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Le mot sociologie
a été créé par Auguste Comte pour désigner
la science des sociétés, différente des multiples « sciences
sociales ordinairement liées aux philosophies
de l'histoire, du droit, de la politique
». Quoique le mot fût formé d'un radical latin
et d'une terminaison grecque et que pour
cette raison les puristes aient longtemps refusé de le reconnaître, il
a aujourd'hui conquis droit de cité dans toutes les langues européennes.
Avant Auguste Comte des vues de philosophie
sociale avaient été émises notamment par Platon,
Aristote,
Lucrèce,
Hobbes,
Machiavel,
Spinoza,
Locke,
Rousseau,
Montesquieu,
Hegel
et Condorcet. On rencontre parmi ces auteurs
des théoriciens des sociétés humaines. Le cinquième livre du De
rerum ratura Mais l'innovation du fondateur du positivisme est qu'il eut le premier l'idée de concevoir les faits sociaux dans leur ensemble, comme matière d'une étude scientifique et positive, la plus compréhensive de toutes. Il voulut faire de la société humaine une étude statique, sorte d'anatomie et de physiologie sociales, et une étude dynamique, dominée par la loi des trois états ou du passage de l'état théologique l'état métaphysique et à l'état positif, pour la pensée comme pour les institutions humaines. Avec Espinas, la sociologie s'est étendue à l'étude de ce qu'il est le premier à nommer les « sociétés animales » (1878). Pour Spencer, qui l'a rattachée à son système évolutionniste, la société est un organisme vivant, ayant des fonctions analogues à celles des individus (1874). C'est aussi le point de vue de Worms, de Lilienfeld et de Novikov. Pour Émile Durkheim, les sociétés humaines prennent naissance au sein de l'état grégaire dans la « solidarité mécanique » qui, peu à peu, se transforme en «-solidarité organique», grâce aux progrès de la Division du travail social (1893). Elles ont une vie propre, qui est autre chose que la somme des existences individuelles. Cette existence s'affirme dès le début de l'évolution sociale par le dévouement spontané aux intérêts collectifs et par le culte du totem, qui est une partie de la société primitive divinisée. Mais, surtout, Durkheim a été le premier à aborder le problème des applications pratiques de la sociologie et à poser certaines Règles de la méthode sociologique (1896) concernant les statistiques, la constitution des contepts et l'étude des « réalités » sociales, indépendamment de toute considération psychologique; il a appliqué ces règles à l'étude des faits économiques, des faits religieux, du suicide, etc. Tarde, au contraire, a vu dans la Psychologie sociale (1895) une étude préparatoire indispensable et vraiment féconde. Pour ce même auteur, les sociétés humaines sont un produit de l'imitation et de l'invention. A la fin du XIXe siècle, La possibilité d'une science positive des faits sociaux n'est plus guère contestée : les auteurs du temps admettent généralement qu'il y a de tels faits et qu'ils sont autre chose que la somme des faits psychologiques individuels; on reconnaît un déterminisme historique et sociologique, alors même que l'on défend avec Tarde et Renouvier l'idée d'une liberté métaphysique a l'oeuvre dans la société humaine, notamment par l'intermédiaire d'êtres providentiels ou d'hommes de génie. Mais la sociologie prend divers aspects selon qu'avec Loria on admet le matérialisme historique hypothèse de la subordination de toute évolution sociale à l'évolution économique, - ou bien qu'avec Spencer et Schaeflle, on voit dans la société, soit un organisme, soit un « hyper-organisme », - ou bien qu'avec de nombreux sociologues allemands on considère les sociétés humaines comme dominées par la lutte des classes. Karl Marx opérera une synthèse entre ces deux courants en étudiant la lutte des classes dans les termes de la doctrine du matérialisme historique. D'autre part, les sociologues allemands se sont spécialisés : les uns étudient avec Ratzel les conditions géographiques, « telluriques », et climatiques de la vie sociale; les autres portent plus particulièrement leurs investigations, soit sur l'évolution des faits collectifs, soit sur les phénomènes politiques et juridiques, religieux, esthétiques ou éthiques. Quelques sociologues ont préconisé une sociologie mécanique réduisant à des rapports quantitatifses lois les plus générales de l'activité collective. Enfin, il y a une sociologie criminelle (Lombroso, E. Ferri, Rossi, Tarde (1901)). C'est autour de 1900 que l'on a vu apparaître
les travaux d'auteurs qui seront les véritables fondateurs de la sociologie
telle qu'elle s'est développée depuis, avec des méthodes et un
système scientifique de concepts qui lui sont propres. On a déjà cité
Durkheim
(1858-1917), chef de file de l'école sociologique française; il convient
aussi de nommer, Max Weber (1864-1920) en Allemagne Nous allons essayer de déterminer successivement l'objet de la sociologie et la méthode qu'elle emploie. Puis nous indiquerons les principales divisions de la science qui se constitue sous ce nom. |
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![]() P. Fauconnet M. Mauss c. 1900 |
Objet
de la sociologie
Parce que la sociologie est d'origine récente et qu'elle sort à peine de la période philosophique, il arrive encore qu'on en conteste la possibilité. Toutes les traditions métaphysiques qui font de l'homme un être à part, hors nature, et qui voient dans ses actes des faits absolument différents des faits naturels, résistent aux progrès de la pensée sociologique. Mais le sociologue n'a pas à justifier ses recherches par une argumentation philosophique. La science doit faire son oeuvre dès le moment qu'elle en entrevoit la possibilité, et des théories philosophiques, même traditionnelles, ne sauraient constituer des objections à la légitimité de ses démarches. Si d'ailleurs, comme il est vraisemblable, l'étude scientifique des sociétés rend nécessaire une conception différente de la nature humaine, c'est à la philosophie qu'il appartient de se mettre en harmonie avec la science, à mesure que celle-ci obtient des résultats. Mais la science n'a pas plus à prévoir qu'à éviter ces conséquences lointaines de ses découvertes. Tout ce que postule la sociologie, c'est simplement que les faits que l'on appelle sociaux sont dans la nature; sont soumis au principe de l'ordre et du déterminisme: universels, par suite intelligibles. Or cette hypothèse n'est pas le fruit de la spéculation métaphysique; elle résulte d'une généralisation qui semble tout à fait légitime. Successivement cette hypothèse, principe de toute science, a été étendue à tous les règnes, même à ceux qui semblaient te plus échapper à ses prises : il est donc rationnel de supposer que le règne social - s'il est un règne qui mérite d'être appelé ainsi - ne fait pas exception. Ce n'est pas au sociologue à démontrer que les phénomènes sociaux sont soumis à la loi : c'est aux adversaires de la sociologie à fournir la preuve contraire. Car, a priori, on doit admettre que ce qui s'est trouvé être vrai des faits physiques, biologiques et psychiques est vrai aussi des faits sociaux. Seul un échec définitif pourrait ruiner cette présomption logique. Or, dès aujourd'hui, cet échec n'est plus à craindre; Il n'est plus possible de dire que la science est tout entière à faire. Nous ne songeons pas à exagérer l'importance des résultats qu'elle a obtenus; mais enfin, en dépit de tous les scepticismes, elle existe et elle progresse : elle pose des problèmes définis et tout au moins elle entrevoit des solutions. Plus elle entre en contact avec les faits et plus elle voit se révéler des régularités insoupçonnées, des concordances beaucoup plus précises qu'on ne pouvait le supposer d'abord; plus, par conséquent, se fortifie le sentiment que l'on se trouve en présence d'un ordre naturel, dont l'existence ne peut plus être mise en doute que par des philosophes éloignés de la réalité dont ils parlent. Mais si l'on doit admettre sans examen préalable que les faits appelés sociaux sont naturels, intelligibles et par suite objets de science, encore faut-il qu'il y ait des faits qui puissent être proprement appelés de ce nom. Pour qu'une science nouvelle se constitue, il suffit, mais il faut d'une part, qu'elle s'applique à un ordre de faits nettement distincts de ceux dont s'occupent les autres sciences; d'autre part, que ces faits soient susceptibles d'être immédiatement reliés les uns aux autres, expliqués les uns par les autres, sans qu'il soit nécessaire d'intercaler des faits d'une autre espèce. Car une science qui ne pourrait expliquer les faits constituant son objet qu'en recourant à une autre science se confondrait avec cette dernière. La sociologie satisfait-elle à cette double condition? En premier lieu y a-t-il des faits qui soient spécifiquement sociaux? On le nie encore communément, et parmi ceux qui le nient figurent même des penseurs qui prétendent faire oeuvre sociologique. L'exemple de Tarde est caractéristique. Pour lui, les faits dits sociaux ne sont autre chose que des idées ou des sentiments individuels, qui se seraient propagés par imitation. Ils n'auraient donc aucun caractère spécifique; car un fait ne change pas de nature parce qu'il est plus ou moins répété. Nous n'avons pas pour l'instant à discuter cette théorie; mais nous devons constater que, si elle est fondée, la sociologie ne se distingue pas de la psychologie individuelle, c.-à -d. que toute matière manque pour une sociologie proprement dite. La même conclusion s'inspire, quelle que soit la théorie, du moment où l'on nie la spécificité des faits sociaux. On conçoit dès lors toute l'importance de la question que nous examinons. (Paul Fauconnet et Marcel Mauss).
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