| François Tristan L'Hermite est un poète dramatique né au château de Souliers ou Soliers, dans la Marche, en 1601; mort à Paris en 1655. Il prétendait descendre de Pierre l'Hermite, qui, comme on sait, prêcha la première croisade, et de Tristan l'Hermite, grand prévôt du roi Louis Xl. Il a raconté lui-même dans le Page disgracié sa jeunesse aventureuse. François Tristan fut, dans son enfance, conduit à la cour et placé auprès du marquis de Verneuil, bâtard de Henri IV. A treize ans, s'étant pris de querelle avec un garde du corps, il eut le malheur de le tuer en duel et s enfuit à l'étranger, car les édits du temps étaient d'une extrême sévérité à l'égard des duellistes. Le jeune homme passa en Angleterre, où il ne trouva que la pauvreté. Las d'une vie précaire, il résolut de se rendre à la cour de Castille, où se trouvait un de ses parents; mais, comme il traversait le Poitou incognito, l'argent vint à lui manquer complètement et il dut accepter les bienfaits de Scévole de Sainte-Marthe, qui le garda plus d'un an chez lui. Grâce à ce dernier, Tristan devint secrétaire du marquis de Villars-Montpezat, qu'il suivit à Bordeaux, où la cour était de passage (1620). Ce fut là que, par le crédit de M. d'Humières, gentilhomme de la chambre du roi, Tristan rentra en grâce et put revenir à Paris. Il y fut attaché, en qualité de gentilhomme, à Gaston, duc d'Orléans, et il employa ses loisirs à rimer des madrigaux et à travailler pour le théâtre. Grâce à l'excellent acteur Mondory, sa tragédie de Marianne (ou Mariamne) eut un succès éclatant (1637) et balança quelque temps la gloire de Corneille , qui d'ailleurs en estimait le cinquième acte. Cette pièce est, en effet, la meilleure de celles de Tristan. Bien que le plan en soit, par endroits, défectueux, le style un peu lâche et qui ne pourrait sans doute supporter aujourd'hui la représentation, le sujet est intéressant et le caractère principal, celui d'Hérode, bien dessiné. - Le Promenoir de deux amants « Auprès de cette grotte sombre Où l'on respire un air si doux, L'onde lutte avec les cailloux Et la lumière avecque l'ombre. Ces flots lassés de l'exercice Qu'ils ont fait dessus ce gravier Se reposent dans ce vivier Où mourut autrefois Narcisse. C'est un des miroirs où le faune Vient voir si son teint cramoisi, Depuis que l'Amour l'a saisi, Ne serait point devenu jaune. L'ombre de cette fleur vermeille Et celle de ces joncs pendants Paraissent être là-dedans Les songes de l'eau qui sommeille. Dans ce bois ni dans ces montagnes Jamais chasseur ne vint encor; Si quelqu'un y sonne du cor, C'est Diane avec ses compagnes. Ce vieux chêne a des marques saintes; Sans doute qui le couperait, Le sang chaud en découlerait Et l'arbre pousserait des plaintes. Ce rossignol mélancolique Du souvenir de son malheur Tâche de charmer sa douleur, Mettant son histoire en musique. Il reprend sa note première Pour chanter d'un art sans pareil Sous ce rameau que le soleil A doré d'un trait de lumière. Sur ce frêne deux tourterelles S'entretiennent de leurs tourments Et font les doux appointements De leurs amoureuses querelles. Un jour Vénus avec Anchise Parmi ses forts s'allaient perdant, Et deux Amours en l'attendant Disputaient pour une cerise. Dans toutes ces routes divines Les Nymphes dansent aux chansons, Et donnent la grâce aux buissons De porter des fleurs sans épines. » (F. Tristan L'Hermite). | Dès lors, la réputation de l'auteur fut solidement établie, et, en 1649, il hérita, à l'Académie française, du fauteuil qu'occupait La Ménardière. Tristan était un joueur forcené. Il lui arriva de perdre mille pistoles dans une soirée; de là de grands embarras, des gênes momentanées et, parfois, un débraillé qui ont fait croire à tort qu'il n'avait ni sou ni maille. Jamais le duc d'Orléans, son maître, ni le cardinal de Richelieu, qui pourtant protégea tant de médiocrités, ne lui firent aucun bien. Ce dernier nourrissait probablement de secrets sentiments de jalousie, et ce qui le prouverait, c'est que Tristan n'arriva à l'Académie qu'après la mort de l'Eminence. Cependant, le poète n'avait pas manqué de célébrer le grand ministre dans quelques stances, dont une au moins est assez belle : Votre esprit agissant et fort Ne doit point aux erreurs du sort Son autorité non commune; Et l'habit éclatant dont vous êtes vêtu N'est pas un de ces biens que jette la fortune, Mais c'est un de ces biens que donne la vertu. Vertu n'est peut-être pas le mot propre, appliqué au fameux cardinal, mais "que jette la fortune " est une expression juste et bien frappée. Tristan se prit d'une vive amitié pour le poète Quinault, dont les débuts furent difficiles; il le logea dans sa maison, le fit manger à sa table et l'aida à lancer ses premiers essais. Quinault s'essaya par une pièce intitulée les Rivales; mais comment la faire accepter des comédiens? L'officieux Tristan imagina de la présenter comme sienne; mais, par malheur, la mèche fut éventée et les comédiens, qui avaient promis cent écus, ne voulurent plus donner que la moitié de cette somme. Après discussion, on tomba d'accord et on convint que l'auteur serait payé au prorata de la recette. Jamais pareil arrangement n'avait été pris jusqu'alors, et ceci est bon à noter. Tristan l'Hermite, qui mourut poitrinaire à l'hôtel de Guise et fut enterré à Saint-Jean-en-Grève, avait légué une somme importante à son ami Quinault, et celui-ci, grâce à ce bienfait, put acheter une place de valet de chambre du roi. - La Mer « Nul plaisir ne me peut toucher, Fors celui de m'aller coucher Sur le gazon d'une falaise Où mon deuil se laissant charmer Me laisse rêver à mon aise Sur la majesté de la Mer. L'eau qui s'est durant son reflux Insensiblement évadée, Aux lieux qu'elle ne couvre plus A laissé la vase ridée; C'est comme un grand champ labouré; Nos soldats, d'un pas assuré, Y marchent sans courir fortune; Et s'avançant bien loin du bord S'en vont jusqu'au lit de Neptune Considérer le dieu qui dort. Le vent qui murmurait si haut Tient maintenant la bouche close, De peur d'éveiller en sursaut La divinité qui repose. La Mer dont la tranquillité Avecque tant d'humilité Dissimule son insolence, Qu'on ne peut soupçonner ses flots De la cruelle violence Dont se plaignent les matelots. Le soleil à longs traits ardents Y donne encore de la grâce, Et tâche à se mirer dedans Comme on ferait dans une glace. Mais les flots de vert émaillés Qui semblent des jaspes taillés S'entredérobent son visage, Et par de petits tremblements Font voir au lieu de son image Mille pointes de diamants. Quand cet astre ne vient encor Que de commencer sa carrière Dans des cercles d'argent et d'or, D'azur, de pourpre et de lumière; Quand l'Aurore en sortant du lit, Elle que la honte embellit, Rend la couleur à toutes choses, Et montre d'un doigt endormi Sur un chemin semé de roses La clarté qui sort à demi, Au lever de ce grand flambeau Un étonnement prend les âmes, Voyant ici naître de l'eau Tant de couleurs et tant de flammes. C'est lors que Doris et ses soeurs, Bénissant les claires douceurs Du nouveau jour qui se rallume, S'apprêtent à faire sécher Leurs cheveux blanchissants d'écume Dessus la croupe d'un rocher. Souvent, de la pointe où je suis, Lorsque la lumière décline, J'aperçois des jours et des nuits En même endroit de la marine, C'est lorsqu'enfermé de brouillards Cet astre lance des regards Dans un nuage épais et sombre, Qui réfléchissant à côté Nous font voir des montagnes d'ombre Avec des sources de clarté. Lorsque le temps se veut changer, Que la Nature qui s'ennuie Se va quelque part décharger De sa tristesse avec la pluie, Lors, mille monstres écaillés, Que la tourmente a réveillés Sortent de l'onde à sa venue, Saluant Iris dans les cieux, Qui vient étaler dans la nue Tous les délices de ses yeux. Mais voici venir le montant, Les ondes demi-courroucées Peu à peu vont empiétant Les bornes qu'elles ont laissées. Les vagues, d'un cours diligent, A longs plis de verre ou d'argent Se viennent rompre sur la rive Où leur débris fait à tout coup Rejaillir une source vive De perles parmi les cailloux. Sur ces bords d'ossements blanchis De pauvres pêcheurs font la ronde, Espérant bien d'être enrichis Par quelque largesse de l'Onde. Car la Mer éternellement Garde ce noble sentiment Avecque son humeur brutale, De n'engloutir aucuns trésors Que d'une fougue libérale Elle ne jette sur ses bords. Quand les vagues s'enflent d'orgueil Et se viennent crever de rage Contre la pointe d'un écueil Où cent barques ont fait naufrage, Alors qu'une sombre vapeur Imprime une mortelle peur Avec ses présages funestes, Et que les vents séditieux Pour éteindre les feux célestes Portent l'eau jusque dans les cieux, Le vaisseau poussé dans les airs N'aperçoit point de feux propices On n'y voit au jour des éclairs Que gouffres et que précipices. Tantôt il est haut élancé, Tantôt il se trouve enfoncé Jusque sur les sablons humides, Et se voit toujours investir De grosses montagnes liquides Qui s'avancent pour l'engloutir. L'orage ajoute une autre nuit A celle qui vient dessus l'onde, Et la Mer fait un si grand bruit Qu'elle en assourdit tout le monde. La foudre éclate incessamment, Et dans ce confus élément Il descend un si grand déluge, Qu'à voir l'eau dans l'eau s'abîmer, Il n'est personne qui ne juge Qu'une Mer tombe dans la Mer. Le Pilote désespéré Du temps qui l'est venu surprendre N'a pas le front plus assuré Qu'un criminel qu'on mène pendre. La noire image du malheur Confond son art et sa valeur; Il ne peut faire aller aux voiles, Il n'entend plus à son travail, Ne reconnaît plus les étoiles Et ne tient plus le gouvernail. Son sens ne se peut rappeler, Son courage vient à se rendre, Il n'a plus l'esprit de parler, Ni ses gens celui de l'entendre. Il se perd dans l'obscurité, Et si quelque faible clarté Lui paraît parmi les ténèbres, Dans le ciel tout tendu de deuil, Il croit voir des flambeaux funèbres Allumés dessus son cercueil. Après cette grande rumeur Les vents tout à coup font silence, Et la Mer en meilleure humeur Perd sa rage et sa violence. Les Tritons d'écailles vêtus Avecque leurs cornets tortus En sonnant charment la furie, Et, se montrant de tous côtés, Apaisent la mutinerie Où les flots s'étaient emportés. Le jour, en partant d'Orient, L'écume toute fraîche éclaire, Et poursuit son cours en riant D'avoir mis la mer en colère. Ceux que le ciel a préservés A l'heure se voyant sauvés Reprennent aussitôt courage, Et perdent leurs dévotions Et le souvenir de l'orage, Voyant voguer les Alcyons. » (F. Tristan L'Hermite). | Les petites pièces de vers de Tristan l'Hermite, qu'on trouve dans les recueils de Barbin, de Bruzan de La Martinière et ailleurs, sont loin d'être irréprochables. Tout lecteur de goût les trouve négligées, incorrectes et souvent prétentieuses et emphatiques. Toutefois, quelques-unes ne sont pas sans mérite. Pour eu donner une idée, nous en citerons deux, une épigramme et un sonnet. Voici l'épigramme : Duport à l'aimer me muais Et proteste assez hautement Que, pour prendre soin de mn vin, Il m'a mis dans son testament. Mais je me trouve, sur mou livre, Plus vieux de quinze sus que Duport. Oh ! que j'aurai de bien pour vivre, Quinze ou vingt ans a pros ma mort! Finissons par ce sonnet burlesque, très réussi réussi sur l'Enlèvement d'Europe : Europe, s'appuyant d'une main sur la croupe, Et se tenant, de l'autre, aux cornes du taureau Regardoit le rivage et réclamoit sa troupe Qui s'affligeoit de voir cet accident nouveau. Tandis, l'amoureux dieu, qui brusloit dedans l'eau, Fend son jaspe liquide et de ses pieds le coupe Aussi légèrement que peut faire un vaisseau Qui le vent favorable a droitement en poupe. Mais Neptune, envieux de ce ravissement, Disoit par mocquerie à ce lascif amant. Dont l'impudique ardeur n'a jamais eu de bornes : "Inconstant qu'un sujet ne sçauroit arrester, Puisque malgré Junon tu veux avoir des cornes, Que ne se résout-elle à t'en faire porter? L'imagination n'est-elle pas des plus drolatiques? Scarron n'eût pu, en ce genre, faire mieux. Ici Tristan l'a égalé en bouffonnerie. (PL). - Sonnet « C'est fait de nos destins : je commence à sentir Les incommodités que la vieillesse apporte. Déjà la pâle Mort pour me faire partir D'un pied sec et tremblant vient frapper à ma porte. Ainsi que le Soleil sur la fin de son cours Paraît plutôt tomber que descendre dans l'onde, Lorsque l'homme a passé les plus beaux de ses jours D'une course rapide il passe en l'autre monde. Il faut éteindre en nous tous frivoles désirs, Il faut nous détacher des terrestres plaisirs Où sans discrétion notre appétit nous plonge. Sortons de ces erreurs par un sage conseil; Et cessant d'embrasser les images d'un songe, Pensons à nous coucher pour le dernier sommeil. » (F. Tristan L'Hermite). |
| Editions anciennes - Voici l'indication des ouvrages dramatiques et autres de François Tristan l'Hermite : Marianne, tragédie (1637); Penthée (1639); la Mort de Sénèque (1645); la Mort de Crispe (1645); Osman (1656); la Folie du sage, tragi-comédie (1645); Amaryllis, pastorale (1653); le Parasite, comédie (1651); Marianne eut trois éditions et fut retouchée par J.-B. Rousseau en 1731. Tristan a donné des recueils de vers, qui sont : les Amours (publié d'abord sous ce titre : Plaintes d'Acante, etc., (1634); la Lyre, l'Orphée et Mélanges poétiques (1641); Vers héroïques (1648); Lettres mêlées (1642); Plaidoyers historiques ou Discours de controverse (1640 ou 1650), dont on croit que Tristan ne fut que l'éditeur; le Page disgracié (1643, 1665 ou 1667, 2 volumes), récit des aventures et voyages de jeunesse de l'auteur, qui n'a pas eu à faire de grands frais d'imagination, et s'est borné à recueillir ses souvenirs ou à rassembler ses notes; les Heures de la sainte Vierge (1653), en vers et en prose. Il a fait des vers passables à la louange de Guez de Balzac et on lui attribue divers autres travaux. En bibliothèque - Olivet, Histoire de l'Académie française, t. II - Parfaict, Histoire du théâtre français, t. V. - Pellisson. Histoire de l'Académie française; Amédée Carriat, Jean-Pierre Chauveau, Isabelle de Conihout, Tristan L'Hermite, 1601-1655, ou, Le page disgracié, Bibliothèque Mazarine, 2001. En librairie - François Tristan-L'Hermite, Oeuvres complètes, Honoré Champion, 1999- 2000, I - Prose, II - Poésie (1) , III - Poésie (2), IV - Les Tragédies , V - Théâtre (suite), Plaidoyers historiques . - La mort de Sénèque, Société des Textes Français modernes, 2003. - Tristan L' Hermite, La Mariane STFM, 2003. - La Folie du sage, STFM. - Le Parasite, STFM. - Le Page disgracié, Gallimard (Folio), 1994. | | |