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Catilina

Lucius Sergius Catilina, né en 109 av. J.-C., mort en 61 av. J.-C. (644-692 de Rome), appartenait à une des plus illustres et des plus méritantes familles patriciennes; un de ses ancêtres s'était signalé, pendant la deuxième Guerre punique, par un grand nombre d'actes héroïques. Lui-même montra de bonne heure une grande force de caractère et une intelligence supérieure; malheureusement ces qualités, que tous les historiens lui reconnaissent, furent mises au service des pires passions. Partisan de Sylla, il fit sa cour au dictateur en poursuivant sans pitié les amis de Marius; il tua de sa main son propre beau-frère, Q. Caecilius, et Marius Gratidianus, dont il promena la tête au bout d'une pique à travers la ville. On lui prêtait bien d'autres férocités, mais il est possible qu'elles aient été inventées après coup. Quoi qu'il en soit, du spectacle des guerres civiles il garda le mépris de la constitution et du gouvernement de son pays.

Il comprit que la société romaine était trop corrompue et trop profondément troublée pour que le régime républicain se maintint longtemps; « le peuple romain est un corps sans tête, disait-il, je serai cette tête. » D'autre part, il eut bien vite dilapidé la fortune que lui avaient valu les confiscations de Sylla; un riche mariage lui procura de nouvelles ressources. Lorsqu'il les eut épuisées, il songea à faire revivre l'époque où il avait si bien pêché en eau trouble : un bouleversement nouveau pouvait lui donner à la fois le pouvoir et la richesse. Ce sont là, en effet, les deux mobiles qui semblent l'avoir guidé, mais nous en sommes réduits à faire de l'histoire intuitive. Les écrivains de l'Antiquité se contentent de le faire agir, ou bien les motifs qu'ils donnent à ses actes sont trop vagues. Napoléon déclarait ne rien comprendre à un conspirateur qui a l'air de tramer des complots sans avoir de but politique.

Quand on était d'illustre naissance et qu'on savait dépenser sans compter, on obtenait facilement des magistratures. Malgré son passé connu, Catilina fut préteur en 68 et, en 67, gouverneur de l'Afrique; on juge bien qu'il sut rendre ce dernier emploi lucratif. De retour à Rome, il brigua le consulat; supplanté par P. Claudius Pulcher, il jura de se venger. Ses projets révolutionnaires se précisèrent et il s'en ouvrit à un autre candidat malheureux, Antonius Poetus. Il eut bientôt un grand nombre de partisans; les jeunes nobles espérant l'abolition des dettes se rallièrent à lui; pour les séduire, il aidait à leurs débauches, il les poussait à des crimes qui les habituaient aux violences extrêmes et qui leur permettaient en quelque sorte de se faire la main, c'est ce que Mommsen appellait « la pédagogie épouvantable du vice qui entraîne les faibles à la faute et de la faute au crime ». 

Catilina sentait que de tous côtés les mécontents grossiraient son parti; c'est que rarement société avait été en proie à un pareil malaise; les vétérans de Sylla mis en goût par les profits qu'il leur avait valus, ayant d'ailleurs dépensé pour la plupart leur fortune subite, revenaient à Rome avec l'espoir de nouvelles dépouilles à se partager; les parents des proscrits, tenus à l'écart et ruinés, rêvaient d'un mouvement à la faveur duquel ils deviendraient à leur tour oppresseurs et voleurs; la populace enfin était inquiète, jalouse des riches et prête, comme il arrive dans les grandes villes où sévit le paupérisme, à suivre le premier agitateur venu. D'autre part, jamais le pouvoir exécutif n'avait été si faible et si désuni. Si l'on excepte Cicéron et Caton, la plupart des hommes d'Etat en vue, Pompée, Crassus, César, désiraient plus ou moins un bouleversement que chacun d'eux espérait faire tourner à son profit, tant le gouvernement d'un seul paraissait à tous une nécessité prochaine! L'armée de Pompée, qui eût pu empêcher une révolution, soutenait au bout de l'empire une guerre à l'issue douteuse.

A son retour d'Afrique, Catilina avait osé briguer le consulat, mais une députation de la province étant venue révéler ses terribles concussions, le Sénat raya son nom de la liste des candidats : on lui interdisait même la brigue légale. Un premier complot fut tramé (65); César et Crassus y ont peut-être pris part, en tout cas, s'ils ne jugèrent pas à propos de s'unir à la tourbe de Catilina, ils lui étaient secrètement favorables. On devait massacrer les consuls nouvellement élus, L. Cotta et L. Torquatus, ainsi qu'une partie du Sénat. Les conjurés s'assureraient du consulat pendant que l'un d'eux, Cn. Pison, irait prendre le gouvernement des deux Espagnes. A deux reprises, le coup manqua, aux calendes de janvier et aux nones de février; les consuls avaient été prévenus. Une enquête allait être ouverte; l'intervention d'un tribun l'arrêta. Le Sénat, effrayé du danger qui menaçait l'État sans qu'on pût prouver le crime et partant le punir, semble avoir essayé de désarmer les conjurés; un des plus redoutés, Cn. Pison, fut envoyé comme préteur en Espagne; il est vrai que son escorte espagnole l'assassina. En outre, lorsque Claudius reprit contre Catilina l'accusation de concussion, ce fut un des consuls, Torquatus, qui défendit ce dernier, et Cicéron lui-même s'employa dans le même sens. 

« S'il est acquitté, écrit-il à Atticus (I, 2), j'espère m'entendre avec lui pour notre candidature. » 
Cette lettre étrange prouve que Cicéron lui-même s'abusa longtemps sur les intentions de Catilina. Celui-ci comprit qu'il lui fallait pour réussir un peu plus de mystère. Il organisa son parti qui devenait de plus en plus nombreux; il essaya une fois encore de briguer le consulat, mais, à une grande majorité, Cicéron lui fut préféré. Catilina se décida à un coup de force; il emprunta de fortes sommes d'argent et enrôla des soldats dont il confia le commandement à C. Mallius, l'un des vétérans de Sylla. Le jour des comices consulaires, on tuerait Cicéron; après quoi, avec la connivence d'Antonius, sur lequel les conjurés comptaient, on mettrait la main sur toutes les magistratures en soulevant les pauvres de Rome et d'Italie. Le jour de l'élection, Cicéron, auquel un conjuré avait tout révélé, présida l'Assemblée avec une cuirasse qu'il laissait voir sous sa toge. Silanus et Muréna, les deux candidats du parti sénatorial, l'emportèrent. Aussitôt, des émissaires vont donner par toute l'Italie le signal du soulèvement. 

Les consuls, investis par le Sénat d'un pouvoir discrétionnaire, envoient des troupes pour contenir les provinces et promettent de larges récompenses aux délateurs. Mais le peuple ne se prononçait pas; beaucoup de sénateurs étaient favorables aux conspirateurs; Catilina, payant d'audace, protestait de son innocence, en appelait au témoignage de M. Lepidus, de Q. Metellus, de M. Marcellus, de Cicéron lui-même, et se présentait au Sénat convoqué solennellement dans le temple de Jupiter Stator. Comme on n'avait pas de preuves écrites, il fallait que le traître se démasquât lui-même en prenant la fuite. C'est alors, le 8 novembre 63, que Cicéron prononça la première Catilinaire. Chassé par l'éloquence du grand orateur, Catilina sortit du Sénat, la menace à la bouche. La nuit venue, il partit pour le camp de Mallius avec quelques compagnons. Mais ses complices, auxquels il annonçait son retour à la tête d'une armée victorieuse, restaient pour la plupart à Rome. Pour les forcer à rejoindre leur chef et pour leur enlever les sympathies populaires, Cicéron prononce devant le peuple réuni au Forum une deuxième harangue. Le Sénat met hors la loi Mallius et Catilina.

Cependant l'imprudence des conjurés vint fournir contre eux les preuves écrites sans lesquelles on n'osait pas frapper. Des députés allobroges se trouvaient alors à Rome et y sollicitaient le redressement de quelques griefs. Les conjurés leur firent des ouvertures; après quelques hésitations, les Allobroges dénoncèrent ces menées. Ils consentirent même à jouer le rôle que leur traça Cicéron et à obtenir , par une feinte complicité, les preuves écrites qu'il désirait. La culpabilité du préteur Lentulus, de Céthégus et de sept autres conjurés fut dès lors évidente. En prononçant sa troisième Catilinaire devant le peuple, Cicéron réussit à le tourner décidément contre les conspirateurs. Le 5 décembre 63, le Sénat, bien qu'il n'eût pas le pouvoir judiciaire, condamna à mort cinq des principaux coupables. Cicéron (quatrième Catilinaire) et Caton avaient amené cette décision que Jules César combattait. Le même jour, grâce à la vigilance du consul pressé d'en finir, l'exécution eut lieu.

L'énergie du gouvernement consterna les mécontents qui s'étaient joints à Catilina il avait dans son camp plus de 5000 paysans armés de piques et de bâtons. Beaucoup, voyant la tournure grave que prenaient les événements, rentrèrent dans leurs foyers, d'autant plus que l'armée régulière du consul Antonius s'avançait. Avec les quelques soldats dévoués qui lui restaient, Catilina voulut passer les Apennins vers Pistoia et de là gagner les Gaules, mais l'armée de Métellus Celer lui barra la route; il se retourna alors contre Antonius, qui, en invoquant une maladie réelle ou feinte, avait laissé le commandement à Pétreius. Catilina mourut en héros, et 3000 conjurés partagèrent son sort. Presque tous les soldats de l'armée victorieuse avaient été tués ou blessés.

Grâce à Cicéron, auquel le Sénat donna le titre de Père de la patrie, la République était sauvée. Quelle que soit l'obscurité dont cette histoire est enveloppée, il semble bien qu'un massacre terrible eût suivi le triomphe des alliés douteux que s'était donnés Catilina. Quant à celui-ci, il ne fut sans doute qu'un César manqué; la gloire des armes lui fit défaut, et aussi la patience d'attendre l'heure opportune. Il échoua donc où d'autres, après lui, devaient réussir. Quoi qu'il en soit, il est resté le type du conspirateur dont la patrie doit tout craindre. C'est à ce titre que Ben Jonson (1611),Crébillon père (1748), Voltaire dans Rome sauvée (1752), AIexandre Dumas père et Auguste Maquet (1848), Henrik Ibsen (1908), l'ont tour à tour mis sur la scène. L'histoire de cette conjuration a été écrite par Salluste et par Mérimée (1844). Les Catilinaires de Cicéron y ajoutent de saisissants détails. (Rossignol).

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