|
Dans l'iconographie
chrétienne,
l'âne est l'attribut d'Issachar, de saint
Antoine de Padoue, de Ste Austreberte,
et de saint Philibert. L'art en fait aussi un emblème
de la nation juive, de la synagogue, et de
la sobriété. Au Moyen âge,
il représenta aussi le Diable, comme dans
la religion égyptienne il
avait été l'image de Typhon. Mais
surtout il a été au centre de manifestations populaires dans
lesquelles les rites de la religion chrétienne étaient parodiés.
(La
religion populaire au Moyen Âge).
Cette introduction de l'âne dans
les cérémonies religieuses
est mentionnée dès le IXe
siècle. En certaines églises, elle constituait l'élément
principal d'une fête spéciale; en plusieurs autres, elle semble
n'avoir été qu'un intermède plus ou moins compliqué
de la Fête des fous. Même diversité
sur le jour de la célébration et sur le souvenir attaché
à l'animal, qui figure, tantôt en nature vivante, tantôt
en décor. Suivant les localités, il représente soit
l'âne de Balaam, soit l'âne de la fuite en Égypte (Ancien
Testament),
soit l'âne que la tradition place à côté du boeuf,
en l'étable de Bethléem (Nouveau
Testament),
soit l'âne qui servit de monture à Jésus,
lors de son entrée triomphale dans Jérusalem.
A Rouen, la
solennité avait lieu le jour de Noël;
elle avait pour objet de représenter les temps qui ont précédé
le Christ, et les personnages qui ont annoncé et préparé
son avènement. En ce jour-là, le peuple se rendait à
la cathédrale, formant une procession, à la tête de
laquelle marchaient Moïse, Aaron, David,
les prophètes, Nabuchodonosor, les trois adolescents de la fournaise,
Zacharie, père de Jean-Baptiste, le vieux Siméon, Virgile,
Maro,
vates gentilium, et les sybilles qui ont
annoncé le Messie, six juifs et six
païens résumant le monde ancien. Les deux figurants principaux
étaient Balaam et son ânesse : le prophète armé
d'une énorme paire d'éperons et porté sur un grand
mannequin en bois reproduisant l'enveloppe d'un âne, sous les draperies
duquel un prêtre caché criait des prophéties. L'office
ingénieusement machiné, costumé et dialogué,
qui terminait cette procession et parfois la remplaçait (Ordo
processionis asinorum secundum Rothomagensem usum) se trouve curieusement
analysé dans le Glossarium de Ducange.
A Beauvais,
le 14 janvier, un âne richement caparaçonné et monté
par la plus belle jeune fille de la ville, tenant un enfant ou une grosse
poupée emmaillotée, rappelait la fuite en Égypte.
Ils étaient menés, avec grande escorte, de la cathédrale
à l'église Saint Étienne, où le clergé
les introduisait en pompe dans le sanctuaire. Ils y assistaient à
une messe, en laquelle les répons de l'Introït, du Kyrie,
du Gloria in excelsis, du Credo, etc., étaient remplacés
par la modulation Hinhan trois fois répétée.
Après l'épître, on chantait
la Prose de l'âne. La messe terminée, le prêtre,
au lieu de dire : Ite, missa est, disait trois fois : Hinhan;
et le peuple, au lieu de Deo gratias, répondait trois fois
: Hinhan.
A Sens, la
vieille métropole ecclésiastique de la France, la cérémonie
de l'âne était jointe à la Fête des fous, qui
se célébrait le jour de la Circoncision.
Elle avait lieu, non à la messe, mais aux vêpres. Avant de
commencer cet office, le clergé se rendait processionnellement à
la porte de l'église, où deux chantres entonnaient un chant
annonçant que la journée était toute dédiée
à la joie :
Lux
hodie, lux laetitiae.... Laeta volunt quicumque colunt asinaria festa.
Deux chanoines, délégués
à cet effet, allaient auprès de l'âne, pour le conduire
à la table du préchantre, Conductus ad tabulam. Alors
commençaient, avec recommandation de chanter in falso, des
vêpres d'une longueur insolite, bizarrement composées de fragments
de tout ce qui se chantait dans l'année : on faisait alterner les
morceaux les plus tristes avec les morceaux les plus gais et on y joignait
la prose de l'âne. Dans l'intervalle des leçons, on
faisait manger et boire l'animal; enfin, on le menait dans la nef,
où tout le peuple, mêlé au clergé, dansait autour
de lui, en imitant son chant. La danse finie, l'âne était
ramené dans le choeur.
La manière dont la fête s'achevait
est clairement indiquée par ces rubriques de la liturgie : Conductus
ad prandium, Conductus ad poculum, Conductus ad ludos, accompagnées
d'invocations à Jésus et à
Marie,
pour faire bonne chère et trouver de joyeux propos. Tandis que les
plus graves se tenaient ad prandium et ad poculum, les autres, conduits
par le préchantre et précédés d'une énorme
lanterne, couraient ad ludos. Dans la place devant l'église,
était dressé un grand théâtre, sur lequel on
exécutait des farces singulièrement grasses; puis on dansait,
en se livrant aux facéties les plus burlesques. Quand ces joyeusetés
étaient terminées, on jetait quelques seaux d'eau sur la
tête du préchantre et on rentrait pour les matines.
La prose de l'âne est un document
curieux pour le contenu et pour la forme. On l'a publiée plusieurs
fois et avec des variantes qui semblent montrer qu'elle a servi pendant
longtemps et en divers lieux. Elle se compose d'une poésie latine
en vers léonins, formant des strophes
suivies d'un refrain français. Nous la reproduisons telle qu'elle
se chantait à Sens au XIIIe
siècle, d'après un manuscrit de Pierre de Corbeil.
L'officiant débitait les strophes
:
Orientis
partibus,
Adventavit asinus
Pulcher et fortissimus,
Sarcinis aptissimus.
Le choeur répondait :
Hez, sire
asne (âne), hez!
(A ce moment, la foule devait probablement
inciter l'âne à braire).
Hic in collibus
Sichen,
Enutritus sub Ruben,
Transiit per Jordanem,
Saliit in Bethleem.
Hez, sire âne,
hez!
Saltu vincit hinnulos,
Damas et capreolos,
Super dromaderios
Velox Madianos.
Hez, sire âne,
hez!
Aurum de Arabia
Thus et myrrham
de Saba,
Tulit in ecclesia
Virtus asinaria.
Hez, sire âne,
hez!
Dum trahit vehicula,
Multa cum sarcinula,
Illius mandibula
Dura terit pabula
Hez, sire âne,
hez!
Cum aristis hordeum
Comedit et carduum,
Triticum a palea
Segregat in area.
Hez, sire âne,
hez!
Amen dicas, asine
Jam satur ex gramine
Amen, amen, itera,
Aspernare vetera
Hez, sire âne,
hez !
Ducange ajoute deux autres strophes, l'une
après la première et l'autre après la seconde :
Lentus erat
pedibus,
Nisi foret baculus
Et eum in clunibus
Pungeret.
Ecce magnis auribus
Subjugalis filius,
Asinus egregius,
Asinorum dominus.
ll donne comme refrain courant :
Hez, sire
âne, car chantez
Belle bouche rechignez.
On aura du foin
assez
Et de l'avoine à
planté.
Et comme refrain de la dernière strophe
:
Hez va!
hez va! hez va hez!
Bialx sire âne,
car allez,
Belle bouche, car
chantez.
Ces deux refrains sont d'origine picarde.
(E. H. Vollet).
-
|
|