement qu'il se conforme à leurs irrégularités; de sorte qu'au lieu d'aller droit, on ne parcourt pas cent toises sans être obligé de faire deux ou trois détours. C'est particulièrement dans ces sinuosités que les camellons sont bientôt détruits. La nature apprend aux mules à s'y préparer. Dès qu'elles sont aux lieux où commence la descente, elles s'arrêtent, et joignent leurs pieds de devant l'un contre l'autre, en les avançant un peu sur une ligne égale, comme pour se cramponner : elles joignent de même les pieds de derrière, les avançant un peu aussi, comme si leur dessein était de s'accroupir. Dans cette posture elles commencent à faire quelques pas pour éprouver le chemin; ensuite, sans changer de situation, elles se laissent glisser avec une vitesse étonnante. L'attention du cavalier doit être de se tenir ferme sur sa selle, parce que le moindre mouvement qui ferait perdre l'équilibre à sa monture ne manquerait point de les précipiter tous deux. D'ailleurs, pour peu quelle s'écartât du sentier, elle tomberait infailliblement dans quelque abîme. Ulloa ne se lasse point d'admirer l'adresse de ces animaux. On s'imaginerait, dit-il, qu'ils ont reconnu et mesuré les passages. Sans un instinct si puissant , il serait impossible aux hommes de passer par des routes où les brutes leur servent de guides. "Mais quoique l'habitude les ait formées à ce dangereux manège, elles ne laissent point de marquer une espèce de crainte ou de saisissement. En arrivant à l'entrée des descentes; elles s'arrêtent sans qu'on ait besoin de tirer la bride : rien n'est capable de les faire avancer sans avoir pris leurs précautions. D'abord on les voit trembler; elles examinent le chemin aussi loin que leur vue peut s'étendre; elles s'ébrouent, comme pour avertir le cavalier du péril; et, s'il n'a pas déjà passé par ce même lieu, ces pressentiments ne lui causent pas peu d'effroi. Alors les Américains prennent le devant, se portent le long du passage, grimpent aux racines d'arbres qu'ils voient découvertes; ils animent les mules par leurs cris, et ces animaux, que le bruit semble encourager rendent le service qu'on attend d'eux."Dans d'autres endroits de la descente, il n'y a point de précipices à craindre; mais le chemin y est si resserré, si profond, ses côtés si hauts et si perpendiculaires, que le péril n'y est pas moins grand, quoique d'une autre manière. La mule, n'y trouvant point de place pour arranger ses pieds a beaucoup plus de peine à se soutenir. Si elle tombe néanmoins, ce ne peut être sans fouler le cavalier, et dans un sentier si étroit, qu'on n'a pas la moindre liberté de s'y mouvoir; il est assez ordinaire de se casser le bras ou la jambe, ou de perdre même la vie. A l'entrée de l'hiver, et au commencement de l'été ces voyages sont plus incommodes et plus dangereux que dans toute autre saison. La pluie forme alors d'épouvantables torrents qui font disparaître les chemins, ou qui les ruinent jusqu'à rendre le passage absolument impossible, à moins qu'on ne se fasse précéder d'un grand nombre d'Américains pour les réparer, et ces réparations mêmes, faites à la hâte, ou suffisantes pour les naturels du pays, laissent encore de grands sujets d'effroi pour un Européen. En général, le peu de soin qu'on donne à l'entretien des chemins du Pérou en augmente beaucoup l'incommodité naturelle ; car ce n'est pas seulement celui de Guayaquil à Quito ![]() Le 18, à Cruz de canna, le degré du thermomètre était de 1010; les mathématiciens se remirent en marche par un chemin semblable à celui du jour précédent, jusqu'à Pucara, où l'on cesse de suivre la rivière. Tout ce qu'on découvre au delà de Pucara lorsqu'on a passé les hauteurs de cette Cordillière, est un terrain sans montagnes et sans arbres d'environ deux lieues d'étendue mêlé de plaines rases et de fort petites collines; les unes et les autres sont couvertes de froment, d'orge, de maïs et d'autres grains, dont la différente verdure, forme un spectacle fort agréable pour ceux qui viennent de traverser les montagnes. Cet objet parut très nouveau à des voyageurs accoutumés depuis près d'un an aux verdures des pays chauds et humides, qui sont fort différentes de celles-ci; ils trouvèrent à ces belles campagnes un parfaite ressemblance avec celles de l'Europe Après s'être reposés jusqu'au 21, dans la maison. du corrégidor de Guaranda, ils reprirent leur route vers Quito Le 23, à cinq heures et un quart du matin, le thermomètre marquait 1000, terme de la congélation de cet instrument; aussi la campagne parut-elle toute blanche de frimas, et le rocher de Rumimachaï était tout couvert de gelée. A neuf heures du matin les mathématiciens recommencèrent à côtoyer le Chimboraço à l'est, et vers deux heures ils arrivèrent à Mocha, petit hameau fort pauvre, où ils passèrent la nuit. Le terrain qui est entre Caracol et Guaranda est de deux sortes : le premier, jusqu'à Tarrigagua, est uni; et, depuis Tarrigagua jusqu'à Guaranda, on ne fait que monter et descendre. Les montagnes, jusqu'à deux lieues au delà du Pucara, sont couvertes de grands arbres de différentes espèces, dont le branchage, les feuilles et la grosseur du tronc causent de l'étonnement aux voyageurs. Toute cette Cordillère est aussi garnie de bois dans sa partie occidentale qu'elle en est dépourvue dans la partie opposée. C'est du sein de ces montagnes que sort la rivière qui, grossie par une infinité de ruisseaux, occupe un si vaste lit depuis Caracol jusqu'à Guayaquil. Toute l'étendue de ces montagnes; qui ne laissent pas, d'avoir beaucoup de terrain uni dans leur partie supérieure, abonde en diverses espèces d'animaux Les roseaux ne sont nulle part aussi beaux que dans la route de Guayaquil à Quito Cependant Bouguer et La Condamine étaient restés seuls à Manta. Ces deux académiciens se proposaient d'y observer l'équinoxe "Nous ne devions point négliger, dit La Condamine, l'occasion d'observer les réfractionsTandis que Bouguer s'occupait des réfractions ![]() ![]() ![]() ![]() Les deux académiciens visitèrent Charapoto, Puerto-Véjo , et parcoururent la côte, depuis le cap San-Lorenzo jusqu'au cap Passado et Rio Jama. Pendant leur séjour à Puerto-Véjo, La Condamine guérit, avec du quinquina qu'il avait apporté de France "Les instruments, dit-il, furent partagés entre M. Bouguer et moi, Je lui remis mon petit quart de cercle d'un pied de rayon, et je me chargeai du grand. Nous avions commencé ensemble la carte du pays; je la continuai seul, et, n'ayant pu trouver de guide pour pénétrer à Quito Je sortis enfin de cette solitude, en suivant une crête de montagnes, où le chemin, ouvert trois ans après par don Pedro Maldonado, gouverneur de la province, n'était pas encore tracé. Le sentier où je marchais était bordé de précipices creusés par des torrents de neige fondue qui tombent à grand bruit du haut de cette fameuse montagne connue sous le nom de Cordillère des Andes, que je commençais à monter. Je trouvai à mi-côte, après quatre jours de marche, au milieu des bois, un village américain nommé Niguas, où je m'arrêtai. J'y entrai par un ravin étroit que les eaux ont cavé de dix-huit pieds de profondeur. Ses bords coupés à pic semblaient se joindre par le haut, et laissaient à peine le passage d'une mule : on m'assura que c'était là le grand chemin, et il est vrai qu'alors il n'y en avait pas d'autre: Je passai plusieurs torrents sur ces ponts formés d'un réseau de lianes; semblable à nos filets de pécheurs, tendu d'un bord à l'autre, et courbé par son propre poids. Je les vis alors pour la première fois, et je ne m'y étais pas encore familiarisé. Je rencontrai sur ma route deux autres hameaux dans l'un desquels, l'argent m'ayant manqué, je laissai mon quart de cercle et ma malle en gage chez le curé, pour avoir des mulets et des Américains jusqu'à Nono, autre village où je trouvai un religieux franciscain qui me fit donner à crédit tout ce que je lui demandai.La Condamine entra dans Quito ![]() ![]() |
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