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Saladin
avait pris le pouvoir. Toutefois, ce ne fut pas sans une vive opposition
que le nouveau régime fut accepté par les populations indigènes
sincèrement attachées à la secte d'Alî (Chiites).
Le parti dynastique comptait de nombreux défenseurs, et en 1173,
une formidable conspiration éclata pour chasser Saladin et rétablir
le califat en la personne de l'imâm El-Mostasim, cousin d'El-Adlhid.
Conduite par le poète Ourâra, cette conspiration réunissait
les Francs, les Assassins (Ismaéliens),
les Noirs de la Haute-Égypte et tous les partisans des Fâtimides.
Les Francs furent battus et chassés (Les
Croisades);
la conspiration formée au Caire fut
étouffée; quant aux Ismaéliens, ils avaient tenté
deux fois d'assassiner Saladin; celui-ci ne pouvant les atteindre jugera
meilleur de s'allier avec leur chef Sinân (1177).
Dès lors, la réaction fut réduite à l'impuissance,
et Saladin s'appliqua par tous les moyens possibles à déraciner
dans le pays les principes du chiisme : c'est ainsi qu'il détruisit
les anciennes académies fâtimides pour les remplacer par des
collèges selon le rite orthodoxe de l'imam
Châfy. Dans le même temps, l'atâbek Noûr ed-Dîn,
qui commençait à prendre ombrage de la trop grande puissance
de son lieutenant, meurt (1174).
Sous prétexte de sauvegarder les intérêts de son héritier
au trône, Saladin occupe la Syrie militairement, puis, levant le
masque, il se déclare indépendant tant en Égypte qu'en
Syrie après avoir battu et chassé le fils de Noûr ed-Dîn
et tous ses compétiteurs (1176).
Les croisés deviennent alors ses ennemis directs et personnels.
Ils ne lui laissent pas le loisir d'administrer par lui-même l'Egypte
où il ne fait que deux courtes apparitions. Saladin en confie le
gouvernement à son lieutenant, le légendaire Bahâ ed-Dîn
Qarâqoûch (= l'Oiseau-Noir), qui s'acquitte de sa tache avec
fidélité et intelligence, réglant les impôts,
rétablissant les canaux d'inondation, les digues et les chemins,
entourant Le Caire d'une nouvelle enceinte et commençant la construction
du château
de la Montagne où les maîtres de l'Egypte habiteront jusqu'au
milieu du XIXe
siècle.
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Saladin,
fondateur de la dynastie ayyoûbite.
La révolution
opérée par Saladin avait eu une
portée immense : elle avait aggravé la situation des colonies
chrétiennes en Orient et fait cesser, au point de vue politique,
le grand schisme qui partageait l'Islam
: il n'y aura plus désormais qu'un chef spirituel, qui sera sunnite,
c.-à-d. orthodoxe. A la mort de Saladin (1193), ses fils, frères,
oncles, neveux et cousins, toute la descendance d'Ayyoûb, en un mot,
s'apprêtèrent à se partager son vaste empire. L'Égypte
échut à son fils El-Malik el-Azîz (1193-98).
Mais bientôt, d'alliées qu'elles étaient, les différentes
branches de la famille ayyoûbite devinrent ennemies. El-Adil, frère
de Saladin et prince de Karak,
s'empara de la sultanie du Caire (1200)
et réunit bientôt sous sa domination les apanages de ses neveux.
Cet homme énergique et audacieux tint en échec les chrétiens
des quatrième, cinquième et sixième croisades qui
comptaient sur la division des Ayyoûbites. Son fils El-Kâmil
(1218-38)
ne put empêcher les Francs de remonter le Nil et de s'ouvrir, après
un combat à El-Mansoûra, le chemin du Caire. Vainement il
proposa un arrangement aux chefs croisés. Enfin, il reçut
du renfort des princes syriens de sa famille. Un mouvement tournant, opéré
par les musulmans qui rompirent les digues des canaux et livrèrent
l'armée chrétienne an fléau de l'inondation, obligea
les croisés
à implorer la paix et à rendre Damiette sans compensation
: l'Egypte fut évacuée (1221).
En 1240,
Es-Sâlih, fils d'El-Kâmil, tua El-Adil Il, son propre frère,
et usurpa le pouvoir. Son règne, comme celui de ses prédécesseurs,
offrit le triste spectacle de luttes fratricides, mêlées an
duel engagé depuis cent cinquante ans entre musulmans et chrétiens.
Pour la septième fois, l'Europe chrétienne vint fondre en
armes sur l'islam. A la tête de cette croisade marchaient saint Louis
et la fine fleur la chevalerie française. Tout d'abord Damiette,
clef de d'Egypte, est prise. L'armée sarrasine vient prendre position
devant El-Mansoûra, lorsque Es-Sâlih succombe à une
maladie; il venait de créer, pour la ruine de sa dynastie, la garde
prétorienne (halqa) des Mamloûks (Mamelouks), esclaves
turcs
achetés à prix d'argent. Sa mort est tenue secrète
jusqu'après l'arrivée de son fils El-Moazzam Toûrân
Châh qui guerroie en Syrie. Le 6 avril 1250,
un combat meurtrier est livré devant El-Mansoûra que les Francs
mettent à sac. Mais la marche en avant de l'ennemi est arrêtée
par les Mamelouks qui coupent ses communications avec Damiette. Poursuivis,
harcelés, décimés, les Francs battent en retraite
sur Fâriskoûr où Saint Louis,
après une lutte héroïque, est capturé avec les
princes et les barons de France survivants.
Le 4 mai, Toûran
Châh, qui s'était vite aliéné l'esprit de ses
troupes par des rigueurs intempestives, meurt sous les yeux des prisonniers
francs, assassiné par Baïbars el-Boundoukdâri, l'un des
principaux émirs mamelouks. L'Égypte, ou plutôt les
Mamelouks, n'avait plus de maître : Chadjarat ed-Dourr, mère
du sultan massacré, se chargea de leur en donner un : elle se fit
proclamer reine, événement unique dans les fastes musulmans,
et choisit pour atâbek (= tuteur) Izz ed-Dîn Aïbek, comme
elle Turc de naissance et ancien esclave, qui était son amant et
qu'elle épousa. Mais bientôt le parti des Mamelouks
conservateurs força le nouveau sultan à s'associer au pouvoir
un descendant de Saladin, le jeune El-Achraf
Moûsâ, arrière-petit-fils da sultan El-Kâmil avec
qui prit fin, quatre ans après (1254),
la glorieuse dynastie des Ayyoûbites d'Égypte. Dans L'intervalle,
saint Louis s'était retiré en Syrie avec ses troupes après
avoir rendu Damiette pour sa rançon et pavé six millions
pour celle des prisonniers chrétiens (
Les Croisades).
(Paul
Ravaisse). |
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