| Geber (Abou Mousa Djaber ben Hayyan Eç Çoufy) est un chimiste arabe, qui a vécu vers le VIIIe ou IXe siècle de notre ère. C'est un personnage un peu légendaire, d'après la notice même qui lui est consacrée dans le Kitab al Fihrist et dans les autres ouvrages biographiques arabes. Il était natif de Tousa, ville du Khorassan, et établi à Koufa (Mésopotamie). D'après d'autres auteurs, il serait né à Harran et aurait été sabéen. Léon l'Africain en fait un chrétien grec converti à l'islam. Enfin, d'après le Kitab al Fihrist, certains savants contestaient même son existence, ce que le compilateur refuse d'admettre. D'après les auteurs arabes, le premier musulman qui aurait écrit sur l'art alchimique fut Khaled ben Yezid, prince omeyyade, mort en 708, personnage historique qui aurait emprunté sa science aux Grecs et aux Syriens. Il aurait eu pour disciple Djafer Eç Çadek, maître à son tour de Geber. Geber est rattaché lui-même au groupe des Barmécides, célèbre dans l'histoire des califes. On ne sait rien de précis sur sa vie. Mais sa réputation domine celle des autres alchimistes arabes : Razhès et Avicenne le proclament le maître des maîtres, et sa réputation a grandi encore dans le Moyen âge latin. Cardan le déclarait, au XVIe siècle, l'un des douze plus subtils génies du monde. Les oeuvres sur lesquelles repose cette réputation appartiennent à deux catégories : les unes sont des ouvrages arabes très peu connus; les autres sont des ouvrages latins auxquels les auteurs qui ont traité de l'histoire de la chimie ont rattaché la plupart des découvertes qu'ils attribuent aux Arabes. Mais cette attribution ne repose pas sur l'étude des écrits arabes de Djaber, aucun de ces écrits n'ayant été jusqu'au XIXe siècle porté à la connaissance du public. On s'est fondé seulement sur les oeuvres latines, dites de Geber, imprimées au XVIe siècle; oeuvres qui ont joui de la plus grande réputation depuis le XIVe siècle, et qui ont été continuellement citées dans le monde occidental (Somme du Pseudo-Geber). Or, l'examen approfondi de ces ouvrages et leur comparaison avec les écrits latins authentiques du XIIIe siècle m'a conduit à cette conviction que tous ces prétendus ouvrages latins de Geber sont apocryphes : je veux dire qu'ils ont été composés par des auteurs latins du XIVe siècle et de la fin du XIIIe, quelques-uns mêmes, du XVe ou du XVIe siècle, qui ont jugé à propos de les mettre sous le patronage d'un nom légendaire, faisant autorité de leur temps, celui de Geber. Dans les livres arabes qui portent le nom de Geber, il n'est fait aucune mention des découvertes qui figurent dans ces oeuvres latines, telles que l'acide nitrique, l'eau régale, l'huile de vitriol, le nitrate d'argent, et la plupart de ces découvertes paraissent même étrangères et postérieures aux Arabes. Les seuls ouvrages dont il y ait lieu de s'occuper ici sont les ouvrages écrits en arabe et demeurés manuscrits, dans les bibliothèques de Paris et de Leyde, notamment. Le nombre des ouvrages alchimiques attribués à Geber (et à ses disciples) s'élevait, dit-on, à 500, et la liste d'un grand nombre d'entre eux est donnée dans le Kitab al Fihridst, où elle occupe plusieurs pages. Ils étaient distribués en séries, désignées par des indications numériques, telles que les 112 livres; les 70 livres; les 10 discours; les 20 ouvrages; les 17, les 30, etc.: ils comprennent tout l'ensemble des connaissances humaines. La plupart de ces ouvrages sont de simples chapitres souvent très courts. Geber demeure en général confiné au sein du domaine des déclamations vagues et charlatanesques; on y trouve peu d'inductions précises. Il recommande sans cesse le secret, procède par allégories, renouvelle de temps à autre sa profession de bon musulman, comme s'il craignait qu'on en suspectât la sincérité. Il expose la vieille doctrine des quatre éléments et des quatre qualités : le froid et le chaud, le sec et l'humide; tout consiste dans l'équilibre des qualités et des natures, qui permet seul aux choses de subsister. On y retrouve le symbolisme des alchimistes grecs sur l'âme et le corps attribués aux métaux. La théorie des qualités occultes, opposées aux qualités apparentes, est fort développée. Le plomb est plomb par ses qualités extérieures et or par ses qualités secrètes; en complétant les unes et en rendant les autres manifestes, on opère la transmutation; c'est là une doctrine qui a régné pendant tout le Moyen âge. De même la composition de la pierre philosophale dite animale et de celle dite minérale, également développée par Avicenne, alchimiste. Ces traités ne comprennent pas seulement l'alchimie. On y trouve aussi un résumé de la Logique d'Aristote, des dissertations mêlées de chimie et de métaphysique, des discours sur le corps, l'âme et l'accident, et sur les dix-sept forces qui constituent toute chose; des exposés médicaux et physiologiques sur la nutrition, la digestion, l'utérus, sur les compartiments du cerveau et la localisation des facultés imaginatives, de la mémoire et de la pensée; c'est un premier essai de phrénologie. Après avoir présenté une série de Pourquoi sur les matières animales, végétales et minérales, analogues aux Problèmes d'Aristote, mélange singulier de crédulité puérile et de charlatanisme, Geber invoque la nécessité des connaissances astrologiques, en raison des influences sidérales sur les phénomènes. Il présente aussi un tableau cabalistique, fondé sur la valeur numérique des lettres du nom des choses et il prétend en déduire les propriétés; c'est là encore une vieille théorie, qui présidait aux imaginations des médecins astrologues de l'Égypte hellénistique. J'ai cru devoir m'étendre sur cette analyse des oeuvres arabes de Geber, afin de rectifier sur ce point l'histoire des sciences, altérée par l'intervention des faussaires latins qui ont attribué plusieurs siècles après leurs oeuvres à Geber. (M. Berthelot). | |