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Exotisme,
n. m. - Mot désignant l'étude et l'emploi, dans les oeuvres
musicales, de particularités modales, rythmiques ou mélodiques
empruntées aux civilisations extra-européennes. Les ballets
de cour dansés sous des costumes singuliers, tels que celui du Prince
de la Chine (1605), les divertissements du Bourgeois gentilhomme,
de Molière, l'entrée des Indiens,
dans Le Triomphe de l'amour, de Lulli (1681),
ou de la Turquie, dans L'Europe galante, de Campra (1697), ni même
Les Indes galantes, de Rameau (1735); qui
présentaient aux spectateurs, en des décors somptueux, tour
à tour de « jeunes odalisques » et des « Incas
du Pérou », une « fête persane» et une entrée
fameuse de « sauvages », ne visaient à aucun effet d'exactitude,
et, tout comme les poètes et les décorateurs, les musiciens
puisaient dans leur propre fonds pour imaginer des dessins mélodiques
bizarrement rythmés et qui eussent une allure inusitée.
Un pas fut fait, au milieu du XVIIIe
s., vers une imitation plus réaliste, par l'introduction dans
les armées européennes de bandes musicales
destinées à rivaliser avec la « musique des janissaires
», dont parlaient les voyageurs; plusieurs cours allemandes voulurent,
après la Russie, posséder des orchestres
authentiques de hautbois, de flûtes
aigres et d'instruments de percussion,
et les pays qui n'adoptèrent pas les instruments à vent s'empressèrent
du moins d'accueillir les cymbales, le triangle,
et le « chapeau chinois ». Dès
lors, on s'accoutuma à regarder toute la musique de l'Orient à
travers quelques rythmes
sautillants soulignés par un tintamarre métallique. Mozart,
dans L'Enlèvement au Sérail (1782) et tout simplement
dans le rondo alla turca de sa Sonate en la majeur, qui est
resté populaire sous le nom de Marche turque, fixa pour près
d'un siècle les formules vives et légères d'un vocabulaire
musical entièrement conventionnel, et propre presque uniquement
au genre bouffe. Le succès du Désert, de Félicien
David (1844), fut dû en majeure partie à l'à propos
et à la nouveauté de quelques mélodies
rapportées ou inspirées de l'Égypte,
et qui correspondaient aux mouvements de l'opinion et des arts, à
la suite de la conquête de l'Algérie;
la mélopée du Muezzin laissait entrevoir l'intérêt
de curiosité que pourraient susciter les mélodies arabes
ou orientales. Les Expositions Universelles, renouvelées de décade
en décade à Paris (1867, 1878,1889,
1900), en faisant une place de plus en plus large aux manifestations
variées de la vie coloniale, permirent en effet aux musiciens de
la métropole de s'initier tant bien que mal aux caractères
généraux des arts de chaque culture, et tout d'abord sans
doute d'apprécier l'incompatibilité de la plupart des musiques
exotiques avec les habitudes des musiciens occidentaux, le système
tonal et leurs instruments, car les essais d'acclimatation ou de naturalisation
qu'ils tentèrent furent très rares.
La belle Rhapsodie cambodgiennede
Bourgault-Ducoudray (1890), où sont introduits quelques fragments
thématiques et imités les effets de percussion des pierres
sonores, le 5e Concerto de piano,
de Saint-Saëns (1896), dont le second
morceau repose sur des souvenirs musicaux rapportés des bords du
Nil, sont des exemples de ce que l'on pourrait appeler l'exotisme direct.
Les compositeurs russes, et principalement Balakirev, Borodine
et Rimsky-Korsakov donnèrent l'impulsion à un genre plus
libre et que les affinités du monde slave avec l'Asie les préparaient
à créer; l'exotisme, chez eux, se traduit par un mélange
intime de rythmes et de sonorités empruntées aux traditions
des populations limitrophes, avec les formes et les procédés
de l'art européen.
C'est en ce sens et quelquefois par leur
intermédiaire que l'exotisme musical est apparu chez les compositeurs
occidentaux comme une source d'enrichissement et de rajeunissement pour
un art en apparence parvenu au seuil de l'épuisement. Il n'était
dès lors plus nécessaire d'en allier invariablement l'emploi
à des sujets d'opéra ou à
des programmes descriptifs qui fussent eux-mêmes exotiques, et l'emploi
de gammes étrangères à la tonalité des classiques
européens pouvait se justifier par le seul fait de leur diversité
et de la nouveauté des effets que l'on pouvait en obtenir. La gamme
pentaphonique, que les Chinois constituent de plusieurs manières,
mais en la privant toujours de la quarte et de la septième, et qui
se retrouve chez les Japonais, chez les Indiens d'Amérique et dans
quelques chants celtiques et gaéliques, restés traditionnels
dans les Iles Britanniques, la gamme de six sons par tons entiers, à
laquelle A. Coquard, puis Debussy ont donné
une forme particulière.
La gamme mineure avec quarte augmentée,
que Auguste Chapuis a traitée dans une Suite pour piano sur
la gamme orientale, tendent, au début du XXe
s. à s'introduire, comme des néologismes qui permettent l'expression
de faits nouveaux ou d'idées renouvelées, sans rien supprimer
ni détruire du vocabulaire existant. On peut se rappeler, à
propos de l'exostisme musical, quelle révélation a été,
dans le domaine des arts du dessin et principalement du paysage et de l'ornement,
la connaissance des oeuvres de Hokusaï et
des estampes japonaises, et quelle influence discrète et féconde
elle a exercée en Europe, dans les arts plastiques.
(Michel Brenet). |
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