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Constantin
François' Chasseboeuf,
comte de Volney est un écrivain et homme politique français,
né à Craon (Maine-et-Loire) le
3 février 1757, mort à Paris
le 25 avril 1820. Fils de l'avocat Chasseboeuf, qui lui fit prendre le
nom de son domaine patrimonial de Boisgirais, changé plus tard par
lui-même en celui de Volney, il se rendit à Paris, à
la suite de brillantes études classiques, pour apprendre le droit,
puis la médecine, qui ne le captivèrent
pas longtemps, fréquenta passionnément la société
philosophique du temps et, séduit par les langues et les civilisations
orientales, ainsi que par l'histoire des peuples et des religions de l'Antiquité,
consacra le produit d'un héritage qui lui échut en 1781 à
faire, à partir de 1782, un voyage en Orient. Il apprit l'arabe
chez les Druzes dans un couvent du Liban, puis
parcourut pendant quatre ans la Syrie et
l'Égypte. A son retour (1787), il
publia la relation de ce voyage (1787, 2 vol. in-8), qui lui valut, par
la sûreté de ses observations, la largeur de ses vues, la
hardiesse de sa critique, enfin la précision élégante
de son style une grande et légitime notoriété, qu'accrurent
encore ses Considérations sur la guerre des Turcs et de la Russie
(1788, in-8).
Ayant témoigné
le désir d'aller en Corse acclimater
certaines cultures des régions tropicales, il fut nommé directeur
général de l'agriculture et du commerce dans cette île.
Mais la Révolution, qui éclata
peu après, ne lui permit pas de remplir cet emploi. Envoyé
aux Etats généraux
par le tiers état de la sénéchaussée d'Anjou,
il tint une place distinguée à l'Assemblée
constituante, où il se fit remarquer par son dévouement
aux idées nouvelles et prit une part importante aux débats
relatifs aux gardes nationales, à l'organisation des départements,
à la vente des domaines nationaux, au droit de paix et de guerre,
etc.
Entre temps il poursuivait
ses études historiques et philosophiques, publiait en 1790 un important
Mémoire sur la chronologie des douze siècles antérieurs
au passage de Xerxès en Grèce (Paris, in-4) et portait
sa réputation au comble par le livre célèbre où,
sous ce titre : les Ruines, ou méditations sur les révolutions
des empires (1790, in-8), il imputait tous les malheurs de l'humanité
à l'abandon par les peuples de la liberté
et de la religion naturelle. Après la dissolution de l'Assemblée
constituante, il se rendit en Corse, où il avait acheté un
domaine, pour s'y livrer à ses entreprises agricoles. Mais les troubles
de cette île l'obligèrent à la quitter au commencement
de 1793 (il publia peu après un Précis de l'état
actuel de la Corse).
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Les ruines
de Palmyre
« Me
trouvant rapproché de la vallée de Palmyre
située dans le désert, je résolus de connaître
par moi-même ses monuments si vantés; et, après trois
jours de marche dans des solitudes arides, ayant traversé une vallée
remplie de grottes et de sépulcres, tout à coup, au sortir
de cette vallée, j'aperçus dans la plaine la scène
de ruines la plus étonnante : c'était une multitude innombrable
de superbes colonnes debout, qui, telles que les avenues de nos parcs,
s'étendaient à perte de vue en files symétriques.
Parmi ces colonnes étaient de grands édifices, les uns entiers,
les autres demi-écroulés. De toute part, la terre était
jonchée de semblables débris, de corniches, de chapiteaux,
de fûts, d'entablements, de pilastres, tous de marbre blanc, d'un
travail exquis. Après trois quarts d'heure de marche le long de
ces ruines, j'entrai dans l'enceinte d'un vaste édifice qui fut
jadis un temple dédié au soleil, et je pris l'hospitalité
chez de pauvres paysans arabes, qui ont établi leur chaumière
sur le parvis même du temple; et je résolus de demeurer pendant
quelques jours pour considérer en détail la beauté
de tant d'ouvrages.
[...]
Chaque jour je sortais
pour visiter quelqu'un des monuments qui couvrent la plaine; et un soir
que, l'esprit occupé de réflexions, je m'étais avancé
jusqu'à la Vallée des Sépulcres, je montai sur les
hauteurs qui la bordent, et d'où l'oeil domine à la fois
l'ensemble des ruines et l'immensité du désert. Le soleil
venait de se coucher; un bandeau rougeâtre marquait encore sa trace
à l'horizon lointain des monts de la Syrie : la pleine lune à
l'Orient s'élevait sur un fond bleuâtre aux planes rives de
l'Euphrate : le ciel était pur, l'air calme et serein; l'éclat
mourant du jour tempérait l'horreur des ténèbres;
la fraîcheur naissante de la nuit calmait les feux de la terre embrasée;
les pâtres avaient rentré leurs chameaux; l'oeil n'apercevait
plus aucun mouvement sur la prairie monotone et grisâtre; un vaste
silence régnait sur le désert; seulement, à de longs
intervalles, on entendait les lugubres cris de quelques oiseaux de nuit
et de quelques chacals. L'ombre croissait, et déjà dans le
crépuscule mes regards ne distinguaient plus que les fantômes
blanchâtres des colonnes et des murs. Ces lieux solitaires, cette
soirée paisible, cette scène majestueuse, me plongèrent
dans un profond recueillement. L'aspect d'une grande cité déserte,
la mémoire des temps passés, la comparaison de l'état
présent, tout éleva mon coeur à de hautes pensées.
Je m'assis sur le tronc d'une colonne; et là, le coude appuyé
sur le genou, la tête soutenue par la main, tantôt portant
mes regards sur le désert, tantôt les fixa ni sur les ruines,
je m'abandonnai à une rêverie profonde. »
(Volney). |
Très attaché
aux principes de la Révolution et à l'idée républicaine,
il écrivit la même année, avec le plus grand succès,
sa Loi naturelle ou Catéchisme du citoyen français,
traité de morale vraiment humaine, basée
sur les données de la raison, en dehors
de toute religion révélée. Son dévouement au
parti de la Gironde lui valut
d'être incarcéré quelque temps sous la Terreur,
sous l'accusation infondée de royalisme. Remis en liberté
après le 9 thermidor, il fut chargé d'un cours d'histoire
à l'Ecole normale, qui venait d'être instituée par
la Convention, et fut, par
la solidité ingénieuse de son enseignement, le précurseur
de la critique historique moderne. Un peu plus tard, l'Ecole ayant été
pour un temps supprimée, il partit pour les Etats-Unis
(1795), où, comme ami de Franklin, il
fut bien accueilli par Washington, mais où,
en 1797, le nouveau président, John Adams,
dont il avait critiqué les vues politiques, l'accusa d'être
venu comme agent secret chargé de préparer le retour de la
Louisiane à la France. Il dut retourner
à Paris en 1798.
Il y était
à l'époque du 18
brumaire et, trompé comme beaucoup d'autres républicains,
sur les intentions de Bonaparte, qu'il avait connu jacobin
et dont, après avoir été le protecteur, il était
resté l'ami, il applaudit d'abord à l'établissement
du Consulat. Aussi fut-il appelé
peu après au Sénat. Mais les tendances du nouveau gouvernement
ne tardèrent pas à l'inquiéter. Il combattit toutes
les innovations qui devaient avoir pour effet l'organisation du pouvoir
absolu et le retour aux institutions du passé, particulièrement
le Concordat; il s'opposa à l'expédition de Saint-Domingue,
et vota en 1804 contre l'établissement de l'Empire
et donna même sa démission de sénateur, qui ne fut
pas acceptée. Napoléon, qui voulait
le ménager, le nomma commandeur de la Légion d'honneur en
1804, et comte de l'Empire en 1808. Mais Volney fit constamment partie,
avec Lanjuinais, Destutt de Tracy et quelques
autres idéologues, du petit groupe de
sénateurs qui, jusqu'en 1814, désapprouvèrent la politique
impériale.
Du reste, il se consacra
presque exclusivement pendant cette période à ses travaux
de cabinet et publia d'importants ouvrages d'observation, de critique et
d'histoire, parmi lesquels nous citerons Tableau du climat et du sol
des Etats-Unis (1803, 2 vol. in-8); Supplément à l'Hérodote
de Larcher (1809, in-8); Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne
(4814, 3 vol. in-8).
Créé
pair de France par Louis
XVIII (4 juin 1814), il ne se rallia pas à Napoléon pendant
les Cent-Jours. Il ne prit jusqu'à
sa mort qu'une part peu importante aux débats du Luxembourg, mais
resta fidèle au parti libéral et demeura surtout très
attaché à ses convictions philosophiques, comme il le prouva,
peu avant sa fin, par sa spirituelle et ironique Histoire de Samuel,
inventeur du sacre des rois (1816, in-8). A cette époque, comme
précédemment, du reste, il consacra une bonne partie de son
temps à d'ingénieuses études sur les langues orientales,
qui étaient à ses yeux une des ressources les plus précieuses
dont pussent disposer les philosophes et les historiens. Dès 1795
il avait publié une très curieuse Méthode pour
apprendre les langues arabe, persane et turque avec les caractères
européens (in-8).
Plus tard, il avait
écrit un Rapport sur les vocabulaires comparés des peuples
de toute la terre, du professeur Pallas (1805, in-8). Sous la Restauration,
il donna encore son Alphabet européen appliqué aux langues
asiatiques (1819, in-8) ; son Hébreu simplifié
(1819, in-8) ; son Discours sur l'élude philosophique des langues
(1819, iu-8) et sa Lettre au comte Lanjuinais sur l'antiquité
de l'alphabet phénicien (1819, in-8). Il laissa de plus en mourant
des Vues nouvelles sur l'organisation des langues orientales, qui
ne furent publiées qu'en 1828.
Membre de l'Institut
(section des sciences morales et politiques) depuis 1795, il faisait partie
de l'Académie française
depuis la suppression de cette section par Napoléon. Il lui légua
le capital du prix annuel qui porte son nom et qui est destiné à
favoriser les études de linguistique et
de grammaire comparée.
(A. D.). |
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