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Les mathématiques à la Renaissance
L'invention des logarithmes
Les logarithmes fournissent un outil pour faciliter les calculs numériques complexes en permettant de substituer à une multiplication une addition et à une division une soustraction. Il s'en faut de beaucoup pour que la place des logarithmes dans les mathématiques se limite à cette seule fin. Mais il faut bien noter qu'avant que ne se répande l'usage des calculateurs électroniques, un grand nombre de calculs numériques auxquels mathématiciens, astronomes, physiciens,  ingénieurs, navigateurs et même commerçants, étaient constamment confrontés à auraient été pratiquement impossibles sans eux. Leur invention remonte aux dernières années du XVIe siècle et est due à John Napier, baron de Merchiston (1550-1617). Elle fut signalée pour la première fois au public dans l'ouvrage intitulé Mirifici Logarithmorurn Canonis Descriptio publié en 1614 et dont une traduction anglaise parut l'année d'après, mais, vers 1594, Napier avait déjà communiqué un sommaire de ses résultats à Tycho Brahé

A la Renaissance, les rapides progrès de l'astronomie avaient fait perfectionner les calculs trigonométriques. Comme ces calculs sont longs, à raison des nombres considérables sur lesquels il faut opérer, on avait dû songer à les abréger.

Werner de Nuremberg, très versé dans l'analyse ancienne, comme l'attestent ses Commentarii in Dionysiodori problema, cum libello de Elementis conicis (Nuremberg, 1522), semble avoir le premier imaginé la méthode abréviative, connue sous le nom de prostaphérèse, qui permettait déjà de réduire les calculs de multiplication et de division de la trigonométrie sphérique à de simples additions et soustractions. Mais l'ouvrage de Werner, où cette méthode se trouve exposée, n'était pas encore imprimé, quand Tycho et Wittichius y furent à leur tour conduits par leurs calculs astronomiques. La méthode fut ensuite perfectionnée par Byrge (Joost bürgi) et mise au jour, en 1588, dans le Fundamentum astronomiae de Raymar Ursus, surnommé Dithmarsius. Raymar Ursus, qui se qualifie disciple de Byrge, fut accusé par Tycho de lui avoir dérobé son système, accusation qui donna lieu à un vif échange de libelles. Quel que soit l'auteur de la prostaphérèse, cette méthode allait bientôt être avantageusement remplacée par celle des logarithmes.

Le nom de logarithme, de formation grecque, ne signifie pas, comme on l'a parfois dit, discours sur les nombres, mais raison des nombres (du grec, logos = raison ou rapport, et arithmos = nombre). Il s'applique en effet à des nombres qui ont entre eux des rapports déterminés.

Napier.
Comme nombre de ses contemporains férus de mathématiques, John Napier (ou Néper) s'est préoccupé du moyen de soulager les géomètres et les astronomes dans leurs longs et laborieux calculs. C'est ce qui le conduisit à la découverte des logarithmes. Pour y arriver, Napier avait probablement suivi la voie que nous avons  déjà signalée. Les termes de la progression arithmétique sont les logarithmes, comme qui dirait les numérateurs, des raisons des termes de la progression géométrique. On les désigne par la lettre l. Ainsi, par exemple, l32 (le logarithme de 32) est 5, comme le montrent ces deux progressions correspondantes :

0 1 2 3  4   5   etc.
1 2 4 8 16 32  etc.

Michael Stifel, dans son Arithmetica integra, avait déjà signalé les propriétés des deux progressions, l'une arithmétique (celle des exposants ou logarithmes), l'autre géométrique, qui se correspondent ainsi terme à terme. Mais il lui restait encore un pas à faire pour découvrir le véritable système des logarithmes : il lui aurait fallu essayer de remplir de nombres tous les intervalles des termes de la progression géométrique, et de trouver en même temps les nombres fractionnaires qui devaient leur correspondre dans la progression arithmétique; car, entre 2 et 4, manque 3; entre 4 et 8, manquent 5, 6, 7, et ainsi de suite. En suivant cette voie, il aurait trouvé les logarithmes des nombres naturels. Ce que Stifel n'a pas fait, Napier le fit. Napier publia son invention dans Mirifici logarithmorum canonis descriptio, ejusque usus in utraque trigonometria, etc. (Édimbourg, 1614). Dans cet ouvrage, Napier montre comment les logarithmes peuvent se déduire de la comparaison des termes, correspondants d'une progression arithmétique et d'une progression géométrique. Il fait comprendre leur usage par des exemples et donne des tables avec sept décimales des logarithmes des sinus et des tangentes de tous les angles compris dans le premier quadrant, et variant de minute en minute.

Comme l'auteur avait principalement pour but de faciliter les calculs trigonométriques, ses logarithmes ne sont appliqués dans cet ouvrage qu'aux sinus. On y trouve, en effet, les logarithmes de tous les sinus des degrés et minutes du quart de cercle. Voyant que le sinus total de 90° (quart de cercle) est le plus souvent pris pour le premier terme des proportions auxquelles se réduisent les résolutions des triangles, il fit le logarithme du sinus total égal à zéro, et ses logarithmes croissaient, tandis que ses sinus diminuaient. Quant à ses logarithmes des nombres naturels, ils diffèrent de ceux de les tables modernes : dans ces tables, le logarithme (de base 10) de 10 est 1, ou 1,0000000, au lieu que ce logarithme (dit logarithme naturel ou logarithme népérien) est chez Napier 2,3025850. (Sa définition du logarithme d'une quantité n correspond au nombre défini aujourd'hui par le symbole : 107 log e (107/n )).

La table de Napier, en donnant les logarithmes des tangentes sous le nom de différentielles, les fait positifs quand ils appartiennent à des tangentes d'arcs moindres que 45°; ils sont négatifs, quand ils appartiennent à des arcs plus grands. 

Notons que dans ce premier ouvrage Napier ne communiqua pas la méthode de construction de ses logarithmes; mais il promettait de la faire connaître. Il s'en occupait, lorsqu'il vint à mourir.

Robert Napier remplit la promesse de son père dans un ouvrage posthume qui a pour titre : Mirifici logarithmorum canonis descriptio.... accesserunt opera posthuma Primo, Mirifii ipsius canonis constructio et logarithmorum ad naturales ipsorum numeros habitudines. Secundo, Appendice de alia, eaque proesiantiore logarithmorum specie. Tertio, Propositiones quaedum eminentissimae ad triangula sphaerica mira facultate resolvenda (Édimbourg, 1619). On y trouve le développement de la méthode de construction employée par Napier. Celle-ci semble avoir été très laborieuse et était basée soit sur le calcul direct des puissances et des racines, soit sur la formation de moyennes géométriques. La méthode reposant sur le calcul d'une valeur approchée d'une série convergente a été introduite par Newton, Cotes et Euler.

L'auteur propose aussi de faire, comme on le pratique dans le système usuel, le logarithme de 1 égal à 0, celui de 10 égal à 1, ou 1,0000000, celui de 100 à 2, ou 2,0000000, celui de 1000 à 3, ou 3,0000000, et ainsi de suite. Tous les logarithmes des sinus, tangentes et sécantes se trouvent positifs; les logarithmes des fractions proprement dites ou moindres que l'unité sont seuls négatifs.

« On n'a pas cependant, ajoute ici Montucla, rejeté tout à fait la forme des logarithmes de Napier pour les nombres naturels. Ils ont leur usage dans les géométries transcendantes; car ils représentent les aires de l'hyperbole équilatère entre les asymptotes, l'unité étant la valeur du carré inscrit; c'est pourquoi on les nomme hyperboliques. Ce n'est pas que les autres logarithmes ne représentent aussi des aires hyperboliques, mais elles appartiennent à des hyperboles entre des asymptotes obliques l'une à l'autre. Or l'hyperbole équilatère ou à asymptotes perpendiculaires étant la principale de toutes, elle a donné le nom d'hyperboliques aux logarithmes de Napier. »
Napier paraît avoir consigné ses premières idées sur les logarithmes dans un ouvrage fort curieux, publié également après sa mort, sous la titre de Rhabdologia, seu numeratio per virgulas (Edimbourg, 1627, et Leyde, 1628). La rhabdologie était un moyen propre à faciliter la multiplication et la division des grands nombres. Ce moyen, différent de celui des logarithmes, consistait dans l'emploi de petites baguettes (rhabdi), qui portaient neuf cases carrées, divisées chacune par une diagonale tirée de gauche à droite et de haut en bas. Dans ces cases sont successivement inscrits les neuf multiples du premier ordre que chaque baguette porte en tête, le chiffre des dizaines occupant la case triangulaire inférieure. Cela fait, il n'y a qu'à ranger ces baguettes les unes à côté des autres, de manière qu'elles portent em tête le nombre à multiplier; on trouve dans les range horizontaux chacun des produits partiels presque tout faits; on n'a donc qu'à les transcrire et les additionner, pour avoir le produit total. Cette invention, plus amusante qu'utile, a été expliquée en détail dans le Cours de Mathématiques de Christian de Wolf.

Briggs.
La rapide constatation faite en Europe des avantages que présentait l'emploi des logarithmes dans les calculs pratiques fut principalement due à Henry Briggs (1556-1630), professeur de mathématiques au collège de Gresham à Oxford. L'un des premiers, il reconnut la valeur de l'invention de Napier. 

Briggs ayant constaté de suite que la base employée par Napier pour le calcul de ses logarithmes était très incommode, alla le voir en 1616, et l'engagea à la remplacer par une base décimale. Napier reconnut que ce serait un perfectionnement. Une fois de retour, Briggs se mit immédiatement à préparer des tables à base décimale, et en 1617 il fit paraître une table des logarithmes des nombres de 1 à 1000, calculés avec quatorze chiffres décimaux. Les logarithmes dont on s'est servi ensuite couramment pour les calculs numériques sont les logarithmes de Briggs : on les appelle ainsi pour les distinguer de ceux de Napier qui trouvent leur application  dans le calcul intégral, et qui sont toujours faciles à calculer au moyen des autres. En multipliant les logarithmes de Briggs, dits tabulaires ou communs, par 2,3025850, on les réduit à ceux de Napier; et en divisant les logarithmes de Napier (logarithmes néperiens) par 2,3025850, ou les multipliant par 0,4342994, on les réduit aux logarithmes tabulaires (logarithmes de base 10). Car ces derniers sont aux premiers toujours dans le même rapport, celui de 0,4342994 à 1, ou de 1, à 2,3025850.

Briggs publia d'abord, en 1618, sous le titre de Logarithmorum Chilias prima, comme échantillon de son travail, une table des logarithmes des nombres depuis 1 jusqu'à 1000. En 1624, il fit imprimer à Londres, sous le titre d'Arithmetica logarithmica, une table des logarithmes des nombres depuis 1 jusqu'à 20 000, et depuis 90 000 jusqu'à 100 000. La lacune laissée de 20000 à 90000 fut plus tard remplie. Ces logarithmes ont 14 chiffres. On raconte que Briggs employa sept personnes à ce travail, dont l'immensité effraye quand on songe qu'on n'avait pas alors à sa disposition les méthodes expéditives, imaginées depuis. L'Arithmetica logarithmica est précédée d'une introduction remarquable où se voit en germe la méthode différentielle et des interpolations, ainsi que les rapports des coefficients des puissances des différents de grés, indiqués par un Canon qu'il nomma avec raison très utile, panchrèstos, et qui est, dit Montucla, le triangle arithmétique un peu tronqué et présenté d'une autre manière que ne l'avait fait Pascal.

Les successeurs de Briggs.
Gunther.
Le travail de Briggs, fut complété par celui d'Edmund Gunther (1580-1626), professeur d'astronomie au collège de Coresham. Il calcula, avec la même ardeur que son collègue, la table des logarithmes à sept chiffres décimaux des sinus et des tangentes des angles du premier quadrant; et, dès 1620, il publia, sous le titre de Canon of triangles, pour l'usage des astronomes, ses tables de logarithmes pour tous les degrés et minutes du quart du cercle. Gunther a aussi imaginé une sorte de règle à calcul, ou, comme il l'appelait, « une ligne de nombres » qui permettait de trouver mécaniquement le produit de deux nombres.

Gellibrand. Bartsch. Ursinus.
Henry Gellibrand fit paraître, sous le titre de Trigonometria Britannica (Londres, 1633), les travaux que Briggs avait laissés inachevés, en y joignant les siens.

Nous avons plus haut mentionné Kepler parmi les mathématiciens propagateurs de la méthode des logarithmes. Son gendre, Bartsch, l'aida beaucoup pour l'achèvement de son Supplementum Chiliadis Logarithmorum, publié en 1625, et il donna lui-même, en 1629, de nouvelles Tables manuelles de logarithmes, appliquées au calcul astronomique, réimprimées en 1701 par Eisenschmidt. 

Mais déjà dès 1618 Benjamin Ursinus avait fait connaître la nouvelle invention en Allemagne par la publication de son Canon mirificus réédité, avec des changements et des augmentations, sous le titre de Magnus Canon triangulorum logarithmicus, 1625.

Vlacq.
Dans cette liste de propagateurs nous ne devons pas oublier Adrien Vlacq, libraire et mathématicien hollandais. Il réimprima, en 1628, à Gouda, l'Arithmetica logarithmica de Briggs, et en donna, dans la même année, une traduction française : Arithmétique logarithmique, ou la construction et usage d'une table, contenant les logarithmes de tous les nombres, depuis 1 jusqu'à 100 000, etc., in-fol. La lacune laissée par Briggs depuis 20 000 jusqu'à 90 000 s'y trouve remplie; les logarithmes y sont calculés jusqu'à onze décimales. 
 
En 1633, Vlacq publia son propre travail sous le titre de Trigonometria artificialis, seu magnus Canon logarithmicus, Gouda, dont il donna, en 1636, un abrégé. (Une table des logarithmes de base e, des nombres de 1 à 1000 et des sinus, tangentes et sécantes des angles compris dans le premier quadrant avait déjà été publiée à Londres, vers 1619, par John Speidell, mais bien entendu, dans la pratique des calculs, elle n'offrait pas les mêmes avantages que celle des logarithmes à base 10).

Wingate.
C'est à un Anglais, Edmond Wingate, que la France doit ses premières tables logarithmiques, imprimées, en 1624, à Paris, sous le titre d'Arithmétique logarithmique. Elles furent suivies de celles de D. Henrion (Traité des logarithmes; Paris, 1626). 

Cavalieri.
Cavalieri semble avoir le premier introduit en Italie l'usage des logarithmes, dans son Directorium universale uranometricum; Bologne, 1624. On y trouve, entre autres, une règle identique avec celle qu'avait donnée, en 1629,  Albert Girard dans son Invention nouvelle en algèbre. D'après cette règle on démontre « que si l'on fait la somme des trois angles d'un triangle sphérique, il y a même raison de la superficie de la sphère à celle de ce triangle, que de 360° à la moitié de ce dont la somme ci-dessus excède 180°. »

Vers 1630, l'usage des tables de logarithmes était général. (F. Hoefer / WW. Rouse Ball). 

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