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On
qualifie de burlesque (de l'italien'
burlesco
= fait de burla, raillerie, bourde), en littérature,
toute composition dont l'auteur s'est proposé de faire rire, et
où ne sont employées que des pensées et des expressions
bouffonnes, facétieuses, extravagantes; souvent basses et triviales.
Il ne faut pas confondre la poésie burlesque, qui convient surtout
à la parodie, avec la poésie
héroï-comique. Quoi que l'on pense du genre burlesque,
il est certain que, pour y réussir, il faut beaucoup de verve, de
saillie et d'originalité; car la mauvaise bouffonnerieest
ce qu'il y a de plus plat, de plus froid et de plus ennuyeux. Il faut que
la fécondité de l'imagination fournisse continuellement à
la rime des manières de chevilles baroques et tout à fait
imprévues; le poète burlesque est perdu s'il ne désarme
la critique en la faisant pouffer de rire.
Vavasseur, dans son
traité De ludicra dictione, prétend que le burlesque
était inconnu des Anciens : on
cite pourtant, dans Diogène Laërce,
quelques vers où Cratès parodie un discours d'Ulysse ,
et un certain Raintovius, qui, à l'époque de Ptolémée
Lagus, aurait travesti quelques tragédies
grecques. Peignot a publié, dans son Choix de Testaments
(1829, 2 vol. in-8°), deux pièces burlesques du IVe
siècle de notre ère, intitulées Testamentum ludicrum
Sergii Polensis et Marcus Grunnius Corocottae porcellus; cette
dernière est le testament d'un pourceau, dicté par lui-même.
Les Italiens
sont regardés communément comme les créateurs du genre
burlesque : le Burchiello, le Berni , le Mauro
et Caporali s'y firent une réputation : mais, chez eux, le burlesque
est écrit avec élégance, et c'est proprement un comique
familier, enjoué et plaisant. Le Berni surtout montra tant d'élégance,
de finesse et d'agrément dans la poésie burlesque, que cette
poésie fut qualifiée de bernesque. En France ,
on publia en 1649 une Passion de Notre-Seigneur en vers burlesques.
Puis, Scarron fut le premier qui entreprit une
oeuvre burlesque de longue haleine, l'Enéide travestie, qui
eut un grand succès à l'hôtel de Rambouillet ;
Racine lui-même s'en égaya beaucoup. D'Assoucy publia à
son tour le Ravissement de Proserpine, parodie
de Claudien, et, sous le titre d'Ovide en
belle humeur, une parodie des Métamorphoses ,
qui lui valurent de ses contemporains le surnom d'empereur du burlesque.
Brébeuf, après avoir traduit sérieusement la Pharsale
de Lucain, la parodia en vers enjoués (Paris,
1655). Balzac dans ses Lettres,
Molière
dans les Précieuses ridicules
et dans les Femmes savantes ,
ont secondé Boileau dans la guerre acharnée
qu'il fit au burlesque. En 1758, un certain Monbron publia à Berlin
la Henriade travestie. Le grave auteur du Voyage d'Anacharsis ,
l'abbé Barthélemy, est auteur
d'un poème en 3 chants; la Chanteloupée ou la Guerre
des puces contre Mme de Choiseul.
On a écrit
aussi en prose dans le genre burlesque : une des meilleures pièces
est la requête que composa Bernier en 1674,
à l'occasion d'une demande adressée à l'Université
de Paris pour que l'enseignement de la philosophie
de Descartes fût interdit, et qu'il fit
suivre d'un arrêt également burlesque auquel il travailla
avec Boileau et
Racine.
Une citation
donnera une idée du bon burlesque, de celui où la bouffonnerie
n'exclut pas un certain bon goût qui se sent plus qu'il ne s'explique.
On trouve cette qualité dans le fragment ci-dessous d'un petit poème
intitulé Guerre comique, imitation, en 3 chants, de la Batrachomyomachie .
L'auteur en est inconnu; son oeuvre parut en 1768, une 2e
édit. en 1708, et une 3e en 1837,
donnée par Berger de Xivrey, à la suite de sa traduction
de la Batrachomyomachie. Ce fragment comprend le récit de
la rencontre du Rat et de la Grenouille, sous d'autres noms que ceux des
héros du poème grec-:
Un
Rat venant de la campagne,
Altéré,
pour un chat d'Espagne
Qui
l'avait talonné de près,
Passait
un jour dans un marais,
Où
par hasard une Grenouille,
Qui
faisait faire la patrouille,
Le
vit comme il buvait un doigt,
Et,
s'arrêtant au même endroit,
Lui
dit : " Que fais-tu là, compère?
-
Compère ! dit-il en colère;
Peut-être
bien Monsieur pour toi.
-
Aussi le crois-je en bonne foi,
Repartit
l'autre, et, par la barbe!
On
vous prendrait à votre garbe
Pour
quelque rat de qualité,
Si
vous n'étiez pas si crotté.
C'est
pourquoi, Monsieur, si vous l'êtes,
Sans
vous fâcher comme vous faites,
Dites-nous
un peu votre nom.
Avez-vous
quelque affaire ou non,
Qui
vous retienne en cette terre?
Que
nous buvions dans votre verre."
Le
Rat regarda fièrement La Grenouille, à ce compliment,
Et,
recoquillant sa moustache :
"Je
suis dit-il d'un ton bravache,
Puisque
tu veux savoir mon nom,
Le
valeureux Croquelardon,
Dont
l'immortelle renommée
Par
toute la terre est semée;
Il
n'est pays si recalé
Où
ce grand nom ne soit allé,
Province,
ni terre habitable,
Où
ma présence redoutable
Ne
fasse pâlir l'usurier
Et
trembler le lard au charnier. "
Alors
la Grenouille se fait connaître à son tour, et dit au Rat
:
C'est
moi qui commande à baguette
Sur
le peuple à verte jaquette,
Dans
tout le pays du Cresson.
Boursouflé,
premier de ce nom,
M'a
laissé pour mon apanage
Héritier
de ce marécage.
Elle termine en invitant
le Rat à venir visiter son palais, y prendre l'hospitalité,
et y accepter un festin. Elle lui offre de le prendre sur son dos pour
faire la traversée-:
Croquelardon,
dont l'humeur fière
Rebutait
tant les gens naguère,
Oyant
ce discours obligeant,
Devint
aussi souple qu'un gant.
Qu'en
advint-il? Au bout du conte,
Le
Rat sur la Grenouille monte,
A
l'aide d'un rat estafier
Qui
lui vint tenir l'étrier;
Et,
sans connaître la monture,
Il
met son corps à l'aventure.'
Ce
ne fut au commencement
Que
ris et divertissement.
Tant
qu'il vogua près du rivage
Il
discourait du paysage.
En
passant dessous les arceaux
Des
grands cabinets de roseaux,
Il
raisonnait sur les cascades,
Les
nappes d'eau, les balconnades,
Prisait
la grandeur des palais,
Parlait
d'y danser des ballets,
Et
cent autres contes pour rire,
Que
l'enloument lui faisait dire.
Mais
quand ce vint en pleine mer,
Que
le coeur lui devint amer;
Lorsqu'il
vit derrière sa queue
La
terre loin d'un quart de lieue,
Trois
fois sa poitrine il frappa
D'un
furieux mea culpa;
Et
se tirant, par les moustaches:
"
Il n'est que le plancher des vaches,
S'écria-t-il,
pour voyager !
Sur
mer on court toujours danger;
Et
par ma foi, si J'en réchappe,
De
ma vie on ne m'y rattrape.
La
peste! il faut être bien fou
D'aller
courir le guilledou,
Au
hasard de faire naufrage.
S'il
fallait qu'il vînt un orage,
Où
diantre en serais-je réduit,
Pour
m'être embarqué sans biscuit?
Comme
il disait ces belles choses,
Qu'on
lit dans les Métamorphoses,
La
Grenouille vit un serpent
Long
de six pieds et d'un empan,
Qui
s'en venait, la gueule ouverte,
La
gober comme une huître verte.
Aussitôt,
baissant le menton;
Elle
fit un saut de mouton,
Moyennant
quoi la male bête
Jeta
le Rat le cul sur tête,
Et
puis, en criant au renard,
Fit
le plongeon comme un canard.
Ainsi
le Rat, faute d'adresse,
Fut
contraint, en cette détresse,
Pour
n'avoir appris à nager,
De
boire beaucoup sans manger.
II
plonge, Il barbote, il patrouille,
Dit
rage contre la Grenouille,
Prend
le ciel contre elle à témoin;
Mais
le ciel en était bien loin.
Ses
bottes à la cavalière
Avaient
par trop de genouillère;
En
remuant les paturons, Il se prenait aux éperons;
Tantôt
il sortait hors de l'onde,
Tantôt
rentrait; car sa rotonde,
Qui
comme une éponge buvait,
De
son propre poids l'aggravait.
Enfin
voyant l'heure fatale,
Qu'il
lui fallait plier sa malle,
Regardant
tristement les cieux,
Il
en cria vengeance aux dieux,
Et
fit en ce triste accessoire
Mainte
oraison jaculatoire,
Que
les dieux n'écoutèrent pas,
Car
ils ont bien d'autre embarras.
Telle
fut la fin déplorable
De
ce héros incomparable,
Qui
méritait que son roman
Se
terminât bien autrement.
Son
corps flottant au gré de l'onde
Fut
longtemps errant par le monde;
On
n'en revit jamais à bord
Ni
pied ni patte après sa mort.
Quelques Anglais
ont réussi dans le genre burlesque, entre autres Butler,
dans son poème d'Hudibras ;
Prior, dans son Histoire de l'âme; Garth, dans la Querelle
des Apothicaires et des Médecins. Le poète hollandais
Pierre Langendik, mort en 1735, a composé, entre autres écrits
burlesques, un Énée endimanché, imitation du
IVe livre de l'Enéide .
Dans son poème de Pierre Pors (Peder Paars), le baron
de Holberg a travesti aussi en danois,
de nombreux passages de cette épopée.
(P.). |
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