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Hilary Putnam

Hilary Putnam est un philosophe, né le 31 juillet 1926 à Chicago (Illinois), et mort le 13 mars 2016 à Arlington (Massachusetts). Il a apporté des contributions majeures dans divers domaines de la philosophie, notamment la philosophie de l'esprit, la philosophie du langage, la philosophie des sciences et la philosophie des mathématiques. Il se signale aussi par la capacité qu'il a eue à remettre en question et à réviser ses propres vues, démontrant par là une ouverture d'esprit et une rigueur intellectuelle exemplaires.

Hilary Whitehall Putnam est issu d'une famille juive laïque. Son père, Samuel Putnam, est  traducteur et écrivain. La famille passe quelques années en Europe, notamment à Paris, avant de retourner aux États-Unis. Hilary grandit à Philadelphie, où il fréquente la Central High School. Il commence en 1944 ses études à l'université de Pennsylvanie, où il obtient un baccalauréat en mathématiques et en philosophie (1948). Il poursuit ensuite ses études de philosophie à l'université de Harvard et obtient son doctorat en 1951 sous la direction de Hans Reichenbach, un éminent philosophe des sciences.

Après son doctorat, Hilary Putnam a occupé plusieurs postes d'enseignement : il commence sa carrière universitaire en enseignant à Northwestern. Il déménage ensuite à Princeton, où il enseigne la philosophie (1953-1961), commence à établir sa réputation internationale. En 1961, il rejoint le Massachusetts Institute of Technology (MIT), où il  continue à développer ses idées en philosophie des sciences et en logique mathématique.

Pendant les années 1950 et 1960, Putnam critique le behaviorisme et développe le fonctionnalisme, une théorie selon laquelle les états mentaux sont définis par leurs relations fonctionnelles plutôt que par leur composition physique. Il a notamment introduit le concept de « réalisme multiple », pour lequel les mêmes états mentaux peuvent être réalisés par différents substrats physiques. Le philosophe a contribué de manière significative à la philosophie des sciences, critiquant le positivisme logique et défendant un réalisme scientifique plus nuancé. Il a étudié les fondements de la mécanique quantique et a publié en 1962 It Ain't Necessarily So, un article dans lequel il discute des problèmes de la mécanique quantique et critique certaines interprétations courantes de la théorie. Il a aussi travaillé sur les problèmes de la confirmation et de la justification scientifique. 

Dès les années 1960, Hilary Putnam s'est également engagé politiquement notamment contre la guerre du Vietnam. Il a été un membre actif du Progressive Labor Party, un parti marxiste-léniniste. Un activisme politique qui évoluera avec le temps. Putnam s'éloignera dans les années 1980 de ses positions marxistes-léninistes et adoptera des positions plus nuancées, mais il restera toujours motivé  par un profond souci de justice sociale et de respect des droits civiques. 

En 1965, Hilary Putnam a rejoint le département de philosophie de l'université de Harvard, où il a travaillé jusqu'à sa retraite. Il continue à développer ses idées sur la sémantique et la philosophie de l'esprit. Cela aboutira à la publication en 1973 de Meaning and Reference, un article fondamental dans le domaine de la philosophie du langage et dans la théorie de la signification.

• Meaning and Reference (1973). - Dans ce texte, Putnam aborde des questions concernant la signification des mots et leur référence, en particulier à travers le prisme du « modèle de sémantique des dénominations ». Putnam critique la théorie des descriptions définies de Bertrand Russell, qui stipule que les expressions comme « le roi de France » doivent être analysées en termes de descriptions qui peuvent ou non correspondre à un individu réel. Pour Russell, ces descriptions n'ont de sens que lorsqu'elles désignent un individu spécifique. Putnam remet en question cette approche en argumentant que la signification des expressions ne peut pas toujours être saisie par des descriptions fixes. Il introduit ce qu'il appelle le « problème de la référence » pour remettre en cause l'idée que les termes ont une référence fixe et stable indépendamment du contexte et démontre que les mots peuvent avoir des références qui dépendent de la manière dont les objets sont classifiés ou compris dans un contexte donné. Ainsi, la référence d'un terme peut changer en fonction de nos connaissances ou de notre compréhension du monde. Putnam soutient la théorie de la référence directe, qui affirme que certains termes se réfèrent directement à des objets spécifiques dans le monde, sans passer par des descriptions intermédiaires. Par exemple, le terme « eau » se réfère directement à l'objet que nous identifions comme de l'eau, indépendamment des propriétés descriptives que nous pourrions lui attribuer. Un point clé de l'article est l'argument du référent naturel, où Putnam suggère que les termes de référence (comme « eau ») se réfèrent à des types naturels ou des catégories dans le monde. Il utilise l'exemple de l'eau pour illustrer que le terme « eau » se réfère à la substance H2O, indépendamment de notre capacité à décrire cette substance de manière exhaustive. Cette approche conteste l'idée que les significations des termes sont simplement des descriptions ou des propriétés.
En 1975, Putman publie un autre article important : Philosophy and Our Mental Life, où il critique le physicalisme et le fonctionnalisme en philosophie de l'esprit, soutenant que les états mentaux ne peuvent être entièrement expliqués par les états physiques ou fonctionnels. Il fait aussi paraître cette même année The Meaning of 'Meaning' (1975), où il développe sa célèbre expérience de pensée de la Terre jumelle, déjà esquissée dans Meaning and reference.
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L'argument de la Terre jumelle

L'argument de la Terre jumelle  repose sur une expérience de pensée introduite par Hilary Putnam dans les années 1970 pour aborder et remettre en question des conceptions traditionnelles de la signification et de la référence en philosophie du langage. Par cet argument, Putnam cherche à démontrer que la signification des termes linguistiques est en partie déterminée par des facteurs externes et naturels et non pas seulement par des descriptions ou des concepts subjectifs. En montrant que la signification peut varier en fonction des propriétés réelles des objets auxquels les termes se réfèrent. Cet argument est central dans l'oeuvre du philosophe, notamment dans son article The Meaning of 'Meaning' (1975).

Putnam imagine une planète jumelle de la Terre (la Terre Jumelle) qui est exactement comme la Terre en termes de conditions physiques et de vie, mais avec une différence clé : sur la Terre Jumelle, la substance qui ressemble à l'eau terrestre n'est pas composée de H2O, mais de XYZ, une substance différente à l'échelle chimique. Les habitants de la Terre Jumelle utilisent également le terme « eau » pour désigner cette substance XYZ. Autrement ditn le terme « eau » sur Terre se réfère à la substance H2O. Les habitants de la Terre ont une compréhension de l'eau qui est en partie définie par ses propriétés chimiques et naturelles, qu'ils apprennent par l'expérience et les sciences. Sur la Terre Jumelle, les habitants utilisent également le mot « eau », mais ce terme désigne la substance XYZ.

Putnam pose la question suivante : si nous sommes transportés sur la Terre Jumelle, est-ce que notre terme « eau » continuerait à désigner H2O ou commencerait-il à désigner XYZ? De même, si un habitant de la Terre Jumelle se trouvait sur Terre, est-ce que le terme « eau » qu'il utilise ferait référence à H2O? Putnam utilise cet argument pour illustrer que la signification des termes est déterminée en partie par des facteurs externes au locuteur, comme les propriétés naturelles des objets auxquels les termes se réfèrent et les contextes de référence. En d'autres termes, la signification des termes n'est pas simplement une question de description ou de compréhension subjective, mais est également liée aux propriétés objectives et naturelles des objets dans le monde. Il conclut que les termes tels que « eau » ont une signification qui est en partie déterminée par le type d'objet auquel ils se réfèrent dans le monde réel, et non seulement par la description ou les concepts que les locuteurs en ont. 

L'argument de la Terre Jumelle remet en question les théories descriptivistes de la signification, qui affirment que la signification d'un terme est entièrement déterminée par des descriptions ou des propriétés conceptuelles. Putnam montre que la signification d'un terme peut varier en fonction des propriétés naturelles des objets qu'il désigne. L'argument soutient la théorie de la référence directe, selon laquelle la signification d'un terme est en grande partie déterminée par le fait qu'il se réfère directement à des objets dans le monde, indépendamment des descriptions que nous pouvons utiliser pour les identifier. Cet argument a eu un impact significatif sur la philosophie du langage et a contribué à des débats importants sur la nature de la signification, la référence, et la relation entre le langage et le monde. Il a également influencé la discussion sur le réalisme sémantique et a encouragé une réévaluation des théories de la signification.

Putnam  introduit et développe le concept de réalisme interne dans son livre Reason, Truth, and History (1981). Cette théorie cherche à trouver un compromis entre le réalisme métaphysique et l'antiréalisme.
• Reason, Truth, and History (1981). - Dans ce livre, Putnam examine des thèmes clés de la philosophie épistémologique et métaphysique et  remet en question les conceptions traditionnelles de la vérité, de la rationalité et de la relation entre les théories humaines et la réalité. Il propose une vision plus contextuelle et révisée de la connaissance, reconnaissant l'importance des cadres conceptuels et des pratiques culturelles dans la formation de nos croyances et théories. Il commence donc par critiquer le réalisme métaphysique, qui soutient que les théories scientifiques décrivent le monde tel qu'il est indépendamment de la manière dont nous le comprenons. Il argue que cette position est problématique car elle suppose que nous pouvons avoir un accès direct et non médiatisé à une réalité objective et que nos théories scientifiques peuvent décrire cette réalité de manière exacte. Putnam remet en question cette hypothèse en soulignant que la connaissance est toujours conditionnée par le cadre conceptuel et linguistique à travers lequel nous percevons le monde. Il en vient à examiner les théories de la vérité, en particulier la théorie de la vérité comme correspondance avec la réalité. Il critique cette notion en expliquant qu'il est difficile de définir ce que signifie la « réalité » de manière objective et indépendante de nos concepts et langages. Il soutient que la vérité est liée à la manière dont nos croyances et théories s'ajustent à des normes épistémiques et contextuelles, plutôt qu'à une réalité brute et non médiatisée. Le philosophe propose une vision contextualiste de la rationalité et de la vérité. Il soutient que ce que nous considérons comme rationnel et vrai est profondément influencé par les contextes historiques et culturels dans lesquels nous vivons. Les normes de rationalité et de vérité ne sont pas universelles et intemporelles, mais plutôt le produit des pratiques et des engagements culturels et historiques. Cela le conduit à plaider pour une approche plus nuancée que le réalisme ou l'anti-réalisme strict. Il propose une position qu’il appelle réalisme interne ou réalisme révisé, qui reconnaît la réalité objective tout en acceptant que notre compréhension de cette réalité est toujours médiatisée par nos concepts, nos théories et nos pratiques linguistiques. Il accepte que nos théories scientifiques et nos croyances peuvent évoluer, mais soutient qu'il existe une continuité dans notre engagement envers la recherche de la vérité et la compréhension du monde. Putnam critique le fondationalisme en épistémologie, c'est-à-dire l'idée qu'il existe des croyances ou des principes de base qui servent de fondement absolu à toutes les autres connaissances. Pour lui, cette approche est trop rigide et ne rend pas compte de la manière dont nos croyances et nos théories sont ajustées et modifiées en réponse à de nouvelles informations et à des contextes changeants. Il défend un pluralisme épistémique, qui affirme que différentes perspectives et théories peuvent offrir des compréhensions complémentaires de la réalité et suggère que notre connaissance du monde doive être enrichie par la diversité des approches et des cadres théoriques, plutôt que d'être réduite à un ensemble unique et universel de vérités.
Dans Representation and Reality (1988), Putnam abandonne le fonctionnalisme qu'il avait précédemment défendu, proposant des critiques basées sur les problèmes de la sémantique et la nature de la représentation mentale. Et, continuant d'analyser des questions liées à la vérité, à la rationalité et à la nature de la connaissance, il s'éloigne aussi du réalisme interne et retournant à une forme de réalisme plus pragmatique. 
• Representation and Reality (1988). -  Ce livre aborde plusieurs thèmes clés en philosophie de l'esprit, en philosophie du langage, et en métaphysique. Putnam critique le réalisme métaphysique, l'idée que nos théories scientifiques et nos représentations linguistiques décrivent une réalité objective et indépendante. Selon Putnam, cette position est problématique car elle repose sur l'idée que nous pouvons avoir une connaissance directe de la réalité telle qu'elle est, sans médiation conceptuelle ou langagière. Il soutient que cette vision néglige le fait que notre compréhension du monde est toujours médiatisée par nos théories, nos concepts, et notre langage. Il propose une théorie de la référence qui conteste l'idée que les termes se réfèrent directement à des objets dans le monde indépendamment des contextes conceptuels. Il reprend la notion de réalisme interne, selon laquelle la référence est déterminée en partie par nos cadres théoriques et conceptuels. Ainsi, les termes ne se réfèrent pas seulement à des objets réels mais sont aussi façonnés par les pratiques et les théories en cours dans une communauté donnée. Contrairement aux théories descriptives, il soutient que la signification des termes est liée à leur utilisation dans des pratiques linguistiques et théoriques spécifiques. Il défend l'idée que le langage doit être compris comme une pratique sociale et théorique plutôt que comme un système de signes indépendants qui correspondent directement à une réalité objective. Il insiste sur le fait que notre compréhension des termes et des concepts est intrinsèquement liée aux pratiques et aux théories dans lesquelles ils sont employés.
Dans les années 1990, il a également écrit sur l'éthique et s'est intéressé à la philosophie juive. Il a étudié notamment les implications éthiques de ses théories philosophiques et a contribué à la discussion sur le rôle aujourd'hui de la religion dans la vie.

 Même après sa retraite officielle de Harvard en 2000, Putnam continue à écrire, donner des conférences et participer à des discussions académiques. . Ethics without Ontology paraît en 2004.  Dans cet ouvrage, Putnam soutient que les jugements éthiques peuvent être objectifs sans nécessiter une ontologie métaphysique robuste. Dans Jewish Philosophy as a Guide to Life (2008), le philosophe s'intéresse à la manière dont philosophie juive peut offrir des perspectives sur des questions philosophiques et éthiques contemporaines.

• Ethics Without Ontology (2004). - Dans ce livre, Putnam se penche sur les fondements de l'éthique et propose une vision de la moralité qui ne repose pas sur des prétentions ontologiques spécifiques, c'est-à-dire des théories sur la nature ultime de la réalité. Traditionnellement, certains philosophes ont essayé de baser les normes éthiques sur des aspects particuliers de la réalité ou des théories métaphysiques, comme le réalisme moral ou les théories déontologiques qui se fondent sur des principes universels. Putnam rejette cette approche en arguant que les prétentions ontologiques en éthique ne sont pas nécessaires pour une compréhension et une pratique efficaces de la moralité. Il adopte une approche pragmatiste, qui considère que les normes éthiques doivent être comprises dans le contexte de nos pratiques et de nos expériences concrètes plutôt que comme des vérités universelles ou des constructions ontologiques. Il défend une vision contextuelle où les principes moraux sont issus de nos interactions sociales, de nos pratiques culturelles et de notre engagement envers des valeurs spécifiques, plutôt que de théories ontologiques abstraites. Putnam affirme que les valeurs morales sont mieux comprises comme étant le produit de l'interaction humaine et des processus sociaux, plutôt que comme des vérités universelles dictées par une réalité ontologique spécifique. Selon lui, l'éthique devrait être vue comme une pratique sociale qui émerge et évolue à partir des interactions humaines et des contextes historiques particuliers. Les normes éthiques sont donc des constructions pratiques et fonctionnelles qui sont intégrées dans nos vies sociales et culturelles, plutôt que des vérités abstraites indépendantes de ces contextes. Cela conduit Putnam à un pluralisme moral qui accepte que différentes cultures et traditions peuvent avoir des valeurs et des normes éthiques différentes, et que cette diversité doit être respectée et comprise dans son propre contexte. Cette approche contraste avec les visions éthiques qui cherchent des fondements universels ou des principes moraux uniques applicables à toutes les situations.
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