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Les
Toûloûnides (868 - 905)
Maltraités au temps
des Abbâssides, les Egyptiens saluairent
avec enthousiasme l'usurpation d'Aboû'l I Abbâs
le Sanguinaire, qui venait de vaincre Merwân II dans les plaines d'Arbelles
et de fonder la dynastie des Abbâssides sur les débris de celle des Omeyyades
(750).
Merwân chercha vainement un refuge sur les bords du Nil; il fut tué par
trahison quelques mois après sa défaite. Dans la crainte que la jouissance
d'une autorité aussi lointaine n'inspirât à leurs délégués des idées
d'indépendance et d'usurpation, les chefs de l'Islam
eurent plus soin que jamais de changer souvent les titulaires. Malgré
ces fréquentes mutations, l'Égypte, heureuse sous le nouveau régime,
resta tranquille et soumise. Depuis la conquête du pays par Amr ibn et-As
jusqu'à l'apparition d'Ahmed ibn Toûloûn sur la scène politique, c.-à -d.
en l'espace de deux cent vingt-huit ans, il n'y eut pas moins de cent quatorze
nominations de gouverneurs, dont cinq sous les califes
légitimes, trente et une sous les Omeyyades et soixante-dix-huit sous
les Abbâsides; quelques-uns de ces proconsuls étaient restés quinze
jours en place, d'autres avaient dû résigner leurs fonctions à deux
et trois reprises.
Pendant la dernière
période, qui fut une époque d'intrigues et de conspirations permanentes
à la cour de Bagdad,
il arriva rarement que les personnages influents nommés au gouvernement
des provinces, se déterminassent à quitter la métropole pour aller résider
dans leurs gouvernements. Ils les faisaient administrer en leur nom par
des lieutenants qui étaient leurs hommes-liges. L'administration de l'Égypte
était ainsi partagée entre plusieurs vice-gouverneurs, les uns commandant
à Fostât, d'autres à Alexandrie, Ã
Syoût
ou à Assouan.
Le pouvoir n'y était pas concentré dans les mêmes mains, mais, dans
chacune de ces préfectures, l'armée avait un chef particulier, tandis
qu'un autre fonctionnaire était chargé de l'administration civile et
de la levée des impôts. En 868,
le gouverneur de l'Égypte, Bakbak, avait fait choix d'un nommé Ahmed
ibn Toûloûn pour son lieutenant militaire à Fostât, confiant l'administration
civile et financière à un autre agent; puis il était retourné à la
cour en Irak. Ahmed était fils d'un esclave affranchi originaire du Turkestan,
qui avait su obtenir d'El-Mâmoûn et de ses
successeurs plusieurs emplois honorables. Lui-même avait hérité de la
faveur dont avait joui son père (mort en 853).
Personnage d'une
éducation distinguée, il devint bientôt assez puissant dans Fostât
pour rendre son autorité égale à celle d'un gouverneur en titre et pour
soumettre par les armes ceux de ses collègues qui prétendaient conserver
dans les différentes préfectures de l'Egypte leur indépendance vis-à -vis
de lui. En 872,
il obtenait du calife le titre de gouverneur et, dès lors, investi de
toute l'administration politique et financière, de tous les pouvoirs civils
et militaires de l'Égypte, il agit en souverain maître, tout en se reconnaissant
le vassal d'El-Motamid. Le palais des anciens gouverneurs lui étant devenu
insuffisant par suite de l'expansion de sa maison, de ses armements et
de ses richesses, il construisit à l'Est de Fostât la cité militaire
d'El-Qatâï (= les fiefs), avec un hôpital, une citadelle, un palais
et la splendide mosquée
qui porte son nom; en outre, il répara le phare d'Alexandrie,
le nilomètre de Rauda, les canaux de la Basse-Égypte, fonda la ville
de Rachid (Rosette);
enfin il réduisit de 100 000 dinars les impôts vexatoires de ses prédécesseurs.
En 877, il s'empara de la Syrie dans une seule campagne : c'était rompre
ouvertement avec le calife, ou plutôt avec le gérant de l'empire, El-Mouwaffaq,
qui tenait son frère El-Motamid dans une étroite tutelle. Lorsqu'il mourut,
après un règne de dix-huit ans (884),
son fils Khomârouyah recueillit sans contestation son vaste héritage.
Dès lors, la souveraineté des califes de Bagdad sur l'Égypte n'est plus
que nominale et ne consiste qu'en un droit d'investiture et un tribut annuel
de 3 millions, rarement payé. Au demeurant, les relations entre vassal
et suzerain étaient des plus amicales, et c'est pour cimenter ces relations
que Khomâroûyah fit épouser au calife sa propre fille, Qatr en-Nadâ
(= Goutte-de-Rosée), qui reçut en dot un million de dinars et dont les
noces furent célébrées avec un luxe inusité.
Véritable monarque,
Khomâroûyah dépassa son père en faste et en munificence. Les historiographes
arabes décrivent avec admiration les merveilles contenues dans le palais
d'El-Qatâï, les statues représentant le prince et ses femmes, les jardins,
les volières, la ménagerie, un lac tout de mercure, etc. C'est de tout
l'éclat de la richesse et de la puissance que brilla le règne des deux
premiers Toûloûnides. Sous leur gouvernement très populaire, l'Égypte
eut pour la première fois une force et une existence spéciales; elle
fut dotée d'une marine respectable, son revenu fut porté à 300 millions
de pièces d'or, l'agriculture fut encouragée, les arts, les sciences
et les lettres furent aussi en faveur qu'Ã la cour de Bagdad. Mais avec
Khomâroûya, assassiné en 895,
s'anéantit la splendeur de cette dynastie, qui semblait cependant fermement
assise et qui ne dura pas plus de trente-sept ans. La faiblesse et l'inexpérience
des deux fils de ce prince, trop jeunes pour régner, une incursion des
Carmathes et surtout l'insubordination des émirs d'Égypte et de Syrie,
poussèrent le calife EL-Moktafi à profiter des circonstances pour faire
rentrer ces deux provinces sous son autorité immédiate (905).
L'Égypte releva
de nouveau des Abbâssides. Mais cette reprise
de possession fut précaire et de bien courte durée; elle contribua Ã
exciter les convoitises d'un antagoniste dont le parti, depuis un demi-siècle,
révolutionnait le monde musulman et sapait sourdement la puissance décrépite
de la maison d'Abbâs. Je veux parler du soi-disant mahdî Obeïd Allâh,
fondateur de la dynastie fameuse des Fâtimides qui devait rompre avec
le califat orthodoxe de Bagdad par un schisme éclatant, à la fois politique
et religieux. Cet Obeïd Allâh se vantait d'être issu de Fâtima, fille
du Prophète et femme d'Ali ibn Abî Tâlib. Mais on sait aujourd'hui ce
qu'il faut penser de cette prétention. Il était en réalité le petit-fils
de l'oculiste persan Abd Allâh ibn Meïmoûn, sous la direction duquel
s'était formée, vers 870,
une vaste société secrète se disant
ismaélienne
(chiite)
et n'ayant d'autre but que la ruine de l'islam
officiel et de la dynastie abbâsside. De là sortirent les sectes auxquelles
on a fait une réputation redoutable : les Carmathes, les Druzes
et les Assassins (Ismaéliens).
Investi du pontificat ismaélien, Obeïd Allâh passa en
902
de Syrie en Afrique où l'attendait une armée de partisans recrutés par
ses dâï ou missionnaires. En 908,
grâce à de faciles conquêtes, son empire embrassait une partie du Maroc
actuel, l'Ifriklya (Afrique proprement dite), la Cyrénaïque et la Tripolitaine,
sans compter la Sicile, Malte,
la Sardaigne et les Baléares.
Les Aghlâbites étaient à peine chassés de Qaïrouân, les Idrissites
tremblaient encore dans Fès, que déjà le regard
du mahdi se tournait vers l'Orient, vers l'Égypte. Trois armées d'invasion
pénétrèrent simultanément dans le Delta; mais elles furent victorieusement
repoussées par les troupes abbâsides (912).
Une seconde expédition lui valut la possession définitive du Fayoûm
et d'Alexandrie. Entre temps, comme il
lui fallait une capitale neuve, il avait fondé El-Mahdiya; comme il lui
fallait un titre, à défaut d'aïeux, il s'était fait proclamer calife,
s'attribuant les droits exclusifs de la légitimité, à l'égal, d'ailleurs,
des califes de Cordoue et de Bagdad.
Les
Ikhchîdites (935 - 969)
En 934,
le fils d'Obeïd Allah, El-Qîïm, lui succéda dans sa puissance comme
dans ses grands desseins. Aux précédentes conquêtes il ajouta le Saïd,
malgré les préparatifs de défense et les efforts du gouverneur de l'Egypte,
général brave et habile, Aboû Bekr Mohammed ibn Toghdj, dont le père
avait été un des principaux émirs des princes Toûloûnides. Les Abbâssides
ne possédaient donc plus en Afrique que la vallée inférieure da Nil;
ils étaient à la veille de se voir enlever pour toujours ce lambeau d'une
province qui avait constitué le plus beau fleuron de leur couronne. Dès
l'année 935,
sous le califat d'Er-Râdi Billâh, Mohammed ibn Toghdj, témoin de l'anarchie
profonde qui régnait d'une extrémité à l'autre de l'empire, ne comptant
plus d'ailleurs que sur luimême et sur le peuple égyptien pour préserver
le pays contre une nouvelle tentative du dehors, arbora le drapeau de l'indépendance
et força le chef de l'islâm à reconnaître son usurpation. Il prit le
titre d'El-Ikhchîd qui était celui des rois du Ferghânah (Sogdiane)
dont il disait descendre et transmit à ses fils un pouvoir héréditaire
que brisa, trente-quatre ans plus tard le Fâtimide El-Mouïzz li-Din Allâh.
En effet, l'avènement d'Ahmed, petit-fils de El-Ikhchid, à l'âge de
onze ans et dans un temps de peste, de famine et de guerre, ayant été
le signal de graves désordres, les émirs, soucieux de mettre un terme
à la période de dure misère que traversait l'Égypte, résolurent de
recourir à l'intervention d'un prince étranger. lls appelèrent El-Mouïzz,
arrière-petit-fils du mahdi Obeïd Allâh. Celui-ci ne fit pas attendre
longtemps sa réponse. Il rassembla une armée d'élite et la lança vers
l'Est sous le commandement suprême du Grec Djauhar qu'il chargea de prendre
possession de la Basse-Egypte en son nom et de fonder sur les bords du
grand fleuve une capitale capable de rivaliser avec la Bagdâd abbâside.
En juin
969,
Djauhar campait sous les murs de Fostât; une victoire décisive remportée
sur les partisans des Ikhchîdites lui en
ouvrait les portes. La khotba
(Salvum fac) fut aussitôt récitée par Djauhar au nom des Fâtimides,
acte solennel qui consacrait l'avènement de la nouvelle dynastie.
(Paul
Ravaisse). |
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