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en Amérique du Sud | ||
La Harpe, 1820 |
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Présentation - Les géomètres au Pérou
| - - La descente de l'Amazone
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En 1738, [La Condamine] employa les premiers jours de septembre à faire un voyage au-delà de la cordillère orientale, à Tagualo, district peu connu, dont il leva la carte. Le marquis de Maënza, seigneur de tout ce canton, avait fait construire sur le sommet de la montagne de Gnougnouourcou un logement pour lui, et un abri pour ses instruments; mais, par un contretemps qui n'était que trop ordinaire, le brouillard rendit ses peines et tous ses préparatifs inutiles; en revenant, il se détourna un peu du chemin pour voir le lac de Quilotoa, situé sur le haut d'une montagne dont on lui avait raconté des choses merveilleuses. Ce lac est renfermé dans une enceinte de rochers escarpés, qui ne lui parut pas avoir beaucoup plus de deux cents toises de diamètre. quoiqu'on lui suppose une lieue de tour. Il n'eut ni le temps ni la commodité de le sonder; il s'en fallait alors environ vingt toises que l'eau n'atteignît les bords. On lui assura qu'elle, était montée depuis un an à cette hauteur, qu'elle avait près des bords plus de quarante toises de profondeur, et qu'il était longtemps resté dans son milieu une île et une bergerie que les eaux, en s'élevant peu à peu, avaient enfin tout à fait couvertes. La Condamine ne garantit point la vérité de ces faits, et quoiqu'ils n'aient rien, d'impossible, il avoue qu'il avait regardé comme une fable ce qu'on lui avait dit sur la foi des traditions péruviennes, que, peu après la formation du lac, il était sorti du milieu de ses eaux des tourbillons de flamme, et qu'elles avaient bouilli plus d'un mois; mais, depuis son retour en France, il a su de M. Maënza, qui était à Paris en 1751, et qui avait douté aussi de tous les faits précédents, qu'au mois de décembre 1740, il s'éleva pendant une nuit, de la surface du même lac, une flamme qui consuma tous les arbustes de ses bords, et fit périr les troupeaux qui se trouvèrent aux environs. Depuis ce temps tout a conservé sa situation ordinaire : la couleur de l'eau est verdâtre; on lui attribue un mauvais goût; et quoique les troupeaux voisins en boivent, on ne voit sur ses bords ni même dans le voisinage, aucune sorte d'oiseaux et d'animaux aquatiques. Celle qui coule du côté de la montagne est salée : les vaches, les moutons, les chevaux et les mulets en paraissent fort avides. Du côté opposé, les sources donnent une eau sans goût, qui passe pour une eau des meilleures du pays. Il y a beaucoup d'apparence que le bassin de ce lac est l'entonnoir de la mine d'un volcan qui, après avoir joué dans les siècles passés, se renflamme encore quelquefois. Le bassin a pu se remplir d'eau, par quelque communication souterraine avec des montagnes plus élevées, Un des points que Bouguer et La Condamine reconnurent ensemble, était une petite montagne nommée Nabouco, voisine des villages de Pénipé et de Guanando, où l'on recueille de fort belle cochenille, sur une espèce particulière d'opuntia ou raquette. La base de la montagne de Nabouco est de marbre; dans les ravines des environs, La Condamine en découvrit de très beaux et de richement veinés de plusieurs couleurs: Il y vit aussi des rochers d'une pierre blanche, aussi transparente que l'albâtre, et plus dure que le marbre; elle se casse par éclats, et rend beaucoup d'étincelles : on assure qu'un feu violent la liquéfie. L'académicien, soupçonnant qu'elle pouvait être employée à la porcelaine, en recueillit des fragments qui faisaient partie de l'envoi qu'il fit en 1740, pour le cabinet au Jardin du roi. Il trouva aussi, en descendant plus bas, une carrière d'ardoise, pierre dont on ne fait aucun usage dans le pays, et qui n'y est pas même connue. Sur la fin du mois d'août 1739, La Condamine n'ayant pu se défendre d'assister à une course de taureaux qui se faisait à Cuenca, il fut témoin d'un triste spectacle. Seniergues, chirurgien de la compagnie française, honoré par conséquent de la protection de deux souverains, fut assassiné en plein jour, à l'occasion d'une querelle particulière. Ce meurtre fut suivi d'un soulèvement général contre les mathématiciens, sans en excepter les deux officiers espagnols, et la plupart virent leur vie menacée. La Condamine, que Seniergues avait nommé, en mourant, son exécuteur testamentaire, se trouva forcé d'intenter, et de soutenir pour l'honneur du mort, un procès criminel qui dura près de trois ans. Les coupables en furent quittes pour quelques années d'un bannissement qu'ils n'observèrent point, et pour une amende qui ne fut pas payée; ils furent même absous après le départ des académiciens; mais le plus criminel ne laissant pas de craindre la justice, quelquefois sévère quoique toujours lente, du conseil d'Espagne, prit le parti de se faire prêtre. Les embarras de cet événement, qui donnèrent un nouveau lustre au caractère noble et généreux de La Condamine, ne furent pas adoucis par les divertissements qu'on lui procurait quelquefois. Les Indiens de la terre de Tarqui, où il se trouvait à la fin de décembre, sont dans l'habitude de célébrer tous les ans une fête qui n'a rien de barbare ni de sauvage; et qu'ils ont imitée de leurs conquérants espagnols, comme ceux-ci l'ont autrefois empruntée des Maures. Ce sont des courses de chevaux qui forment des ballets figurés. Les Indiens louent des parures destinées à cet usage, et semblables à des habits de théâtre; ils se fournissent de lances et de harnais éclatants pour leurs chevaux, qu'ils manient avec peu d'adresse et peu de grâce. Leurs femmes leur servent d'écuyers dans cette occasion, et c'est le jour de l'année où la misère de leur condition se fait le moins sentir. Les maris dépensent en un jour plus qu'ils ne gagnent dans l'espace d'un an; car le maitre ne contribue guère au spectacle qu'en l'honorant de son assistance. Cette espèce de carrousel eut pour intermède des scènes pantomimes de quelques jeunes métis, qui ont le talent de contrefaire parfaitement tout ce qu'ils voient, et même ce qu'ils ne comprennent point. Les académiciens en firent alors une fort agréable expérience. "Je les avais vus plusieurs fois, raconte La Condamine, nous regarder attentivement tandis que nous prenions des hauteurs du Soleil pour régler nos pendules. Ce devait être pour eux un mystère impénétrable qu'un observateur à genoux au pied d'un quart de cercle, la tête renversée dans une attitude gênante, tenant d'une main un verre enfumé à maniant de l'autre les vis du pied de l'instrument, portant alternativement son oeil à la lunette et à la division pour examiner le fil à plomb, courant de temps en temps regarder la minute et la seconde à une, pendule, écrivant quelques chiffres sur un papier, et reprenant sa première situation : aucun de nos mouvements n'avait échappé aux regards curieux de nos spectateurs. Au moment que nous nous y attendions le moins, parurent sur l'arène de grands quarts de cercles de bois et de papier peint, assez heureusement imités, et nous vîmes ces bouffons nous contrefaire tous avec tant de vérité, que chacun de nous, et moi le premier, ne put s'empêcher de se reconnaître. Tout cela fut exécuté d'une manière si comique, que, n'ayant rien vu de plus plaisant pendant les dix ans du voyage, il me prit une forte envie de rire qui me fit oublier pour quelques moments mes affaires les plus sérieuses."Depuis l'année 1735, La Condamine avait envoyé à l'Académie différentes raretés, dont il donne une liste curieuse. On voit, au cabinet du Jardin du roi, les premiers envois faits de nos îles et de Porto-Bello en 1735, et un autre de Quito en 1737. Une caisse embarquée à Lima, en 1737, pour Panama, contenait, outre un vase d'argent du temps des Incas, plusieurs petites idoles d'argent des anciens Péruviens, un grand nombre de vases antiques d'argile de diverses couleurs, ornés d'animaux; quelques-uns avec un tel artifice, que l'eau formait un sifflement lorsqu'on la versait; un beau morceau de cristal de roche; plusieurs pétrifications et coquilles fossiles du Chili; une belle plante marine, adhérente à un caillou lisse; dix-huit coquilles rares; un aimant de Guancavelica; une dent molaire pétrifiée en agate, du poids de deux livres; plusieurs baumes secs et liquides; un dictionnaire et une grammaire de la langue des Incas. Une caisse, perdue à Carthagène, contenait quelques vases d'argile, semblables aux précédents; plusieurs, autres vases, des calebasses de différentes formes ornés de dessins faits à la main avec un charbon brûlant, et quelques-unes montées en argent avec leurs pieds; des incrustations pierreuses du ruisseau de Tanlagoa, entre autres sur une planche qui y avait été plongée trois ans, et où les caractères que La Condamine y avait tracés paraissaient en relief; plusieurs marcassites taillées; de la pierre appelée miroir de l'Inca; un grand nombre de fragments de cristal noirâtre nommé, dans le pays, pierre de Gallinazo; deux pièces de bois pétrifié; plusieurs pierres de différentes formes, qui ont servi de haches aux anciens Américains; divers mortiers et vases d'une espèce d'albâtre; un. petit crocodile de la rivière de Guayaquil; la tête et la peau empaillées d'une belle couleuvre nommée coral, dont les anneaux sont couleur de feu et noirs; etc. Ainsi l'attention et les soins de l'académicien s'étendaient à tout. II marque l'époque du fâcheux accident qui le priva de l'ouie. Ce fut en 1741, au retour d'une course qu'il fit derrière les montagnes, à l'Ouest de Quito, en allant reconnaître le nouveau chemin que don Pedro Maldonado venait d'ouvrir de Quito à la rivière des Émeraudes. Une fluxion violente dans la tête, fruit des alternatives de froid et de chaud auxquels il s'exposait en observant jour et nuit, et souvent sur un terrain froid et humide, lui causa cette cruelle infirmité, qui dura le reste de sa vie. A l'assaut du Pichincha. La partie supérieure du Pichincha se divise en trois sommets, éloignés l'un de l'autre de douze ou quinze cents toises, et presque également hauts. Le plus oriental est un rocher escarpé, sur lequel les deux académiciens avaient campé en 1737. Le sommet occidental, par où les flammes se firent jour en 1538, 1577 et 1660, est celui qu'ils n'avaient encore vu que de loin, et que La Condamine se proposait de reconnaître plus particulièrement. "Je fis chercher, dit-il, à Quito et aux environs, tous les gens qui prétendaient avoir vu de près cette bouche du volcan, surtout ceux qui se vantaient d'y être descendus. J'engageai celui qui me parut le mieux instruit à nous accompagner. Deux jours avant notre départ, nous envoyâmes monter une tente à l'endroit le plus commode, et le plus à portée de l'objet de notre curiosité. Des mules devaient porter notre bagage, un quart de cercle et nos provisions. Le 12 juin, jour marqué, les muletiers ne parurent point; il en fallut aller chercher d'autres. L'impatience fit prendre les devants à M. Bouguer, qui arriva, sur les trois heures après midi, à la tente. A force d'argent et d'ordres des alcades, je trouvai deux muletiers, dont l'un s'enfuit le moment d'après. Je ne laissai point de partir avec l'autre, que je gardais à vue. II n'y avait qu'environ trois lieues à faire. Je connaissais le chemin jusqu'à l'endroit d'où l'on devait voir là tente déjà posée, et j'étais accompagné d'un jeune garçon qui avait aidé à la dresser. Je sortis de Quito sur les deux heures après midi, avec le jeune homme et un valet du pays, tous deux montés, le muletier américain, et deux mules chargées de mes instruments, de mon lit et de nos vivres. Pour plus de sûreté, je ne refusai point un métis, qui, de son propre mouvement, s'offrit à me guider. Il me fit faire halte dans une ferme, où je congédiai mon Américain venu de force, après en avoir engagé un autre à me suivre de bon gré. On verra si j'avais poussé trop loin les précautions.Les colères du Cotopaxi. Les deux académiciens, étant revenus à Quito le 22, n'y entendirent parler que de l'éruption de Cotopaxi, et des suites funestes de l'inondation causée par la fonte subite des neiges, La Condamine fait observer ici que depuis son retour en France le même volcan s'est embrasé plusieurs autres fois avec des effets encore plus terribles; et quoique Juan et Ulloa aient traité cette matière, il raconte, sur la foi d'un témoin oculaire, divers faits d'une singularité surprenante, qui ne se trouvent pas dans leur relation historique. " En 1742, dit-il, on avait entendu très distinctement à Quito le bruit du volcan de Cotopaxi, et plusieurs fois en plein jour, sans y faire une extrême attention."C'est ce qu'il peut confirmer par son témoignage, auquel sa surdité donne un nouveau poids; cependant on n'y entendit point la grande explosion le soir du 30 novembre 1744. Ce qu'il y a de plus singulier, c'est que ce même bruit, qui ne fut pas sensible à Quito, c'est-à-dire à douze lieues au nord du volcan, fut entendu très distinctement à la même heure et du même côté, dans des lieux beaucoup plus éloignés, tels que la ville d'Ibara, Pasto, Popayan, et même à La Plata, à plus de cent lieues mesurées en l'air. On assure aussi qu''il fut entendu vers le sud jusqu'à Guayaquil, et au-delà de Piura, c'est-à-dire à plus de cent vingt lieues de vingt-cinq au degré. A la vérité, le vent, qui soufflait alors du nord-est, y aidait un peu. Les eaux, en se précipitant du sommet de la montagne, firent plusieurs bonds dans la plaine avant de s'y répandre uniformément; ce qui sauva la vie à plusieurs personnes, par dessus lesquelles le torrent passa sans les toucher. Le terrain, cavé en quelques endroits par la chute des eaux, s'est exhaussé en d'autres par le limon qu'elles ont déposé en se retirant. On peut juger quels changements la surface de la terre a dû recevoir par des événements de cette nature, dans un pays ou presque toutes les montagnes sont des volcans, ou l'ont été. Il n'est pas rare d'y voir des ravines se former à vue d'oeil, et d'autres qui se sont creusé en peu d'années un lit profond dans un terrain qu'on se souvient d'avoir vu parfaitement uni. Il est possible, il est même vraisemblable que toute la superficie de la province de Quito, jusqu'à une assez grande profondeur, soit formée de nouvelles terres éboulées et de débris de volcans : c'est peut-être par cette raison que dans les plus profondes quebradas on ne trouve aucune coquille fossile. En 1738, le sommet de Cotopaxi, par mesure géométrique, était de 500 toises au moins plus haut que le pied de la neige permanente. La flamme du volcan s'élevait autant au-dessus de la cime de la montagne que son sommet excédait la hauteur du pied de la neige. Cette mesure comparative a été confirmée par M. de Maenza, qui, étant alors à quatre lieues de distance, et spectateur tranquille du phénomène, put en juger avec plus de sang-froid que ceux dont la vie était exposée, au danger de l'inondation. Quand on rabattrait un tiers, il resterait encore plus de trois cents toises ou dix-huit cents pieds pour la hauteur de la flamme. Cependant la surface supérieure du cône tronqué, dont la pointe a été emportée par les anciennes explosions, avait, en 1738, sept à huit cents toises de diamètre. Cette vaste bouche du volcan s'est visiblement étendue par les irruptions postérieures de 1743 et 1744, sans parler de nouvelles bouches qui se sont ouvertes en forme de soupiraux dans les flancs de la montagne. Il paraît donc très probable à La Condamine qu'avant que cet immense foyer se soit si fort accru et multiplié, dans le temps; par exemple, de la première mine qui fit sauter un quart de la hauteur de Cotopaxi, la flamme, réunie en un seul jet, dut être dardée avec plus d'impétuosité, et par conséquent put s'élever encore plus haut que dans le dernier embrasement. Quelle doit avoir été la force qui fut alors capable de lancer à plus de trois lieues de gros quartiers de rocher, témoins irréprochables d'un fait qui semble passer les bornes de la vraisemblance, parce que nous connaissons peu la nature! L'académicien vit un de ces éclats de rocher plus gros qu'une chaumière d'Américain, au milieu de la plaine, sur le bord du grand chemin, proche de Malahalo, et le jugea de douze on quinze toises cubes, sans pouvoir douter qu'il ne fût sorti de ce gouffre comme les autres, parce que les traînées de roches de même espèce forment en tout sens des rayons qui partent de ce centre commun. Dans l'incendie de 1744, les cendres furent portées jusqu'à la mer à plus de quatre-vingts lieues. Ce fait n'est plus étonnant, s'il est vrai, comme on l'a publié, que les cendres du mont Etna volent quelquefois jusqu'à Constantinople. Mais un fait plus nouveau, c'est que celles de Cotopaxi, dans la même occasion, couvrirent les terres au point de ne plus laisser, voir la moindre trace de verdure dans les campagnes à douze et quinze lieues de distance du côté de Riobamba, et qui dura un mois et plus en quelques endroits, et fit périr un nombre prodigieux de bestiaux. Quatre lieues à l'ouest de la bouche du volcan, la cendre avait trois ou quatre pouces d'épaisseur. Cette pluie de cendre avait été immédiatement précédée d'une pluie de terre fine d'odeur désagréable, et de couleur blanche; rouge et verte, qui elle-même avait été devancée par une autre de même gravier. Celle-ci fut accompagnée, en divers endroits, d'une nuée immense de gros hannetons blancs, de l'espèce qu'on nomme ravets dans nos îles : la terre en fut couverte en un instant, et ils disparurent tous avant le jour. |
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