|
Goethe,
avec son esprit d'observation et son besoin d'universalité, devait
s'intéresser aux sciences de la nature.
On le voit déjà par sa manière de décrire le
monde extérieur, une manière à lui, où le mouvement
poétique se mêle à une remarquable précision
des détails. Mais il a contribué directement au progrès
scientifique de son temps. Il s'est occupé tour à tour de
botanique, de zoologie,
de géologie, de minéralogie,
de physique, et il a fait des découvertes
dans l'anatomie comparée
et dans la physiologie végétale. En 1786, avant de partir
pour l'Italie, il publia un mémoire
dont la conclusion est tout indiquée dans le titre : Dem Menschen
wie den Thieren ist ein Zwischenknochen der oberen Kinnlade zuzuschreiben.
On croyait, jusqu'au XVIIIe siècle,
que l'os intermaxillaire n'existait que chez les animaux
et constituait même un caractère distinctif entre l'humain
et certains vertébrés. Goethe
signala, dans la charpente osseuse de la tête humaine, une partie
correspondante, quoique plus difficile à reconnaître, parce
qu'elle est soudée par un côté avec la mâchoire
supérieure.
Dans une lettre à Knebel (novembre
1784), où il parle de son mémoire, il exprime l'idée
qui le préoccupait dès lors et qui le dirigea désormais
dans ses recherches :
«
Chaque créature n'est qu'un ton, une nuance dans une grande harmonie;
c'est cette harmonie qu'il faut saisir; sans elle, chaque détail
n'est qu'une lettre morte. »
L'examen d'un crâne
de mouton qu'il ramassa par hasard dans les dunes
du Lido, pendant son voyage à Venise,
en 1790, lui donna la première idée de la composition vertébrale
de la tête des mammifères. Il
fit part de sa trouvaille à Mme de Kalb (30 avril) et à Mme
Herder (4 mai); mais il ne formula ses conclusions qu'en 1822, en publiant
son quatrième cahier de morphologie. Oken,
qui, dans l'intervalle, avait fait paraître son opuscule Ueber
Bedeutung der Schodelknochen (léna, 1807), revendiqua plus tard,
mais seulement après la mort de Goethe, la priorité de la
découverte. Goethe avait précédé Oken; le rapport
de la cavité crânienne aux vertèbres
n'était, du reste, pour lui, qu'un de ces détails qui n'ont
toute leur valeur que dans l'harmonie de l'ensemble, car, dès 1795,
il avait publié son Esquisse d'une introduction générale
à l'anatomie comparée, partant de l'ostéologie.
Il y développe cette idée que toutes les différences
de structure entre les espèces animales peuvent être ramenées
à un seul type anatomique, et il recherche en même temps les
causes qui peuvent modifier ce type.
L'unité qu'il avait remarquée
dans tout le règne animal, il la retrouva dans le monde des plantes.
Il se plaît à reconnaître ce que, dans ce nouvel ordre
d'études, il doit à Rousseau et
à Linné. Rousseau lui fit voir dans
la fleur un organisme vivant, Linné lui apprit à classer
ses observations. Ce fut pendant son voyage en Italie que ses idées
commencèrent à se fixer. Au Jardin botanique de Padoue,
un palmier en éventail attira son attention; il remarqua comme les
feuilles, simples et lancéolées près du sol, s'élargissaient
et se divisaient de plus en plus vers le sommet. Ce fut, pour lui, une
indication précieuse : continuant de noter les divergences et les
analogies entre les formes végétales, il trouva bientôt
que les différentes parties de la plante, la feuille,
le calice, la corolle,
les étamines, les semences
même, n'étaient que des développements successifs d'un
même organe primordial, le cotylédon.
Enfin, poursuivant ses généralisations, il se représenta
les variétés, les espèces, les familles comme des
modifications d'un seul type primitif. C'est le résultât auquel
il avait abouti au terme de son voyage, en Sicile; il était même
arrivé, dit-il, à figurer ce qu'il appelait la plante type.
Le traité de la Métamorphose des plantes (1790) est
écrit avec l'élégante simplicité d'un ouvrage
classique; on lira également avec intérêt un appendice
qui a pour titre : Histoire de mes études botaniques (1818
et 1831).
Les reconnaissances que le poète
naturaliste avait poussées dans le champ de la botanique et de la
zoologie lui avaient donné cette conviction, que la nature ne cachait
rien à l'observateur attentif (Annales, 1790), qu'un regard
clair pénétrait derrière tous ses voiles, et qu'il
n'était pas besoin, pour lui arracher ses secrets, du secours des
instruments. Mais son dédain de l'appareil scientifique, son ignorance
volontaire des mathématiques, son habitude de regarder par-dessus
les détails pour saisir aussitôt l'ensemble, devaient le trahir
lorsqu'il s'aventura dans le domaine de la physique.
Sa Théorie des couleurs (1808-1810) n'est, au fond, qu'une
ingénieuse hypothèse, une explication
poétique de certains phénomènes de la nature, tels
qu'un coucher de soleil, une lointaine vue de montagnes, les teintes variées
d'un glacier ou d'une eau profonde. Les couleurs sont formées, selon
Goethe, d'une combinaison de lumière et d'ombre; ce sont des dégradations
de la lumière opérées par des « milieux troubles
» (trübe Mittel). Il explique les couleurs prismatiques
au moyen de deux images superposées dont les bords tour à
tour clairs et obscurs se nuanceraient réciproquement (Zur Farbenlehre,
Didaktischer Theil, 239). Sa réfutation de l'expérience
de Newton ressemble à une boutade d'artiste
(V. Geschichte der Farbenlehre, au dernier chapitre : Confession
des Verfassers). Mais le chapitre des Couleurs physiologiques
contient des observations intéressantes et parfois poétiquement
décrites sur les images consécutives, les ombres colorées,
le contraste des couleurs; et tout le livre est écrit avec cette
clarté de déduction qui était une qualité de
l'esprit de Goethe, et qui permet de faire aisément la part des
faits authentiques et des doctrines contestables.
Les sciences naturelles furent la dernière
préoccupation de Goethe. Le 2 août 1830, le jour où
la nouvelle de la révolution de Juillet arrivait à Weimar,
Eckermann lui faisait sa visite habituelle.
«
Eh bien, lui cria Goethe en le voyant entrer, que pensez-vous de ce grand
événement? Le volcan a fait explosion, tout est en flammes,
ce n'est plus un débat à huis clos! - C'est une terrible
aventure, répondit Eckermann. Mais pouvait-on s'attendre à
une autre fin, dans les circonstances que l'on connaît, et avec un
tel ministère? - Je crois que nous ne nous entendons pas, mon bon
ami, répliqua Goethe. Il s'agit bien de cela! Je vous parle de la
discussion. qui a éclaté en pleine académie entre
Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire. »
Et, continuant de développer une idée
qui lui était chère, il se remit à parler de la méthode
synthétique et de la méthode analytique, l'une vivante et
compréhensive, et embrassant les ensembles, l'autre amassant péniblement
des détails sans réussir à les animer; et il s'applaudissait
d'avoir trouvé en France un esprit
de la même famille que lui, et qui, ajoutait-il modestement, le dépassait.
Aujourd'hui encore, quand plus d'un siècle et demi a passé
sur ces discussions, ce n'est pas le moindre titre de gloire de l'auteur
de Faust
d'avoir été en même temps le précurseur de Geoffroy
Saint-Hilaire. (A. Bossert). |
|