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La Révolution française
La Constitution de 1791
Aperçu Causes Constituante Législative Convention Directoire
Avant la Révolution, la France ne possédait pas de constitution écrite. Le principe du gouvernement était la monarchie absolue de droit divin, qui possédait un ensemble de traditions; il n'y avait pas de pacte unique, mais une série d'édits, d'ordonnances, établissant la toute-puissance royale se limitant elle-même par des privilèges accordés ou conservés à quelques grands corps tels que le Parlement, ou à des provinces et des municipalités. L'organisation politique et administrative de la France date de la Révolution : la première constitution date de 1791; cela ne veut pas dire que l'Assemblée constituante improvisa son oeuvre sans se préoccuper du passé : il n'y eut pas là, comme on le croit parfois, une solution absolue de continuité; mais il n'en est pas moins certain qu'on a, en quelques années, organisé la France sur des bases nouvelles. Avant la Révolution, la France n'avait pas de constitution écrite; depuis 1789, au contraire, elle en a toujours eu une : c'est là ce qui fait l'importance exceptionnelle de la constitution de 1791. C'est elle qui réunit toutes les lois particulières votées par l'Assemblée nationale; c'est elle qui posa les principes généraux dont toutes les constitutions françaises se sont inspirées depuis. Il importe donc de donner des détails complets sur les constitutions de la période révolutionnaire, car c'est alors que furent créés, au fur et à mesure des besoins, la plupart des mécanismes politiques et administratifs qui fonctionnent encore aujourd'hui. Il est remarquable aussi qu'aucune des constitutions suivantes ne s'est préoccupée comme elle de donner des solutions à toutes les questions; plus on va et plus le thème de la constitution se restreint : la dernière embrasse seulement l'organisation des grands pouvoirs publics; et cette tendance est si marquée que beaucoup de gens s'imaginent aujourd'hui qu'une constitution n'a pas à se préoccuper d'autre chose et établissent une distinction philosophique entre une loi ordinaire et une loi constitutionnelle. De cette différence de conception et de rédaction des différentes constitutions que la France s'est données successivement résulte une difficulté pour celui qui les expose.

Les lignes de force de la Constitution de 1791.
La première constitution écrite qui reconnut les droits de la nation et qui fut faite par ses représentants, fut, en France, celle du 3 septembre 1791. Elle n'a pas été substituée en un jour au régime qui la précédait; elle n'a pas été improvisée par des philosophes d'après des principes abstraits comme le laissent souvent entendre les détracteurs de la Révolution; elle a été précédée de deux années d'études et de travaux parlementaires; elle a été élaborée dans une série de lois partielles qui constituent un immense travail législatif. L'Assemblée nationale constituante commença par remplacer peu à peu les institutions qui existaient avant elle et fit ensuite la constitution qui réunissait en un seul faisceau toutes ces mesures partielles et en donnait les principes générateurs et la théorie. 

Avant d'examiner la constitution, il faut exposer les mesures préparatoires dont elle fut la conséquence et la sanction.

Les Etats généraux, qui allaient bientôt devenir l'Assemblée constituante, furent convoqués par le règlement électoral du 24 janvier 1789, et ils se réunirent le 5 mai à Versailles. Ils se composaient de députés élus séparément par l'ordre de la noblesse, par celui dit clergé et par le tiers état. Ils n'étaient pas convoqués pour faire une constitution et n'avaient nullement le pouvoir constituant qu'ils se sont attribué dans la suite. Leur tâche devait, au contraire, dans le principe, être très modeste et limitée : elle consistait à soumettre à l'agrément du roi, sans que celui-ci fût lié, des projets de réformes financières, judiciaires et administratives.

Le 17 juin, le tiers état, appuyé par quelques membres du clergé et de la noblesse, proclama que cette sorte de triple assemblée était une et nationale. Après une inutile résistance de la cour, résistance qui amena la fameuse réunion du Jeu de paume et la déclaration de l'inviolabilité des députés, le roi autorisa le clergé et la noblesse à se joindre au tiers état dans les conditions que celui-ci avait déterminées : c'était reconnaître le pouvoir constituant de l'Assemblée nationale.

L'Assemblée établit de suite, par son immortelle Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août, les bases de son oeuvre : la souveraineté de la nation, la liberté des humains, l'égalité des droits étaient, pour la première fois, proclamées comme des principes.

L'acte constitutionnel du 10 octobre, sur les pouvoirs publics, posa les bases de la future constitution. Le gouvernement était monarchique; le pouvoir législatif était exercé par une seule Chambre élue pour deux ans; un veto suspensif était accordé au roi, qui n'avait plus le pouvoir de légiférer ni de lever aucune contribution; l'impôt était consenti chaque année par l'Assemblée, qui, seule, avait également le droit de contracter des emprunts. Les ministres devenaient responsables de leurs actes.

Le 14 décembre, l'Assemblée adopta la loi sur les municipalités, qui furent toutes remplacées par voie d'élection. Le chef du corps municipal prit le nom de maire. Les citoyens actifs se réunissaient en assemblée électorale et nommaient d'abord le maire, puis ensuite, au scrutin de liste double, les autres membres du corps municipal. L'assemblée électorale nommait aussi un procureur de la commune, chargé de défendre ses intérêts et de poursuivre ses affaires. Le conseil municipal s'assemblait au moins une fois par mois; il était subordonné aux administrations de département et de district en ce qui concernait les délégations qu'il pouvait recevoir. La commune avait aussi un conseil général, composé des notables et du corps municipal, et ayant des attributions spéciales.

L'Assemblée nationale, ayant suppprimé la distinction des trois ordres, fut naturellement conduite à créer de toutes pièces un système électoral sans précédents. Telle fut l'origine du décret du 22 décembre 1789, qui, bien que n'ayant jamais été complètement appliqué, n'en est pas moins resté la source du droit électoral français. Il s'appliquait aux élections politiques, tant des députés que des administrateurs des départements dont on avait annoncé la création le 9 décembre et dont on allait déterminer la circonscription territoriale le 26 janvier 1790. Ils étaient subdivisés en districts, ceux-ci en cantons, les cantons en communes. Les représentants au Corps législatif devaient être élus par départements, au suffrage universel à deux degrés. Les électeurs du premier degré formaient les assemblées primaires; étaient tous électeurs du premier degré, les Français âgés de vingt-cinq ans accomplis domiciliés de fait dans le canton depuis un an au moins, payant une contribution directe de la valeur locale de trois journées de travail, et n'étant pas dans l'état de domesticité; de même les religieux qui n'avaient pas usé du droit de sortir du cloître ne pouvaient voter tant qu'ils vivaient sous le régime monastique.

Les assemblées primaires, ainsi composées, nommaient les électeurs du 2e degré qui élisaient les députés et, en outre, les membres de l'administration du département et du district. Les votes avaient lieu au scrutin de liste. Pour être député, il fallait réunir aux qualités de l'électorat ordinaire la condition de payer une contribution directe égale au moins à la valeur locale de dix journées de travail. La constitution de 1791 maintint ce système pour l'élection de la Législative; toutefois, pour être électeur du 1er degré, il fallait de plus être inscrit au rôle des gardes nationales. En outre, le cens imposé aux électeurs du 2e degré fut élevé comme suit : Dans les villes au-dessus de six mille habitants, il fallait être propriétaire ou usufruitier d'un bien évalué sur le rôle des contributions à un revenu égal à la valeur locale de deux cents journées de travail, ou être locataire d'une habitation évaluée sur les mêmes rôles à un revenu égal à la valeur de cent cinquante journées de travail. Dans les villes au-dessous de six mille habitants, les chiffres de deux cents et de cent cinquante ci-dessus mentionnés s'abaissaient à cent cinquante et à cent journées. Dans les campagnes, il fallait soit être propriétaire ou usufruitier d'un bien évalué à un revenu égal à la valeur de cent cinquante journées de travail, soit être fermier ou métayer de biens évalués à la valeur de quatre cents journées de travail. Cette journée de travail ne pouvait jamais excéder vingt sous; le Corps législatif devait en fixer tous les six ans le minimum et le maximum, et les administrateurs des départements étaient chargés d'en faire la détermination locale pour chaque district.

C'est d'après ce système que fut élue l'Assemblée législative; cette Assemblée se composait de 745 membres répartis comme suit entre les quatre-vingt trois départements : 247 étaient attachés au territoire, à raison de 3 par département, sauf Paris qui n'en nommait qu'un; 249 attribués à la population active du royaume divisée en 249 parts et chaque département nommant autant de députés qu'il avait d'unités de ces 249 parts, - la part était de 17.262 citoyens actifs. - Les fractions étaient divisées en 36es ; par chaque 17/36e, il y avait un député de plus. Enfin 249 représentants étaient attachés à la contribution directe. La masse de la contribution directe était de même divisée en 249 parts, et chaque département élisait autant de députés qu'il payait de parts de contributions. En ce qui concerne le département, il était administré par un conseil élu, lequel nommait le président et le directoire : c'était le principe de l'élection des fonctionnaires. Le 20 juin 1790, l'Assemblée qui, dans la nuit du 4 août 1789, avant même la Déclaration des droits de l'homme, avait vu tous ses membres privilégiés venir abdiquer leurs privilèges, abolit la noblesse.

Le 12 juillet fut adoptée la loi portant constitution civile du clergé, loi qui donnait au diocèse les mêmes limites qu'au département, et qui supprimait, par le fait, un nombre considérable d'évêchés et de cures; les évêques et les curés étaient élus parmi certaines catégories d'éligibles, et des conditions de résidence leur étaient strictement imposées; l'évêque ne devait demander aucune confirmation au pape, et il devait être consacré par son métropolitain; des synodes diocésains étaient créés. Le 16 août, l'Assemblée adopta la loi sur l'organisation judiciaire; elle essayait d'encourager l'arbitrage, qui diminue le nombre des procès, et elle organisait l'élection des juges. Il y eut, dans chaque canton, pour les petites affaires, un juge de paix, et, dans chaque district, un tribunal de première instance, composé de cinq juges; l'appel était porté à l'un des tribunaux voisins de district, et le tribunal d'appel était désigné par le directoire du département, sauf certains droits de récusation. Il y avait auprès de chaque tribunal un commissaire du roi, remplissant les fonctions de ministère publie. Des tribunaux de commerce purent être créés.

La loi du 7 septembre organisa la juridiction administrative des directoires de district et de département. La loi du 27 novembre créa et organisa le tribunal de cassation, dont les membres étaient élus par les départements à tour de rôle, et qui ne pouvait, sous aucun prétexte et en aucun cas, connaître du fond des affaires. La loi du 20 janvier 1791 établit un tribunal criminel par département; un jury d'accusation faisait l'instruction par l'intermédiaire de son directeur, et l'accusateur public soutenait l'accusation sur laquelle prononçait un jury de jugement.

Le 8 avril 1791 fut déclarée l'égalité du partage entre les enfants; le droit d'aînesse était aboli.

D'après la loi du 10 mai 1791, une haute cour, composée d'un haut jury et de quatre grands juges, chargés de diriger l'instruction et d'appliquer la loi, connaissait de tous les crimes dont le Corps législatif se porterait accusateur.

La loi du 18 mai reconnut le droit de pétition à chaque citoyen et interdit de le déléguer; le droit de pétition ne pouvait donc être exercé en nom collectif.

Après ces lois préliminaires qui avaient déblayé le terrain, l'Assemblée constituante, parvenue au terme de ses travaux, vota la constitution qui groupait et codifiait les lois organisant le nouveau régime et en donnait la théorie. Cette constitution eut pour préambule la Déclaration des droits de l'homme et da citoyen du 26 août 1789, qui fut reproduite purement et simplement; elle proclamait ensuite l'abolition des institutions qui blessaient la liberté et l'égalité des droits et décrétait qu'il n'y avait plus ni noblesse, ni pairie, ni distinction héréditaire, ni distinction d'ordres, ni régime féodal, ni justices patrimoniales, ni aucun des titres, dénominations et prérogatives qui en dérivaient, ni aucun ordre de chevalerie, ni aucune des corporations ou décorations pour lesquelles on exigeait des preuves de noblesse ou qui supposaient des distinctions de naissance, ni aucune autre supériorité que celle des fonctionnaires publics dans l'exercice de leurs fonctions, ni vénalité ni hérédité d'aucun office public, ni, pour aucune partie de la nation ou pour aucun individu, aucun privilège ou aucune exception au droit commun, ni jurandes, ni corporations de professions ou de métiers, ni voeux religieux, ni aucun autre engagement contraire aux droits naturels ou à la constitution. Les lois préliminaires avaient fait table rase; la constitution sanctionnait et consacrait de nouveau toutes ces destructions.

Les dispositions fondamentales étaient garanties dans la constitution comme droits naturels et civils; toutes les fonctions devaient être accessibles à tous les citoyens ; l'impôt devait être réparti proportionnellement aux facultés de chacun; l'égalité existait devant la loi répressive; la liberté de parler, d'écrire, d'imprimer et de publier ses pensées, de s'assembler en paix et d'adresser des pétitions aux autorités constituées était garantie; la liberté des cultes était proclamée et l'instruction était promise. On consacrait la division du territoire en départements effaçant les dissidences provinciales; les conditions auxquelles on acquérait ou perdait la qualité de citoyen français étaient fixées. L'état civil était enlevé au clergé; le mariage devenait un contrat civil; des officiers publics devaient être chargés de constater les naissances, les mariages, les décès, sans distinction de religion. La constitution organisait les pouvoirs publics, les énumérant selon leur importance. Elle traitait d'abord de l'Assemblée nationale législative, puis de la royauté, de la régence et des ministres, puis de l'exercice du pouvoir législatif et enfin de l'exercice du pouvoir exécutif : elle définissait l'Assemblée et ses attributions avant de s'occuper du roi et de ses fonctions. La souveraineté était une, indivisible, inaliénable et imprescriptible et appartenait à la nation. Le régime établi était monarchique et représentatif. Le pouvoir législatif était délégué à une Assemblée nationale, élue librement et pour une période de temps déterminée. Le pouvoir exécutif était exercé par le roi. Le pouvoir judiciaire était délégué à des juges élus. Les représentants, élus par les assemblées de citoyens actifs, se réunissaient le premier lundi du mois de mai, vérifiaient leurs pouvoirs et se constituaient en Assemblée nationale dès qu'ils avaient atteint le nombre de trois cent soixante treize, c.-à-d. la moitié du nombre total des députés. Au dernier jour de mai ils se constituaient, quel que fût le nombre des présents, s'ils n'avaient pu le faire auparavant. Ils prêtaient ensemble le serment de vivre libre ou de mourir, puis, individuellement, celui de maintenir de tout leur pouvoir la constitution du royaume et d'être, en tout, fidèles à la nation, à la loi et au roi. Les représentants étaient inviolables.

L'Assemblée ou Corps législalif avait le droit exclusif de proposer et de décréter les lois, le roi pouvant seulement l'inviter à prendre un objet en considération, de fixer les dépenses publiques, d'établir les contributions et de les répartir, de créer et de supprimer les offices publics, de déterminer le titre, le poids, l'empreinte et la dénomination des monnaies, de permettre l'introduction des troupes étrangères sur le territoire, de statuer sur l'effectif et sur l'organisation de l'armée, sur l'administration et l'aliénation des biens domaniaux, d'accuser devant la haute cour nationale les ministres et les principaux fonctionnaires publics, de poursuivre pour crimes d'attentats et de complots contre la sûreté de l'Etat, d'établir des marques l'honneur et des décorations. Le Corps législatif avait seul Le droit de déclarer la guerre, sur la proposition formelle et nécessaire du roi et sous la réserve de sa sanction; si les hostilités étaient imminentes ou commencées, ou bien il y avait un allié à soutenir, il devait être convoqué; il ratifiait aussi les traités de paix, d'alliance et de commerce. Il fixait le lieu de ses séances et assurait sa propre sécurité; le pouvoir exécutif ne pouvait faire passer, sans y être autorisé, un corps de troupe de ligne dans un rayon de trente mille toises autour du Corps législatif.

Les  séances étaient publiques et devaient être publiées; les actes législatifs étaient soumis à trois délibérations, séparées chacune d'au moins huit jours, et tout projet était imprimé et distribué avant la seconde lecture. La délibération n'avait lieu que devant deux cents membres et un projet, pour être adopté, devait réunir la pluralité absolue des suffrages. Les décrets reconnus et déclarés urgents par une déclaration préalable étaient dispensés des trois délibérations. La roi pouvait refuser de sanctionner les décrets en déclarant qu'il les examinerait, mais la sanction était réputée donnée si les deux législatures suivantes reprenaient le décret dans les mêmes termes. Le décret sanctionné prenait le nom de loi. Les actes du Corps législatif concernant sa propre constitution, sa police, la verification des pouvoirs de ses membres, et la responsabilité des ministres étaient dispensés de sanction; il en était de même des décrets concernant l'établissement, la prorogation et la perception des contributions publiques. Les ministres avaient entrée dans la salle des séances et étaient entendus quand ils le demandaient sur les objets relatifs à leur administration; pour les autres objets ils demandaient la parole à l'Assemblée nationale.

Le roi portait le titre de roi des Français; il ne régnait que par la loi et c'était seulement au nom de la loi qu'il pouvait exiger obéissance; il devait prêter serment de fidélité à la nation et à la loi. S'il ne prêtait pas ce serment dans le mois qui suivait son avènement ou sa majorité, soit devant le Corps législatif, soit par une proclamation, s'il se mettait à la tête d'une armée contre la nation, s'il quittait le territoire et n'y rentrait pas après y avoir été invité, il était censé avoir abdiqué. Les biens du roi étaient acquis au domaine de la nation qui pourvoyait par une liste civile à la splendeur du trône. Le roi avait une garde d'honneur composée de gardes nationales et une garde personnelle qui ne pouvait excéder douze cents hommes et qui était choisie parmi les soldats en activité ou les gardes nationales exercées depuis un an. Le roi détenait le pouvoir exécutif et était chargé du maintien de l'ordre; il était le chef suprême des armées et il veillait à la sûreté extérieure du royaume. Il nommait les ambassadeurs et conférait des commandements. Il sanctionnait les lois et faisait promulguer celles qui étaient dispensées de sa sanction; il ne pouvait faire aucune loi, même provisoire, mais seulement des proclamations conformes aux lois, pour en ordonner ou pour en rappeler l'exécution. 

Les administrateurs des départements et des districts étaient élus là par le peuple, mais le roi avait le droit d'annuler leurs actes, si ces actes étaient contraires aux lois ou aux ordres qui avaient été transmis; en cas de désobéissance persévérante, ils pouvaient même être suspendus; le Corps législatif, instruit de cette suspension, la levait, la maintenait ou bien encore dissolvait l'administration coupable. Le roi seul entretenait des relations politiques avec l'étranger, conduisait des négociations et signait des arrangements, sous réserve de la ratification de l'Assemblée. Le roi nommait et révoquait les ministres qui ne pouvaient être pris ni parmi les députés, ni parmi les membres du tribunal de cassation ou du haut jury. Les ministres prêtaient le serment civique. Les ordres du roi n'étaient exécutoires que s'ils étaient signés par lui et contresignés par le ministre compétent. Les ministres étaient responsables devant le Corps législatif qui pouvait les mettre en accusation; chaque année, au début de la session, ils présentaient le projet de dépenses à faire dans leur département et justifiaient de l'emploi des sommes qui leur étaient destinées.

Jusqu'à l'âge de dix-huit ans le roi était mineur. Il était suppléé par un régent pendant sa minorité. L'exercice de la régence était confié à un membre de la famille royale. A défaut d'un parent, majeur de vingt-cinq ans, ayant prêté le serment civique et qui ne fût pas héritier présomptif d'une autre couronne, on élisait un régent, à l'exclusion des femmes. Le régent était élu par une assemblée spéciale, spécialement nommée, à raison d'un mandataire du peuple par district. Le régent jurait fidélité à la nation, à la loi et au roi, et il exerçait les fonctions de la royauté jusqu'au jour de la majorité du roi. La garde du roi mineur était confiée à sa mère, et, à son défaut, ou bien si elle était remariée, elle était déférée par le Corps législatif, qui ne pouvait choisir le régent, à un membre de sa famille. héritier présomptif se nommait le prince royal; il ne pouvait sortir du royaume sans l'autorisation du Corps législatif. Les membres de la famille du roi, appelés éventuellement à lui succéder, ne pouvaient être l'objet d'une élection populaire; ils ne pouvaient non plus, sans l'autorisation du Corps législatif, être ministres, ambassadeurs ou commander en chef une armée de terre ou de mer; ils avaient le titre de princes français. Aucun apanage réel, mais seulement une rente apanagère pouvait leur être accordée.

Ni le Corps législatif ni le roi n'exerçaient jamais le pouvoir judiciaire qui était entre les mains de juges élus à temps et dont l'indépendance était garantie par ce fait qu'ils ne pouvaient être suspendus ou révoqués que judiciairement. Les tribunaux n'examinaient une affaire que lorsque l'on justifiait que les parties avaient vainement comparu en conciliation. En matière criminelle; l'accusation était d'abord reçue par un jury, puis l'affaire était examinée par un jury de jugement, et des juges appliquaient la loi. Tout homme arrêté subissait un premier examen dans les vingt-quatre heures et n'était maintenu en état d'arrestation qu'en vertu de pièces régulières. Le tribunal de cassation connaissait des demandes en cassation contre des jugements rendus en dernier ressort, des demandes de renvoi d'un tribunal à un autre pour suspicion légitime, des règlements de juges et des prises à partie contre un tribunal entier. Il n'examinait pas les questions de fond, et, dans certaines circonstances, il devait soumettre les cas douteux au Corps législatif qui les tranchait par un décret interprétatif de la loi. Les crimes et délits des ministres et des hauts fonctionnaires publics et les attentats contre la sûreté de l'Etat étaient déférés, sur accusation du Corps législatif, à une haute cour nationale, composée des membres du tribunal de cassation et de hauts-jurés élus. Auprès de chaque tribunal il y avait un commissaire du roi et auprès de chaque tribunal criminel, il y avait en outre un accusateur publie. L'instruction était faite par le directeur du jury d'accusation.

La force publique défendait l'Etat contre les ennemis du dehors et assurait à l'intérieur le maintien de l'ordre et l'exécution des lois. Elle était composée des armées de terre et de mer et subsidiairement des citoyens capables de porter les armes; les gardes nationales étaient les citoyens eux-mêmes appelés au service de la forte publique. Les gardes nationales étaient soumises à une organisation déterminée par la loi et à des règles uniformes; leurs officiers étaient élus à temps et nul ne commandait les milices de plus d'un district. Toutes les parties de la force publique étaient sous les ordres du roi. Le domicile des citoyens était garanti. Nul corps armé ne pouvait délibérer.

Les contributions publiques étaient délibérées et fixées chaque année par le Corps législatif pour une année seulement. Les fonds affectés en payement de la dette nationale, de la liste civile et du traitement des ministres du culte catholique ne pouvaient être refusés. La nation ne pouvait être chargée de payer les dettes d'aucun individu. Les comptes des dépenses et les états des recettes étaient publiés avec détails.

Un titre spécial de la constitution réglait les « rapports du peuple français avec les nations étrangères ». Le peuple français s'interdisait les guerres de conquête, tout attentat à la liberté des peuples. On abolissait le droit d'aubaine, on accordait aux étrangers celui de succéder, de contracter, d'acquérir en France. On s'occupait enfin de la procédure à suivre pour changer cette constitution où les hommes de 1789 espéraient avoir fixé pour longtemps les principes du gouvernement de la France.

« Lorsque trois législatures consécutives auront émis un venu uniforme pour le changement de quelque article constitutionnel, il y aura lieu à la révision demandée. - La prochaine législature et la suivante ne pourront proposer la réforme d'aucun article constitutionnel. - Des trois législatures qui pourront par la suite proposer quelques changements, les deux premières ne s'occuperont de cet objet que dans les deux derniers mois de leur dernière session et la troisième à la fin de la première session annuelle ou au commencement de la seconde. - Leurs délibérations sur cette mafière seront soumises aux mêmes formes que les actes législatifs; mais les décrets par lesquels elles auront émis leur voeu ne seront pas sujets à la sanction du roi. - La quatrième législature, augmentée de deux cent quarante-neuf membres élus en chaque département, par doublement du nombre ordinaire qu'il fournit pour sa population, formera l'assemblée de révision. Ces deux cent quarante-neuf membres seront élus après que la nomination des représentants au Corps législatif aura été terminée, et il en sera fait un procès-verbal séparé. - L'assemblée de révision ne sera composée que d'une chambre. Les membres de la troisième législature qui auront demandé le changement ne pourront être élus à l'assemblée de revision. - Les membres de l'assemblée de révision, après avoir prononcé tous ensemble le serment de « vivre libres ou mourir » prêteront individuellement celui « de se borner à statuer sur les objets qui leur auront été soumis parle voeu uniforme des trois « législatures précédentes; de maintenir au surplus de tout  leur pouvoir la constitution du royaume décrétée par l'Assemblée nationale constituante aux années 1789, 1790 et 1791, et d'être en tout fidèles à la nation, à la loi et au  roi ». L'assemblée de révision sera tenue de s'occuper ensuite et sans délai des objets qui auront été soumis à son examen; aussitôt que son travail sera terminé, les deux cent quarante-neuf membres nommés en augmentation se retireront sans pouvoir prendre part en aucun cas aux actes législatifs. » 
On sait combien ces précautions minutieuses furent peu observées; il en est ainsi chaque fois qu'on essaye de créer des obstacles aussi frêles qu'une loi de procédure aux innovations ou à l'esprit révolutionnaire.

Les colonies et possessions françaises hors d'Europe, quoique faisant partie de l'Etat français, n'étaient pas comprises dans la constitution.

Il résulte de l'analyse détaillée que nous venons de rédiger, que la constitution de 1791 était un véritable code politique, donnant à la France la physionomie qu'elle a gardé depuis en ses traits essentiels. Il est remarquable de voir combien les constituants ont prévu tous les détails, en insérant dans leur oeuvre une série de dispositions qui ne sont plus objet de loi ordinaire, mais de simple règlement. Bien que cette constitution ait peu duré, elle mérite d'être étudiée non seulement parce qu'elle est la base du droit politique français, mais parce qu'elle fut l'oeuvre d'esprits philosophes singulièrement éclairés dont le libéralisme ne recule guère devant des formes radicales. (GE).

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