| Ogive, en latin du Moyen Âge augiva, nom qu'on a donné, jusqu'au XIXe siècle, aux nervures saillantes qui allant d'un angle de travée à l'autre, se croisent diagonalement dans les voûtes, et y produisent des compartiments angulaires. Cette disposition s'appelait croisé d'ogives, parce qu'elle présentait la forme d'une croix. Par la suite, certains auteurs, prenant ce mot de croisée pour synonyme de fenêtre, ont employé le mot ogive comme déterminatif, et, à leur suite, les archéologues et les architectes ont dit une porte, une arcade, une fenêtre en ogive. En ce sens, qui est maintenant accepté généralement, l'ogive est une arcade formée par deux arcs de cercle d'un rayon égal, qui se croisent à leur sommet et forment un angle curviligne; c'est pour cela qu'en Angleterre le style ogival (c'est-à-dire gothique) a été désigné sous le nom de style aigu ( = pointed style). On a fait venir le mot ogive du latin ovum ( = oeuf), parce que la voûte en ogive ressemble à peu près à la moitié d'un oeuf coupé dans sa largeur; ou de l'allemand aug ( = oeil), parce que les arcs de la voûte en ogive forment des angles curvilignes semblables à ceux du coin de l'oeil, quoique dans une position différente; ou enfin du latin augere ( = augmenter), parce que, dans la croisée d'ogive, les voûtes sont augmentées, renforcées par ces nervures saillantes. On distingue quatre sortes principales d'ogives : 1° le plein cintre brisé, ou ogive obtuse ou mousse, arcade presque circulaire, dont le sommet présente un angle très ouvert et à peine sensible; c'est l'espèce la plus anciennement usitée, et on la rencontre dans les monuments de Ia fin du XIIe siècle (Arc en plein cintre); 2° l'ogive en lancette ou pointue, formée par deux arcs qui ont leur centre au delà des points de retombée; le rayon est plus grand que l'ouverture de l'arcade, dans laquelle on peut inscrire, par conséquent, un triangle isocèle. Cette ogive domina à la fin du XIIe siècle et au XIIIe, et on l'employa encore aux âges suivants dans des espaces resserrés, par exemple aux arcades en hémicycle des sanctuaires et aux portes des forteresses; 3° l'arcade en tiers-point ou ogive équilatérale, formée par deux arcs qui ont leur centre chacun à la naissance de l'arc de cercle qui lui est opposé, et qui sont décrits avec un rayon égal en longueur à l'ouverture que doit avoir l'arcade; celle-ci peut servir de base à un triangle équilatéral, dont l'angle supérieur aboutit au point d'intersection des deux arcs. Cette ogive, la plus élégante de toutes, a été surtout en usage au XIVe siècle; 4° l'ogive surbaissée, formée par deux arcs décrits avec un rayon plus court que l'ouverture de l'arcade (Arc en anse de panier), et qui a été principalement usitée au XVe siècle. Ces diverses sortes d'ogives peuvent être surhaussées, c.-à-d. que les deux arcs qui les forment peuvent se prolonger inférieurement au-dessous de la ligne de leur centre, suivant deux lignes droites qui deviennent parallèles (Arc surhaussé). On appelle ogive lancéolée celle qui est formée de deux arcs dont la courbure se prolonge au delà de la ligne des centres. L'ogive arabe ou moresque n'est autre chose que l'arc en fer à cheval brisé. On a beaucoup discuté sur l'origine de l'ogive, parce qu'on a attaché trop d'importance à des faits isolés. Une chose est l'emploi accidentel de l'ogive dans quelques vieux monuments, autre chose le système ogival. On a pu signaler la présence de l'ogive à l'ouverture de l'aqueduc de Tusculum, à la porte de Segni, dans les tombeaux helléniques de la Sicile, au Trésor d'Atrée à Mycènes, aux murs de Tirynthe, au Trésor de Minyens près d'Orchomène, au tombeau de Tantale à Smyrne, dans certaines constructions de l'Egypte, dans les ruines de Ninive, et jusqu'au Mexique : mais ce n'est là qu'un hasard, un accident, une sorte d'irrégularité. L'ogive n'est pas une forme qu'on ait inventée à un moment donné; pour la connaître, il suffisait d'avoir tracé deux cercles qui se coupent, d'avoir vu se briser une baguette ployée circulairement; elle était une figure géométrique, aussi bien que le cercle, le triangle et le carré. Milizia et Chateaubriand ont remarqué que l'entre-croisement des sapins dans les forêts du Nord ou des palmiers en Orient donne des ogives naturelles; toutefois ce n'est pas une raison de croire avec eux que la contemplation des bois ait suggéré si tardivement aux humains l'idée de construire des édifices où l'ogive tint la principale place. De la connaissance de ces faits à celle des propriétés de résistance de l'arc en ogive et à l'emploi raisonné de cet arc, il y a un abîme. Nous croyons que cet emploi n'a pas été un fait instantané, mais le résultat de longs tâtonnements. Au Moyen Âge, en beaucoup de pays de l'Europe, on manquait de matériaux de grande dimension, on avait perdu le secret de la fabrication des mortiers romains, et l'on ne disposait plus d'une grande quantité d'argent et de bras. Il fallut s'ingénier pour tirer parti du peu que l'on possédait. La construction des voûtes fut le problème principal sur lequel s'exercèrent les architectes, et elle engendra une foule d'essais malheureux, de conceptions avortées. On commença par faire des voûtes en berceau, suivant la tradition antique; mais comme on n'avait plus ces masses inébranlables sur lesquelles les Romains appuyaient leurs arcs, on ne pouvait donner aux voûtes la résistance nécessaire; de là la nécessité de perfectionner le système même de la construction des arcs. Or, un arc en plein cintre exerce sa poussée sur les murs qui le portent, en raison de son diamètre et de son poids. Le résultat de cette poussée est d'écarter les murs de leur aplomb, de les repousser au dehors, ce qui entraîne la rupture de l'arc. Cette rupture s'opère invariablement en trois points : la clef, c.-à-d. le claveau du sommet de l'arc, s'abaisse plus ou moins, et les reins de l'arc, c.-à-d. le sommet de chaque quart de cercle à droite et à gauche de la clef, se disjoignent, en sorte que la rupture est plus ouverte à l'extrados, qu'à l'intrados. Il était naturel qu'on portât des palliatifs sur ces trois points évidemment trop faibles. Pour empêcher la clef de s'abaisser, les architectes imaginèrent de la surélever; pour que les deux quarts de cercle ne se brisassent pas aux reins, on redressa la courbe, afin de rendre l'arc plus rigide et de contrarier le mouvement toujours observé à la même place. Qu'arrive-t-il si l'on surélève la clef d'un arc à plein cintre, et si l'on diminue la flèche de ses deux quarts de cercle? On trace une ogive. Telle a été l'origine de l'emploi systématique de l'ogive comme moyen de construction. En tout pays, on peut observer ces tâtonnements : les plus anciennes ogives ont une forme incertaine, et ressemblent à des pleins cintres redressés; elles n'ont pas été tracées régulièrement au moyen de deux centres, comme on le pratiqua plus tard après de nouveaux progrès. Il est évident, d'ailleurs, que l'ogive n'eut pas tout d'abord une influence très sensible sur l'architecture : dans les idées des architectes du XIIe siècle, le plein cintre fut encore la forme noble, la seule qui eut place dans la décoration. On n'employa l'ogive que par nécessité, pour les arcs à grande portée : certains édifices, comme l'ancienne cathédrale de Vaison (Vaucluse), offrent des arcs en ogive, sans cesser d'appartenir à l'architecture romane, et d'autres, qui sont de style ogival, présentent des arcs en plein cintre à côté d'arcs en ogive; dans ceux où les deux formes se montrent simultanément, l'ogive est réservée pour les portées considérables, tandis que le plein cintre ne paraît que dans les arcatures de médiocre diamètre. Ainsi, l'ogive fut l'expression d'un besoin. Un autre perfectionnement fut ensuite ajouté aux voûtes : les constructeurs du Moyen Âge, qui connaissaient déjà l'arc doubleau, et qui s'en servaient pour consolider leurs voûtes en berceau, imaginèrent de renforcer ces voûtes avec d'autres arcs se croisant entre les arcs doubleaux; la voûte se déploya sur les arcs diagonaux, formant des supports permanents, comme la toile d'une tente sur les piquets qui en sont l'armature. - On fut amené de cette façon à la croisée d'ogives, et on eut la solution d'un grand problème, couvrir à peu de frais le plus vaste espace possible. A l'aide du système de nervures qui retombaient sur les piliers, à l'aide des étais fort minces que l'emploi des arcs en ogive permettait de substituer aux lourdes colonnes romanes, on obtint les mêmes effets de solidité que quand on recourait à des corps épais de maçonnerie. Ces innovations étaient indispensables pour des édifices dont l'élévation était exagérée relativement à leur largeur, et elles ont entraîné comme conséquence l'emploi des contre-forts et des arcs-boutants. - Croisées d'ogives (cathédrale de Senlis). Photo : © Serge Jodra, 2009. En résumé, l'ogive, ayant été une nécessité de construction, a pu naître en quelque sorte simultanément dans les divers pays de l'Europe occidentale et septentrionale, où elle avait une convenance parfaite avec la nature des matériaux et la pauvreté des ressources. D'ailleurs, les premiers constructeurs furent des moines : dès, qu'un perfectionnement était trouvé, il était connu et adopté aussitôt à de grandes distances, grâce aux communications que les chefs-lieux d'ordres monastiques avaient avec les maisons de leur obédience. C'est ce qui explique comment on rencontre si souvent en France des monastères étrangers par leur architecture à la province où ils ont été bâtis : ce sont des copies exécutées d'après un modèle transmis par un abbé à son prieur. (B.). | |