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Thomas Corneille, frère de Pierre Corneille, est né à Rouen le 20 août 1625, mort aux Andelys le 8 décembre 1709. Comme son frère, il fit ses études au collège des jésuites de cette ville et y obtint de brillants succès. A la fin de sa rhétorique il composa une pièce de vers latins que le régent du collège trouva si remarquable qu'il la substitua à celle qu'il avait lui-même composée pour la distribution des prix. Il fut reçu avocat au parlement de Normandie, mais quitta bientôt sa ville natale pour venir à Paris. Les succès de son frère au théâtre le décidèrent à suivre ses traces. Doué d'une facilité remarquable, il donna quarante-deux pièces de théâtre (et non trente-trois ainsi que le dit Voltaire). Il débuta en 1647 par les Engagements du hasard, représentés sur la scène de l'Hôtel de Bourgogne; c'est une comédie en cinq actes et en vers dont le sujet est pris dans deux pièces de Calderon. En 1648, il donna le Feint Astrologue, imité aussi de Calderon; en 1650, Don Bertrand de Cigaral qui fut joué avec succès à Paris et sur le théâtre de la cour : les principales situations en sont empruntées à don Francisco de Rojas. Les pièces suivantes, toutes comédies, en cinq actes et en vers, offrent comme celles que nous venons de citer des intrigues espagnoles, alors si à la mode; ce sont : l'Amour à la mode (1653), imité d'une pièce d'Antonio de Solis; le Berger extravagant (1654), pastorale burlesque; les Illustres Ennemis (1654) et le Charme de la voix (1655); cette dernière pièce imitée de Moreto n'eut pas de succès; le Geôlier de soi-même ou Jodelet prince (1655), sujet que Scarron avait déjà traité dans le Gardien de soi-même. Après 1655, Thomas Corneille, qui avait, comme son frère, débuté par la comédie et avec plus de succès que lui, s'adonna, comme Pierre, à la tragédie. En 1656, il donna Timocrate qui obtint un succès prodigieux et fut joué pendant six mois d'une façon continue : Louis XIV alla entendre la pièce au théâtre du Marais; au bout de quatre-vingts représentations, les acteurs se lassèrent de jouer toujours la même pièce et cessèrent de la donner, bien que le public n'en fût pas fatigué. Ce fut, selon Despois, « le plus grand succès dramatique de tout le siècle ». Le sujet de Timocrate est tiré du roman de Cléopâtre: le héros de la pièce joue un double personnage; sous le nom de Timocrate, il assiège la reine d'Argos dans sa ville, et sous celui de Cléomène il la défend et est l'amant de sa fille. C'est dans ce sujet et les incidents romanesques de l'intrigue qu'il faut chercher l'explication de la vogue de l'ouvrage. En 1657, parut Bérénice, tirée du roman de Cyrus de Mlle de Scudéry; en 1658, la Mort de l'empereur Commode qui rencontra beaucoup de faveur auprès du public; en 1660, deux tragédies, Darius et Stilicon; la dernière est restée longtemps à la scène et l'intrigue en est bien suivie. Cette même année 1660, parut la comédie du Galant doublé, qui a une intrigue espagnole et fut suivie de six tragédies; ce furent d'abord Camma et Pyrrhus (1661) : l'affluence du public fut si grande pendant les premières représentations de Camma qu'il ne restait plus de place aux acteurs sur la scène; c'est la pièce la mieux suivie de Thomas ; l'action et le dénouement présentent également de l'intérêt. En 1662, parurent Maximian, Persée et Démétrius; en 1666, Antiochus; en 1668, Laodice; cette même année une comédie, le Baron d'Albikrac fut jouée avec, succès. En 1669, parut une tragédie, la Mort d'Hannibal, suivie d'une comédie en vers, la Comtesse d'Orgueil (1670), et de la tragédie de Théodat (1672). L'année suivante, Thomas Corneille fit une comédie intitulée le Festin de Pierre, où il se contenta de mettre en vers la comédie de Molière, en supprimant et ajoutant quelques scènes : à cette époque on jouait cette pièce sur presque tous les théâtres de Paris; Dorimond, Rosimond, Pierre de Villiers avaient aussi composé chacun un Festin de Pierre; l'original est une comédie de Tirso de Molina (le Convive de pierre). La même année, Thomas Corneille composa, en collaboration avec de Visé, une comédie héroïque, l'Inconnu, qui reçut du public un accueil enthousiaste. L'Inconnu, repris en 1679 et 1703, fut donné en 1724 aux Tuileries avec un ballet où Louis XV et toute la cour dansèrent. Trois ans après l'Inconnu parut une tragédie, le Comte d'Essex (1678) qui avait été écrite en quarante jours, c'est une pièce assez médiocre, commentée par Voltaire à la suite du Théâtre de Pierre Corneille. La même année, Thomas Corneille, sur le conseil de Racine et de Boileau qui voulaient l'opposer à Quinault, aborda sans succès le genre lyrique: il composa Psyché, mis en musique par Lulli, puis Bellérophon (1679) (ces deux pièces en collaboration avec Fontenelle), et longtemps après Médée (1693), mise en musique par Charpentier. Bradamante (1695) est une mauvaise tragédie imitée de l'Arioste. Citons enfin parmi les oeuvres de notre auteur : le Triomphe des Dames, comédie en cinq actes, mêlée d'ornements, avec l'explication du combat à la barrière, et de toutes les devises (1676), sorte de programme en prose, suivi de divertissements en vers; la Pierre philosophale (1681), comédie en cinq actes et en prose, avec chants et danses, jouée une seule fois, dont nous n'avons que le programme; les Dames vengées ou la Dupe de soi-même (1682), comédie en cinq actes et en prose, en réponse à la satire de Boileau; le Baron de Fondrières (1686), comédie en prose qui ne fut pas imprimée et ne fut jouée que deux fois. Thomas Corneille collabora à quelques autres pièces, au Comédien poète de Montfleury (1673), à la Devineresse ou les Faux Enchantements de Visé (1679), au Deuil de Hauteroche (1682), à la Dame invisible imitée de Calderon. Ses pièces sont en général conduites avec assez d'art et les situations variées; mais le style est faible, fade, entortillé : beaucoup de ses pièces ne sont que des romans dialogués. Il avait une facilité déplorable : Voisenon rapporte que lorsque Pierre Corneille ne trouvait pas une rime, il levait une trappe et la demandait à son frère qui la donnait aussitôt. Les deux frères étaient fort unis : ils avaient épousé les deux soeurs et vivaient ensemble sans distinction d'intérêts ou de fortune. Tant que Pierre vécut, Thomas fut appelé le jeune Corneille et lui-même se plaisait à appeler son frère le grand Corneille. Thomas avait une mémoire prodigieuse; c'était un homme d'un commerce fort agréable, doux, modeste, instruit, plein de sentiment : tous ses contemporains lui rendent justice; s'il eut quelques travers, comme la vanité de prendre le titre d'écuyer, sieur de l'Isle, on ne lui en sut pas mauvais gré et Molière fut un des seuls à l'en railler. Thomas Corneille avait donné presque toutes ses oeuvres dramatiques lorsqu'il fut reçu à l'Académie française à la mort de son frère (1683). Il sollicitait depuis longtemps « C'est cette conformité que nous avons tous eue en vue, lorsque tout d'une voix nous vous avons appelé pour remplir sa place. »Peu de temps après son entrée à l'Académie, Thomas Corneille publia les Remarques de Vaugelas avec des notes (1687). Il prit une part active aux travaux du dictionnaire et après sa publication, en 1694, il composa un supplément, dictionnaire en deux volumes in-fol., contenant les termes des arts et des sciences que l'Académie n'avait pas voulu insérer dans son édition. Cet ouvrage témoigne de la même curiosité d'esprit que celui de Chambers et que l'Encyclopédie. Corneille fut un des commissaires nommés pour juger les différends de l'Académie avec Furetière et l'un des vingt qui votèrent son exclusion. En 1691, il eut la joie de recevoir le fils de sa soeur, Fontenelle. Pendant longtemps il collabora avec de Visé, son ami, au Mercure galant. En 1701, il fut admis à l'Académie des inscriptions et belles-lettres. Peu de temps après, il perdit la vue, ce qui ne l'empêcha pas de terminer un Dictionnaire universel, géographique et historique, qui parut en 1708 et auquel il travaillait depuis quinze ans. Il mourut l'année suivante, dans un état voisin de la gêne. On a dit que le grand Corneille avait fait du tort à sa réputation et à sa mémoire. Peut-être, au contraire, la gloire de Pierre a-t-elle contribué à jeter quelque éclat sur les oeuvres et sur le souvenir de son frère. (GE). Les ouvrages de Thomas Corneille sont les suivants Oeuvres dramatiques (Paris, 1682, 1692, 1706 et 1722, la meilleure édition), parues ensuite sous le titre de Poèmes dramatiques (1738, 5 vol in-12); les quatre premiers livres des Métamorphoses d'Ovide, traduites en vers (Paris, 1669, in-12); Pièces choisies d'Ovide, traduites en vers (Paris, 1670, in-12); Remarques de M. de Vaugelas sur la langue française, avec notes (Paris, 1687, 2 vol. in-12; Rotterdam, 1690; Paris, 1738); Dictionnaire des arts et des sciences pour servir de supplément au Dictionnaire de l'Académie (Paris, 1694, 1720, 1732, 2 vol. in-fol., cette dernière édition revue par Fontenelle); les Métamorphoses d'Ovide, mises en vers français (Paris, 1697 et 1700; Liège, 1698); Observations de l'Académie française sur les Remarques de M. de Vaugelas (Paris, 1704 ; La Haye, 1703, 2 vol. in-d2); Dictionnaire universel géographique et historique (Paris, 1708, 3 vol. in-fol.); enfin, une édition augmentée de l'Histoire de la monarchie française sous le règne de Louis XIV, par de Riencourt (Paris, 1697, 3 vol. in-12). (Entre Pierre Corneille et Thomas Corneille, il ne faut pas oublier de placer un frère qui est né le 9 juillet 1611; on ne cannaît pas l'époque de sa mort. Il était chanoine régulier au Mont-aux-Malades, près de Rouen ; il cultiva Ia poésie et partagea les succès de son frère Thomas dans les concours des Puys de Rouen. Il est à peine mentionné dans la correspondance de son frère aîné). |
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