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L'église janséniste d'Utrecht

L'histoire de l'Église janséniste d'Utrecht tient une grande place dans l'histoire du Jansénisme; elle est, en outre, un exemple notable de l'indestructibilité ou, au moins, de la longévité des schismes motivés par des questions de doctrine, lorsqu'ils ne sont pas supprimés par des mesures de contrainte. Lorsque le Protestantisme devint la religion dominante en Hollande, les Églises catholiques de ce pays furent gouvernées, comme missions, par des vicaires apostoliques, à qui la cour de Rome donnait un titre d'évêché in patibus infidelium. Vers la fin de la première période des agitations causées par la Condamnation des cinq propositions de Jansénius, ces fonctions étaient exercées par Neercassel, sous le nom d'évêque de Castorie. Il était fort lié avec Arnauld et ses amis, et il avait publié un petit ouvrage, qui fut condamné plus tard à Rome. Il mourut en 1686 et fut remplacé par Codde, archevêque de Sébaste; qui se montra dans les mêmes sentiments et qui attira en Hollande plusieurs jansénistes de France

Le 7 mai 1702, il fut déclaré suspens par Clément XI. Cock, pasteur à Leyde, fut nominé vicaire apostolique par intérim; mais les États généraux lui défendirent d'exercer ces fonctions, jusqu'à ce que l'archevêque fût rétabli; et finalement ils le bannirent à perpétuité (1703). L'année suivante (3 avril), Codde fut déposé par un décret du pape. Il resta dans le pays et écrivit pour sa justification et celle des siens, mais s'abstint de toute fonction ecclésiastique. Il mourut le 18 décembre 1710. En déposant Codde, le pape avait chargé de la mission en Hollande son nonce à Cologne qui nomma un vicaire apostolique, à qui fut donné le titre d'évêque d'Adrianopolis. Les États généraux lui interdirent l'entrée de la Hollande. Une troisième nomination n'eut pas plus de succès : Bylevelt, désigné comme vicaire apostolique, fut aussi banni et, de plus, condamné à une amende.

Pendant ces années, les partisans de Codde ne reconnaissaient que les grands vicaires nommés par lui ou par le chapitre d'Utrecht. Ce chapitre prétendait avoir le droit de gouverner pendant la vacance du siège; il nommait des pasteurs, donnait des dimissoires et exerçait toutes les autres fonctions qui n'exigent point le ministère des évêques. Des évêques français, notamment les évêques de Bayeux, de Blois et de Senez, lui prêtaient assistance, en ordonnant prêtres de jeunes Hollandais, sur les dimissoires du chapitre et sans signature du Formulaire. D'autre part, plusieurs docteurs de la Sorbonne, tous appelants de la bulle Unigenitus, donnèrent une consultation, établissant qu'une Église ne perd pas ses droits par une longue viduité; que l'usage de la cour de Rome d'envoyer des vicaires apostoliques à des Églises anciennement constituées était une usurpation, et que les prêtres de la Hollande pouvaient rentrer dans l'exercice de leurs droits, contre lesquels rien ne pouvait prescrire. 

La faculté de droit de Paris, aussi appelante, émit une décision pareille; de même, Van Espen, le célèbre canoniste, et quatre docteurs de Louvain. En conséquence, le 27 avril 1723, le chapitre d'Utrecht élut archevêque Corneille Steenoven, qui exerçait depuis longtemps les fonctions de grand vicaire. Cette élection fut annoncée au pape, avec prière de la confirmer. Le pape ne fit aucune réponse; mais le Saint-Siège étant vacant, les cardinaux firent recommander aux évêques voisins de ne pas prêter les mains à la consécration de Steenoven. Il fut sacré à Amsterdam, le 15 octobre 1724, par Varlet, prêtre des missions étrangères de Paris, qui avait été nommé coadjuteur de l'évêque de Babylone en 1718, mais avait été suspendu de ses fonctions en 1720, à cause de ses relations avec les opposants. 

Le 30 décembre 1724, Steenoven et son clergé interjetèrent appel au concile général des vexations de la cour de Rome. Par bref du 21 février 1725, Benoît XIII déclara l'élection nulle, et l'élu suspens de toute fonction. Celui-ci fit appel, le 30 mars; il mourut le 5 avril. Pour lui succéder, on élut Corneille-Jean Barchman, appelant, qui fut sacré par l'évêque de Babylone, le 30 septembre. Un premier bref du pape déclara l'élection nulle; un second anathématisa Barchman, ses électeurs et ses adhérents. Barchman y répondit par un appel signé de lui et de son chapitre, et auquel souscrivirent peu après 64 autres prêtres et une quarantaine de réfugiés français. En cette même année, 26 chartreux se retirèrent en Hollande, pour ne pas se soumettre à un décret de leur ordre, prescrivant d'accepter la bulle Unigenitus; peu après, 15 religieux de l'abbaye d'Orval (diocèse de Liège) firent de même, déguisés en officiers. Les jansénistes de France achetèrent, auprès d'Utrecht, les maisons de Schoonow et de Rhinwich, pour servir de refuge aux appelants émigrés. L'Église d'Utrecht devint ainsi un centre de ralliement pour tous les adversaires de la bulle. On y envoya des subsides et des actes d'adhésion, avec d'autant plus d'ardeur que cette Église donnait du relief à la cause, par le nom d'un archevêque.

Barchman mourut le 13 mai 1733. Il fut remplacé par Théodore van der Croon, qui fut sacré par l'évêque de Babylone le 28 octobre 1731. Par bref du 27 février 1735, Clément XII déclara excommuniés de nouveau et schismatiques l'élu, les électeurs et leurs  adhérents. Van der Croon mourut le 9 juin 1739. Pierre-Jean Meindartz, pasteur à Lewaerde, lui succéda (2 juillet); il fut encore sacré par l'évêque de Babylone (18 octobre). Après la mort de cet évêque, Meindartz rétablit le siège épiscopal de Haarlern, vacant depuis cent cinquante années; et il y fit élire Jérôme de Bock, qu'il sacra lui-même. Le siège de Deventer fut relevé à peu près dans les mêmes conditions. 

Du 13 au 20 septembre 1763 fut tenu à Utrecht un concile présidé par Meindartz. Avec lui siégeaient Van Stiphout, qui avait succédé à Jérôme de Bock en l'évêché de Haarlem, Byevelt, évêque de Deventer, des chanoines et des curés, à qui on avait accordé voix délibérative, à l'égal des évêques. Ils énumérèrent les documents considérés par eux comme énonçant les caractères distinctifs de leur doctrine; et ils y ajoutèrent quelques décrets touchant la discipline et les sacrements : tout cela, conformément aux sentiments des Jansénistes les plus attachés à la tradition catholique. Le 30 avril 1765, par un décret intitulé Déclaration de nullité du faux concile de la province d'Utrecht, et commençant par les mots : Non sine acerbo, Clément XIII condamna le livre par lequel ce concile avait été publié, comme contenant des propositions fausses, scandaleuses, calomnieuses, destructives de la hiérarchie et injurieuses au Saint-Siège

Meindartz répondit amplement. On ne mentionne aucun évêque français comme ayant approuvé publiquement les actes de ce concile; mais les adhésions furent nombreuses dans le second ordre du clergé, et parmi les canonistes et les jurisconsultes. La Faculté de droit de Paris approuva formellement les actes du concile et arrêta d'adresser à Utrecht une lettre de félicitations. Le gouvernement fit effacer cette délibération des registres de la Faculté et exiler un des docteurs les plus ardents. Néanmoins, les actes d'union des jansénistes de France avec leurs frères de Hollande devinrent de plus en plus nombreux, et le Parlement ne fit rien pour les empêcher.

Meindartz mourut le 30 octobre 1767. Il fut remplacé (19 novembre) par Michel-Gauthier Van Nieuwen Huysen, qui fut sacré le 7 février de l'année suivante. Avant sa mort, il avait vu les Jésuites, ces implacables ennemis des Jansénistes, chassés du Portugal, puis de la France, de l'Espagne, de la Sicile et de Naples. Quelques années après, leur ordre fut aboli par un pape; et avant la fin du siècle, le Fébronianisme, le Joséphisme, la Ponctation d'Ems, la Constitution civile du clergé, reproduisaient la plupart des maximes professées par les jansénistes, en leur résistance à la cour de Rome.

Au XIXe siècle, l'Eglise janséniste de Hollande se maintint, malgré les dévastations de la Révolution, malgré les réactions de la contre-révolution et malgré l'énorme développement de l'ultramontanisme. Elle possède toujours ses trois sièges épiscopaux d'Utrecht, de Haarlem et de Deventer. Mais, à cette époque, elle n'est plus bien nombreuse, si elle ne l'a jamais été; et il paraît fort difficile qu'elle le devienne, car elle réprouve les pratiques et les excitations qui poussent la multitude catholique à l'église, au confessionnal et aux pèlerinages; et elle vit en des temps où l'étude et l'exercice de la pensée mènent à l'incrédulité plus souvent qu'à ce qu'on appelait anciennement une religion éclairée. A l'époque où Pie IX définit le dogme de l'Immaculée-Conception, elle ne comptait guère que 7000 membres. La définition de ce dogme et les mesures prises pour l'imposer lui valurent un certain nombre d'adhésions nouvelles. Ce nombre a sensiblement augmenté, par suite des résistances que les décisions du concile du Vatican ont provoquées. Ce fut alors que se manifesta ce que ses fidèles appellent sa destination providentielle. En effet, on peut dire, en un certain sens, que les Églises des vieux-catholiques lui doivent leur existence. Des évêques rattachés à la succession apostolique étaient nécessaires à la constitution normale de ces Églises. Ces évêques ne pouvaient être sacrés que par des évêques appartenant déjà à la succession apostolique. Or parmi ceux- là les évêques de Hollande étaient, dans l'Église d'Occident, les seuls qui pussent consentir à accomplir un acte réprouvé par la cour de Rome. Non seulement, l'Église de Hollande se trouve ainsi placée au centre des 120000 vieux-catholiques, constitués canoniquement au tout début du XXe siècle (1904) en Églises; mais elle a accompli en France une mission spéciale, en recueillant la succession de l'oeuvre abandonnée par le P. Hyacinthe Loyson, c.-à-d. en adoptant et en dotant l'Église gallicane, établie sous le vocable de Saint-Denis au boulevard d'Italie à Paris, tout près de l'hôpital qui fut la maison parisienne de Port-Royal et tout prés de l'église Saint-Médard. (E.-H. Vollet).

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Dictionnaire Religions, mythes, symboles
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