Bertolt Brecht

Bertolt Brecht naît sous le nom de Eugen Berthold Friedrich Brecht. Son père, Berthold Brecht, est directeur d'une entreprise de papeterie, tandis que sa mère, Sophie Brezing, est profondément religieuse. Dès son jeune âge, Brecht s'intéresse à la littérature et au théâtre. Il est un élève brillant, mais rebelle, et s'oppose aux normes de l'époque. Pendant son adolescence, il est influencé par des écrivains comme Arthur Rimbaud, Friedrich Nietzsche et Frank Wedekind. Il fréquente le lycée lorsque la Première Guerre mondiale éclate en 1914. Initialement favorable à la guerre, il devient rapidement anti-militariste en voyant les destructions et les horreurs du conflit. En 1917, il commence des études de médecine à l'Université de Munich, mais ne les achève pas. En 1918, il est mobilisé dans un hôpital militaire à Augsbourg, où il assiste aux souffrances des soldats blessés, ce qui renforce encore son opposition à la guerre.

En 1918, Brecht écrit sa première pièce importante, Baal, une oeuvre fortement influencée par l'expressionnisme, dans laquelle il décrit un poète amoral rejetant la société bourgeoise. La pièce reflète son mépris croissant pour les conventions sociales et morales de l'époque.Sa deuxième pièce, Tambours dans la nuit (Trommeln in der Nacht), écrite en 1919, traite des conséquences de la Première Guerre mondiale et de la révolution allemande de 1918-1919. La pièce critique la société bourgeoise et l'indifférence face à la souffrance des masses, thèmes récurrents dans ses oeuvres. Il reçoit le prix Kleist en 1922 pour cette pièce, ce qui contribue à le faire connaître. Une autre pièce de cette période est Dans la jungle des villes (Im Dickicht der Städte), écrite en 1921, qui se déroule dans un Chicago métaphorique et raconte la lutte absurde entre deux hommes, un vendeur de livres et un riche Malais. Cette oeuvre met en évidence l'importance de la lutte sociale et la déshumanisation dans les sociétés modernes.

Pendant cette période, Brecht commence à s'intéresser au marxisme et aux idées révolutionnaires. Il se rapproche des idées de la gauche radicale, et son théâtre prend une direction plus engagée politiquement. Les thèmes de la lutte des classes, de l'aliénation et de la critique du capitalisme deviennent centraux dans son travail. À partir de 1922, il commence aussi à se rapprocher de musiciens comme Kurt Weill et Hanns Eisler, un partenariat se développera plus tard et qui s'avérera décisif pour son style théâtral. 

En 1924, Brecht s'installe à Berlin, où il commence à travailler comme dramaturge pour le théâtre Deutsches Theater dirigé par Max Reinhardt. Il entre dans une période créative et stimulante, étant au cÅ“ur de la scène théâtrale berlinoise qui, à cette époque, est l'une des plus innovantes d'Europe. À Berlin, Brecht approfondit ses lectures de Marx et adopte un point de vue plus radical. Il intègre de plus en plus ces idées dans son oeuvre dramatique, critiquant le capitalisme, l'exploitation et l'injustice sociale. C'est également à cette époque qu'il développe sa théorie du théâtre épique, un genre de théâtre qui vise à pousser les spectateurs à réfléchir et à agir plutôt qu'à se laisser émouvoir passivement par l'action scénique. Le théâtre épique de Brecht se distingue par plusieurs caractéristiques clés : 

• La critique sociale. - Le théâtre épique se concentre sur des questions sociales et politiques. Brecht veut que ses pièces poussent le public à examiner les injustices et à envisager des changements. Il utilise des événements historiques pour faire des parallèles avec les problèmes contemporains. 

• L'effet de distanciation (Verfremdungseffekt). - Brecht introduit l'idée de distanciation pour empêcher le public de s'identifier complètement aux personnages. Cela peut être réalisé par des éléments comme des commentaires en voix off, des chansons insérées dans l'action, ou des décors qui ne cachent pas les techniques théâtrales. L'objectif est de créer une distance critique, permettant au public de réfléchir aux enjeux sociaux présentés. 

• La narration fragmentée. - Contrairement à la structure classique du théâtre, qui suit un arc narratif linéaire, le théâtre épique peut adopter une structure fragmentée et non chronologique pour empêcher l'identification émotionnelle avec les personnages et maintenir une distance critique. . Cela incite le spectateur à réfléchir plutôt qu'à se perdre dans l'intrigue.

• Interaction avec le public. - Brecht encourage une interaction active avec le public. Il ne s'agit pas seulement de regarder une pièce, mais d'être impliqué dans une conversation sur les thèmes abordés. Cela peut être par le biais de débats ou de discussions après la représentation.

• Utilisation de la musique et de chants. - La musique, les chants et les interludes sont intégrés dans les pièces pour souligner les thèmes et créer des réflexions critiques. Les chansons peuvent aussi servir commenter l'action ou souligner l'ironie d'une situation, plutôt que pour susciter l'émotion, augmentant ainsi l'effet de distanciation.

• Personnages en évolution. - Les personnages dans le théâtre épique ne sont pas nécessairement fixes ou statiques. Ils peuvent évoluer et changer en fonction des circonstances sociales et politiques, montrant ainsi que les gens ne sont pas définis par leur nature, mais par leur contexte social.

Brecht et Weill collaborent à nouveau sur L'Ascension et la chute de la ville de Mahagonny (Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny), une opéra satirique sur une ville fictive où règne le chaos et où les plaisirs sont commercialisés. La pièce est une critique acerbe du capitalisme et de la société de consommation. En 1932, inspiré par le roman éponyme de Maxime Gorki, Brecht adapte La Mère (Die Mutter). Cette pièce raconte l'histoire d'une femme qui prend conscience de la lutte des classes et s'engage dans le mouvement révolutionnaire. Elle représente l'un des moments clés de l'engagement communiste de Brecht. L'arrivée au pouvoir d'Adolf Hitler en 1933 contraint Brecht à l'exil. En raison de ses idées marxistes et de la nature politiquement subversive de ses oeuvres, il devient une cible pour les nazis. Il fuit l'Allemagne avec sa famille, se réfugiant d'abord en Autriche, puis successivement en Suisse, en France, et dans les pays scandinaves (principalement au Danemark), avant de s'installer aux États-Unis.  Pendant son exil, Brecht continue à écrire. En 1938, il rédige l'une de ses oeuvres les plus célèbres, La Vie de Galilée (Leben des Galilei), qui traite de la lutte entre la science et l'autorité, en explorant la responsabilité éthique des scientifiques face au pouvoir. La pièce résonne dans le contexte de la montée des régimes totalitaires en Europe.

En 1939, Brecht écrit Mère Courage et ses enfants (Mutter Courage und ihre Kinder), une oeœuvre majeure du théâtre épique. Cette pièce, située pendant la guerre de Trente Ans, est une critique de la guerre et de ceux qui en profitent. Le personnage de Mère Courage devient une figure iconique, une marchande qui tente de survivre tout en perdant ses enfants dans le conflit. En 1941, Brecht s'installe aux États-Unis, à Los Angeles, où il espère poursuivre sa carrière théâtrale et cinématographique. Cependant, malgré quelques projets à Hollywood, il ne parvient pas à s'intégrer pleinement à l'industrie du cinéma américain. Il travaille avec Charles Laughton sur une version anglaise de La Vie de Galilée, qui est jouée en 1947. Mais cette année-là,, Brecht devient la cible du maccarthysme aux États-Unis, en raison de ses convictions marxistes. Il est convoqué devant la Commission des activités anti-américaines, où il est interrogé sur ses opinions politiques. Après son témoignage, il quitte rapidement les États-Unis et retourne en Europe et s'installe à Berlin-Est, dans la zone d'occupation soviétique de l'Allemagne, qui deviendra plus tard la République démocratique allemande (RDA). Il bénéficie du soutien du gouvernement communiste, qui le considère comme un allié précieux dans la création d'une culture socialiste.

En 1949, Brecht fonde sa propre compagnie théâtrale, le Berliner Ensemble, avec sa femme, l'actrice Helene Weigel. Ce théâtre devient le centre de production de ses pièces et un laboratoire pour ses expérimentations théâtrales. Le Berliner Ensemble met en scène certaines de ses œuvres les plus célèbres, telles que Mère Courage et ses enfants qui y est montée en 1949, et La Résistible Ascension d'Arturo Ui. Au cours de la décénnie suivante, Brecht connaît un immense succès en RDA. Le Berliner Ensemble acquiert une renommée internationale, notamment grâce aux tournées à l'étranger, et son théâtre devient une référence mondiale.

Malgré son succès en RDA, Brecht reste ambigu quant à son soutien au régime. Bien qu'il profite de la protection et des ressources offertes par le gouvernement est-allemand, il critique parfois subtilement les dérives autoritaires du régime communiste. Il évite cependant toute confrontation directe avec les autorités, préférant se concentrer sur son travail théâtral. En 1953, lors du soulèvement ouvrier en RDA, Brecht adopte une position prudente. Il écrit une lettre à l'attention du gouvernement est-allemand appelant à plus de compréhension envers les revendications des travailleurs, tout en restant dans les limites acceptables pour ne pas être réprimé. En 1955, Brecht reçoit le Prix Staline pour la paix, une distinction qui marque sa reconnaissance par le bloc soviétique. Cela souligne son importance politique et culturelle dans le contexte de la Guerre froide. L'année suivante, 1956, Brecht meurt d'une crise cardiaque. Le Berliner Ensemble a continué d'exister après sa mort.