|
. |
|
en Amérique du Sud | ||
La Harpe, 1820 |
| |||||
Présentation - Les géomètres au Pérou
| - - La descente de l'Amazone
|
|
Quoiqu'il n'y ait à présent sur les bords du Maragnon aucune nation ennemie des Européens, il se trouve encore des lieux où il serait dangereux de passer la nuit à terre. Le fils d'un gouverneur espagnol, connu à Quito de La Condamine, ayant entrepris de descendre la rivière, fut surpris et massacré par des sauvages de l'intérieur des terres, qui le rencontrèrent sur la rive, où ils ne viennent qu'à la dérobée. Le missionnaire de Saint-Paul fournit aux deux voyageurs un nouveau canot équipé de quatorze rameurs avec un patron pour les commander, et un guide portugais dans un autre petit canot. Au lieu de maisons et d'églises de roseaux, on commence à voir dans cette mission des chapelles et des presbytères de maçonnerie, de terre et de brique, et des murailles blanchies proprement. Il parut encore plus surprenant à La Condamine de remarquer au milieu de ces déserts des chemises de toile de Bretagne à toutes les femmes, des coffres avec des serrures et des clefs de fer dans leur ménage, et d'y trouver des aiguilles, de petits miroirs, des couteaux, des ciseaux, des peignes, et divers. autres petits meubles d'Europe, que les Américains se procurent tous les ans au Para; dans les voyages qu'ils y font pour y porter le cacao, qu'ils recueillent sans culture sur le bord du fleuve. Ce commerce leur donne un air d'aisance qui fait distinguer au premier coup d'oeil les missions portugaises des missions castillanes du haut Maragnon, dans lesquelles tout se ressent de l'impossibilité où l'éloignement les met de se fournir d'aucune des commodités de la vie. Elles tirent tout de Quito, où à peine envoient-elles une fois l'année, parce qu'elles en sont plus séparées par la cordillère qu'elles ne le seraient par une mer de mille lieues. Les canots des Indiens soumis aux Portugais sont beaucoup plus grands et plus commodes que ceux des indiens espagnols. Le tronc d'arbre qui fait tout le corps des derniers ne fait dans les autres que la carène. Il est fendu premièrement, et creusé avec le fer; on l'ouvre ensuite par le moyen du feu pour augmenter sa largeur; mais comme le creux diminue d'autant, on lui donne plus de hauteur par les bordages qu'on y ajoute, et qu'on lie par des courbes au corps du bâtiment. Le gouvernail est placé de manière que son jeu n'embarrasse point la cabane qui est ménagée à la poupe. On les honore du nom de brigantins. Quelques-uns ont soixante pieds de long sur sept de large et trois et demi, de profondeur, et portent jusqu'à quarante rameurs. La plupart ont deux mâts, et vont à la voile, ce qui est d'une grande commodité pour remonter le fleuve à la faveur du vent d'est qui y règne depuis le mois d'octobre jusque vers le mois de mai. Entre Saint-Paul et Coari, on rencontre plusieurs belles rivières qui viennent se perdre dans celle des Amazones, toutes assez grandes pour ne pouvoir être remontées de leur embouchure que par une navigation de plusieurs mois. Divers Indiens rapportent qu'ils ont vu sur celle de Coari, dans le haut des terres, un pays découvert, des mouches à miel, et quantité de bêtes à cornes; objets nouveaux pour eux, et dont on peut conclure que les sources de cette rivière arrosent des pays fort différents du leur, voisins sans doute des colonies espagnoles du haut Pérou, où l'on sait que les bestiaux se sont fort multipliés. L'Amazone, dans cet intervalle, reçoit aussi du côté du nord d'autres grandes rivières. C'est dans ces quartiers qu'était situé un village indien où Texeira, remontant le fleuve en 1637, reçut en troc, des anciens habitants, quelques bijoux d'un or qui fut essayé à Quito et jugé de vingt-trois carats. Il en donna le nom de Village de l'or à ce lieu; et dans son retour, le 26 août 1639, il y planta une borne et en prit possession pour la couronne de Portugal, par un acte qui se conserve dans les archives du Para, où La Condamine l'a vu. Cet acte, signé de tous les officiers du détachement; porte que ce fut sur une terre haute, vis-à-vis des bouches de la rivière d'Or. Le P. d'Acugna et le P. Fritz confirment la réalité des richesses du pays et du commerce de l'or qui s'y faisait entre les Indiens, surtout avec la nation des Manaves ou Manaos, qui venaient à la rive septentrionale de l'Amazone; tous ces lieux sont placés sur la carte du P. Fritz. Cependant le fleuve, le lac, la mine, la borne et le Village de l'or, attestés par la déposition de tant de témoins, tout a disparu, et sur les lieux mêmes on en a perdu jusqu'à la mémoire. De l'or et des Amazones. Dans le cours de sa navigation, il n'avait pas cessé de demander aux Indiens des diverses nations s'ils avaient quelque connaissance de ces femmes belliqueuses dont le fleuve a tiré son nom parmi les Européens, et s'il était vrai, comme le P. d'Acugna le rapporté avec confiance, qu'elles vécussent éloignées des hommes, avec lesquels il ne leur attribue de commerce qu'une fois l'année. L'académicien observe que cette tradition est universellement répandue chez toutes les nations qui habitent les bords de l'Amazone dans l'intérieur des terres et sur les côtes de l'Océan jusqu'à Cayenne, dans une étendue de douze à quinze cents lieues de pays; que plusieurs de ces nations n'ont point eu de communication les unes avec les autres; que toutes s'accordent à indiquer le même canton pour le lieu de la retraite des Amazones; que les différents noms par lesquels ils les désignent dans les différentes langues, signifient femmes sans maris, femmes excellentes; qu'il était question d'Amazones dans ces contrées avant que les Espagnols y eussent pénétré; ce qu'il prouve par l'avis donné par un cacique, en 1540, à Orellana, le premier Européen qui ait descendu ce fleuve. Il cite les anciens historiens et voyageurs de diverses nations, antérieurs au P. d'Acugna, qui disait, comme on l'a vu, en 1641, que les preuves en faveur de l'existence des Amazones sur le bord de cette rivière étaient telles que ce serait manquer à la foi humaine que de les rejeter. Il rapporte des témoignages plus récents, auxquels il joint ceux que lui, et Maldonado, son compagnon de voyage, ont recueillis dans le cours de leur navigation. Et il ajoute que, si jamais il a pu exister une société de femmes indépendantes et sans un commerce habituel avec les hommes, cela est surtout possible parmi les nations sauvages de l'Amérique, où les maris réduisent leurs femmes à la condition d'esclaves et de bêtes de somme. Enfin il parait persuadé, par la variété des témoignages non concertés, qu'il y a eu des Amazones américaines; mais il y a toute apparence, dit-il, qu'elles n'existent plus. Poursuite du voyage. Il partit de Coari le 20 août, avec un nouveau canot et de nouveaux guides. La langue du Pérou, qui était familière à Maldonado, et dont l'académicien avait aussi quelque teinture, leur avait servi à se faire entendre dans toutes les missions espagnoles, où l'on s'est efforcé d'en faire une langue générale. A Saint-Paul, ils avaient eu des interprètes portugais qui parlaient la langue du-Brésil, introduite aussi dans les missions portugaises; mais n'en ayant point trouvé à Coari, ou toute leur diligence ne put les faire arriver avant le départ du grand canot du missionnaire pour le Para, ils se virent parmi des hommes avec lesquels ils ne pouvaient converser que par signes, ou à l'aide d'un court vocabulaire que La Condamine avait fait de diverses questions dans leur langue, mais qui malheureusement ne contenait pas les réponses. Ces peuples connaissent plusieurs étoiles fixes, et donnent des noms d'animaux à diverses constellations; ils appellent les Hyades, ou la tête du taureau, d'un nom qui signifie aujourd'hui dans le pays, mâchoire de boeuf, parce que depuis qu'on a transporté des boeufs en Amérique, les Brésiliens, comme les naturels du Pérou, ont appliqué à ces animaux le nom qu'ils sonnaient dans leur langue maternelle à l'élan, le plus grand des quadrupèdes qu'ils connussent avant l'arrivée des Européens. Le lendemain du départ de Coari, on laissa du côté du nord une embouchure de l'Yupura, à cent lieues de distance de la première, et le jour suivant on rencontra du côté du sud les bouches de la rivière nommée aujourd'hui Purus, mais anciennement Cuchivara, du nom d'un village voisin; elle n'est pas inférieure aux plus grandes de celles qui grossissent le Maragnon. Sept ou huit lieues, au-dessous, La Condamine, voyant fleuve sans îles, et large de 1000 à 1200 toises, y jeta la sonde et ne trouva pas fond à cent trois brasses. Sur le Rio Negro. La Condamine la remonta deux lieues jusqu'au fort, que les Portugais y ont bâti sur le bord septentrional, à l'endroit le moins large, qu'il trouva de 1200 toises, et dont la latitude, qu'il ne manqua point d'observer, est de 3° 9' sud. C'est le premier établissement des Portugais qu'on trouve au nord en descendant l'Amazone. Ils fréquentent la rivière depuis près d'un siècle, et font un grand commerce d'esclaves. Un détachement de la garnison du Para campe continuellement sur ses bords pour tenir en respect les nations qui les habitent, et pour favoriser le commerce des esclaves dans les bornes prescrites par les lois du Portugal; tous les ans ce camp volant, à qui l'on donne le nom de troupe du rachat, pénètre plus avant dans les terres. Toute la partie découverte du Rio Negro est peuplée de missions portugaises, gouvernées par des carmes. En remontant quinze jours ou trois semaines dans cette rivière, on la trouve encore plus large qu'à son embouchure, parce qu'elle forme un grand nombre d'îles et de lacs. Le terrain sur ses bords, dans tout cet intervalle, est élevé; les bois y sont moins fourrés, et le pays est tout différent des bords de l'Amazone. Du Casiquiare et de l'Eldorado. A peu de distance de l'embouchure du Rio Negro, on rencontre, du côté du sud, celle d'une autre rivière qui n'est pas moins fréquentée des Portugais, et qu'ils ont nommée Rio de Madera, ou rivière du bois, apparemment par la quantité d'arbres qu'elle charrie, dans ses débordements. On donne une grande idée de l'étendue de son cours en assurant qu'ils la remontèrent, en 1741, jusqu'aux environs de Santa-Cruz de la Sierra, ville épiscopale du Haut-Pérou, située à 17° 30' de latitude australe. Cette rivière porte le nom de Mamore dans sa partie supérieure; mais sa source la plus éloignée est voisine du Potosi, et par conséquent de celle du Pilcomayo, qui va se jeter dans le grand fleuve de la Plata. L'Amazone, au-dessous du Rio-Negro et de la Madera, a communément une lieue de large. Quand elle forme des îles, elle a jusqu'à deux et trois lieues; et dans le temps des inondations, elle n'a plus de limite. C'est ici que les Portugais du Para commencent à lui donner le nom de rivière des Amazones, tandis que plus haut ils ne la connaissent que sous celui de Rio de Solimoës, rivière des poisons, qu'ils lui ont donné vraisemblablement parce que les flèches empoisonnées sont la principale arme de ses habitants. Le 28, La Condamine ayant laissé à gauche la rivière de Jamundas, que le P. d'Acugna nomme Cunuris, prit terre un peu au-dessous, du même côté, au pied du fort portugais de Pauxis, où le lit du fleuve est resserré dans un détroit de 905 toises. Le flux et le reflux de la mer se font sentir jusqu'ici, par le gonflement des eaux qui arrive de douze en douze heures, et qui retarde chaque jour comme sur les côtes. La plus grande hauteur du flux, que l'académicien mesura proche du Para n'étant guère que de dix pieds et demi dans les grandes marées, il conclut que le fleuve, depuis Pauxis jusqu'à la mer, c'est-à-dire sur plus de deux cents lieues de cours on sur trois cent soixante, selon le P. d'Acugna, ne doit avoir qu'environ dix pieds et demi de pente, ce qui s'accorde avec la hauteur du mercure, que l'académicien trouva au fort de Pauxis 14 toises au-dessus du niveau de l'eau d'environ une ligne un quart moindre qu'au Para, au bord de la mer. Il fait là-dessus les réflexions suivantes :
Mais, pour s'élever au-dessus des conjectures, il faudrait une suite d'observations exactes, ce qui demanderait un long séjour dans chaque lieu, et un délai qui ne convenait point à l'impatience où La Condamine était de revoir sa patrie; il se rendit en seize heures de Pauxis à Topayos, autre forteresse portugaise, à l'entrée de la rivière du même nom, qui en est une du premier ordre; elle descend des mines du Brésil en traversant des pays inconnus, mais habités par des nations sauvages et guerrières que les missionnaires s'efforcent d'apprivoiser. Des débris du bourg de Tupinambara, autrefois situé dans une grande île, à l'embouchure de la rivière de Madera, s'est formé celui de Topayos, dont les habitants sont presque l'unique reste de la vaillante nation des Topinambos ou Topinamboux, dominante, il y a deux siècles, dans le Brésil, où ils ont laissé leur langue. On a vu leur histoire et leurs longues pérégrinations dans la relations du P. d'Acugna. C'est chez les Topayos qu'on trouve aujourd'hui, plus facilement qu'ailleurs, de ces pierres vertes connues sous le nom de pierres des Amazones, dont on ignore l'origine, et qui ont été longtemps recherchées pour la vertu qu'on leur attribuait de guérir de la pierre, de la colique néphrétique, de l'épilepsie. Elles ne différent ni en dureté, ni en couleur du jade oriental : elles résistent à la lime, et l'on a peine à s'imaginer comment les anciens Américains ont pu les tailler et leur donner diverses figures d'animaux. C'est sans doute ce qui a fait juger à quelques navigateurs, mauvais physiciens, qu'elles n'étaient que du limon de la rivière, auquel on donnait aisément une forme, et qui acquérait ensuite à l'air son extrême dureté. Mais quand une supposition si peu vraisemblable n'aurait pas été démentie par des essais, il resterait le même embarras pour ces émeraudes arrondies, polies et percées, dont on a parlé dans l'article des anciens monuments du Pérou. La Condamineobserve que les pierres vertes deviennent plus rares de jour en jour, autant parce que les Américains, qui en font grand cas, ne s'en défont pas volontiers, que parce qu'on en a fait passer un fort grand nombre en Europe. Le 4 septembre, les deux voyageurs commencèrent à découvrir des montagnes du côté du nord, à douze ou quinze lieues dans les terres. C'était un spectacle nouveau pour eux; après avoir navigué deux mois depuis le Pongo sans voir le moindre coteau. Ce qu'ils apercevaient, étaient les collines antérieures d'une longue chaîne de montagnes, qui s'étend de l'ouest à l'est, et dont les sommets sont les points de partage des eaux de la Guyane. Celles qui prennent leur pente du côté du nord forment les rivières de la côte de Cayenne et de Surinam, et celles qui coulent vers le sud, après un cours de peu d'étendue, vont se perdre dans l'Amazone. Le Xingu. Le 5 au soir, la variation de l'aiguille, observée au soleil couchant, était de 5 degrés et demi du nord à l'est. Un tronc d'arbre déraciné, que le courant avait poussé sur le bord du fleuve, ayant servi de théâtre pour cette observation, La Condamine, surpris de sa grandeur, eut la curiosité de le mesurer. Quoique desséché, et dépouillé même de son écorce, sa circonférence était de vingt-quatre pieds, et sa longueur de quatre-vingt-quatre entre les branches et les racines. On peut juger de quelle hauteur et de quelle beauté sont les bois des bords de l'Amazone et de plusieurs autres rivières qu'elle reçoit. Le 6, à l'entrée de la nuit, les deux voyageurs laissèrent le grand canal du fleuve vis à vis du fort de Para, situé sur le bord septentrional, et rebâti depuis peu par les Portugais sur les ruines d'un vieux fort où les Hollandais s'étaient établis; là, pour éviter de traverser le Xingu à son embouchure, où quantité de canots se sont perdus, ils entrèrent de l'Amazone dans le Xingu même par un canal naturel de communication. Les îles qui divisent la bouche de cette rivière en plusieurs canaux, ne permettent point de mesurer géométriquement sa largeur; mais, à la vue, elle n'a pas moins d'une lieue. C'est la même rivière que le P. d'Acugna nomme Paranaïba, et le P. Fritz, dans sa carte, Aoripana; diversité qui vient de celle des langues. Xingu est le nom indien d'un village où il y a une mission sur le bord de la rivière à quelques lieues de son embouchure. Elle descend, comme celle de Topayos, des mines du Brésil; et quoiqu'elle ait un saut à sept ou huit journées de l'Amazone, elle ne laisse pas d'être navigable, en remontant pendant plus de deux mois : ses rives abondent en deux sortes d'arbres aromatiques, dont les fruits sont à peu près de la grosseur d'une olive, se râpent comme la noix muscade, et servent aux mêmes usages. L'écorce du premier a la saveur et l'odeur du clou de girofle, que les Portugais nomment cravo; ce qui a fait donner, par les Français de Cayenne, le nom de crabe au bois qui porte cette écorce. L'académicien observe que, si les épiceries orientales en laissaient à désirer d'autres, celles-ci seraient plus connues en Europe. Cependant il a su, dans le pays qu'elles passaient en Italie et en Angleterre, où elles entrent dans la composition de diverses liqueurs fortes. |
. |
|
| ||||||||
|