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Les arts décoratifs sous la Révolution |
En raison d'une situation terrible qui met la France aux prises avec la guerre étrangère aux frontières et avec la guerre civile au coeur même du pays, les arts décoratifs sous la Révolution ne présentent plus la floraison délicate des époques antérieures. Outre que les esprits sont détournés des préoccupations du luxe des intérieurs par la question d'être ou de ne pas être, suspendue sur les destinées du pays, le luxe est proscrit, non seulement par la situation qui a fait fuir ou se cacher les fortunes, mais par les idées du jour qui sont toutes à la simplicité et à la vertu. On n'a sur les lèvres que les mots « simple, vertueux et sensible ». La vie est d'ailleurs transportée tout entière sur la place publique ou sur les champs de bataille. A quoi bon parer le chez-soi quand la guerre appelle aux frontières? A quoi bon parer le chez-soi quand on est incertain du lendemain? Et cependant il est difficile de s'imaginer à quel point l'art décoratif, jusque dans les objets les plus ordinaires, s'imprègne de la Révolution. Ce n'est pas une tourmente se déchaînant dans le haut de l'édifice social; les couches profondes de la société, les centres les plus calmes, les plus humbles, les plus retirés participent au mouvement des villes. La grande majorité est complice. S'il en fallait une preuve, on la verrait dans ces menus objets d'un usage journalier : boucles d'oreilles, tabatières, boutons d'habits, boucles de souliers, sur lesquels tous aiment à retrouver alors les emblèmes et les symboles des idées du jour. Sans doute la disparition des grandes fortunes, le caractère critique des circonstances, la honte que l'on eût éprouvée à sembler penser à son bien-être privé quand le va-tout public était en jeu, n'avaient rien de favorable à l'éclosion d'arts de luxe. En 1789, l'orfèvrerie royale avait envoyé à la Monnaie, pour la fonte, des oeuvres dont la plupart portaient le poinçon des Germain. Les dons patriotiques s'étaient succédé dans un enthousiasme général aux applaudissements de tous et de soi-même. On citait le marquis de Villette, qui ne voulait plus porter qu'une montre de cuivre. Les maîtres d'armes faisaient don, à la patrie, des gardes d'argent de leurs épées, « n'en conservant que le fer pour l'ennemi ». Les Corporations en disparaissant avec leurs mesquines entraves, leurs tyrannies, leurs privilèges, emportaient du moins la gloire d'avoir maintenu longtemps les belles traditions du travail national. Les pouvoirs se préoccupent de l'industrie au milieu des clameurs de la politique pure et du retentissement des batailles. L'évêque républicain Grégoire dépose, le 10 octobre 1794, le rapport qui aboutira à la création du Conservatoire des arts et métiers. En 1798 le représentant du peuple Alquier, s'écriera : « Hâtons-nous d'encourager et de favoriser nos artistes, si nous voulons n'avoir pas à redouter les ouvrages perfectionnés de nos voisins. »En pleine année 1793, était intervenu un décret par lequel, il était défendu d'enlever, détruire, mutiler, ni altérer en aucune manière les objets d'art sous prétexte de faire disparaître les signes de féodalité ou de royauté L'art, sous l'impulsion de David et de son École, subit une transformation. On assiste à une violente réaction contre les tendances de Boucher et cette réaction se proclame elle-même un retour à la nature. Sans doute ces Romains, cette mythologie romaine, ces Horaces, ces Spartacus, ces Marius ont quelque chose de froid et de convenu; mais avec eux, avec leurs costumes de draperies sous lesquelles le corps se devine et se dessine, c'est le nu qui rentre dans l'art. Non plus le nu enjolivé, le nu séduisant et mutin de l'époque de Louis XV, mais la nudité robuste, saine et morale, si l'on peut dire. Outre que l'art recherche le nu, il redevient en effet moral. Chaque tableau est une leçon, un exemple de dévouement civique. Les arts de la Révolution se veulent moraux et patriotiques. Cette union de l'art et de la morale, union si chère aux philosophes de l'Antiquité, passe dans le fait, se formule dans le décret. Une commission est nommée pour expurger les tapisseries des manufactures nationales des Gobelins et d'ailleurs. Un rapport, parmi les auteurs duquel on trouve les noms de Prudhon et de Percier, biffa, sur une liste de 321 modèles, 121 cartons comme antirépublicains, fanatiques et immoraux. Il fut défendu de faire intervenir la figure humaine dans la décoration des tapis de pied. « Il était immoral de faire fouler aux pieds l'image de l'homme sous une forme de gouvernement qui rappelai l'homme à sa dignité. »Au point de vue décoratif pur, ce décret se trouvait justifié par les lois supposées fondamentales de l'ornementation auxquelles la tradition s'était attaché. Dans un programme de concours, en 1794, il était recommandé aux concurrents de s'attacher à suivre « le bon goût et le style antique dont l'architecture et tous les arts se rapprochent en général ». Les arts décoratifs sous la Révolution se lancent, en effet, à la suite des beaux-arts, dans l'imitation de l'Antiquité. En 1798, Willemin publie un « choix de costumes civils et militaires des peuples de l'Antiquité, leurs instruments de musique, leurs meubles, etc., d'après les monuments antiques Sans doute, dans le style Louis XVI, l'Antiquité avait influé sur l'art, mais c'était l'Antiquité grecque plutôt que la romaine, et la grâce féminine plutôt que l'héroïsme viril. L'héroïque romain avait déjà paru dans le style Louis XIV, mais interprété, surchargé, sans simplicité. Cet amour de l'antique forme, avec l'amour de la Révolution et de la patrie libre, les grandes caractéristiques des productions de l'art sous la République. Un café de Paris portait le nom de café d'Herculanum; et tout prenait l'épithète de « civique, national ou patriote-». SeIon l'expression des frères de Goncourt (la Societé française sous la Révolution), la France va vivre « dans un décor de tragédie ». Tout est antique, grec, romain, étrusque. La décoration générale des intérieurs consiste en applications de stucs oit le blanc prédomine. Les panneaux des lambris sont laissés nus ou décorés de médaillons peints à personnages, à figures grecques se détachant en blanc ombré de brun sur un fond bleu. Partout des thyrses, des couronnes de chêne ou de laurier, des faisceaux consulaires avec la hache. Dans les bordures, les frises et dans les décors des plafonds se voient les cornes d'abondance, les trépieds, les grillons et les chimères, les ornements gréco-romains dans le style de Pompéi, ce qu'à cette époque on appelle le style étrusque, qui fait passer dans l'ornementation géométrique et figurée toutes les combinaisons du brun chocolat mêlé de bleu, de vert, de jaune, etc. La couleur bronze remplace souvent la dorure. L'acajou prend parfois la place du stuc dans les encadrements des panneaux de lambris. A ces décorations murales peintes à même, on substitue les papiers peints sortis des fabriques républicaines de Réveillon ou de Dugourc : Réveillon pour qui dessine Boisselier et qui rivalise avec les tapisseries des Gobelins avec ses papiers à 80 teintes; Dugourc, artiste universel. Les papiers peints portent de petits motifs répétés en quinconce, emblèmes républicains, tables de la Déclaration des droits de l'homme ou tables de la Loi, balances de la Justice, faisceaux de drapeaux tricolores et, sur le tout, le bonnet rouge. Les dessus de portes, peints par les gracieux artistes de l'époque précédente, sont enlevés : on met à leur place des panneaux (le papier peint représentant le Serment du jeu de paume ou la Prise de la Bastille. A mentionner la vogue des glaces dans l'ornementation des intérieurs. Le mobilier, sous la Révolution, présente une transition entre le Louis XVI et l'Empire. C'est encore et partout la ligne droite qui domine; mais presque rien n'est resté de ce qui tempérait la sévérité en y apportant la grâce des médaillons, des plaques de porcelaine, des élégantes ciselures dorées. L'art des Riesener et des David Roentgen végète. Les frères Jacob, qui fournissent le mobilier de la Convention, fondent une réputation qui s'accroîtra avec la venue de l'Empire : c'est déjà le temps des hautes armoires rectangulaires, des secrétaires d'acajou avec quelques rares appliques de cuivre. Le mobilier est d'ailleurs civique comme tout le reste. Une armoire en chêne, qui est au Musée Carnavalet, est un spécimen de la décoration caractérisque. Les deux vantaux sont ornés, l'un de la Prise de la Bastille, l'autre du Serment de Louis XIV, bas-reliefs sculptés. Les meubles à secrets sont très nombreux et présentent d'ingénieuses combinaisons dans leurs intérieurs à portiques avec colonnes d'acajou. C'est quelque chapiteau, quelque colonne à déplacer, et l'on démasque le ressort qui découvre un second meuble dans le premier. C'est le temps des meubles à double fond, mode qui ne fera que se répandre sous l'Empire. L'acajou est le bois le plus employé, il se marie parfois au citronnier qui fournit surtout les intérieurs des meubles. L'orme est également employé. Les cuivres en appliques se découpent souvent, à la ceinture du meuble, sous la corniche, en petites draperies maigrelettes qui semblent suspendues de loin en loin. Sous le Consulat, les appliques sur panneaux, sur montants, sont fréquemment des sortes de rosaces ou des motifs allégoriques qui font saillie, et sont comme isolés sans encadrement, sans champ limité. Les lits sont surchargés d'emblèmes de civisme; leurs dénominations mêmes sont révolutionnaires « lits à la Révolution », « lits patriotiques ». Les montants sont des faisceaux consulaires ou des piques, le tout surmonté du bonnet phrygien. Les sièges de forme étrusque ont repris la courbe et abandonné la ligne droite du style Louis XVI. Le dossier s'évase et se penche en arrière. C'est la chaise appelée curule. Les sièges des fauteuils ou des chaises sont quelquefois mobiles et s'encastrent dans le cadre en bois du meuble. L'étoffe qui les recouvre est dessinée de quelque emblème patriotique. Au lieu d'étoffe, le crin y forme aussi un tissu plus frais, plus sain, plus tard tissé de fleurs et de paysages grâce aux perfectionnements de fabrication apportés par un nommé Bardel. L'orfèvrerie dort sous la Révolution : tout est fondu, ou caché, ou disparu. Nous avons parlé des fontes et des dons patriotiques. L'adoption du système décimal (qui n'a malheureusement pas été conservé dans la supputation des heures) crée les horloges à heures divisées non plus en 60 mais en 100 minutes. C'est l'heure décimale à la place de la duodécimale. On voit au Musée Carnavalet des pendules qui sont au double système. La bijouterie, toute simple, sans éclat, se fait, comme le reste, toute révolutionnaire. Les boucles d'oreilles représentent des citadelles, des bastilles, des canons entrecroisés, des faisceaux de fusils, de drapeaux tricolores ciselés et émaillés. Les devises républicaines s'y lisent. Après « la Nation, la Loi et le Roi », on n'y lit plus que la Nation, la Loi - Liberté, égalité, fraternité ou la mort - Vivre libre ou mourir. Sur une montre en or de 1789 (qui est au Musée de Cluny) est un trophée composé d'un râteau, d'une épée et d'une canne au-dessus de deux gerbes de blé. Le même musée possède des boutons où sous une glace se voient - union bizarre - les fleurs de lis et le bonnet phrygien avec la devise « Vivre libre ou mourir ». Les tabatières portent une décoration analogue : tabatières civiques, tabatières tricolores, tabatières à miniatures (Bastille, Déclaration des droits, emblèmes révolutionnaires). On porte des bijoux dits « à la Constitution », des bagues où est enchâssé un fragment d'une pierre de la Bastille. On abandonne les boucles d'argent que remplacent les boucles de cuivre sur les souliers. Ces boucles plus modestes prennent le nom de «-boucles à la nation ». La Bastille, on la retrouve partout : il semble que cette prison, qui n'était en somme une menace que pour les classes privilégiées, ait pesé sur toutes les poitrines. Sa démolition est une délivrance générale. Et l'on tisse sur des nappes, des serviettes, l'image du vieux donjon maudit. La céramique dut profiter du déclin de l'orfèvrerie. Plus d'argenterie! La faïence plus populaire fournit la vaisselle de toutes les tables. Et là encore, assis au repas de la famille, on redemande encore à l'assiette de parler de la Révolution. La fabrication nivernaise de la Charité-sur-Loire a laissé de curieuses « assiettes patriotiques ». Le Musée de Cluny possède d'assez nombreux échantillons de cette céramique. C'est le n° 3480, un porte-bouquet avec la devise « Vivre libres ou mourir »; les n°s 3498 et 3499, deux assiettes avec le coq sur un canon; la curieuse suite 3548 et n°s suivants «-l'archevêque de Paris plus ami des dames que du pape », « Exécution de Louis Capet ». Un céramiste du nom d'Olivier, établi à Paris rue de la Roquette, avait donné à sa manufacture le titre de « fabrique générale de faïence de la République ». C'est de cette fabrique, que sortaient les grands poêles de faïence émaillée, décorés de médaillons à reliefs, poêles qui jouirent d'une grande vogue à l'époque. Un contemporain s'exprime ainsi touchant un modèle de poêle fait par Olivier : "Ce qui a fait le plus de plaisir à tous les patriotes qui l'ont vu, c'est un poêle de forme absolument neuve, un poêle en forme de la Bastille. C'est exactement la Bastille avec ses huit tours, ses créneaux, ses portes, etc., colorée au naturel avec des teintes tirées des minéraux et fixées au feu. Sur la forteresse s'élève un canon, orné à la base des attributs de la liberté : bonnet, boulets, chaînes, coqs et bas-reliefs; les couleurs de la fonte, du cuivre, du marbre, de l'airain, y sont parfaitement imitées et inaltérables. »Un exemplaire de ces poêles-bastilles est au Musée national de Sèvres. Nous avons, dans le courant de cet article, noté les caractéristiques de l'ornementation à cette époque. Le Directoire fut une détente, un relâchement. Avec les salons rouverts, le luxe revint dans les intérieurs : la France était victorieuse de l'Europe, la crise était passée, du moins à l'extérieur. L'expédition d'Égypte eut son contre-coup dans la décoration du mobilier. Les sphinx furent à la mode, à la mode aussi les porphyres. Aux emblèmes révolutionnaires, succéderont des emblèmes allégoriques, le Commerce, l'Agriculture, etc. Le Musée Carnavalet à Paris est une collection d'objets très intéressants, spécialement consacrée à l'histoire de la Révolution. (Paul Rouaix). |
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