| Lac Moeris. Lac artificiel légendaire de l'ancienne Égypte. Il fut creusé, raconte Hérodote (II, 149), dans le voisinage du Labyrinthe, par le dernier des 330 successeurs de Ménès, Moeris (Ancien Empire), qui lui donna son nom. Il avait un circuit de 3600 stades et une profondeur de 50 orgyes environ. Au centre se dressaient deux pyramides élevées, à demi plongées dans l'eau, au sommet desquelles étaient placées deux figures colossales assises sur un trône. Une canalisation souterraine empruntait au Nil l'eau nécessaire à l'alimentation de cet énorme réservoir, qui était destiné à remédier aux inondations trop faibles. L'adduction durait six mois; puis, pendant les six autres mois de l'année, le travail inverse se faisait vers le fleuve. Le même auteur ajoute un peu plus loin (II, 150) que la décharge s'effectuait dans la Syrte de Libye par un conduit creusé sous terre, qui prenait naissance près du mont situé au-dessus de Memphis, sur la rive occidentale du lac. La plupart des écrivains classiques adoptèrent le témoignage d'Hérodote. Diodore ajoute cependant à ce qui précède quelques détails complémentaires : selon lui, le roi Moeris aurait édifié son tombeau sur le terre-plein qui supportait les deux pyramides, et les statues qui couronnaient celles-ci ne seraient autre chose que le portrait de ce pharaon et celui de sa femme. Strabon (XVII, 37) n'admet que l'existence d'un immense étang naturel utilisé pour l'irrigation. Ptolémée (IV, 20 et 36) partagea aussi plus tard cette opinion. Pline nous apprend enfin, ce qui n'est pas sans intérêt, que le Moeris n'existait plus de son temps. Ces versions peu concluantes et contradictoires ont été reprises par les savants modernes qui ont, dans des directions souvent opposées, essayé de concilier les données anciennes de source égyptienne, grecque et latine, et de les interpréter en tenant compte de la configuration naturelle du pays. Jomard, dans le grand ouvrage de la commission d'Égypte, identifie, d'accord avec Strabon, le lac Moeris avec le Birkét-Kéroun, l'actuel lac qui occupe une dépression de terrain considérable dans une sorte de vallée circulaire formée par la chaîne libyque, à l'Ouest du Fayoum. Clot-Bey croit également que l'on tira parti d'un accident du sol et qu'on ne creusa pas ce lac, ce qui aurait exigé, selon lui, l'extraction « de plus de onze cents milliards de mètres cubes de terre ou de roche ». Cette objection avait déjà été faite par Hérodote, qui s'étonnait avec raison que l'on ne trouvât nulle part trace des déblais, à quoi les indigènes avaient répondu qu'ils avaient été portés au Nil pour y être jetés, ce qui aurait singulièrement augmenté la durée des travaux. Linant de Bellefonds, dont la théorie a prévalu pendant longtemps, admettait que le Moeris occupait une sorte de cuvette qui se trouve entre el-Lahoun et Médinét-el-Fayoum, à l'Est du Birkét-Kéroun, enserré dans des digues, dont il avait retrouvé des traces considérables, mais qui, depuis, ont été reconnues de construction moderne. Un autre fait rend, d'ailleurs, sa thèse désormais insoutenable : on a relevé, sur l'emplacement qu'il croyait avoir été occupé par le Moeris, des vestiges de temples et d'habitations qui datent de la XXe dynastie (Nouvel Empire). Le major Brown, enfin, retenant les conclusions que Flinders Petrie a exposées dans son livre intitulé Hawara, Biahmou and Arsinoe, pp. 1, 2, suppose que le Fayoum actuel se trouvait envahi en entier par les eaux sous les premières dynasties memphites. Amenemhat III, aussi appelé Moeris, en ingénieur habile, aurait utilisé cette réserve naturelle en la captant, en vue des services qu'elle pourrait rendre à l'agriculture (Moyen Empire). H. Brugsch, parmi les égyptologues, n'a jamais consenti à abandonner l'hypothèse favorable au récit d'Hérodote. Servi par sa vaste érudition, il a su l'appuyer par des textes fort bien choisis, mais d'une interprétation contestable. Pour lui, l'expression égyptienne Mér-oïr, Méri-oïr, "le grand lac", serait le prototype du nom transcrit Moiris par les Grecs. Le rapprochement est en effet très vraisemblable, sinon exact, mais il ne suffit pas à lui seul pour démontrer l'existence d'un lac creusé de main d'homme dans le Fayoum. Il est beaucoup plus conforme à ce que nous savons de supposer que le Mérioïr ancien désigne simplement le Birkét-Kéroun actuel. Maspero a eu, à plusieurs reprises, dans divers écrits, l'occasion d'adopter une explication qui satisfait à la presque totalité des objections que ce problème a soulevées. Hérodote aurait visité le Fayoum en été, au moment de l'inondation. Le pays prenait alors un aspect très spécial : ce n'était plus qu'une immense nappe d'eau traversée par des levées en terre battue, qui servaient de route et permettent aux habitants de communiquer d'un village à l'autre. Egaré par les renseignements confus que ses guides lui auraient fournis sur le système d'irrigation en usage dans la localité, il aurait compris qu'il s'agissait d'un véritable lac circonscrit par les digues qu'il apercevait et dans lesquelles il reconnaissait avec raison l'industrie humaine. Les pyramides et les statues dont il parle seraient les deux colosses d'Amenemhat III, dressés sur de hauts piédestaux - dont l'un subsiste encore -, qui précédaient le temple de Biahmou et qui, vus de loin, semblaient émerger du milieu des eaux. On peut donc dire, avec une certitude presque absolue, que le lac Moeris n'est pas un lac artificiel et qu'il n'a jamais existé tel que l'a conçu Hérodote, et, de plus, qu'il est identique au Méri-oïr des textes hiéroglyphiques, le Birket-Kéroun des modernes. (E. Chassinat). | |