| La tapisserie est « un ouvrage dans lequel des fils de couleur, enroulés sur une chaîne tendue verticalement ou horizontalement, font corps avec elle, engendrent un tissu et produisent des combinaisons de lignes et de tons analogues à celles que le peintre obtient avec son pinceau » (Muntz). Dans la broderie, les figures sont superposées sur un tissu existant, tandis que dans la tapisserie les figures font partie intégrante du tissu. Les étoffes tissées ou brochées sont obtenues au moyen d'un mécanisme qui répète le même motif, tandis que la tapisserie est exécutée à la main. On lui donne parfois le nom de « peinture en matières textiles »; il ne faut jamais oublier que la tapisserie doit être suspendue et que la tenture peut faire des plis : il n'est donc pas utile de donner aux figures le fini de la peinture; on doit multiplier les figures et les détails et donner à l'action une tenue et une pondération indispensables à l'art décoratif; Charles Blanc conseillait de placer le point de vue très haut pour pouvoir étager les figures, multiplier les actions et montrer dans le haut ce que le peintre met dans le lointain ; la disposition en frise (comme dans le Triomphe de César de Mantegna) est très avantageuse aussi; pour donner plus de profondeur à la composition, on a parfois soutenu les figures de premier plan par des fonds d'architecture (par exemple dans les Mois). - Tapisserie de l'église de Saint-Bertrand-de-Comminges (XVIe s.). © Photo : Serge. Jodra, 2013. La netteté et la richesse de la composition doivent accompagner l'éclat et la franchise du coloris : les premiers tapissiers ne se servaient pas de plus de vingt tons; maintenant les progrès de la chimie ont porté le nombre des couleurs à plus de plusieurs dizaines de milliers aux Gobelins; l'abus des nuances a fait du tort à la tapisserie. Destinée à la décoration et aux fêtes, celle-ci doit fuir les colorations ternes et la nudité de la composition : la soie, les fils d'argent et d'or, le pourpre, les riches couleurs sont ses moyens obligés. Les scènes de l'Evangile sont trop intimes, trop simples pour la tapisserie : on peut le constater dans les Actes des Apôtres de Raphaël, si admirés cependant. La mythologie, l'histoire, les allégories avec leur abondance épique, leur pompe, leurs riches et pittoresques costumes fournissent les véritables sujets de la tapisserie. Les tapisseries se divisent selon le procédé d'exécution en haute lisse et basse lisse : Le métier de haute lisse comprend deux montants en bois ou en fonte qui supportent deux cylindres mobiles dits ensouples, l'un en haut, l'autre en bas; ces cylindres retiennent les extrémités de la chaine et permettent de la tendre; la chaîne ou rangée de fils blancs sur lesquels le tapissier doit tisser les fils de couleurs, est en coton (jadis en laine ou en soie); les fils sont passés alternativement de chaque côté de tubes de verre ou bâtons de croisure, de manière à former une double nappe; des cordelettes en forme d'anneaux appelées lisses sont fixées aux fils de la nappe de devant et à une perche placée au-dessus du tapissier qui peut croiser les fils de la nappe de devant et ceux de la nappe postérieure lorsqu'il fait une passée avec la broche : on recouvre ainsi entièrement la chaîne avec les fils de couleur. Quand la chaîne est fixée sur le métier, l'ouvrier marque à l'encre les traits essentiels de son carton à l'aide d'un calque : c'est le décalquage; ensuite vient le tissage; le haut-lister se place derrière son métier, car le travail se fait à l'envers et commence par le bas; son modèle est placé derrière lui; ce travail est si minutieux que l'ouvrier ne produit pas plus de 28 cm² par jour, soit environ 1 m² par an. Le métier de basse lisse est assez dif férent : la chaîne est tendue horizontalement au lieu d'être tendue dans le sens vertical comme dans la haute lisse; les lisses sont mises en mouvement à l'aide de deux pédales; le carton est fixé sous la chaîne. L'ouvrier peut se servir de ses deux mains dans la basse lisse, tandis que dans la haute lisse il doit réserver sa main gauche à la recherche, à la séparation et à la croisure des fils. La basse lisse coûte moins cher et est d'un tiers plus rapide; elle est inférieure au point de vue du style car l'ouvrier voit mal ce qu'il fait et ne peut juger de l'effet que lorsque son oeuvre est terminée. Il est d'ailleurs très difficile de distinguer les deux sortes de fabrication; l'interversion du modèle permet seule de constater la basse lisse : si une inscription est renversée on est assuré qu'il s'agit de basse lisse. La tapisserie au fil de l'histoire. Le voile du Saint des Saints, chez les Hébreux, dont la broderie représentait diverses figures de Chérubins, était un magnifique ouvrage dû à l'habileté du tisserand. Chez les Babyloniens, on se servait de tapisseries pour retracer les mystères de la religion et perpétuer les faits historiques; les maisons royales étaient ornées de tapisseries tissées d'argent et d'or. Les Égyptiens paraissent avoir été également habiles dans la broderie et dans la tapisserie. Chez les Grecs, selon la Mythologie, Philomèle exécuta en laine la triste aventure de Progné; selon l'histoire, Pénélope broda sur la toile les événements qui avaient agité la vie d'Ulysse. L'Iliade d'Homère nous montre Hélène travaillant à un merveilleux ouvrage de broderie, où étaient représentés les combats des Grecs et des Troyens; Andromaque est occupée à un travail de ce genre, lorsqu'on vient lui annoncer la mort d'Hector. Aristote parle d'un Sybarite qui fit broder une tapisserie représentant les six grandes divinités de la Grèce; la bordure supérieure était ornée d'arabesques de Suse, et l'inférieure d'arabesques persanes. Les Romains eurent de riches tapisseries qu'ils nommaient aulaea, des couvertures qu'ils étendaient sur leurs lits et qu'ils appelaient vestes : souvent on y voyait représentés des sujets fabuleux ou héroïques. Caton d'Utique posséda un tapis babylonien qui valait 800 000 sesterces, et, au rapport de Pline (VIII, 48 ), Néron en paya un 4 millions de sesterces. Carthage connaissait aussi les tentures brochées, et ses tissanderies, jouissaient d'un grand renom. Au Moyen âge, on voit fréquemment les étoffes brochées employées à la décoration des églises. Ce fut ainsi que Dagobert fit couvrir de tentures les murailles de l'abbaye de Saint-Denis. Les châtelaines et leurs suivantes brodent les gestes glorieux des ancêtres, et l'on orne de ces nobles souvenirs les murailles des châteaux. Non seulement les tapisseries servent à tendre les appartements et à déguiser leur nudité, mais on les emploie dans les occasions solennelles, par exemple, aux entrées des princes, pour donner une physionomie joyeuse aux villes et aux places publiques. Les salles de festin sont tendues de riches tentures; dans les tournois, autour des lices et du haut des galeries jusque dans l'arène, se déroulent les exploits des preux; les caparaçons éploient aux yeux de la foule de riches housses ymagées. Un usage assez général â cette époque fut que les tapisseries portassent les armoiries de ceux à qui elles appartenaient ou par ordre desquels elles avaient été confectionnées; dans d'autres, au contraire, les personnages représentés offraient leurs propres armes sur leurs habits. Quant aux ymaiges, elles étaient très variées : elles retraçaient des scènes tirées de l'histoire ancienne, les gestes fabuleux des héros, les faits historiques modernes, des chasses, des animaux bizarres, ou encore des occupations propres aux diverses saisons, enfin les principales scènes des romans de chevalerie. Ce qui prouve que l'Europe était loin de le céder en cela aux Orientaux, c'est que Louis IX envoya en présent au khan des Mongols une tente en tapisserie représentant l'Annonciation, et qu'une partie de la rançon que Jean de Nevers paya à Bajazet Ier, après la bataille la Nicopolis (1396), était composée de tapisseries d'Arras représentant l'histoire d'Alexandre. II nous est resté du moyen âge un certain nombre de tapisseries historiées, ou à personnages, voici quelques renseignements sur les plus célèbres : I. Tapisserie d'Aix. Achetée à Paris en 1656, pour la cathédrale d'Aix, elle provient d'Angleterre, et est une de celles que les Anglais vendirent lorsqu'après s'être séparés de l'Église romaine ils dépouillèrent les édifices religieux. Dans les grandes fêtes on la place au-dessus des stalles des chanoines; en temps ordinaire, elle est roulée et renfermée dans la sacristie. Elle représente l'histoire de Jésus et celle de la Vierge, et se compose de 27 compartiments, qui offrent à eux tous une longueur d'environ 62 m; elle est travaillée en laine mélangée de soie. Chaque panneau contient deux compartiments ou tableaux; le dernier n'en a qu'un seul. II y a des armoiries de deux en deux compartiments; on remarque celles de Henri VIII, roi d'Angleterre, et de William Warhain, archevéque de Cantorbéry de 1506 à 1532. Le genre de la composition des sujets, ainsi que leur exécution, appartient à l'école flamande : cependant l'artiste s'en est écarté en ce qui concerne les femmes; les figures de femmes de la tapisserie d'Aix sont grandes, sveltes, d'une nature fine et déliée, bien éloignée du type flamand. Les costumes et les armes sont des XVe et XVIe siècles. On voit qu'au moment où cette tapisserie a été faite (1511), l'ancien style et le goût gothique commençaient à céder à de meilleures compositions. II. Tapisseries d'Aulhac ou Aulhat (Puy-de-Dôme). Elles furent enlevées pendant Ia Révolution à leur propriétaire qui résidait à Aulhac, puis transportées à Issoire et déposées dans une des salles du palais de justice. Le peu de soin qu'on en a pris depuis cette époque est cause qu'à cette heure elles sont détériorées. Les cartons d'après lesquels furent exécutées ces tapisseries en font des objets d'art d'un haut mérite. Elles sont en laine. On ignore le lieu où elles furent fabriquées, ainsi que la dimension totale de leur collection. Il est probable cependant qu'elles représentaient les principaux faits de la guerre de Troie. Leur hauteur est de 4, 33 m. A en juger par les chaussures à la poulaine, les armures, les panaches, les vêtements, elles sont du XVe siècle, et plutôt de la seconde moitié que de la première. III. Tapisserie de Bayard. Elle décorait autrefois la grande salle du château de ce nom, près de Grenoble; elle fut vendue, en 1807, à un artiste de Lyon, qui la céda en 1837 à Achille Jubinal. Elle se compose de trois fragments qui se suivent sans interruption, et qui ont chacun 4,33 m de hauteur sur 2,33 m de largeur; mais elle devait être jadis bien plus considérable. L'architecture, les costumes, les armes, tout dénote qu'elle est du commencement du XVe siècle; l'écriture des légendes qui expliquent le sujet offre même quelques caractères pareils à ceux de la fin du XIVe. Le sujet est tiré de l'Iliade d'Homère, et il est probable que ce poème se trouvait reproduit en laine presque tout entier. Le premier compartiment représente la ville de Troie : les édifices sont construits dans un singulier système architectural qui n'appartient à aucune époque; quelques-uns cependant sont ornés de dentelures gothiques. On remarque au premier plan un groupe dont toutes les têtes sont d'une grande correction de dessin et ont beaucoup d'expression de physionomie; les personnages qui composent ce groupe portent leur nom écrit sur leurs vêtements, Eneas, Anthénor, le roy Priam, Panthasilea. Une légende tracée au bas du compartiment explique qu'il s'agit de Penthésilée, reine des Amazones, venant avec ses guerriers au secours de Troie, où elle est reçue par Priam et sa cour. Les costumes et la coiffure se rapprochent des modes en usage sous Charles VII. Le second compartiment représente un combat dans lequel la lance de Porydamas se croise avec l'épée d'Ajax Thélamon. On y voit aussi Philiménès qui combat, et la reine Panthasilea qui frappe de son glaive Diomède renversé de cheval. Le troisième compartiment offre une scène plus paisible. Sous une tente élégante, Pyrrhus, fils d'Achille, est debout; on l'arme chevalier avec les cérémonies du Moyen âge; autour de lui se tiennent Ajax et Agamemnon, qui semblent lui servir de parrains; il saisit d'une main la bannière qu'on lui présente, et parait ému de l'honneur qu'on lui décerne; à ses pieds est un écuyer qui lui chausse l'éperon. Au résumé, toute cette composition est fort expressive. La tapisserie de Bayard est, en outre, curieuse par son travail, qui est en pièces de rapport comme les premières tapisseries de Flandre, par les costumes, qui sont riches et élégants, enfin par la beauté des figures. IV. Tapisserie de Bayeux. Cette "tapisserie", ou plutôt cette broderie, le plus ancien monument de ce genre qui existe, est une toile de lin, de 50 cm de hauteur sur 70,34 m de long, à laquelle le temps a donné une teinte brune, et ou l'on a représenté la conquête de l'Angleterre par Guillaume, duc de Normandie. L'histoire commence au départ d'Harold de la cour d'Édouard, et se termine à la bataille d'Hastings. Le sujet de chaque scène est indiqué par une courte inscription latine. Les figures sont travaillées à l'aiguille avec des laines de huit couleurs différentes : bleu foncé et léger, rouge, jaune, vert foncé et léger, noir, et couleur isabelle. Le dessin des figures est rude et barbare, et il ne paraît pas que l'on ait accordé une grande attention à l'exactitude des couleurs des objets représentés; mais la composition est toujours rendue avec une grande vérité d'expression. Les scènes réellement historiques n'occupent qu'une hauteur de 33 cm; le haut et le bas forment des bordures qui contiennent des lions, des oiseaux, des chameaux, des minotaures, des dragons, des sphinx, quelques fables ésopiennes, des scènes de labourage et de chasse, etc.. V. Tapisseries de Beauvais. Il y en eut deux bien distinctes, représentant, l'une des sujets religieux, l'autre des sujets profanes. Les tapisseries religieuses, jadis en plus grand nombre qu'aujourd'hui, furent données vers 1460 à la cathédrale de Beauvais, dont elles ornèrent le choeur jusqu'au XVIIIe siècle, par Guillaume de Hollande, évêque de cette église. Elles sont présentement dispersées, et plusieurs même ont péri. Les fragments qui ont été conservés représentent quelques faits miraculeux de la vie de Saint Pierre. Un de ces fragments, en la possession de Dusommerard, est remarquable à cause des costumes militaires et de l'architecture : c'est celui où est retracée l'évasion de Saint Pierre, conduit par un ange hors de sa prison, tandis que les soldats chargés de le garder sont endormis. Les autres fragments que conserve la cathédrale de Beauvais se distinguent aussi par la richesse des costumes et le naturel des physionomies; des inscriptions explicatives et en caractères gothiques sont placées au haut de chaque compartiment. Les tapisseries à sujets profanes sont de la première moitié du XVIe siècle, ainsi que l'indiquent le costume des personnages et la date de 1530 marquée sur l'une d'elles. On suppose qu'elles proviennent des manufactures d'Arras; il ne serait pas impossible non plus qu'elles fassent partie de celles de Beauvais, qui ont eu aussi un grand renom. Elles sont relatives à la fondation des principales villes des Gaules, et offrent quelques-uns des personnages qui ont donné leurs noms aux anciennes divisions territoriales du pays, avec quelques lignes sur leur histoire plus on moins apocryphe. Ces personnages sont, entre autres : Belgius, roi des Gaulois, fondateur de Beauvais; Pâris, fondateur de Paris; Lugdus, roi des Celtes, fondateur de Lyon; Rémus, frère de Romulus, fondateur de Reims. Dans un compartiment qui représente la France et quelques contrées voisines, on voit sur une carte géographique les noms de rivières et de pays suivants : le Rhin, Souisse, Savoye, Méditerranée, Leyre, Aquitaine, Gironde, Gascogne, France, Seine, Bretaigne, Angleterre, Normandie, Picardie, Flandres, Artois, Holande, Ardene. Tout cela est disposé d'après les quatre points cardinaux, dont les noms sont tracés aux quatre cotés de la tapisserie. VI. Tapisseries de Berne. Elles sont au nombre de dix. On les conserve dans la sacristie de la cathédrale, et elles sont exposées dans le choeur en des occasions solennelles, notamment lors de l'ouverture de la diète helvétique. Les couleurs en sont parfaitement conservées, et l'exécution en est remarquable. Six de ces tapisseries furent prises sur Charles le Téméraire à Granson et à Morat (1476 ); leur confection remonte à la première moitié du XVe siècle. Les principaux sujets qu'elles représentent sont : l'Adoration des Mages; Trajan écoutant la requête d'une veuve, faisant exécuter le meurtrier de son mari tué Injustement, et, dans un dernier tableau, St Grégoire de Nazianze arrachant aux Enfers par ses prières l'âme de cet empereur; César passant le Rubicon, et livrant diverses batailles (cette tapisserie a près de 8 m de longueur sur 4,5 m de hauteur). Les quatre dernières tapisseries proviennent de l'ancienne fabrique de Berne, et datent de la première partie du XVIe siècle. Les deux plus longues ont 5 m de largeur sur 4,50 m d'élévation ce qui est aussi la hauteur des autres. Le sujet, développé en divers tableaux, est la Vie de Saint Vincent de Saragosse, patron de la cathédrale de Berne. - Tapisserie de Berne : l'Adoration des mages. VII. Tapisseries de la Chaise-Dieu (Auvergne). Données en 1518 à l'église qu'elles ornent encore aujourd'hui par Jacques de Saint-Nectaire ou Sennectère, dernier abbé régulier, dont elles portent les armoiries, il serait difficile de désigner le lieu où elles furent fabriquées, et l'auteur des cartons originaux. Tout ce qu'on peut affirmer, c'est qu'elles ne sont pas un ouvrage flamand : le type de physionomie donné à chacun des personnages est trop empreint d'idéalité pour ne pas démentir cette origine. C'est ce qui, joint à la finesse de l'exécution et à la richesse du travail, fait penser qu'elles sont sorties peut-être des fabriques de Florence ou de Venise, ou qu'elles sont l'oeuvre d'artistes italiens établis en France depuis l'expédition de Charles VIII. Ces tapisseries sont au nombre de 14, dont 3 de forme carrée, ayant 3,33 m en tous sens; les autres ont 2 m de hauteur, sur 6 de longueur, à l'exception d'une seule qui n'a pas moins de 8,50 m. Douze sont appendues au-dessus de la boiserie du choeur de la grande église; les deux autres sont placées dans l'église des Pénitents, ancien réfectoire des moines qui forme aujourd'hui une chapelle. Les tapisseries de la Chaise-Dieu sont un tissu de laine et de soie fait au métier, et l'on aperçoit encore sur presque toutes des fils d'or et d'argent que le temps a respectés. Elles représentent l'histoire de l'Ancien et celle du Nouveau-Testament mises en regard, c.-à-d. la figure et la réalité. Chacune d'elles est divisée en trois compartiments formés par des colonnettes: celui du milieu est presque toujours occupé par un trait de l'histoire de Jésus, et les deux autres par les points de l'histoire de l'Ancien Testament qui sont la figure du Nouveau. Des exergues placés en haut renferment un quatrain en prose latine rimée; les deux premières lignes sont tirées de la Bible et expliquent la figure, les deux dernières la réalité. Dans le milieu et en bas de la tapisserie, on lit des sentences tirées des Prophètes, des passages empruntés soit aux Psaumes, soit aux autres livres de la Bible, mais toujours relatifs au sujet représenté dans le compartiment où ils sont placés. Les trois tapisseries carrées forment à elles seules un abrégé de l'histoire de Jésus dans ses trois faits principaux, la naissance, la mort et la résurrection. La fabrication des tapisseries de la Chaise-Dieu doit remonter au commencement du XVIe siècle ou à la fin du XVe : elles dénotent, en effet, dans l'architecture et dans les costumes qu'elles reproduisent, les règnes de Charles VIII et même de Louis XI plutôt que ceux de Louis XII et de François Ier. VIII. Tapisserie de Dijon. Elle représente l'histoire du siège que soutint cette ville contre les Suisses en 1513, et est divisée en trois tableaux, qui retracent : le 1er, le siège à son commencement; le 2e, la procession solennelle qui eut lieu dans un moment de trêve, le long du rempart, en l'honneur de Notre-Dame-de-Bon-Espoir; le 3e, la fin du siège, ou l'exécution du traité conclu entre les habitants et les Suisses, ainsi que les actions de grâces que le gouverneur vient rendre à la Vierge. Cette oeuvre dut être faite peu de temps après l'événement dont elle était destinée à perpétuer le souvenir, puisqu'elle représente avec exactitude les divers monuments de la ville, les costumes et les armes du XVIe siècle. Le dessin se distingue par une expression naïve et par une grande richesse de composition, opposées à des fautes d'ordonnance et de perspective. La tapisserie de Dijon a 2,384 m de hauteur sur 6,604 m de longueur; elle ne contient pas moins de 50 personnages par compartiment. On ignore de quelle manufacture elle sort, et par qui elle fut commandée. Elle dépendait anciennement du mobilier de la fabrique de Notre-Dame; achetée pendant la Révolution à un brocanteur par le maire de Dijon, et placée dans une des salles de l'ancien hôtel de ville, d'où elle a passé au Musée en 1832, elle est aujourd'hui tendue dans la cage de l'escalier de ce Musée; bien que le temps en ait altéré la fraîcheur, elle n'en est pas moins intacte, et assez bien conservée jusque dans ses moindres détails. IX. Tapisserie du Louvre. Cette tapisserie, après avoir passé en plusieurs mains depuis Richelieu, un de ses plus anciens possesseurs, fut achetée par le roi Charles X au peintre Réveil. L'architecture, les costumes et les légendes qu'elle offre placent son exécution vers la milieu du XVe siècle; malgré cette antiquité, elle est très bien conservée, et n'a subi que peu d'altérations. Le sujet est un miracle de Saint Quentin, qu'expliquent huit quatrains en caractères gothiques lacés au bas des personnages. Un larron a dérobé le cheval d'un prêtre; il est pris, et condamné à être pendu. Le prêtre sollicite sa grâce, qui lui est refusée; il prie alors pour le coupable devant la chasse de St Quentin. On procède à l'exécution; mais un accident arrivé au gibet fait que le patient tombe avant le moment fatal : le prévôt reconnaît dans ce fait un ordre du ciel. Le patient, délivré, s'agenouille devant la châsse du saint, et le remercie de son intervention. Autour de cette tapisserie, qui a environ 8,33 m de longueur sur 4 m de hauteur, règne une magnifique bordure composée de feuillages, de fleurs, de fruits, et de divers ornements très pittoresques. Le terrain lui-même est semé d'herbes et de fleurs sur fond vert. Le vêtement du prêtre est rouge, celui du prévôt violet, celui des gardes jaunâtre; les coiffures consistent presque uniformément en une sorte de calotte ou bonnet rouge, ayant une partie qui se relève par derrière et s'attache sur le sommet. Le toit des maisons est tantôt en tuiles, tantôt en ardoises, à la manière flamande; ce qui, indépendamment du type général du dessin, ferait penser que cette tapisserie peut provenir des anciennes fabriques d'Arras. X. Tapisseries de Nancy. L'une de ces tapisseries remonte à une assez haute antiquité : elle a d'abord appartenu à Charles le Téméraire; prise dans la tente de ce prince par les Lorrains après la bataille de Nancy en 1477, elle servit au palais des ducs de Lorraine jusqu'à Charles IV, qui en fit don à sa Cour souveraine. Ce qui reste de cette tapisserie a 25 m de longueur sur près de 4 m de hauteur, et garnit aujourd'hui une des chambres de la Cour impériale et une autre salle inoccupée. C'est une de ces oeuvres flamandes dont le tissu de laine très fine est éclairé par l'or et la soie; la soie et la laine subsistent encore, mais l'or ne s'aperçoit plus que dans quelques endroits et avec l'aide d'un beau soleil. Le sujet est une histoire allégorique qui a pour but de représenter les inconvénients de la bonne chère. Les personnages, de grandeur naturelle, portent leur nom écrit sur eux; ce sont, pour les amphitryons : Dîner, Souper- Banquet; pour les convives : Passe-temps, Donne-Compaiinie, Gourmandise, Friandise, Je Boy-à-vous, Je Plaise-d'autant, Acoustumance; pour les maladies qui attaquent les convives après le repas : Apoplexie, Paralisie, Pleurésie, Colicque, Esquinancie, Ydropisie, Jaunisse, Gravelle et Goutte; pour les remèdes qui viennent à leur secours: Sobriété, Pilule, Clistère, etc. Des inscriptions en caractères gothiques, placées dans le haut, expliquent les scènes. L'histoire est incomplète, et le dénouement perdu. La tapisserie a été coupée en plusieurs morceaux,et malheureusement ce n'est pas aux endroits indiquée comme changement d'action par les divisions de l'artiste lui-même. On n'a pas été plus heureux quand on a voulu rejoindre ces morceaux : on les a placés dans l'ordre erroné où on les voit aujourd'hui; mais l'ordre naturel a été rétabli dans la reproduction qui en a été faite par la gravure, grâce à une Moralité dont le sujet a été puisé dans cette tapisserie, et qui peut servir aussi à retrouver les scènes qui manquent. Cette Moralité a pour titre : Condamnacion des banquetz, et pour auteur Nicole de La Chesnaye; on la trouve isolément, et dans un recueil dédié à Louis XII et intitulé : La nef de santé avec le gouvernail du corps humain et la condamnacion des bancquetz, etc. On peut regarder les deux premières scènes de la tapisserie de Nancy comme le tableau fidèle d'un repas seigneurial au XVe siècle, tant sous le rapport des ornements de la salle du festin que sous celui des vases qui servent à table et des serviteurs qui assistent au repas. Le costume des personnages est aussi tout à fait caractéristique; ce sont les vêtements et ornements en usage vers le milieu du XVe siècle, et la disposition artistique, le choix du sujet, l'exécution elle-même, portent bien l'empreinte du style des oeuvres de cette époque. Le local de la Cour d'appel de Nancy possède une autre tapisserie, qui n'a aucun rapport avec la précédente, et qui provient dit-on, de la même source. Elle représente l'histoire d'Assuérus révoquant son édit contre les Juifs. Les principaux personnages, après le roi, sont : Esther, Aman et Mardochée, L'artiste, ayant voulu leur donner un costume oriental, les a affublés de vêtements de fantaisie, qui ne sont d'aucun peuple ni d'aucune époque. Comme dessin, les figures d'Esther et de ses trois dames d'honneur sont très belles; leur physionomie est d'une exécution remarquable, et, dans l'expression du visage, ainsi que dans la posture d'Esther, il y a quelque chose de cette langueur que donnèrent à leurs madones aux siècles suivants les grands génies de la peinture italienne. XI. Tapisseries de Reims, dans l'église métropolitaine. Il y en a environ 40, formant diverses collections, et représentant toutes, à l'exception de deux ou trois, des sujets religieux. L'église de Saint Remi compte aussi dix tapisseries, toutes d'égale grandeur et de forme pareille, données en 1531 par Robert de Lenoncourt, abbé commendataire. Elles représentent la bataille de Tolbiac, le baptême de Clovis, la peste de Reims (Les pestes au Moyen âge), et les événements qui donnèrent lieu aux miracles de Saint Remi, et sont très belles de couleur et de travail. C'est surtout à l'envers qu'il faut les voir; les couleurs, garanties de ce côté contre l'action de l'air, ont conservé presque tout leur éclat. Sur les dix, il y en a quatre moins altérées que les autres et qui paraissent avoir moins servi. En effet, dans les processions et autres cérémonies, on n'étale en général que six tapisseries. La perfection du travail, l'agencement de la composition, l'habileté avec laquelle les dessins ont été tracés, peuvent être un objet d'étude et d'instruction pour les artistes de nos jours. Quant aux tapisseries de la cathédrale, elles sont pour la plupart constamment exposées sur les murailles des nefs collatérales et contre la grande porte centrale; il en est aussi qu'on tient roulées dans la sacristie, et qu'on n'expose que dans les solennités. Parmi ces tapisseries, il en est d'assez médiocres; elles n'appartiennent point, comme les autres, au XVIe siècle, mais au XVIIe, et sont l'ouvrage d'un nommé Pepersak artiste flamand. XII. Tapisserie de Valenciennes. Cette ville, autrefois célèbre par ses manufactures de tapis de haute lisse, ne possède plus qu'un monument de ce genre, un de ces admirables ouvrages qui faisaient la gloire des fabriques de Flandre aux XVe et XVIe siècles. Découverte, en 1830, par Vitet dans un grenier de l'hôtel de ville, la tapisserie de Valenciennes occupe aujourd'hui une des grandes salles de l'édifice. La bordure seule est un peu endommagée, mais le fond est dans un parfait état de conservation. Elle a 5 m de hauteur, sur 550 m de large. Elle représente un tournoi : 12 chevaliers, cuirassés des pieds à la tête, et montés sur des chevaux richement carapaçonnées et couverts de housses armoriées et étincelantes d'or, s'attaquent à grands coups de dague; les lances courtoises ont été rompues, et leurs débris jonchent l'arène. Dans le fond, on voit des tribunes garnies d'un triple rang de spectateurs. Les costumes sont de l'époque de Maximilien (XVe siècle), et ont une origine allemande que révèlent la multiplicité des panaches et leur exagération ridicule. Le sujet pourrait bien appartenir à l'un de ces 36 tournois tenus en Allemagne jusqu'en 1487, et décrits par André Favin dans son Théâtre d'honneur et de chevalerie. L'ordonnance générale du tableau est parfaite; une grande harmonie règne entre ses diverses parties; les lois de la perspective, fort souvent oubliées dans les tapisseries, sont dans celle-là complètement observées. On y admire encore la fermeté et le fondu des nuances, la netteté et la franchise du dessin, la hardiesse et le charme de la composition. Dans la bordure, formée d'un riche feuillage arabesque, et terminée du côté du tableau par une chaîne de pierreries merveilleusement imitées, on a placé vingt écussons où l'on a cru distinguer, autant que l'a permis l'altération des couleurs, les armoiries de quelques maisons du pays de Liège et des provinces rhénanes. (P.S.).
| Elisabeth Antoine, La tapisserie du Jugement dernier, RMN, 2007. 9782711853861 Cette tapisserie gigantesque, peuplée de plus de cent figures, étonnamment bien conservée, fait partie d'une tenture tissée plusieurs fois, appelée Le Combat des Vices et des Vertus ou La Rédemption de l'homme. Elle montre, sous l'autorité d'un grand Christ en majesté, des anges aux belles ailes multicolores accueillant au paradis, des hommes et des femmes dont les mains tournées pieusement vers le haut indiquent qu'ils ont vécu comme il convient. (couv.). Collectif, Tapisseries d'Anjou (XVe-XVIIIe s.), au trésor de la cathédrale de Liège, Le Perron, 2005. En bibliothèque - Les anciennes tapisseries historiées, ou Collection des monuments les plus remarquables de ce genre qui nous soient restés du Moyen âge, à partir du XIe, siècle au XVIe inclusivement, texte par Achille Jubinal, dessins de Sansonetti, Paris, 1838, 2 vol. in-fol. oblong; Recherches sur l'usage des tapisseries à personnages, par A. Jubinal, 1840, in-8°; Mémoire sur la tapisserie du choeur de l'église cathédrale d'Aix, par Fauris de Saint-Vincent, Paris, 1812, in-8°; Toiles peintes et tapisseries de Reims, par Paris et Leberthais, 2 vol. in-4°; Notice sur les tapisseries de la cathédrale de Beauvais, par l'abbé Santerre; Études sur les beaux-arts, Essais d'archéologie et Fragments littéraires, par Vitet, Paris, 1847, 2 vol. in-12; Lacordaire, Notice historique sur les manufactures impériales de tapisseries des Gobelins et de tapis de la Savonnerie, Paris, 1853, in-8°. | | |