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Walter
Benjamin
(1892-1940) est un philosophe et historien de l'art né le 15 juillet 1892
à Berlin et mort le 26 septembre 1940 à Portbou (Espagne). Bien
que de son vivant il n'ait pas obtenu une grande reconnaissance, son travail
a eu une influence majeure sur la théorie critique, la philosophie, l'esthétique
et les études culturelles après sa mort. Il est aujourd'hui considéré
comme l'un des penseurs les plus originaux et les plus influents du XXe
siècle.
Benjamin naît dans
une famille juive aisée. Il fréquente des écoles prestigieuses à Berlin
et plus tard l'université de Fribourg, où il étudie la philosophie.
Il étudie également à l'université de Munich
et à l'université de Berne. Pendant cette
période, il est influencé par le Néo-kantisme
et il a développe un intérêt pour les oeuvres de Kant,
de Nietzsche et d'autres philosophes contemporains.
Dans les années
1920, Benjamin s'implique dans les cercles intellectuels et écrit pour
diverses revues littéraires et culturelles. Il tente d'obtenir un poste
universitaire, mais ses tentatives n'aboutissent pas en raison de l'antisémitisme
et de ses opinions politiques non conformistes. En 1923, il a publie l'un
de ses essais les plus connus, Critique de la violence (Zur Kritik
der Gewalt), qui aborde la relation entre droit, justice et violence.
• Critique
de la violence . - Essai de Walter Benjamin, écrit en 1921 et publié
deux ans plus tard. Dans cet ouvrage, l'auteur examine la nature et la
légitimité de la violence. En critiquant les fondements légaux de la
violence et en analysant les implications de la violence révolutionnaire,
Benjamin produit une réflexion provocante sur la manière dont la
violence est utilisée et justifiée dans les sociétés modernes. Thèmes
principaux :
+ Nature
de la Violence. - Benjamin distingue deux formes principales de violence
: la violence légale et la violence révolutionnaire. La violence légale
est celle qui est employée pour maintenir l'ordre établi et est souvent
justifiée par la loi. En revanche, la violence révolutionnaire vise Ã
renverser l'ordre établi et à créer un nouveau cadre juridique. Il analyse
la légitimité de la violence en se demandant dans quelle mesure elle
peut être justifiée et s'interroge sur la manière dont la violence peut
être vue comme un instrument de justice et sur les conditions dans lesquelles
elle pourrait être considérée comme légitime.
+ Critique du
droit. - Benjamin critique la manière dont le droit, en tant que système
juridique, est souvent fondé sur la violence. Il soutient que le droit
est intrinsèquement lié à la violence, non seulement parce qu'il peut
être imposé par la force, mais aussi parce qu'il est ordinairement utilisé
pour maintenir des structures de pouvoir inégales. L'auteur se questionne
sur la relation entre la justice et le
droit.
Pour lui, la justice ne peut pas toujours être obtenue par les moyens
légaux traditionnels, et il critique l'idée que le droit est un garant
absolu de la justice.
+ Violence et
révolution. - Le philosophe considère la violence révolutionnaire
comme un moyen d'atteindre la justice en renversant les structures de pouvoir
oppressives. Il examine comment la violence révolutionnaire peut être
un outil pour créer un changement radical et établir une nouvelle forme
de justice. Il reconnaît aussi l'ambivalence et les dangers de la violence
révolutionnaire. Bien que nécessaire pour le changement, elle peut également
engendrer de nouvelles formes de domination et de violence.
+ Théorie de
la violence et pratique. - Benjamin s'intéresse à l'éthique de la
violence et à ses implications pour la politique
et la société. Il questionne la manière dont la violence est justifiée
dans différents contextes et les conséquences éthiques de son utilisation.
+ Esthétique
et réflexion politique. - Une des dimensions de l'essai est sa une
réflexion esthétique sur la violence : Benjamin s'y intéresse à la
manière dont la violence est représentée et perçue dans la culture
et l'art.
La Critique de la
violence a eu une influence considérable sur la théorie critique,
la philosophie politique et les études sur la violence. Les idées de
Benjamin ont inspiré des penseurs tels que Hannah
Arendt, Michel Foucault,
et Giorgio Agamben.
En 1925, Benjamin s'installe
à Paris, où il commence à se rapprocher du marxisme
sous l'influence de Bertolt Brecht et de Theodor
W. Adorno. Il travaille à cette époque sur certains de ses
projets les plus ambitieux, notamment le Passagenwerk (le Livre
des passages), une vaste étude inachevée de la vie urbaine et de
la culture de consommation au XIXe siècle.
• Le Passagenwerk
(Le Livre des passages). - Oeuvre inachevée de Walter Benjamin,
commencée dans les années 1920 et développée jusqu'à sa mort en 1940.
Ce projet monumental est une sorte de chronique culturelle et critique
de la modernité urbaine du XIXe siècle,
avec un accent particulier sur la ville de Paris.
L'ouvrage a été conçu dans un contexte de bouleversements sociaux et
politiques en Europe. Benjamin était préoccupé par les changements rapides
induits par l'industrialisation, l'urbanisation, et la modernité. Il cherchait
à comprendre comment ces transformations affectaient la culture, l'économie,
et les modes de vie. Le Passagenwerk est organisé de manière fragmentaire
et non linéaire. Benjamin a utilisé des fragments, des notes, des citations,
et des réflexions personnelles pour construire son analyse. L'ouvrage
est centré sur les passages parisiens (arcades commerçantes emblématiques
de Paris), mais il s'étend également à une réflexion plus large sur
la modernité, l'histoire, et la culture. Thèmes principaux :
+ Les
passages parisiens. - Les passages sont des galeries commerçantes
couvertes qui ont joué un rôle important dans la vie urbaine du XIXe
siècle. Pour Benjamin, ils symbolisent l'émergence du capitalisme moderne
et la transformation de la ville en un espace de consommation. L'auteur
s'intéresse à la manière dont ces espaces reflètent la modernité et
l'expérience du flâneur, une figure urbaine qui erre dans les passages
et observe la vie urbaine. Le flâneur est un observateur du changement
social et culturel.
+ La critique
de la modernité. - Benjamin analyse comment le capitalisme transforme
les villes et les pratiques culturelles. Les passages deviennent un symbole
de la marchandisation de la vie urbaine et de la consommation de masse.
Il examine comment les changements dans l'architecture et l'urbanisme affectent
l'expérience des citadins et la manière dont ils interagissent avec leur
environnement.
+ L'histoire
et la mémoire. - L'auteur s'intéresse à la manière dont les
vestiges du passé sont intégrés dans la modernité. Il cherche à comprendre
comment le passé est conservé et transformé dans le présent. Il utilise
une méthode critique qui combine la réflexion historique, l'analyse culturelle,
et la critique sociale. Cette approche fragmentaire reflète la manière
dont les éléments du passé sont réassemblés et réinterprétés dans
le présent.
+ Esthétique
et culture. - Benjamin examine les relations entre l'art, la culture
populaire, et le spectacle. Il analyse comment les nouveaux médias et
les formes culturelles influencent la perception esthétique. Les passages
sont également vus comme des symboles de la culture moderne, et Benjamin
s'intéresse aux aspects mythologiques et symboliques de ces espaces.
Le Passagenwerk
est considéré comme une oeuvre fondatrice dans les études culturelles
et la critique de la modernité. Il a influencé aussi bien la théorie
critique que la sociologie urbaine ou l'histoire culturelle. Les
idées de Benjamin sur la modernité, le capitalisme,
et l'expérience urbaine continuent d'être pertinentes dans les discussions
contemporaines sur la culture et la société. L'ouvrage a été publié
à titre posthume, en grande partie grâce au travail de ses éditeurs
qui ont rassemblé et organisé les fragments laissés par Benjamin. L'oeuvre
se présente souvent comme une série de notes et de réflexions qui nécessitent
une lecture attentive pour saisir la complexité de la pensée de Benjamin.
Suivront d'autres oeuvres
majeures, comme L'Oeuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité
technique (1936) et Sur le concept d'histoire (1940) :
• L'Oeuvre
d'art à l'époque de sa reproductibilité technique. - Essai
de Walter Benjamin, écrit en 1935 et publié en 1936. Cet essai étudie
les implications de la reproduction mécanique des oeuvres d'art sur leur
nature, leur perception et leur rôle dans la société. L'auteur y examine
les transformations culturelles et sociales provoquées par des technologies
telles que la photographie et le cinéma. Thèmes principaux :
+ Aura
de l'oeuvre d'art. - Benjamin introduit le concept d'aura pour
décrire l'unicité et l'authenticité d'une oeuvre d'art traditionnelle.
L'aura est liée à l'ici et maintenant de l'oeuvre, son existence unique
en un lieu et un moment spécifiques. Avec la reproduction mécanique,
l'aura de l'oeuvre d'art se perd. Les reproductions peuvent être produites
en masse et diffusées largement, ce qui déplace l'oeuvre de son contexte
original.
+ Changement dans
la perception. - La reproduction rend l'art plus accessible Ã
un large public, démocratisant ainsi la culture. Cependant, cette accessibilité
modifie également la manière dont l'art est perçu et apprécié. La
reproduction transforme l'expérience esthétique de l'art. Par exemple,
la photographie et le cinéma offrent des perspectives nouvelles et des
expériences impossibles à obtenir avec les oeuvres d'art traditionnelles.
+ Fonction de
l'art. - Benjamin examine la transition de la fonction de l'art,
passant d'une base rituelle (magique ou religieuse) Ã une base politique.
L'art reproduit mécaniquement peut être utilisé pour des fins politiques
et idéologiques, comme le montre l'usage de la propagande cinématographique.
Les artistes commencent à créer en tenant compte des possibilités offertes
par les nouvelles technologies. Le cinéma, par exemple, devient un art
à part entière, exploitant les techniques de montage et de cadrage pour
créer de nouvelles formes d'expression.
+ Cinéma et politique.
- Benjamin voit dans le cinéma un art qui incarne pleinement la reproductibilité
technique. Le cinéma a le pouvoir de toucher un vaste public et de diffuser
des idées de manière efficace. Le cinéma et d'autres formes d'art reproductible
peuvent servir des objectifs politiques, tant émancipateurs qu'oppresseurs.
Benjamin analyse cette dualité, reconnaissant le potentiel révolutionnaire
du cinéma tout en étant conscient de son utilisation potentielle pour
la propagande.
• Sur le concept
d'histoire (ou Thèses sur la philosophie de l'histoire) . -
Ouvrage de Walter Benjamin, écrit en 1940 alors qu'il était en exil,
fuyant la persécution nazie. Son œuvre est imprégnée de l'urgence et
de la tragédie de son époque, offrant une perspective profondément critique
sur l'idée de progrès historique et la manière dont l'histoire est écrite
et interprétée. Composé de 18 thèses courtes, ce texte reflète ses
réflexions critiques particulièrement dans le contexte de la montée
du fascisme et de la Seconde Guerre
mondiale. Benjamin y critique les conceptions traditionnelles de l'histoire
et propose une approche messianique
et matérialiste. Thèmes principaux :
+ Critique
de l'idée de progrès. - Benjamin critique l'idée de progrès linéaire
et continu, typique des philosophies des Lumières
et du Positivisme. Il estime que cette vision
occulte les catastrophes et les injustices qui jalonnent l'histoire humaine.Pour
Benjamin, l'histoire n'est pas une série de progrès continus, mais plutôt
une succession de catastrophes et de ruptures. Le progrès
peut être un masque pour la domination et la violence.
+ L'Ange de l'histoire.
- Dans sa Thèse IX , Benjamin décrit l'ange de l'histoire
(inspiré du tableau Angelus Novus de Paul Klee). L'ange regarde
le passé et voit une pile de débris grandir, poussée par une tempête
qu'il appelle le progrès. L'ange voudrait arrêter pour réparer les dégâts,
mais il est poussé en avant, impuissant, par cette tempête.
+ Mémoire et
révolte. - Le philosophe met l'accent sur la nécessité de « brosser
l'histoire à rebrousse-poil », ce qui signifie reconnaître les souffrances
et les luttes des opprimés, plutôt que de célébrer uniquement les «
victoire » des puissants. Benjamin introduit le concept de « temps messianique
», une interruption de la continuité historique où un moment révolutionnaire
peut surgir pour redresser les torts du passé. Ce moment est une opportunité
de rédemption et de justice.
+ Matérialisme
Historique. - Benjamin critique les historiens traditionnels
qui écrivent l'histoire du point de vue des vainqueurs. Il appelle Ã
une historiographie matérialiste qui se
concentre sur les perspectives des opprimés et des marginalisés. Pour
Benjamin, l'écriture de l'histoire est un acte politique. Il soutient
que les matérialistes historiques
doivent se battre pour préserver la mémoire des vaincus et transformer
la société.
En juin 1940, avec l'avancée
des troupes nazies en France, il a fui vers
l'Espagne. Arrivé à Portbou, près de
la frontière française, il a appris que les autorités espagnoles allaient
le renvoyer en France, ce qui aurait signifié une arrestation par les
nazis. Désespéré, il s'est suicidé le 26 septembre 1940. |
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