| Le club des Jacobins fut au début ce que nous appelerions aujourd'hui une réunion parlementaire, dont l'origine date du séjour des Etats généraux à Versailles. C'est dans cette ville que, dès le mois de mai 1789, des députés de Bretagne; clergé et tiers état, prirent l'habitude de se réunir pour conférer entre eux en dehors des séances. On croit que ces réunions se tinrent au café Amaury; rue de la Pompe, n° 44. Le Chapelier semble avoir été l'initiateur de ces conciliabules, avec Corroller, Botidoux, Kervélégan, Glezen, Deferrnon et Palasne de Champeaux, qui tous marquèrent, dans la Révolution. Ce fut là le Club Breton, qui s'adjoignit bientôt des députés d'autres,provinces, tels que le duc d'Aiguillon; Mirabeau, Sieyès, Barnave, Pétion, Volney, l'abbé Grégoire, Robespierre, Charles et Alexandre de Lameth, des députés de Franche-Comté; des députés d'Anjou comme La Revellière-Lépeaux, d'autres encore; tels, que Bouche, le marquis de Lacoste, etc. On n'a pas de comptes rendus de ces séances, qui furent.secrètes, mais les contemporains assurent que c'est au Club breton que les « patriotes » établirent entre, eux ce concert vigoureux dont on vit les effet les 17 juin, 23 juin et 4 août 1789. Après les journées d'octobre et la translation de l'Assemblée nationale à Paris, il n'y eut plus de Club breton, et les députés de la majorité cessèrent pendant quelque temps de se réunir en dehors des séances. La droite en profita pour se concerter à son tour et influa ainsi sur sur la nomination du bureau de la Constituante. Alors les anciens membres du Club breton, après avoir, dit-on, fait quelques tentatives pour se réunir au n° 7, de la place des Victoires, louèrent le réfectoire des Jacobins Saint-Honoré, à deux pas de la salle du Manège où siégeait l'Assemblée.nationale. Les royalistes leur donnèrent par dérision le nom de Jacobins, d'autant plusqu'au début, asssure-t-on, plusieurs des moines dont ils étaient les locataires assistaient à leurs séances. Les membres nouveau club prirent le titre de Société des amis de la Constitution, séante aux Jacobins; à Paris. On ignore la date exacte de la fondation de cette société, mais elle n'est probablement pas antérieure au mois de décembre 1789et elle n'est sûrement pas postérieure au mois de janvier 1790. La société siégeait au réfectoire des Jacobins pendant les premières semaines de son existence; puis, jusqu'au printemps de 1791 dans la bibliothèque; enfin du 29 mai 1791 jusqu'à la fin; dans la chapelle du couvent, qui, devenue bien national avait été louée par l'Etat aux membres de la société : le bail il était au nom de l'un d'eux, le citoyen Guiraut. D'abord réservé aux seuls députés, le club se donna, le 8 février 1790; un règlement dont le préambule avait été rédigé par Barnave. C'était un programme politique, celui de la majorité de l'Assemblée nationale. Les Jacobins se donnaient pour tâche de défendre contre les retours offensifs de l'Ancien régime les articles constitutionnels déjà décrétés. Ils se proclament monarchistes, et leur devise est : La loi. D'autre part; ils sedéfinissent eux-mêmes comme « une société établie auprès de l'Assemblée nationale et, renfermant un grand nombre de députés des différentes provinces », une société offrant « un centre commun à celles qui s'établiront dans tout le royaume ». Et en effet d'innombrables, succursales ou sociétés affiliées s'établirent bientôt, il y en eut dans toutes les villes et dans beaucoup de villages. Toutes correspondaient avec la société-mère et recevaient d'elle le mot d'ordre. Les Jacobins aspiraient à former un esprit public dans un pays si neuf à la politique; ils voulaient créer l'unité morale de la nation. Ils se firent les instituteurs du peuple; ils lui préchèrent la foi nouvelle, et c'est ainsi, que peu à peu s'introduisit dans leur style et dans leurs gestes une sorte de pédantisme autoritaire qu'on a raillé sous le nom de jacobinisme. Mais en réalité leur doctrine varia avec les circonstances, et, comme la France elle-même, ils furent d'abord monarchistes, puis républicains. - Le Club des Jacobins. Source : Musée Carnavalet. La société mère n'avait pas tardé à admettre des membres étrangers à l'Assemblée nationale. Pendant toute sa période monarchique, elle exclut l'élément populaire, .et n'admit que l'élite de la bourgeoisie parisienne; des négociants, des avocats; des médecins comme Cabanis, des professeurs comme les deux Guéroult, des savants, comme Broussonnet, Lacépède et Vandermonde, des artistes comme le graveur Bervic et les peintres David et Carle Vernet, et surtout des littérateurs comme Andrieux, Bitaubé, Marie-Joseph.-Chénier; Choderlos de Laclos, Cloots, l'abbé de Cournand, professeur au Collège-de France, Fabre d'Eglantine, Fenouillot de Falbaire, La Harpe, Sylvain Maréchal, Mercier, Noël, Sedaine, Charles Villette. Le 15 novembre 1791 un scrutin nous montre que les Jacobins étaient au nombre de 1211. Les séances ne fuirent publiques qu'à-partir du 12 octobre 1791. Le président du club était nommé pour un mois. Tant que Louis XVI fut sur le trône, ces présidents furent; des hommes assez modérés, par exemple le duc d'Aiguillon, le duc de Noailles, Adrien du Port, Mirabeau, Victor de Broglie, Beauharnais, etc. Pendant toute cette période, les débats du club, furent très graves et très corrects; il n'y eut que quelques excentricités individuelles, aussitôt réprimées par la majorité, dont les; actes et les circulaires n'eurent pas seulement pour objet la lutte contre l'Ancien régime, mais aussi la lutte contre toute agitation démagogique. Après la fuite à Varennes, les Jacobins persistèrent à soutenir la monarchie, tout en blâmant Louis XVI, et c'est dans cette circonstance que se dessina leur antagonisme, avec le club des Cordeliers. Mais ils auraient voulu que l'on jugeât Louis XVI, qu'on le consi dérât comme ayant abdiqué, qu'on le remplaçât par un autre roi. C'est, ce voeu qu'exprima en juillet 1791 une pétition fameuse, rédigée dans le local du club, mais non par le club et sous la pression d'une multitude de citoyens étrangers au club. C'est cette pétition qui amena le massacre du Champ de Mars (17 juillet 1791). Les Jacobins la désavouèrent (20 juillet), mais il y eut un schisme, et un grand nombre de Jacobins allèrent fonder une autre société, plus modérée : ce fut le Club des Feuillants. La société mère n'en persista pas moins dans son attitude constitutionnelle. Même après la journée du 10 août 1792, même quand Louis XVI, suspendu, était prisonnier au Temple, les Jacobins s'obstinèrent à garder leur nom d'Amis de la Constitution. Ce n'est qu'après l'abolition de la royauté par la Convention nationale, le 21 septembre 1792, qu'ils décidèrent de prendre à l'avenir le titre de Société des Jacobins, amis de la liberté et de l'égalité. Alors commence la seconde période de l'histoire du club des Jacobins, ou période républicaine. Ils s'employèrent à faire accepter la République par la France, comme ils s'étaient employés à lui faire accepter la constitution monarchique de 1789 et de 1791. Mais leur attitude est plus violente et plus populaire. Avant la chute du trône, les Jacobins représentaient surtout la bourgeoisie libérale, les citoyens actifs, le pays légal tel que l'établissait le régime censitaire. La journée du 10 août a amené l'établissement du suffrage universel et c'est la démocratie qui arrive au pouvoir : dès lors, l'élément populaire s'introduit parmi les Jacobins, surtout en province. La France, menacée dans son indépendance par la coalition des rois, se raidit contre le péril par une convulsion désespérée : c'est la Terreur. Les Jacobins représentent fidèlement les passions de la France à cette époque. Ils s'épurent eux-mêmes, ils éliminent les éléments modérés, les amis de Brissot, les Girondins. Ils sont à la fois les instruments et les surveillants de la dictature révolutionnaire. Ils prennent une part directe, officielle, au gouvernement, surtout dans les départements, où souvent les représentants en mission chargent le club local de destituer et de remplacer les administrations. Ils reçoivent parfois de l'Etat des subventions secrètes. Les comités révolutionnaires sont formés de leurs membres. La société mère gourmande et aiguillonne la Convention; elle frappe de suspicion les généraux infidèles ou malheureux, et ses pétitions sont parfois des ordres. Néanmoins, à Paris, les Jacobins sont plus corrects et plus réservés qu'en province. Souvent ils mettent une barrière aux aspirations ultra-démocratiques des Cordeliers et de la Commune. C'est dans le club des Jacobins que Robespierre attaque et condamne le culte de la Raison, l'hébertisme. C'est dans le club des Jacobins qu'il propose le culte de l'Etre suprême, qu'il tâche de rassurer les intérêts et la conscience des catholiques, qu'il prépare ce qu'on a appelé son pontificat. Trop souvent les Jacobins se font les complices de ses haines et l'aident à faire périr ses rivaux. Leur admiration pour Robespierre les entraîne jusqu'à approuver, encourager l'effusion du sang français. Sans doute il y avait dans le club assez d'éléments antirobespierristes pour qu'à la veille même de la fête de l'Étre suprême, Fouché fût élu président. Mais la majorité était inféodée à Robespierre; le 9 thermidor au soir elle prit en sa faveur une attitude insurrectionnelle; elle fut vaincue avec lui; la salle des séances fut provisoirement fermée et plusieurs Jacobins périrent sur l'échafaud. Les vainqueurs rouvrirent et épurèrent à leur image la société des Jacobins. Bientôt les éléments « terroristes » y rentrèrent. Billaud-Varenne y annonça le réveil du lion et le club fut un centre d'opposition à la politique nouvelle, à la réaction thermidorienne. Les Jacobins n'étaient plus soutenus par l'opinion; ils ne représentaient plus la France, mais des passions déjà surannées, qui étaient nées du danger de la patrie et qui avaient disparu avec ce danger. Le 21 brumaire an III (11 novembre 1794), les comités de gouvernement firent fermer définitivement leur salle et la Convention approuva cette mesure le lendemain. La constitution de l'an III supprima toutes les sociétés populaires et n'autorisa que des sociétés qui n'auraient entre elles ni affiliation ni correspondance. Les Jacobins de Paris se reconstituèrent au Panthéon, mais leur club fut fermé par arrêté du Directoire du 9 ventôse an IV (28 février 1796), et une loi du 7 thermidor an V (25 juillet 1797) interdit même les sociétés particulières. Après le coup d'Etat du 18 fructidor, l'influence jacobine reparut, les sociétés politiques furent autorisées et plus tard les Jacobins se reconstituèrent (juillet 1799), d'abord au Manège, puis dans un ancien couvent des Jacobins, rue du Bac : mais ce club fut fermé le 13 août 1799. Toutefois, des sociétés jacobines fonctionnèrent en province, notamment à Toulouse, à Marseille, à Metz jusqu'après le 18 brumaire, pendant tout le Consulat provisoire-: les clubs politiques ne cessèrent d'exister qu'à la mise en vigueur de la constitution de l'an VIII. (F.-A. Aulard). | |