| Gros-Guillaume (Robert Guérin, dit Lafleur et dit). - Bateleur et acteur français, né vers 1554, mort, dit-on, âgé de quatre-vingts ans, vers 1634 ou 1635. Dans la dernière partie du XVIe siècle, trois joyeux compagnons, boulangers de leur état et très épris de distractions scéniques, formèrent le dessein de se réunir pour se livrer sans contrainte à leur penchant naturel. C'était l'époque ou les jeux des clercs de la Basoche et des Enfants-sans-Souci commençaient à prendre fin. La farce menaçait de disparaître, et ce spectacle toujours chéri du bon peuple parisien n'avait plus de représentants. Nos trois amis se mirent en tête de la relever de l'état misérable ou elle était tombée et de la faire revivre aux yeux du populaire et pour sa plus grande joie. Ces trois hommes, appelés en effet à devenir des farceurs célèbres et dont la renommée s'est perpétuée jusqu'à nous, étaient de leurs vrais noms Robert Guérin, Hugues Guéru et Henri Legrand, et se firent connaître sous les sobriquets de Gros-Guillaume, Gaultier-Garguille et Turlupin. Ce furent, comme on l'a dit, de vaillants farceurs et des bouffons homériques, qui durant près d'un demi-siècle amusèrent tout Paris et à qui l'on peut croire que Molière lui-même dut quelque chose. Leur projet bien arrêté et le tablier de mitron sans peine abandonné, ils s'en vont louer à bas prix un petit jeu de paume sis dans les environs de la porte Saint-Jacques, aménagent tant bien que mal ce local improvisé, fabriquent des semblants de décors avec quelques voiles de bateau grossièrement peintes, fixent le prix de leurs places à deux sols six deniers et ouvrent enfin leur théâtre, où ils donnaient chaque jour deux représentations, la première, pour les écoliers, à une heure après-midi, la seconde, le soir, pour le grand public. Leurs pasquinades, leurs lazzis, leurs quolibets, leurs grivoiseries réussirent si bien, ils y déployaient une telle verve, une telle ardeur, un tel sentiment de la bouffonnerie la plus grotesque, leur grosse gaieté était si naturelle et si communicative, que les spectateurs accoururent en foule et que leur succès fut prodigieux. C'est à ce point qu'au bout de quelques années ils durent quitter leur baraque de la porte Saint-Jacques pour aller s'installer bourgeoisement à l'Hôtel de Bourgogne, où la vogue les suivit, à cet hôtel de Bourgogne où les confrères de la Passion les avaient précédés et où leurs successeurs devaient être les vrais fondateurs de notre théâtre régulier. Là, toutefois, sans abandonner la farce, qui fut leur gloire et qu'ils ne cessèrent jamais de pratiquer, ils se livrèrent aussi à l'interprétation de la comédie. Mais, pour montrer sans doute qu'ils tenaient à honneur de continuer leurs traditions, s'ils prirent, pour jouer la comédie proprement dite, les nouveaux surnoms de Lafleur, Fléchelle et Belleville, ils conservèrent, pour la parade et pour la farce, les anciens sobriquets sous lesquels ils s'étaient fait connaître. Gros-Guillaume semble avoir été le chef de ce trio de farceurs qui pendant tant d'années fit la joie du populaire parisien, toujours entêté de spectacle et de jeux scéniques. Et, cependant, le pauvre diable n'était guère servi ni par son physique ni par sa santé. Gros comme un muid et d'une corpulence phénoménale, à ce point que les loustics prétendaient qu'il marchait longtemps après son ventre, il lui fallait, comme plus tard Montfleury, se cercler le corps pour ne pas éclater. Vêtu d'une sorte de robe ou de sac informe, il était obligé d'avoir deux ceintures, l'une sous le bras, l'autre, non à la taille, mais au milieu des cuisses, son ventre débordant par-dessus. Dans cet accoutrement, on ne voyait guère ses jambes, dont le bas seulement paraissait, couvert d'un court pantalon, les pieds étant chaussés de souliers à bouffettes. Le costume était complété d'une façon grotesque par une sorte de calotin ou de petit bonnet minuscule fixé tout à fait sur le côté gauche de la tête, que garnissait une large coiffure blanche. A l'encontre de ses deux compagnons, il ne portait pas de masque, mais enfarinait abondamment sa large face, au point que, par un simple mouvement des lèvres ou des sourcils, il avait la faculté de couvrir de farine son interlocuteur, et ce à la grande joie du spectateur. On raconte qu'à cette grosseur anormale, qui était une véritable infirmité, venait se joindre, pour Gros-Guillaume, les souffrances d'une maladie cruelle, la pierre, et que les douleurs atroces qu'il en ressentait en scène lui faisaient faire des contorsions et des grimaces qui excitaient le fou rire des spectateurs, ignorants de leur cause. Tout cela ne l'empêchait pas d'être un maître ivrogne et de se saouler en basse compagnie, au dire de Sauval, ne fréquentant que les savetiers et leurs pareils, et n'étant jamais si excellent devant le public que lorsqu'il avait la panse pleine, et Dieu sait s'il fallait de quoi la remplir! Selon Sauval encore, il « n'aima jamais qu'en bas lieu et se maria, en vieux pécheur, sur la fin de ses jours, à une fille assez belle et déjà âgée ». Des trois compagnons, Gros-Guillaume était le moins lettré, bien qu'on ait publié, en 1619, un certain Advis de Gros-Guillaume sur les affaires de ce temps. Quelques-uns ont cru qu'il était l'auteur de cette pièce satirique, mais le fait est absolument controuvé, en dépit du titre de cette publication. Le langage de Gros-Guillaume était d'ailleurs non seulement cynique, mais absolument grossier. Il n'empêche que ce fut un farceur de génie, si tant est que le mot puisse s'appliquer à la chose, et qu'il était, ainsi que ses deux amis, doué d'une puissance comique irrésistible. Et le talent de ces trois hommes s'alliait si bien que leur ensemble produisait un effet prodigieux, que ce fût en scène même et dans l'intérieur de l'Hôtel de Bourgogne, lorsqu'ils jouaient leurs comédies grasses, on à l'extérieur, lorsqu'ils faisaient la parade et que, se laissant aller à leurs inspirations, ils régalaient leur auditoire de scènes burlesques et grossières, où leur langage haut en couleur et agrémenté d'expressions salées, de lazzis équivoques et de mots moins équivoques, excitait les rires de la foule. Ce qui est certain, c'est qu'après quatre siècles leurs noms sont encore fameux, qu'ils appartiennent à l'histoire du théâtre en France, et que leur souvenir vivra tant que cet art du théâtre aura des admirateurs et des fervents. | |