.
-

Le Théâtre du Marais, à Paris

Le théâtre du Marais, qui fut longtemps le rival et l'émule de l'hôtel de Bourgogne, est l'un des plus anciens théâtres réguliers que connut Paris; mais son histoire, entourée de ténèbres, n'est pas facile à établir, et sur beaucoup de points, en ce qui concerne ses commencements, repose sur des conjectures. Victor Fournel l'a suffisamment démontré au XIXe siècle dans son excellent livre, les Contemporains de Molière
« La question des origines du théâtre du Marais, dit-il, est plus obscure que celle des sources du Nil : c'est un vrai chaos, et pour le débrouiller on n'a aucun secours à attendre de la plupart des historiens qui, par le vague, la légèreté et l'incohérence extraordinaire de leurs renseignements sur ce point, ne peuvent qu'accroître les incertitudes et la confusion. Ainsi, les uns font commencer le théâtre du Marais avec l'établissement de la troupe de Mondory dans le jeu de paume de la rue Vieille-du-Temple; les autres, après la représentation de la Mélite de Corneille, en 1629; d'autres, vers 1608, au moment où Laporte, associé de Valleran Le Comte à l'hôtel de Bourgogne, Marie Venier, sa femme, et leurs compagnons, émigrent de ce dernier théâtre; beaucoup, au commencement du siècle, en 1600; quelques-uns enfin dans les dernières années du siècle précédent. Par ce résumé rapide, on peut juger des contradictions auxquelles se heurte tout d'abord celui qui veut écrire aujourd'hui l'histoire du théâtre du marais. »
Dans un petit livre qui est surtout un recueil de notes (Esquisse d'une histoire des théâtres de Paris de 1548 a 1635), Eugène Rigal s'est efforcé de faire la lumière sur cette histoire; je n'ose affirmer qu'il y a complètement réussi. En tout cas, lui aussi s'est vu oblige de se livrer à certaines conjectures, et il n'a pu établir certains faits d'une façon précise et sûre.

Comme nous le montre encore Victor Fournel, il n'y a pas eu qu'un seul théâtre du Marais; il y en a eu plusieurs, et même, quand ce théâtre se fut établi dans une salle définitive, diverses troupes s'y succédèrent. On comprend que ceci n'est pas fait pour éclairer une question déjà si obscure. On croit que tout aux dernières années du XVIe siècle une troupe de comédiens de province vint s'établir à l'hôtel d'Argent, qui fut connu sous ce nom de théâtre du Marais; mais les historiens ne sont même pas d'accord sur l'emplacement exact de cet hôtel d'Argent : les uns le disent situé à l'angle de la rue de la Poterie, près de la Grève, ce qui l'aurait fait dépendre du quartier de la Grève, tandis que d'autres le placent à l'angle des rues de la Verrerie et de la Poterie, auquel cas il se serait trouvé sur les confins des quartiers de la Grève et Saint-Martin. Les confrères de la Passion, propriétaires de l'hôtel de Bourgogne, occupé alors par les comédiens français et les comédiens italiens, qui y alternaient leurs représentations, étaient à cheval sur les droits que leur conférait leur privilège, et prétendaient ne laisser s'établir aucune concurrence. Sur leur plainte, un arrêt du Châtelet, en date du 28 avril 1599, fit défense, 

« tant aux soi-disant comédiens italiens du roi que autres, de jouer ni représenter ailleurs qu'à l'hôtel de Bourgogne, s'ils n'ont exprès pouvoir de ladite confrérie (de la Passion) ». 
Cet arrêt suspendit-il les spectacles des comédiens qui s'étaient installée à l'hôtel d'Argent? On peut le croire. En tout cas, on n'entend plus parler de ce dernier pendant quelques années. Ce n'est qu'en 1609 que nous voyons un dissident de l'hôtel de Bourgogne, Laporte, quitter ce théâtre avec Marie Venier, sa femme, et Valleran Le Comte, pour aller occuper celui de l'hôtel d'Argent. Avec quels autres comédiens? C'est ce qu'on ne saurait dire. Cette scission donna lieu, naturellement, à un nouveau procès intenté par les confrères et qui, gagné d'abord par eux, fut ensuite cassé.

On signale, vers 1620, l'établissement d'une autre troupe de comédiens dans le quartier du Marais, rue Vieille-du-Temple, et certains écrivains ont cru que c'était ceux de l'hôtel d'Argent qui, se trouvant ici trop à l'étroit, auraient été chercher un local plus vaste. On sait pourtant que l'hôtel d'Argent était occupé en 1622, car une sentence du 16 février de cette année condamne les trois farceurs célèbres : Gaultier-Garguille, Gros-Guillaume et Turlupin et les autres comédiens de l'hôtel d'Argent à payer aux confrères de la Passion les 3 livres tournois par représentation que leur devaient tous ceux qui entraient en concurrence avec leur privilège. Qu'étaient donc les comédiens de la rue Vieille-du-Temple? On ne saurait le dire. Mais, ce qui parait certain, C'est qu'il y eut à cette époque deux théâtres existant à la fois au Marais. Puis, durant plusieurs années, on n'entend plus parler ni de l'un ni de l'autre, et l'hôtel d'Argent semble avoir disparu. Ses comédiens sont-ils retournés avec leurs anciens camarades de l'hôtel de Bourgogne? Cela paraît probable. Mais, si cela est, une nouvelle scission s'effectua, car c'est à l'hôtel d'Argent que se produisit en 1629 la Mélite de Corneille, et ce grand homme dit expressément, dans l' « examen » de cette pièce : 
« Le succès en fut surprenant. Il établit une nouvelle troupe de comédiens à Paris, malgré le mérite de celle qui étoit en possession de s'y voir l'unique. » 
Donc, avant la représentation de Mélite, le théâtre de l'hôtel de Bourgogne était le seul existant; à partir de Mélite, il y en eut deux, celui du Marais se trouvant reconstitué sous la direction du fameux comédien Mondory.

A partir de ce moment, on peut dire que le théâtre du Marais est décidément formé, mais ce n'est pas sans quelques vicissitudes qu'il put poursuivre son existence.

« Jusqu'à Mondory, dit fort justement Victor Fournel, et malgré l'essai plus sérieux de 1620, qui est resté pour beaucoup d'auteurs la vraie date de la fondation du Marais, on peut dire que ce théâtre n'existe encore que sous une forme plus ou moins transitoire et dépendante, à l'état d'embryon, de tentative sans cesse renouvelée parce que jamais elle ne réussit pleinement, et qu'il faut suivre à la piste dans l'épais brouillard qui en dérobe les commencements laborieux. A partir de Mondory seulement, le théâtre du Marais est fondé; il pourra tâtonner encore pendant les premières années et changer de lieu sans changer de quartier; il pourra surtout se renouveler fréquemment, éprouver de nombreuses vicissitudes et des crises très graves; mais son existence n'éprouvera plus d'interruption jusqu'à ce qu'il aille se fondre avec la troupe de Molière dans la salle de la rue Mazarine. »
Mondory n'était pas seulement un grand acteur; c'était aussi un excellent chef de troupe, très habile metteur en scène et de très bon conseil pour ses compagnons. Nous en avons des preuves manifestes, et c'est surtout grâce à lui que le théâtre du Marais obtint rapidement une grande renommée. Il avait d'ailleurs avec lui des artistes éprouvés, tels que Le Noir et sa femme, L'Espy, Bellemore, Jodelet, Jaquemin Jadot, Alizon, Mme Beauchâteau, Mme de Villiers, etc. On assure que Richelieu aimait beaucoup Mondory et protégeait ses acteurs, et que le cardinal de La Valette leur faisait une pension. Cela n'empêchait pas certaines difficultés de se produire. En 1632, la troupe du Marais avait quitté l'hôtel d'Argent pour aller s'établir dans un jeu de paume dit de La Fontaine, situé rue Michel-le-Comte. Là, les habitants de la rue portèrent plainte de ce voisinage, et le théâtre s'installa dans la salle de la rue Vieille-du-Temple (sur l'emplacement de l'actuel n°88), dont il a été question. Pendant ce temps, un ordre du roi (décembre 1634) obligeait Mondory à se séparer de six de ses meilleurs acteurs : Le Noir et sa femme, Alizon, Jaquemin Jadot, L'Espy et Jodelet, qui devaient s'en aller renforcer la troupe de l'hôtel de Bourgogne. Mondory tint bon, engagea de nouveaux artistes, entre autres Baron père, qui vinrent se joindre à ceux qui lui restaient : Floridor, Villiers et sa femme, d'Orgemont, et avec eux remporta un nouveau succès en jouant la Sophonisbe de Mairet. Du reste, à partir de ce moment, le théâtre du Marais était définitivement fixé et ne devait plus quitter la rue Vieille-du-Temple.

On peut croire que Corneille donna au Marais ses premières pièces, la Galerie du Palais, la Place royale, peut-être aussi Médée et l'Illusion comique. Ce qui est certain, c'est que c'est là qu'il fit jouer le Cid, et l'on sait, en dépit des détracteurs qu'il eut alors, quel fut le succès du chef-d'oeuvre. 

« Il est malaisé, dit Polisson dans son Histoire de l'Académie, de s'imaginer avec quelle approbation cette pièce fut reçue de la cour et de la ville. On ne pouvait se lasser de la voir. » 
Et Mondory lui-même en parle ainsi, dans une lettre reproduite par Conrart : 
« Il est si beau, ce Cid, qui a charmé tout Paris, qu'il a donné de l'amour aux dames les plus continentes, dont la passion a même plusieurs fois éclaté au théâtre public. On a vu seoir en corps aux bancs de ses loges ceux qu'on ne voit d'ordinaire que dans la chambre dorée et sur le siège des fleurs de lys. La foule a été si grande à nos portes, et notre lieu s'est trouvé si petit, que les recoins du théâtre qui servaient les autres fois comme de niches aux pages, ont été des places de faveur pour les cordons bleus, et la scène y a été d'ordinaire parée de croix de chevaliers de l'ordre. »
L'année même qui suivit le Cid, joué en 1636, faillit être fatale au théâtre du Marais, en ce qu'elle le priva tout à coup de son chef. C'est en effet en 1637 que Tristan l'Hermite, le protecteur de Quinault, donna à ce théâtre sa Marianne, dont le succès balança presque celui du Cid, et Mondory remplissait le personnage d'Hérode. Or, un soir, dans l'ardeur qu'il y mettait, il fut frappé d'apoplexie et resta paralysé de la moitié du corps. Force lui fut d'abandonner sa profession. Non seulement, par ce fait, le théâtre perdait son meilleur acteur en même temps que celui qui le dirigeait avec tant d'habileté, mais Corneille l'abandonna pour quelque temps, mais il perdit trois de ses meilleurs artistes, Baron père, Villiers et sa femme, qui s'en allèrent à l'hôtel de Bourgogne, mais Richelieu fut sur le point d'ordonner la réunion des deux théâtres. Il n'en fut rien, et le Marais continua d'exister; cependant il tomba, au moins pour un temps, à un rang secondaire. Il s'adonna alors à la farce et se laissa ainsi déchoir pendant quelques années. Il retrouva cependant le succès avec le Menteur et sa Suite (1642-1643), que Corneille lui donna après avoir donné Cinna et Polyeucte à l'hôtel de Bourgogne. Un peu plus tard il retrouva tout à fait la vogue avec les premières tragédies de Thomas Corneille : Timocrate, Bérénice et la Mort de l'empereur Commode, dont le succès fut si grand, surtout pour cette dernière, que le roi et la cour n'hésitèrent pas à l'y aller voir. Puis ce fut le Sertorius et la Pulchérie de Corneille, qui attirèrent encore le public. A cette époque, les acteurs du Marais étaient Rosimond, La Roque, Verneuil, Guérin d'Etriché, Du Pin, Dauvilliers Marotte-Beaupré, Mlles des Urlis, Roste, Vallée, Champmeslé, Auzillon, Clérin Dauvilliers, Du Pin, Guyot. C'est l'époque où l'on voit le Marais se lancer dans un autre genre et s'adonner à ce qu'on pourrait appeler la féerie, c.-à-d. aux « pièces à machines » et à grand spectacle, avec décors superbes, mise en scène somptueuse, danse, musique, etc., quelque chose comme des demi-opéras, dont la partie musicale était confiée à des compositeurs d'une véritable valeur, tels que Charpentier et Mollier. Il se fit en ce genre une sorte de spécialité : le Mariage d'Orphée et d'Eurydice de Chapoton; Ulysse dans l'île de Circé, les Amours de Jupiter et de Sémélé, la Fête de Vénus de l'abbé Bayer; la Toison d'or de Corneille; le Nouveau Festin de Pierre de Rosimond; les Amours de Vénus et d'Adonis, les Amours du soleil, le Mariage de Bacchus et d'Ariane de Visé, etc.

La mort de Molière, en 1673, allait changer la situation des théâtres. Lully, qui trouvait son Opéra mal à son aise rue de Vaugirard, s'empressa de demander à Louis XIV, qui la lui accorda aussitôt, la jouissance de la salle du Palais-Royal, dont il fallut déloger alors la troupe du grand homme. Le roi ne trouva rien de mieux que d'obliger celle-ci à se fondre avec celle du Marais, mais en même temps il ordonnait de fermer ce dernier théâtre. Heureusement se trouvait vacante la salle Guénégaud, construite peu d'années auparavant pour, le premier Opéra de Perrin et Cambert, dont Lully avait pris la succession. C'est là que se réfugièrent les deux troupes de Molière et du Marais, réunies en une seule sous le nom de troupe du roi, tandis que celle de l'hôtel de Bourgogne conservait son titre de troupe royale. La troupe du roi débuta dans la salle Guénégaud le 9 juillet 1673, par une représentation de Tartufe, et à partir de ce jour le théâtre du Marais cessa d'exister. Il ne tarda pas à être démoli.

Il exista un second théâtre du Marais, qui fut fondé sous ce titre, en 1791, par un ancien artiste fort distingué de la Comédie-Italienne, Langlois-Gourcelles, avec l'aide et, dit-on, l'assistance pécuniaire de Beaumarchais. Ce théâtre était situé rue Culture-Sainte-Catherine (aujourd'hui rue de Sévigné), et l'on en peut voir encore la façade. 

« La salle du Marais, disait un annaliste du temps, est d'une forme et d'un goût antique, mais noble, élégante, et qui, nous l'avouons, nous a paru l'emporter sur la plupart des autres salles. La scène est bien dégagée, le théâtre est beau, les décorations fraîches et pittoresques, et les issues vastes et commodes. La salle du Marais peut contenir 1500 à 1600 personnes, quoique au premier aspect elle paraisse étroite et concentrée. On voit et on entend les acteurs de tous les coins de cette salle. » 
On jouait au théâtre du Marais la tragédie, le drame et la comédie, et sa troupe était excellente. Elle comprenait les noms des Baptiste aîné et cadet, qui firent plus tard les beaux jours de la Comédie-Française; de leur père et de leur mère, et ceux de Perrond, Dubreuil, Duruissel, Duparai, qui fut aussi à la Comédie-Française; Valroy, Bourdais, Folly, Dugrand, Lasozelière, Perlet, Lejeune, Mmes Verteuil, Duruissel, Paulin, Belleval, Pellier, Destival et Gontier. Beaumarchais fit reprendre là presque tous ses ouvrages, et il y donna la première représentation de sa Mère coupable. En fait de nouveautés on y donna le fameux drame de La Martelière, Robert, chef de brigands, dont le succès fut éclatant, et un autre drame de Mercier, Jean Hennuyer, que de mauvais plaisants appelaient Jean Hennuyeux :
« La première année de l'établissement du nouveau théâtre fut heureuse, dit un autre chroniqueur, mais la seconde n'y répondit pas. Les événements se succédèrent si rapidement qu'en très peu de temps cette entreprise fut absolument ruinée, et vers le milieu de 1793 Baptiste aîné, premier rôle de cette troupe, étant entré au théâtre de la République avec sa famille, Langlois-Courcelles, abandonné de son principal soutien, se vit dans la nécessité de déclarer qu'il ne pouvait satisfaire à ses engagements. »
Le théâtre du Marais fut donc fermé, et pendant quelques années servit successivement à plusieurs troupes de rencontre qui ne réussirent jamais à y attirer le public. (A. Pougen).
.


Dictionnaire Villes et monuments
A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z
[Aide][Recherche sur Internet]

© Serge Jodra, 2008. - Reproduction interdite.