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François
Viète,
Vietus,
est un mathématicien né
à Fontenay-le-Comte en 1540, mort à Paris
le 13 décembre 1603. On sait peu de chose
de sa vie privée. Il fut élevé dans la religion protestante,
étudia le droit à Paris et fut avocat dans sa ville natale.
En 1567, il devint conseiller au parlement de Bretagne.
Les guerres civiles et religieuses l'ayant chassé de Rennes, il
obtint, en 1580, à la sollicitation du duc de Rohan, la charge de
maitre des requêtes à Paris. Ce fut dans cette période
de troubles qu'il écrivit son Isagoge in artem analyticam,
« ouvrage d'analyse où l'auteur expose pour la première
fois, dit Fourier, une des théories les
plus profondes et les plus abstraites que l'esprit humain ait inventées.
»
Dans sa dédicace à Catherine de Parthenay, de la famille des Rohan, il remercie vivement sa protectrice des nombreux bienfaits qu'il a reçus d'elle, et lui témoigne qu'il lui doit, non-seulement la vie, mais cet amour des mathématiques qu'elle a fait naître en lui par son exemple et ses conseils. Le parlement de Paris ayant été transporté, en 1589, à Tours, Viète l'y suivit. Son temps était dès lors partagé entre les devoirs de sa charge et l'étude des mathématiques. Suivant l'historien De Thou, son contemporain, on le vit quelquefois passer trois jours de suite sans quitter son travail et même sa table, où on lui apportait de quoi réparer ses forces. Le même historien raconte comment Viète rendit service à Henri IV en déchiffrant des dépêches interceptées, que la cour de Madrid envoyait au gouverneur des Pays-Bas, pendant les guerres de la France avec l'Espagne. Philippe II et ses conseillers comptaient si bien sur l'impossibilité de trouver la clef de leurs dépêches chiffrées, que lorsqu'ils virent leurs plans découverts. Pour ce fait, il fut traduit comme « nécromant et sorcier » devant le Sacré collège, ce dont il se hâta, tout le premier, de rire. Un jour, à la suite d'une conversation avec l'envoyé des Provinces-Unies, qui prétendait que la France ne possédait aucun géomètre capable de résoudre un problème proposé par Adrien Romain à tous les mathématiciens du monde (Problema omnibus totius orbis mathematicis construendum), Henri IV fit appeler Viète. Quelques instants suffirent au grand analyste pour remettre au roi deux solutions du problème, écrites au crayon : Problema Adrianicum, ut legi et solvi, nec me malus abstulit error. Il s'agissait de la résolution d'une équation du quarante-cinquième degré, Viète montra que l'équation mise en avant résultait de la quinquesection de la neuvième partie du cercle, et il fit voir ce qu'Adrien Romain ne paraissait pas avoir soupçonné, à savoir, qu'outre la corde de la quarante-cinquième partie de la circonférence, il y avait quarante-quatre autres cordes qui résolvaient également le problème. A l'exemple général des mathématiciens, Viète eut des démêlés très vifs avec plusieurs savants contemporains, particulièrement avec Scaliger et avec Clavius. Il avait certainement raison contre le premier en réfutant sa prétendue quadrature du cercle, que cet orgueilleux érudit avait mise en avant (Munimen adversus nova cyclometrica, dans les Oeuvres de Viète). Mais sa polémique avec Clavius, au sujet du calendrier grégorien, lui fait moins d'honneur. Le calendrier, que Viète voulait substituer à celui que Clavius et Lilius avaient fait adopter à Grégoire XIII, renfermait des erreurs graves, victorieusement relevées par Clavius (Ratio kalendarii Gregoriani; Kalendariurn perpetuum; Adversus Christophorum Clavium expostulatio, dans les Oeuvres de Viète). Dans ses écrits, Viète se montre aussi bon helléniste que grand mathématicien. Aussi, plus que tout autre, était-il capable d'entreprendre la restitution d'un livre perdu d'Apollonius de Perge (peri epaphôn, de Tactionibus). Cette restitution, écrite avec beaucoup d'élégance, parut sous le titre d'Apollonius Gallus. Viète ne faisait imprimer ses écrits qu'à un très petit nombre d'exemplaires, qu'il offrait à ses amis; c'est ce qui explique leur extrême rareté. Heureusement Fr. Van Schooten en publia le recueil sous le titre d'Opera mathematica, in unum volumen eongesta ac recognita (Leyde, 1646). Mais ce recueil est incomplet; on n'y trouve pas le Canon mathematicus. Viète fonda l'algèbre, comme Copernic avait fondé l'astronomie, sur la révision des idées des Anciens. Avant Viète, les mathématiciens ne faisaient leurs opérations que sur les nombres ; l'inconnue seule et ses puissances étaient représentées par des abréviations ou par des signes. Ainsi l'inconnue à la première puissance était souvent représentée (par exemple par Stevin) par ; à la deuxième puissance ou au carré, par ; à la troisième puissance ou au cube, par , etc. Quelques algébristes représentaient l'inconnue par Rj, abréviation de res, chose, etc. On ne faisait pas d'opérations avec les signes mêmes, et si on se servait de lettres, le produit de deux quantités ainsi exprimées était représenté par une autre lettre. « On conçoit, dit Chasles dans son Histoire des méthodes géométriques, que cet état restreint et d'imperfection ne constituait pas la science algébrique de nos jours, dont la puissance réside dans ces combinaisons des signes eux-mêmes qui suppléent au raisonnement d'intuition, et conduisent par une voie mystérieuse aux résultats désirés. »Ce fut Viète qui, en représentant par des lettres toutes les quantités tant connues qu'inconnues, créa cette science des symboles et apprit à les soumettre à toutes les opérations que l'on était accoutumé d'exécuter sur les nombres. Il traça les premiers linéaments de sa méthode dans l'Introduction à l'art analytique (Isagoge in artem analyticam), suivi d'une première série de Notes dans un petit traité ayant pour titre : Ad logisticen speciosam notae priores. C'est de là que l'algèbre reçut d'abord le nom de Logistique spécieuse. On sentit bientôt les avantages d'une méthode où, la quantité inconnue étant dégagée et égalée aux quantités connues, on avait, comme dans un tableau, toutes les opérations à faire sur les données d'une question pour arriver à la résoudre. Viète développa sa méthode dans ses deux traités de Aequationum recognitione et emendatione. Il y indique les différentes transformations propres à donner à une équation une forme plus commode; comment on peut faire sur les racines de l'équation toutes les opérations de l'arithmétique, les augmenter, les diminuer, les multiplier, les diviser. C'est par cet artifice qu'il fait disparaître d'une équation le second membre, qu'il résout les équations carrées du deuxième degré et prépare celles du troisième degré. Les équations du troisième degré ou cubiques, il les réduit à une équation du deuxième degré où l'inconnue est un cube, artifice qui peut se formuler ainsi : y6±y3=a. Le premier aussi il entreprit de donner une méthode générale pour la résolution des équations de tous les degrés. Voyant que les équations ordinaires n'étaient que des puissances incomplètes, il pensa que, de même qu'on tirait par approximation les racines des puissances imparfaites en nombres, on pouvait aussi extraire la racine des équations, ce qui donnerait une valeur approximative de l'inconnue. C'est le sujet qui. a été traité dans son de Numerosa potestatum ad evegesim resolutione. C'est à Viète que paraît revenir la découverte de la loi suivant laquelle croissent ou décroissent les sinus ou les cordes des arcs multiples ou sous-multiples. Il en publia l'exposé dans son Canon mathematicus. « Il y a, dit
Montucla, trop d'analogie entre les formules des équations pour
les sections angulaires, et celles des puissances d'un binôme tel
que a + b, pour que Viète ignorât les lois de celles-ci.
Aussi montra-t-il en plusieurs endroits qu'il les connaissait, entre autres
lorsqu'il explique les lois de la progression des termes des équations
pour la multisection de l'arc. Il dit que dans ces équations les
coefficients numériques sont les nombres triangulaires, pyramidaux,
etc., formés des nombres naturels en commençant, non point
par l'unité, ut in potestatem genesi, mais par 2. Ailleurs
il fait cette remarque, savoir que la suite des termes d'un binome tel
que a ± b, élevé à une puissance quelconque,
est celle de toutes les proportionnelles continues depuis la puissance
semblable de a, jusqu'à celle de b. Ainsi, dans la
cinquième, ce sont a5, a4b,
a3b², a²b², ab4,
b5, et ces grandeurs, étant
mises avec leurs coefficients convenables, à savoir : 1. 5. 10.
10. 5. 1., tirés de la table des nombres triangulaires, pyramidaux,
etc., ci-jointe :
(N.B. : cette table, si l'on en retranche les unités, est la même que celle de Tartaglia). Et avec tous les signes positifs si on a a+b, ou alternativement positifs et négatifs si l'on a a-b, forment la cinquième puissance de a±b. On peut même
tirer de là la formule générale d'une puissance quelconque
n
de a±b. Car, n étant un des nombres naturels,
on a pour le nombre triangulaire correspondant (n. n-1)/2, pour
le pyramidal (n.n-1.n-2)/(1.2.3), pour le nombre figuré suivant
:
Le Canon mathematicus, recueil de tables trigonométriques de sinus, tangentes et sécantes, est devenu introuvable, parce que Viète, mécontent des fautes typographiques qui s'y étaient glissées, retira de la circulation tous les exemplaires qu'il avait pu se procurer. Montucla n'hésite pas à revendiquer encore pour Viète la première idée d'exprimer l'aire d'une courbe par une suite infinie de termes. Il en tire la preuve du livre VIII, chap. XVIII de ses Varia de rebus mathematicis Responsa. Viète y démontre qu'en désignant le diamètre par 1, le rapport du carré au cercle qui le renferme est égal à à l'infini, expression fort remarquable en théorie, bien qu'elle ne soit guère réalisable en pratique, à cause de l'infinité d'extractions de racines carrées et de multiplications qu'il faudrait faire pour en déduire une approximation de la grandeur du cercle.Quoi qu'il en soit, c'est dans les oeuvres de Viète que se trouvent les premiers germes de la géométrie analytique. C'est là que Descartes, malgré son dédain pour ses prédécesseurs, aura pu prendre les éléments de sa méthode. Si Viète n'inventa pas l'algèbre, du moins il la transforma complètement, d'abord en établissant l'usage des lettres pour représenter aussi bien les quantités connues que les inconnues, puis en réalisant, dans la résolution des équations, une série de simplifications, qui, tout en ne touchant pas aux hautes questions de l'analyse, devaient, du moins, ouvrir la voie aux travaux des Descartes, des Newton, des Euler, des Lagrange. C'est à lui également, et non à Descartes, comme on l'a prétendu à tort, qu'on doit les premières applications de l'algèbre à la géométrie. « Il résolvait, dit Fourier, les questions de géométrie par l'analyse algébrique et déduisait des solutions les questions géométriques. Ces recherches le conduisirent à la théorie des sections angulaires et il formula les expressions générales qui expriment les valeurs des cordes. »A lui encore revient le mérite d'avoir trouvé le sixième théorème des triangles sphériques rectangles. (F. H. / L. S.).
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