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L'histoire de la Jamaïque
Avant l'arrivée des Européens, la Jamaïque était habitée par une branche des Arawaks, les Tainos. Ceux-ci avaient migré depuis l'Amérique du Sud et s'étaient établis dans les Caraïbes, vivant principalement de l'agriculture, de la pêche et de la chasse. Les Arawaks appelaient l'île Xaymaca, ce qui signifie « la terre du bois et de l'eau » ou « la terre des sources ». Les Tainos vivaient dans des villages organisés, pratiquaient une religion polythéiste et étaient dirigés par des caciques ( = chefs). Ils ont laissé des vestiges sous forme de pétroglyphes.

Christophe Colomb, qui l'atteignit le 5 mai 1494 l'appella Santiago. Les habitants étaient des Indiens pacifiques, qui n'étaient pas des Caraïbes. En 1509, Diego Colomb, confirmé dans son gouvernement d'Hispaniola, fit occuper la Jamaïque par don Juan d'Esquivel en opposition avec Alonzo de Ojeda qui revendiquait l'autorité royale. Les Espagnols fondèrent Oriston et Santiago de la Vega au Sud, Sevilla de Oro au Nord, Mililla vers l'Est. Mais la colonie reste relativement marginale par rapport à d'autres territoires espagnols comme Cuba et Hispaniola. Pendant cette période, les Espagnols réduisent la population autochtone en esclavage et l'utilisent pour l'agriculture et l'exploitation des ressources naturelles. Les Tainos, fragilisés par les maladies européennes et les mauvais traitements, disparaissent rapidement. Face à la disparition des indigènes, les Espagnols font venir des esclaves africains pour travailler dans les plantations de canne à sucre et dans l'élevage. Cependant, la Jamaïque n'est pas une priorité pour les Espagnols, qui concentrent leurs efforts sur d'autres colonies plus riches. Cette relative négligence permettra plus tard aux Anglais de s'emparer de l'île.

En 1596, l'amiral anglais Shirley pilla l'île; sous Charles Ier le colonel Jackson y parut. En mai 1655, les amiraux Penn et Venables, envoyés par Cromwell, s'en emparèrent. Un retour offensif des Espagnols fut repoussé en mai 1658. Nombre des anciens esclaves fuirent dans les montagnes et formèrent des communautés de Marrons, qui joueront un rôle crucial dans l'histoire ultérieure de l'île. En 1661, l'Angleterre donna à l'île un gouverneur, le colonel d'Oyley, et un conseil électif. Les Anglais finirent par se  débarrasser des boucaniers et organisèrent la Fourth ou Royal African Company pour la traite esclavagiste (1672). L'année suivante, on dénombrait 7768 Blancs et 9504 Noirs. Les colons étaient presque autonomes; les privilèges de leur assemblée élective furent restreints en 1678, rétablis en 1682; ce fut seulement en 1728 qu'on consentit à payer à l'Angleterre un tribut annuel de 8000 livres (réduit ensuite à 6000) et à accepter les lois anglaises.

Sous la domination anglaise, la Jamaïque devient une des colonies les plus rentables du commerce transatlantique grâce à l'essor des plantations de canne à sucre. Les Anglais utilisent massivement des esclaves africains pour cultiver et récolter le sucre, principal produit d'exportation.  Au XVIIIe siècle, la Jamaïque devient l'un des plus grands producteurs de sucre au monde, et les propriétaires de plantations accumulent d'immenses fortunes. Le système esclavagiste atteint son apogée, avec une population d'esclaves qui dépasse rapidement celle des Européens. Les conditions de vie des esclaves sont terribles : ils subissent des travaux épuisants, des châtiments corporels et une mortalité élevée. Malgré la répression violente, des révoltes d'esclaves éclatent régulièrement. 

La lutte contre les Noirs insoumis des montagnes continuait; en 1730, ceux-ci dirigés par Cadjoc faillirent conquérir l'île entière; on les fit traquer par des chiens dressés à cet effet (bloodhounds) et des Indiens Mosquitos. De 1680 à 1786, les planteurs anglais firent venir par la force d'Afrique 2 130 000 esclaves, 700 000 de 1786 à 1807.  Les Marrons, descendants d'esclaves ayant échappé à la servitude, continuaient de mener une résistance contre les colons anglais. Ces populations marronnes mènent des guerres contre les autorités britanniques au cours du XVIIe et du XVIIIe siècles. Les Première et Deuxième Guerres des Marrons (1728-1739 et 1795) sont deux moment importants de cette résistance. La Première Guerre des Marrons s'achève en 1739 avec la signature d'un traité entre les Marrons et les Britanniques, qui accorde aux Marrons une forme d'autonomie en échange de leur promesse de ne pas aider les esclaves fugitifs.

À la fin du XVIIIe siècle, le mouvement abolitionniste prend de l'ampleur en Grande-Bretagne, influencé par des figures comme William Wilberforce. Les révoltes d'esclaves en Jamaïque, comme celle de Tacky en 1760 et la révolte de Sam Sharpe en 1831-1832, jouent un rôle majeur dans la prise de conscience de la brutalité du système esclavagiste. En 1834, le Parlement britannique adopte l'Abolition Act, mettant fin à l'esclavage dans toutes les colonies britanniques. Toutefois, une période dite d'apprentissage est imposée, où les anciens esclaves doivent continuer à travailler pour leurs anciens maîtres contre un faible salaire, souvent dans des conditions proches de l'esclavage. En 1838, après des pressions croissantes de la part des abolitionnistes, l'apprentissage est aboli, et les esclaves deviennent pleinement libres. Cependant, les anciennes structures de pouvoir ne disparaissent pas instantanément, et les anciens esclaves continuent de subir des discriminations économiques et sociales.

Après l'abolition de l'esclavage, l'économie jamaïcaine connaît de profonds bouleversements. La mésintelligence persistante entre les autonomistes locaux et le gouvernement de la métropole finit par l'assimilation de la Jamaïque aux autres colonies et la perte de ses franchises. Cette révolution fut le résultat de l'insurrection des Noirs contre lesquels on maintenait des règlements oppressifs. Refusant de s'y soumettre, ils avaient en grande partie abandonné les plantations des blancs pour se retirer dans les régions incultes de l'intérieur. Pour pallier la pénurie de main-d'oeuvre, les Britanniques font venir des travailleurs sous contrat d'Inde, de Chine et d'autres régions, créant une société plus diversifiée sur le plan ethnique. Mais les planteurs voulurent aussi expulser les anciens esclaves des terres qu'ils avaient défrichées. . Une éviction accomplie à Port Morant (octobre 1865) provoqua une prise d'armes. Le gouverneur Eyre et les Blancs en profitèrent pour déclarer l'état de siège, massacrer 2000 Noirs et Métis, en exécuter 330 dont un membre de la Chambre, fouetter des femmes, brûler plus de 1000 maisons, etc. Eyre fut rappelé, mais non puni, et son successeur Storks ne châtia pas ces crimes; mais on reconnut la nécessité de restreindre l'autonomie. Une nouvelle constitution fut donnée à l'île et acceptée par elle (décembre 1866). L'ancienne constitution, qui avait duré deux siècles, comportait, outre le gouverneur, un conseil privé et un conseil législatif, une assemblée élective de 47 députés avec un comité exécutif.

Au début du XXe siècle, des leaders émergent pour réclamer plus de droits et d'égalité pour les Jamaïcains noirs. Parmi eux, Marcus Garvey, né en 1887, invente une forme nouvelle de racisme ou de racialisme, le nationalisme noir. Fondateur du mouvement panafricaniste et de l'Universal Negro Improvement Association (UNIA), Garvey prône la fierté noire et l'unité des peuples d'origine africaine dans le monde entier. Bien que ses activités en Jamaïque soient limitées par son exil aux États-Unis, il inspire une nouvelle génération de militants pour les droits civiques. Les années 1930 voient une montée des tensions sociales à la suite de la Grande Dépression, qui frappe durement la Jamaïque. En 1938, des grèves généralisées éclatent, menées par des travailleurs agricoles et industriels qui protestent contre les bas salaires et les conditions de vie précaires. Ces événements mènent à la formation des premiers syndicats jamaïcains, ainsi qu'à la naissance de partis politiques.

En 1944, la Jamaïque obtient une Constitution qui accorde à l'île une plus grande autonomie et le droit de vote pour les adultes. Dans les années 1950, la Jamaïque fait partie de la Fédération des Indes occidentales, un projet britannique visant à regrouper plusieurs colonies des Caraïbes pour former une entité politique unifiée. Cette fédération inclut aussi Trinidad-et-Tobago et la Barbade. Cependant, de nombreux Jamaïcains estiment que la fédération ne correspond pas à leurs intérêts économiques et politiques. Durant cette période, deux figures politiques majeures émergent : Norman Manley, leader du People’s National Party (PNP), qui favorise une approche social-démocrate et la transition pacifique vers l'indépendance, et Alexander Bustamante, chef du Jamaica Labour Party (JLP), qui défend une politique plus conservatrice. En 1961, un référendum est organisé, et la Jamaïque vote pour se retirer de la fédération des Indes occidentales. Cela ouvre la voie à son indépendance.

Le 6 août 1962, la Jamaïque devient officiellement indépendante du Royaume-Uni, tout en restant membre du Commonwealth. Alexander Bustamante devient le premier Premier ministre de la Jamaïque indépendante. La Constitution de 1962 établit un système parlementaire avec une monarchie constitutionnelle, la reine Élisabeth II restant chef de l'État, représentée localement par un gouverneur général. Les premières années de l'indépendance sont marquées par des progrès économiques, principalement dans les secteurs de la bauxite (utilisée dans la production d'aluminium), de la canne à sucre et du tourisme. Cependant, ces années voient également une montée des tensions sociales et économiques, notamment autour de la question de la répartition des richesses.

Pendant cette période, la Jamaïque connaît une alternance politique entre le Jamaica Labour Party (JLP) et le People's National Party (PNP). Alexander Bustamante du JLP dirige le pays jusqu'en 1967, suivi de Hugh Shearer, un autre membre du JLP. En 1972, Michael Manley, fils de Norman Manley et leader du PNP, devient Premier ministre. Il est réélu en 1976. Michael Manley entreprend des réformes progressistes visant à améliorer les conditions de vie des pauvres. Il introduit des programmes de réformes agraires, des politiques de logement, et des mesures pour améliorer l'éducation et la santé. Il se rapproche également des pays socialistes et des mouvements panafricanistes. Toutefois, son orientation vers des politiques de gauche et son rapprochement avec Cuba et d'autres régimes socialistes inquiètent les États-Unis et certains secteurs de la société jamaïcaine. Les années 1970 sont également marquées par une détérioration de l'économie mondiale, ce qui aggrave les difficultés économiques de la Jamaïque. Le chômage augmente, l'inflation s'aggrave, et les tensions sociales s'intensifient.

La situation politique et économique de la Jamaïque va encore se dééririer au cours de la décennie suivante. L'île est confrontée à des problèmes de pauvreté, de chômage, de violence politique et de trafic de drogue. Les conflits entre les partisans du JLP et du PNP entraînent des épisodes de violence. En 1980, Edward Seaga du JLP remporte les élections contre Michael Manley. Seaga adopte des politiques néolibérales, soutenues par les États-Unis et le Fonds monétaire international (FMI). Son gouvernement cherche à attirer les investissements étrangers et à stabiliser l'économie en réduisant les dépenses publiques et en privatisant certains secteurs. Toutefois, ces réformes économiques ne parviennent pas à réduire significativement le chômage ni à améliorer les conditions de vie des plus pauvres. Seaga joue également un rôle important sur la scène internationale, notamment en soutenant la politique américaine en Amérique latine et dans les Caraïbes, ce qui rapproche la Jamaïque des États-Unis sous l'administration de Ronald Reagan.

En 1989, Michael Manley revient au pouvoir après avoir adopté une approche plus modérée. Pendant son second mandat, il abandonne ses politiques socialistes antérieures pour s'engager dans des réformes économiques plus orientées vers le marché. Il entame une série de réformes économiques libérales, cherchant à équilibrer les besoins du pays avec les exigences des institutions financières internationales comme le FMI. Manley démissionne en 1992 pour des raisons de santé et est remplacé par P.J. Patterson, également membre du PNP. Patterson reste Premier ministre jusqu'en 2006, devenant ainsi, à ce jour, le Premier ministre ayant exercé la plus longue période dans l'histoire de la Jamaïque. Pendant les années 1990, sous la direction de P.J. Patterson, la Jamaïque connaît une période de stabilité politique relative. Le gouvernement poursuit des politiques de libéralisation économique, attirant des investissements étrangers, en particulier dans les secteurs du tourisme et des services financiers. Le secteur touristique devient l'un des principaux moteurs économiques de l'île, attirant des millions de visiteurs chaque année. Cependant, des défis majeurs subsistent, notamment le chômage élevé, la pauvreté et l'augmentation de la violence liée aux gangs et au trafic de drogue. Kingston, la capitale, devient un centre de violences entre bandes armées et factions politiques.

Au début des années 2000, le pays subit régulièrement des ouragans et des tempêtes tropicales, qui causent des dommages significatifs à l'infrastructure et à l'agriculture. L'économie reste fragile, bien que des secteurs comme le tourisme et la production de musique reggae continuent de prospérer. En 2007, le JLP revient au pouvoir avec Bruce Golding comme Premier ministre. Son mandat est marqué par des efforts pour réformer le système judiciaire et lutter contre la corruption, mais également par une crise majeure en 2010 lors de la tentative d'arrestation de Christopher "Dudus" Coke, un puissant chef de gang de Kingston. Cette tentative déclenche une vague de violences, et le gouvernement est critiqué pour sa gestion de la crise.

En 2011, Portia Simpson-Miller, leader du PNP, devient la première femme Premier ministre de la Jamaïque. Elle poursuit une politique économique axée sur la réduction de la dette et le développement social, mais le pays continue de souffrir de taux de criminalité élevés et de problèmes économiques. En 2020, Andrew Holness du JLP remporte les élections générales et continue de diriger le pays. Sous son leadership, la Jamaïque s'efforce de relancer son économie, en particulier dans le contexte de la pandémie de covid-19, qui a durement touché le secteur touristique. Holness et son gouvernement poursuivent également des efforts pour améliorer la sécurité intérieure, réduire la pauvreté et renforcer les infrastructures du pays. Cependant, la lutte contre la criminalité organisée et la corruption reste un défi persistant.

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